Difficile de parler d’une telle oeuvre. Je pense que Winter Sleep fait parti de ces films qui restent une expérience très personnelle. Et son appréciation en est alors très relative. Il peut dérouter. Tout le monde n’est pas nécessairement emballé à l’idée de s’imposer trois heures face à un film qui n’est pas des plus enthousiasmants.


Il est difficile d’en parler donc, mais je vais tenter de le faire du mieux possible. Il ne s’agit là bien sûr que d’une interprétation et d’un ressenti très personnel concernant ce film. Beaucoup d’éléments m’ont échappés, je pense le revoir en DVD prochainement, pour prendre le temps de l’assimiler davantage. C’est en effet un film très riche à mon sens et que l’on peut voir et revoir sans jamais se retrouver face au même scénario. C’est d’ailleurs ce qui en fait, à mes yeux, un excellent film.


Winter Sleep, pour aller d’abord à l’essentiel, nous plonge en Cappadoce, et plus précisément au sein d’un hôtel tenu par un homme d’une cinquantaine d’années, marié à une femme bien plus jeune, un couple dont les rapports sont assez difficiles à cerner au début du film, et qui nous apparaissent rapidement comme fortement troublés. A ces deux personnages s’ajoute celui de la soeur du propriétaire, qui les a rejoint après s’être séparée de son mari. Voilà que le trio est tracé, et je dirais que le film tournera par la suite autour de celui-ci, des relations compliquées qu’entretiennent les personnages les uns avec les autres.


Des consciences en miroir


J’ai perçu le film comme une sorte de huis-clos, ce qui peut paraître paradoxal quand on sait que l’histoire se déroule dans un hôtel et que les personnages sont à maintes reprises confrontés à des rencontres extérieures. Mais celles-ci ne sont là, à mon sens, que pour venir alimenter les propos échangés entres tous trois.


J’aimerais à ce sujet m’arrêter sur ce que je considère comme une véritable prestation. J’ai été subjuguée par la qualité des dialogues, comme par le jeu des acteurs qui les prononcent, et enchaînent parfois des monologues de plusieurs minutes avec une habilité remarquable. Je pense notamment à la première scène à m’avoir véritablement troublée — et qui ne fut pas sans me rappeler certains passages des romans de Dostojevski — qui voit s’opposer le propriétaire des lieux à sa soeur. Une scène magnifique à mon avis et royalement menée, qui ne fait qu’annoncer les nombreux échanges à venir.


Progressivement, j’ai eu cette impression, peut-être fausse, ou biaisée, mais qui me paraît cependant intéressante, de me retrouver face à une seule et même conscience, en proie à ses propres et multiples contradictions. Ce sentiment d’être face à un huis-clos y contribue. Chaque personnage affiche plusieurs traits de caractère assez accentués par le réalisateur je pense, et la plupart du temps en totale contradiction avec les deux autres, comme le fait remarquer la soeur, Necla, dubitative quant au lien familiale qui peut bien unir deux individus aussi opposée. Et tous trois sont là pour se renvoyer la balle, s’étouffer dans leurs contradictions, leur incapacité à cohabiter, à trouver une moindre entente, un juste milieu entre des intérêts si différents. Une haine mutuelle les habite, comme insurmontable, et chacun est là pour renvoyer à l’autre cette image nauséabonde de l’autre. « L’enfer c’est les autres », comme dirait l’autre. Cette idée de reflet, je l’ai retrouvée dans le jeu avec les miroirs, noté à plusieurs reprises dans le film. Miroir, rétroviseur, réflexion à travers la vitre, les scènes se multiplient ainsi, permettant de voir chaque personnage se faire face, dans une habile maîtrise de l’espace.


L’interprétation est hasardeuse et personnelle, mais il me plaît de penser qu’il y a du vrai là dedans, je trouve le film d’autant plus intéressant alors.


Lutte des classes et des genres


Enfin, je passerai rapidement sur la force de ces perpétuelles confrontations, entre les classes, entre les sexes, entre des individus aux priorités fort divergentes, et pour qui aucune entente ne paraît possible tant l’orgueil rend ses dernières indépassables. Je pense ici en particulier à l’une des dernières scènes du film, qui voit Ismail, le locataire sorti de prison depuis peu, jeter au feu une liasse de billets que lui avait apporté Nihal. Je me rappelle ce geste d’effroi de la dernière, et j’en reste troublée.
A ce propos, les acteurs sont vraiment excellents, tous autant qu’ils sont.


J’ai aimé ce film, je ne me hasarderais pas à le conseiller à tout le monde parce que je pense, et je le comprends bien, qu’il ne peut pas faire l’unanimité, mais je dirais malgré tout qu’il en vaut le coup d’oeil.

Camille_D
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le 16 févr. 2016

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