Enfin ! You’re Next pointe finalement le bout de son nez après avoir passé trois ans à prendre la poussière sur les étagères du distributeur Lionsgate. Auréolé d’une belle réputation suite à son passage au TIFF (Toronto International Film Festival) puis au Fantastic Fest en 2011, le troisième long du jeune réalisateur Adam Wingard représente en effet une carte majeure à jouer pour Lionsgate qui, après la mort de leur poule aux œufs d’or Saw, sauvagement assassinée par le nanardissimo Paranormal Activity de la Paramount, espère reconstruire une nouvelle presse à billets grâce à ce petit home invasion/slasher sans prétention néanmoins très efficace. Attention, cette critique révèle la véritable “nature” d’un des personnages du film. Un élément important qui n’est pourtant pas joué comme un nœud dramatique majeur, raison pour laquelle je choisis d’en parler ouvertement. Vous êtes prévenus.

Crispian profite de l'anniversaire de mariage de ses parents célébré dans la maison de campagne familiale afin de leur présenter sa petite amie Erin. Après un repas agité plombé par les tensions et les conflits larvés, un carreau d'arbalète tiré de l'extérieur vient frapper un des invités en pleine tète. La famille est assaillie et ses membres piégés en leur demeure par un commando masqué manifestement décidé à les dessouder les uns après les autres. Mais c'est sans compter sur le talent caché de l'un des convives, peu enclin à attendre son tour bien sagement.

Lionsgate aura donc attendu plus de deux ans avant de nous présenter le film en salle. Deux ans pour faire monter la sauce et laisser les critiques positives post-festivals générer un buzz solide dans la petite communauté des accros au cinéma de genre. Deux ans pour soigneusement calculer leur coup et peut-être faire de You’re Next le prochain Final Destination ou même, soyons fous, le nouveau Vendredi 13. En résumé: un puits à pognon sans fond destiné à être décliné ad nauseam jusqu’à épuisement total du concept. La comparaison avec Vendredi 13 n’est d’ailleurs pas si audacieuse ni dans la forme (les deux films partagent une approche jubilatoire de la violence et un beau respect des codes traditionnels du slasher), ni dans le mode de distribution. Les nombreuses itérations de la franchise du père Sean S. Cunningham sortent en effet traditionnellement durant l’été comme You’re Next aux États-Unis, une période propice aux slashers depuis la création du genre.

Dommage qu’à trop attendre, Lionsgate se soit finalement tiré une balle dans le pied, Universal venant sournoisement de sortir en salle American Nightmare (The Purge), un métrage au pitch quasiment identique à celui de You’re Next qui ne manquera pas de parasiter la sortie du film de Wingard en amoindrissant l’impact de son plan marketing. Petite consolation tout de même, The Purge semble bien porter son nom et ne rassemble apparemment pas les foules dans les salles américaines. Le terrain reste donc relativement dégagé pour You’re Next qui se présente, si je ne m’abuse, comme le seul film de terreur potable visible en salle cet été aux États-Unis (sortie en salle à la rentrée chez nous, le 4 septembre).

Mais “quid du film ?” me direz-vous. L’attente démesurée du distributeur est-elle à la hauteur de la qualité du produit fini ? Vais-je cesser de vous bassiner avec mes histoires de guerres entres producteurs et de stratégies marketing dont tout le monde se fout ? Et bien, même si on peut légitiment être sceptiques à l’idée de voir un concept comme celui de You’re Next décliné sous forme de franchise au long cours, impossible de de pas reconnaître que le film fonctionne admirablement bien en tant que "standalone". Jouant remarquablement avec le cadre normé du slasher pour livrer un home invasion hybride, ce troisième long d'Adam Wingard est un spectacle jouissif d’une violence incroyable. Mélange improbable de The Strangers, Funny Games et Maman j'ai raté l'avion (si si, j’assume), You’re Next est une petite bombe énervée ne retenant jamais ses coups.

Tout ici est précisément mesuré et judicieusement réinterprété afin de dépasser la simple agrégation de références indigestes pour livrer une vision nouvelle, un grand huit tendu fourmillant de clins d’oeil adressés aux fans refusant pourtant la citation à outrance et la redite épuisante. Le choix du décor est lui aussi astucieux. Ainsi, la maison dans laquelle se déroule les faits est assez imposante mais sa structure permet tout de même à Wingard d'orchestrer un jeu du chat et de la souris exploitant à merveille l’architecture du lieu. Les kills s'enchaînent dans des contextes différents, toutes plus créatives les unes que les autres et de plus en plus crades, dans la plus pure tradition du golden age des 80’s.

Ce qui étonne dans You’re Next c’est aussi l’intelligence de la mise en scène du jeune réalisateur. Jouant parfaitement avec les attentes du public, il compose patiemment et méticuleusement ses séquences en laissant s’installer une belle tension avant chaque exécution. Évidement, il utilise parfois des effets faciles comme le "jump scare" ou certaines facilités de montage téléphonées, mais la plupart de ses découpages sont terriblement bien pensés et son utilisation du son est en tout point remarquable. De son emploi très “Tarantinien” de la chanson Looking for the Magic de The Dwight Twilley comme gimmick musical classieux au score old school hommage aux compositions de John Carpenter, Alan Howarth ou Fabio Frizzi, l’habillage sonore de You’re Next est des plus appréciables.

L’un des autres gros points forts du film est certainement son ton très maîtrisé entre premier degré pur et dur et humour d’un mauvais goût réjouissant. Ainsi, si les personnages du film réagissent à la mort de leurs proches de manière tout à fait crédible (pour des personnes en train de se faire attaquer à l’arme blanche dans un slasher, sachons raison garder), livrant des performances d’une sobriété et d’une intensité bienvenues, certaines situations tirent sans problème des sourires et même des rires. Wingard et son scénariste/producteur Simon Barrett parviennent ainsi à conserver cet équilibre précaire conférant au film une magnitude de tous les instants sans nous miner la face en virant au mélodrame, ce qui est fort agréable. Un tour de force quand on repense à tous ces films d’horreur coincés dans des limbes de médiocrité entre prise de crane austère vaguement auteurisante et foire à la saucisse grand-guignolesque faussement burlesque.

Enfin, impossible de clore ce tombereau d'éloges sans mentionner Erin, le personnage interprété par Sharni Vinson. Actrice physique dotée d’un joli charisme naturel, Vinson incarne ici une véritable force de la nature, rencontre explosive entre John McLane et Ellen Ripley. Loin du cliché éculé de la demoiselle en détresse parvenant accidentellement à blesser le boogeyman en trébuchant sur un râteau posé sur une corde reliée à une poutre cloutée suspendue au plafond, Erin est une véritable badass (oui, encore une). Dure au mal, elle maîtrise de surcroît l’utilisation des armes blanches et sait exploiter son environnement afin de ralentir (ou supprimer, si besoin) ses adversaires. Comme Ripley, elle n’est pas ostensiblement représentée dés le début du métrage comme le personnage principal de l’histoire et prend petit à petit les commandes, révélant son immense potentiel dans les situations les plus tendues. Un vrai beau personnage actif, solide et hargneux, loin des Sidney, Laurie et autres Sally.

Au rayon des reproches que l’ont pourrait légitiment adresser à You’re Next, on recensera tout de même certains moments de la scène de dîner quelque peu confus durant lesquels une “Shaky Cam” agaçante vient amoindrir la force de la scène. Essayant tant bien que mal de reproduire l’agitation et la désorientation ressentis par les personnages, elle a surtout pour effet de rendre illisible certains plans en leur conférant des tressautements désagréables plus distrayants qu’immersifs. Force est de constater également que You’re Next n’est pas le slasher révolutionnaire vendu par certaines critiques américaines euphoriques (la drogue, très certainement). Variation enlevée respectant scrupuleusement les codes du genre, cette petite production de très belle facture le dépoussière en y injectant un certain réalisme et beaucoup d’humour, mais nous sommes ici en terrain connu et les vieux briscards sauront anticiper tous les coups de théâtre et retournements de situation sans trop de mal. Cela n’enlève rien à la qualité de ce film, au contraire, mais mieux vaut mesurer ses attentes pour ne pas aller au devant de grandes déconvenues.

Au final You’re Next est incontestablement une belle réussite. Un film intelligent et modeste ne cherchant jamais à réinventer la roue mais se positionnant avant tout comme une belle déclaration d’amour au cinéma de genre des années 80. Violent, drôle, bien interprété, bien filmé, ce très bon petit slasher devrait remplir les salles de cinéma américaines cet été et offrir aux jeunes générations ce que fut Scream pour les ados des années 90: Un vent d’air frais revitalisant un genre sentant un peu le renfermé. Une mise à jour astucieuse et sans concessions qui sera peut-être à l’origine d’une nouvelle vague de slashers encore plus radicaux et décomplexés.

You're Next, un film d'Adam Wingard. Sortie le 4 septembre 2013
GillesDaCosta
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le 27 juin 2013

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Gilles Da Costa

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