Il y a, derrière ce très, très mauvais, cet exceptionnellement mauvais film qu'est "Yves" une pléthore d'excellentes idées, qui, mises entre d'autres mains, auraient pu donner quelque chose d'intéressant : la manière dont l'IA se nourrira / se nourrit de nous, de nos idées, de notre savoir, voire de nos rêves, pour en fournir une version "techniquement supérieure", et, évidemment, humainement inférieure ; la fascination incontrôlable de l'être humain pour ses propres créations, qu'elles soient des robots ou bien des divinités ; la logique bien connue du transfert, se matérialisant par un désir sexuel irrationnel envers celui (ici un frigo, ah ah ah) qui nous permet d'exprimer sans crainte ni barrière ce que nous avons en nous, etc. etc. Aux mains d'un réalisateur comme Spike Jonze, le thème de l'AI et de son impact sur nous et notre psyché donne un chef d'œuvre. Sous la direction de Benoît Forgeard, cela donne une heure trois quart d'ennui profond, de gêne involontaire et de connerie contemporaine.


Mal écrit, terriblement mal mis en scène, avec un enchaînement quasi ininterrompu de scènes stupides ou laides, voire stupides ET laides, "Yves" s'avère une épreuve quasi insoutenable pour tout être humain que les grossièretés du rap commercial n'amusent plus depuis longtemps, et que les ressorts de la "musique populaire", filtres et effets en tous genres, laissent indifférent. "Yves" génère une envie irrépressible de quitter la salle de cinéma, que seule la perspective d'abandonner un air climatisé bienveillant pour retrouver la canicule de ce mois de juin contrarie. Mais quelle envie de hurler devant la laideur absolue des images, devant la pauvreté des dialogues, devant le manque de cohérence des situations (et qu'on ne vienne pas me dire que c'est parce que c'est "absurde" : allez voir chez Dupieux ou chez Buñuel ce qu'est l'absurde, ce qu'il signifie et à quoi il sert… !)… Au cœur de ce désastre abismal, William Lebghil nous fait rire - pendant les 30 premières minutes du film, avant qu'il ne soit entraîné vers le fond par ce scénario calamiteux -, et prouve qu'il est un excellent acteur comique. Le divin Philippe Katerine est affreusement mal utilisé, d'abord un cliché, puis un spectre. Quant aux personnages féminins, ils sont grotesques, réduits à des clichés sexistes bien en ligne avec l'ADN hip hop du film, ce qui oblige les actrices pleines de bonne volonté à faire un grand écart permanent entre leurs ambitions et les dialogues méprisants qu'on leur met dans la bouche.


Le film se termine sur une scène réussie de triolisme homme - femme - frigo qui a le mérite de l'originalité, et qui doit constituer quelque part l'objectif caché du projet "Yves". Cela permet de sortir de la salle de moins mauvaise humeur, mais aussi de se souvenir que quand Oshima filmait Charlotte Rampling au lit avec un singe dans "Max mon Amour", ça avait quand même une autre allure. D'ailleurs, on appelait ça a l'époque du Cinéma, un truc dont Forgeard n'a sans doute pas entendu parler, et qu'on ne trouve pas sur YouTube.


[Critique écrite en 2019]

EricDebarnot
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le 29 juin 2019

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Eric BBYoda

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