Le dernier film coup de poing de la grande Kathryn Bigelow, après avoir été globalement encensé par les critiques du monde entier, a très vite connu un violent "retour de flamme".
Accusé d'être "pro-torture" (OUI il y a eu torture, c'est sans doute lamentable, mais toujours est-il que des "interrogatoires" de ce style ont bel et bien été menés), d'être "pro-Obama", les auteurs du film accusés d'avoir fricoté "officieusement" avec la Maison Blanche et la CIA, le tout débouchant sur une immonde campagne de boycottage lors de la dernière cérémonie des Oscars - l'académie n'en étant certes pas à son coup d'essai dans le genre.
La palme du "scandale" revenant à la statuette de la meilleure actice, l'immense Jessica Chastain (c'est elle qui porte le film sur ses épaules) se voyant littéralement volée sur ce coup-là.
Bref, malgré les apparences, le politiquement correct est toujours très en vogue à Hollywood...

Mais si on parlait ciné pour changer ?
"Zero Dark Thirty", en plus d'être un tour de force filmique et scnénaristique , est un immense film-puzzle, à la fois thriller politique, d'espionnage, et film de guerre.On sait déjà comment ça va se terminer, mais Bigelow trouve quand même le moyen de nous captiver via une mise en scène nerveuse et des faits rapportés avec une précision imparable, l'incroyable somme de recherches effectuées en amont de la production par le scénariste Mark Boal étant tout sauf étrangère à la réussite du film.
Il est fascinant d'assister à la reconstitution des recherches, des moyens humains et techniques mis en oeuvre, des conflits entre les bureaucrates et les équipes sur le terrain , des "erreurs humaines" commises - par exemple le neveu de Ben Laden aurait dû être intercepté il y a des années de cela, mais l'info le concernant était complétement passée inaperçue.On parle de la CIA quand même, et ça la fout un peu mal pour le soit-disant service de renseignement le plus efficace au monde.

Le premier point fort du film est donc de rapporter, avec une précision quasi documentaire, les faits et gestes des services de renseignements américains durant cette longue traque s'étalant sur 10 ans, même les moins glorieux - là encore point de patriotisme, rien que les faits.
C'est d'ailleurs tout à l'honneur de Bigelow et de son scénariste Mark Boal d'avoir su prendre le recul nécéssaire par rapport aux évènements du 11 septembre pour retranscrire cette histoire avec honnêteté et intégrité.
On peut sans peine imaginer la catastrophe si un tel matériaux avait été laissé entre les mains d'un Roland Emmerich par exemple...
C'est aussi cette approche réaliste qui a pour conséquence de nous mettre mal à l'aise devant les scènes de torture, ou devant l'assaut final, au cours duquel certains occupant du repaire des terrosites, pourtant sans défense, sont abattus sans la moindre pitié.
C'est choquant, mais encore une fois respectueux des faits.
La force du film tient à cette logique imparable et honnête, et surtout vidée de tout commentaire politique.

Mais sa vraie réussite est de rester centré sur le personnage de Maya, la femme qui fût à la tête de cette incroyable traque.Et ce qui intéresse avant tout Bigelow ici c'est de mettre en scène ce personnage et son obsession.
Jessica Chastain est juste parfaite, tiraillée entre un humanisme profond et un intense désir de vengeance.
Oui, on parle bien de "vengeance", et alors ??
Non seulement Maya traque l'homme responsable des attentats du 11 septembre, et comme si ça ne suffisait pas, sa plus proche collègue, et seule amie au demeurant, est tuée dans un attentat suicide.
Sa soif de vengeance n'a donc rien d''ihumain", mais par contre, et comme c'est souvent le cas, elle s'avèrera presque vaine: voir le bouleversant dernier plan du film, Maya seule dans un immense avion-cargo (en gros maintenant que la mission est accomplie, plus grand monde ne sait qui elle est ni ne s'en soucie), se demandant comment combler le vide vertigineux s'emparant d'elle alors que son futur proche lui parait inexistant.
Cette immense solitude est le prix que Maya devra payer pour sa détermination dans cette mission.

La dernière réplique du film, la question du pilote "et maintenant on va ou ?", n'est pas seulement destinée à Maya.
"Maintenant que notre ennemi juré est mort, on fait quoi ? Est-on vraiment plus avancés ? Arriverons-nous seulement un jour à refermer les plaies du passé pour avancer ?"

"Zero Dark Thirty" fait office de mirroir tendu à une Amérique meurtrie et en proie à ses démons les plus sombres.
C'est ce qui en fait, au-delà de sa mise en scène magnifiée par la réalisatrice la plus talentueuse en activité, un film important.

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le 16 mars 2013

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Sylvinception

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