J’ai compris ma douleur. Pour la première fois j’ai contacté un éditeur en tant que rédacteur d’un site traitant de jeux vidéo. Pour la première fois j’ai demandé qu’on me donne une clé afin que je puisse tester un jeu pour en faire un papier. J’ai compris ma douleur. Lorsque j’ai contacté le service presse des français de Cyanide afin de vous pondre une critique de leur dernier bébé, Aarklash Legacy, premièrement je ne pensais pas que ça serait aussi facile d’obtenir une version review, mais surtout, je ne m’attendais pas à tomber sur un jeu aussi difficile. Petite plongée dans l’univers impitoyable d’Aarklash.
Avoir accès à une version complète d’un jeu avant sa sortie, c’est un privilège auquel je n’avais jusque-là jamais vraiment goûté. C’est pourquoi je tiens à remercier Stanislas de Cyanide pour la réactivité folle dont il a fait preuve. Il faut dire que contrairement à d’autres, je ne prends pas (encore) ce genre de relation comme un acquis et encore moins comme une démarche naturelle. Et dans cette période médiaticocentrée sur le rouleau-compresseur d’un certain Rockstar, j’imagine qu’un papier supplémentaire sur leur titre est toujours bon à prendre pour le petit éditeur français.
Aarklash, pour ceux qui ne le savent pas, comme moi, c’est l’univers du jeu de figurines Confrontation par feu l’éditeur français Rackham. Aujourd’hui cette franchise appartient à Cyanide qui visiblement, après Blood Bowl, aime bien jouer avec des figurines. Après une première plongée dans cet univers avec le passable Confrontation sorti sur PC l’année dernière, Cyanide avait visiblement à cœur de persévérer et de proposer une mouture plus solide tout en capitalisant sur certaines mécaniques de jeu qui avaient déjà fait mouche dans leur précédent titre. Alors que Diablo se tourne vers les consoles après ses couacs à répétition sur PC ; tandis que Torchlight devient sereinement LA référence du genre et que notre bon Chris Taylor laisse sa licence Dungeon Siege s’affaiblir d’épisode en épisode, Cyanide avait mine de rien une jolie carte à jouer dans le genre « hack’n slash ». Leur cible ? Les masochistes en mal d’humiliation et les champions d’échecs. Car comme vous pourrez vous en rendre compte, cet Aarklash Legacy est un jeu qui n’est pas à la portée du premier pécore venu, loin s’en faut.
Aarklash Legacy raconte la fuite en avant des Wheel Swords, ersatz d’agents de recouvrement à la solde des Goldmongers, une grosse guilde qui tenait la plupart des royaumes par les bourses, si je puis dire. Et si je parle au passé c’est bien parce que la légitimité des Goldmongers et de leurs bras armés que sont les Wheel Swords n’est plus reconnue par leurs anciens débiteurs, et nos braves mercenaires se retrouvent tout d’un coup vulnérables au milieu d’un territoire qui cherche à tout prix à les faire passer de vie à trépas.

J’ai particulièrement apprécié l’esprit décalé du titre de Cyanide ; cette narration parallèle d’un petit groupe autrefois respecté et craint, aujourd’hui parias au cœur d’une terre extrêmement hostile. Un ton atypique et à mon sens bien vu, appuyé également par un casting franchement réussi. A force d’adapter des jeux de figurines, on commence à trouver dans ces designs disproportionnés une sorte de « touche Cyanide » qui fait son petit bonhomme de chemin dans l’image de marque du développeur de Pro Cycling Manager. Il y a là un terreau fertile pour les gars de Nanterre, entre ce background de fantasy pétri d’inspirations digérées à la française, et ces designs totalement décalés. De la mâche de qualité pour l’univers visuel du jeu, et ça se voit ! Le titre de Cyanide est bien léché, et s’offre même quelques tableaux franchement magnifiques. Une finition remarquable qui malheureusement ne fait qu’augmenter le contraste avec le niveau insuffisant des animations. Je peux paraître un poil (de troll) dur sur ce point, mais alors que nous approchons de la huitième génération de machines, la moindre tare technique s’en ressent doublement. Evidemment l’IA et l’animation demeurent les principaux chantiers de l’industrie toute entière, et que ce soit pour un blockbuster ou un jeu à budget plus modeste comme Aarklash Legacy, on préfère souvent mettre l’accent sur la qualité graphique et les effets de particules que sur des points malheureusement moins vendeurs auprès du grand public.
Mais le fait est que Cyanide a pondu un jeu tout sauf grand public. Que ça soit clair, Aarklash Legacy est un p*tain de jeu hardcore. On aurait pu s’y méprendre c’est vrai, avec sa réalisation pastel à la Blizzard et son chara design totalement décalé, mais non, A.L est un jeu qui ne vous pardonne aucun temps mort, aucune erreur stratégique, aucun mauvais placement. Le T-RPG de Cyanide vous pousse à la perfection dans l’utilisation de ses mécaniques jusqu’à vous faire jubiler comme rarement aujourd’hui pour avoir simplement réussi à buter un gardien de coffre. Oui, juste un coffre qui contient deux petites amulettes à équiper. Et c’était même pas obligatoire. J’ai compris ma douleur.

En jeu, vous devez contrôler un groupe de quatre mercenaires parmi un éventail total de huit personnages. Mais attention, même si ça laisse supposer d’un nombre intéressant de configurations disponibles, ce n’est finalement pas le cas puisque le jeu adopte une posture très « mmo » avec un tank qui prend (très) cher pour le groupe, un personnage de soutien qui tente tant bien que mal d’éviter que votre stratégie ne parte en sucette à la première boule d’énergie venue, et deux autres personnages pour buter les ennemis. Parce que oui, à force d’en chier pour survivre, on en oublierait presque de charger le buffet de nos ennemis.
Parce que chez Cyanide ils ne sont pas totalement sadiques, on a le droit à une pause active durant les combats afin de gérer un peu la stratégie de notre groupe et réagir plus calmement aux différentes surprises du champ de bataille. L’occasion de s’attarder sur la refonte de l’interface, élégante et en même temps bien pratique ; la preuve, malgré le nombre incalculable de fois où j’ai honteusement péri comme le dernier des noobs, à aucun moment je n’ai remis en question l’ergonomie de cette interface, malgré ma mauvaise foi légendaire. Tout est assez bien pensé et intelligemment organisé pour qu’on s’occupe avant tout de notre stratégie.
Car oui il est temps de parler de ce système de jeu à mon sens plus proche d’un Baldur’s Gate oldschool que d’un Diablo. Si sur le papier une telle proposition aurait de quoi me réjouir, après de nombreuses heures de morts tragiques à répétition, j’en garde plus un souvenir de frustration qu’une véritable jouissance de la difficulté. J’ai lu çà et là qu’on comparait Aarklash Legacy avec des titres comme Hotline Miami ou Dark Soul. Effectivement, l’extrême difficulté du titre et notre obligation de rendre une partition sans fausse note tend à ranger le jeu de Cyanide dans ce renouveau du jeu hardcore. Mais ce serait sous-estimer deux écueils de ce gameplay, sources d’un sentiment certain d’injustice pour le joueur. Premièrement, l’intelligence artificielle des ennemis fait qu’ils s’adaptent à la situation bien plus rapidement que mon pauvre esprit humain tentant en vain de coordonner quatre personnages en même temps. Le fait est qu’au bout d’un moment on ne fait qu’établir une stratégie utopique en début de combat, en priant pour que les premières secondes de combat tournent en notre faveur, car il est presque impossible pour le joueur de renverser une situation difficile. Les ennemis buff et debuff à vitesse grand V tout en adaptant l’utilisation de leurs compétences à nos déplacements sur le champ de bataille en une fraction de seconde alors que vous avez passé une minute en pause active pour adapter votre stratégie aux cinq dernières secondes de jeu. Et c’est bien dommage puisqu’on nous permet de planifier plusieurs actions par personnage, mais finalement on est trop souvent amené à balancer ces plans à la poubelle pour réagir à la poutrée que nos ennemis (souvent en surnombre, en plus) nous assènent. Même le niveau facile est chaud alors que Cyanide nous parle d’une « promenade de santé à travers Aarklash ». Drôle.
Le deuxième problème que j’ai rencontré vient paradoxalement d’une très bonne idée, puisqu’il concerne les déplacements de votre groupe durant les combats. En effet, le placement de vos personnages durant une escarmouche est déterminant. Vous ne devez pas simplement adopter une stratégie conjointe d’actions, vous devez également faire attention à votre position pour éviter les projectiles ou les attaques de zone. Il en est de même pour vos propres actions, comme le soigneur dont le sort de soin ne heal que le premier personnage qui passe sur son chemin. Quand je vous disais que le jeu était dur… Et donc, le problème avec le système de déplacement, c’est que malgré nos bonnes intentions et notre vision parfois clairvoyante du terrain, il arrive souvent que nos personnages peinent à exécuter nos directives et foirent notre stratégie par des errements de pathfinding. Le moment pour moi de rappeler la faiblesse d’animations notée tantôt, ce qui ajoute au sentiment de frustration vis-à-vis de ce mécanisme de déplacement. Intelligent sur papier, mais insuffisant techniquement pour vraiment se montrer agréable à utiliser.
On pourrait se dire qu’avec le temps on finit par s’habituer à ces faiblesses et à passer outre pour prendre du plaisir à vivre cette aventure. Et c’est vrai qu’on arrive à apprécier cette exigence et à prendre nos multiples échecs avec philosophie. Néanmoins, dans mon cas, j’ai senti à la longue un véritable manque de rythme, non pas que le jeu soit lent, mais que sa progression le rend assez monotone. J’avais déjà ressenti cette lourdeur dans d’autres rpgs comme «Le Tiers Âge » d’Electronic Arts ou plus récemment sur « Final Fantasy XIII » de SquareEnix. L’impression qu’au-delà du système de combat, il n’y a que trop peu de biscuit à croquer dans ce jeu. Et même avec un système de jeu bien taillé et aussi exigent que celui d’Aarklash, sans changement de rythme durant l’aventure, on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine lassitude à mourir, encore et toujours, dans des schémas de plus en plus redondants.
Aarklash Legacy est un tactical-RPG taillé pour les fans hardcore du genre, qui ne veulent pas s’encombrer d’artifices trop envahissants pour se focaliser essentiellement sur l’apprentissage et la maîtrise du combat. Cyanide signe là une copie améliorée de Confrontation, et j’imagine facilement ce qu’ils peuvent nous pondre dans un troisième jeu. Mais par pitié messieurs de Nanterre, la prochaine fois, ne soyez pas aussi durs avec nous, car on a perdu l’habitude d’en chier. J’ai compris ma douleur.
Anfalmyr
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le 28 sept. 2013

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