Assassin's creed... sans assassins!
Je ne partais pas avec un bon a priori. C'est que Ubisoft, avec son calendrier frénétique qui semble avoir pour seule ambition de sortir autant de jeux que Activision, commençait à me lasser. Le précédent Assassin's Creed III, après un début prometteur, s'est avéré lassant et déçevant dans sa conclusion. Far Cry 3 était un rafraîchissement bienvenu, mais pas franchement très profond. Quant à Watch_Dogs, il me faudra beaucoup de temps pour pardonner à Ubisoft ce gâchis.
J'ai du avaler mon chapeau, car Black Flag s'est révélé être une bonne surprise.
Le décor est pourtant assez cliché: la piraterie en mer des caraïbes, ce n'est pourtant pas franchement un sujet original. Le personnage principal est Edward Kenway, le grand-père de Connor, et comme on peut s'y attendre, c'est un pirate. Pas un assassin pirate, non; pas une énième saucisse avec une histoire de vengeance cosmique qui découvre que sa famille se bat depuis la nuit des temps contre un ordre mondial secret... non, un vrai pirate: un pauvre type du pays de Galles qui a laissé sa femme pour aller tenter sa chance à l'aventure sur un rafiot.
Le personnage, au contraire de bon nombre d'autres de la série, est particulièrement cohérent: sa motivation n'est pas une sombre histoire de vengeance, non, c'est... l'or, le rhum, et une utopie libertaire qu'il compte monter à Nassau avec ses potes pirates. Là où Ubisoft ose un pari courageux, ce n'est pas tant dans le personnage en lui-même que dans son rapport aux canons de la série. Les assassins? Croisés presque par hasard à la séquence 4 (sur 13) et envoyés paître, ils jouent un rôle tout à fait marginal. Les templiers? Uniquement intéressant parce qu'ils semblent sur la piste d'un trésor.
Edward Kenway suit sa propre voie, loin des intrigues politico-mystiques inextricables auxquelles Ubisoft nous avait habitué (celles-ci restent présentes, mais comme une toile de fond très générale, juste pour rappeler qu'on est bien dans la même franchise et que ce n'est pas un reboot). Ce qui permet à Ubisoft de faire ce qu'ils avaient échoué à faire jusqu'ici: suivre un fil rouge, raconter l'évolution d'un personnage. Au début de l'aventure, Edward Kenway est un gamin: son navire est un joujou de luxe, piller est un jeu; d'ailleurs, le monde réel, on lui tourne le dos, on va monter la république des pirates.
Et puis les ennuis commencent. La gentille utopie se casse la figure, les amis fidèles viennent à mourir au combat, les autres se révèlent être de vraies enflures, l'équipage se mutine, et le trésor tant convoité (l'Observatoire) se révèle être un artefact invendable et dépassant toute raison. L'incorporation tardive (séquence 11) et presque anecdotique de Kenway dans la confrérie des assassins signe en réalité son passage à l'âge adulte: il donne à sa vie un but autre que la satisfaction de ses intérêts et envie immédiats. La très belle séquence finale, où il se découvre père et retourne avec sa fille vers l'Angleterre, signe la transfiguration du personnage ("Est-ce que je vais voir des pirates? - Non, ça, ça m'étonnerait...").
Sur le plan technique du gameplay, Black Flag reprend l'héritage de la série et approfondit les séquences en bateau, qui restent cependant similaires (en mieux) à celle d'AC3. L'impression de liberté est réussie et on se surprend à voguer sur les flots alors pourtant qu'on aurait pu activer les balises de transport rapide, simplement pour le plaisir de voir son esquif glisser sur les flots (mention spéciale aux chants de marins, très réussis). Pour le reste, c'est de l'assassin's creed: les séquences qui marchent marchent toujours, celles qui barbent barbent toujours (l'espionnage, c'est sympa une fois). On sent aussi, que dans les missions principales, Ubisoft a fait un réel effort: elles sont relativement peu nombreuses (3 en moyenne par séquence), mais s'efforçent d'être chaque fois très différentes. Il n'y a toujours pas de tombeau, mais les explorations sous-marines viennent (un peu) compenser ce manque.
Je dois encore dire un mot sur le présent (rappelez-vous, toutes les histoires de pirates ne sont que des flashback créée par une machine à explorer les mémoires génétiques). On abandonne pour la première fois Desmond Miles, ce qui n'est pas plus mal vu l'échec d'Ubisoft dans sa tentative de faire quelque chose du personnage. D'ailleurs, là encore, Ubisoft semble prendre de la hauteur sur sa propre création puisque l'histoire mystico-apocalyptique développée depuis AC2 est mise en sourdine, la déesse machinchose se contentant d'une apparition éclair pour dire en gros "revenez plus tard, c'est pas le moment".
À la place de Desmond Miles, on incarne donc... un développeur de jeu vidéo anonyme (vue première personne, aucun dialogue). Oui. Le choc a été rude, et ma première impression a été de casser immédiatement la suspension d'incrédulité (d'autant que si on développe pour Abstergo, Ubisoft se permet l'arrogance suprême de s'auto-citer comme "éditeur mondial majeur"). Une fois le choc passé, je suis moins sévère et on peut même voir ça comme un exercice d'auto-critique. Les travers de la création d'un jeu vidéo sont subtilement montrés à travers des notes disséminées dans les infos historiques ("on ne pourrait pas agrandir un peu cette église? Il faut qu'elle ait l'air impressionnant" "On va rajouter ça dans la bio de untel, ça en fera un super personnage").
Au final, on a donc un opus d'Assassin's Creed qui ressemble sans doute le moins à un Assassin's Creed. Je préfère voir le verre à moitié plein et prendre ça de façon optimiste: c'est le signe qu'Ubisoft est capable de jeter un regard plus critique sur sa création et d'essayer d'innover. Assassin's Creed avait besoin d'un profond renouvellement pour maintenir son intérêt. Sans y parvenir tout à fait, Black Flag s'engage sur ce chemin.