Une critique qui se coupe en deux parties. La première est dédiée au jeu lui-même, la seconde à son portage.

Baldur's Gate, donc, c'est un nom que pas mal de mes amis, collègues et interlocuteurs prononcent avec déférence. Les plus trollesques d'entre eux se permettent même de se référer à ce titre pour trasher les sorties récentes, à l'instar de Dragon Age (premier du nom). Autant dire qu'en tant que rôliste, Baldur's Gate m'a toujours fait rêver - car oui, je n'avais pas pu mettre les mains dessus à son époque, privé que j'étais d'un ordinateur personnel. C'est donc avec enthousiasme que j'ai acheté cette version "Enhanced", pourtant décriée comme étant une grosse arnaque. Une acquisition motivée par un argument de poids : pouvoir jouer sur tablette - donc partout - à un jeu d'une grande profondeur, le tout avec un controle tactile idéalement adapté pour des combats au tour par tour.
Et là, c'est le drame.
Admettons : le fil rouge est intéressant, l'univers est riche (malgré mon désamour de l'hérokitsch-fantasy) et - surtout - les personnages sont attachants (marquants, sans être lourds malgré leur côté caricatural). L'ingéniosité de leurs répliques est également remarquable. Du point de vue de la liberté, il faut concéder au jeu sa capacité à laisser le joueur décider du destin de chacun de ses compagnons. Qui viendra avec nous ? Pourquoi ne pas buter ce personnage dont les idées ne s'alignent manifestement pas avec celle du reste du groupe ? On souffre de très peu d'entraves à ce niveau. Rajoutez un contenu généreux, une bonne liberté de mouvement, et on tient déjà un bon titre (7 / 10, quoi).
Mais selon moi, ça ne va pas plus loin. Ce pour deux raisons :
1. Le système de jeu est archaïque et inadapté. Et quand bien même on voudrait remettre le jeu dans son contexte d'époque, ça n'y changerait pas grand chose : objectivement, il était déjà archaïque et inadapté en 1998. Les combats (puisque c'est la seule chose que le système de jeu prend en compte, comme on le verra plus loin) en début de campagne sont horriblement lourds à cause de l'incompétence affligeante des PJ. Bah oui : dans AD&D, un PJ niveau 1 est un gros boulet à peine capable de tenir une cuillère, et Baldur's Gate a cru bon de nous infliger ça dans son jeu. Vous vous rendrez vite compte que vos options sont inexistantes : peu importe la classe que vous incarnez, le système de D&D est prévu pour vous faire échouer contre des personnages plus puissants que vous. Et Baldur's Gate adore ça, les antagonistes plus balèzes que vous. Très vite, vous mettrez alors au point des "tactiques de merde" : face à un groupe trop puissant, il s'agira d'avancer case après case pour attirer vos ennemis les uns après les autres (si leurs potes ne sont pas visibles à l'écran, ils ne bougent pas…). Face à un gros boss typé corps à corps, il s'agira plutôt de tourner en rond avec sa cible pendant que le reste du groupe lui balance la sauce. Bref, pour survivre, on passe plus à de temps à exploiter les failles de l'IA qu'à établir de vraies stratégies. Plus tard, alors que votre groupe prend du galon, vous enchaînerez les combats triviaux et inintéressants avec d'autres moments plus frustrants (vu qu'il est toujours possible, dans D&D, de foutre des ennemis plus puissants que les héros). Difficile d'éprouver du plaisir avec un pareil gameplay.
2. Le type qui a écrit le scénario du jeu est un gros bourrin primitif qui a manifestement zappé la révolution "White Wolf" dans le monde du JdR papier. Oui, je sais : le PJ principal est pourchassé par des assassins et il est normal qu'on tente de lui faire la peau à maintes reprises. Mais il y a une limite entre "instiller un sentiment d'oppression" et "réduire toutes les interactions à de la baston". Chaque foutue auberge que vous visiterez, chaque maudit hameau dont vous foulerez l'herbe regorge d'au moins un assassin qui se voit arriver à 100m, mais que vous ne pouvez pas éviter. Et à chaque fois, ça se passe de la même manière :
- "Salut. C'est toi *INSERT NOM DU HÉROS* ?".
Réponses possibles :
- "Oui" => fight, parce que le mec a un contrat sur ta tête
- "Non" => fight, parce que le mec ne te croit pas
- "TROLOLOLO" => fight, parce que le mec n'aime pas qu'on se foute de sa gueule
Sincèrement ! Dans 95% des cas, le seul intérêt des dialogues à choix est de découvrir une ligne de texte vaguement en rapport avec la connerie que vous venez de débiter, mais ça s'arrête là. Et vive le roleplay ! D'ailleurs, vous noterez que Bioware étant en osmose parfaite avec le système D20, même les interactions sociales qui ne débouchent pas directement par des combats n'auront pour seul but que de renforcer / diminuer vos chances pour les affrontements à venir. Les marchands ne vendent que du matos de guerre - ou si ce n'est pas le cas, c'est du matos à donner à un PNJ pour aller se battre après. Les PNJ, lorsqu'ils ont quelque chose d'intéressant à dire, vous mèneront toujours à des quêtes où il s'agira de tabasser des monstres. Combat. Combat. Combat. Combat. Combat. Et je pourrais encore l'écrire une dizaine de fois tant c'est le seul truc qui me vient à l'esprit en repensant à mes heures de jeu sur Baldur's Gate.

Voilà. Donc jusque là, j'ai parlé du contenu du jeu. Une aventure plaisante, en dépit de ses tares bien réelles. Mais la chose qui tire le constat final vers le bas, c'est le portage vers iOS (voire, le portage tout court, vu que c'est à priori encore pire sur Windows / OSX).
Pour faire vite, vu que cette critique est déjà suffisamment longue :
- Plantages. Beaucoup, passionnément, à la folie. Mon petit préféré, c'est celui qui fait planter le jeu lorsqu'on accède au menu pour sauvegarder - car il est bien connu qu'il n'y a pas pire moment pour planter que juste avant une sauvegarde.
- Les plantages ont peut-être été corrigés par les deux mises à jour sorties depuis le début de l'année. Je dis "peut-être", parce qu'il faut libérer jusqu'à 6Go sur son iPad pour que l'auguste Baldur's Gate se mette à jour. Six. Fucking. GigaOctets. Pour un jeu de 1998. Non mais vraiment ? C'est quoi le problème ?
- Les 6Go, c'est pour la mise à jour. Mais sans ça, le jeu vous mangera tout de même la moitié sur votre tablette. Tant qu'à parler technique, j'aime beaucoup les ralentissements du jeu dès qu'un sorcier balance un sort dont les effets visuels *étaient* époustouflants *en 1998*. Ça sent l'optimisation du code, tout ça...
- L'interface est une catastrophe. Pourtant, la logique du "Touch" aurait dû coller parfaitement à ce genre de jeux, mais le résultat est tout autre. Essayez donc de looter un cadavre ou de vider votre inventaire, vous comprendrez ce que je veux dire.
- Le prix. Il aurait été justifié si les développeurs avaient fait du bon travail, mais en l'état, Baldur's Gate : Enhanced Edition est un portage amateur et minimaliste. Pas de quoi payer plus cher que la version d'origine, qu'on peut trouver pour une bouchée de pain.
- Et histoire d'enfoncer le clou, sachez que les possesseurs d'Android n'ont pas à attendre que Overhaul Game daigne sortir sa merveille sur l'OS de Google pour profiter de Baldur's Gate 1, 2, Icewind Dale et de tous les autres jeux tournant sur le moteur d'Infinity. Une équipe de développeurs motivés a développé GemRB, une version open-source dudit moteur, entièrement gratuite et téléchargeable sur le Play Store. On aurait pu craindre une qualité douteuse, mais il n'en est rien : l'interface est personnalisable et plus réactive que celle de l'Enhanced Edition. Et le jeu ne plante pas plus souvent (testé sur Nexus 7). Donc si vous disposez des jeux originaux sur votre PC, vous pouvez les envoyer sur votre tablette et profiter d'une expérience de jeu convaincante sans vous emmerder avec un portage raté vendu à prix d'or.

Créée

le 1 mars 2013

Modifiée

le 1 mars 2013

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