C'est bien beau et bien bon... mais qu'est-ce que c'est?
Beyond, c'est comme Heavy Rain: l'oeuvre sur laquelle tout le monde a un avis, mais qui divise autant qu'elle enthousiasme.
Quantic livre un jeu dans le plus pur style de Heavy Rain: narration immersive au maximum et gameplay réduit au minimum. L'exercice est ici poussé à son paroxysme, le jeu étant livré quasiment sans interface aucune, rien que des points blancs pour inviter le joueur à appuyer sur sa manette.
Niveau technique, le bond en avant est manifeste depuis Heavy Rain: la motion capture a énormément progressé, à tel point que la différence entre cinématique précalculée et phases de jeu semble être devenue obsolète. C'est cela dit plus vrai pour les visages que pour les environnements: ceux-ci n'ont pas été autant travaillés, mais restent très agréable.
Mais au-delà de l'aspect technique, le jeu divise pour son parti pris narratif. David Cage pousse très loin son idée de vouloir immerger le joueur dans une histoire racontée à la première personne et où chaque émotion de l'héroïne est ressentie par le joueur. Aucun souci de ce côté là, l'exercice est selon moi parfaitement réussi: on rit et on souffre (on souffre surtout, d'ailleurs) en même temps que Jodie et Aiden, et on sort de certaines séquences en haletant avec le personnage.
On en arrive ici au scénario du jeu. L'histoire est racontée par séquences discontinues, que seule une frise nous permet au départ de situer. L'idée est intéressante et, malgré quelques moments d'incompréhension au début, permet de raconter l'histoire de Jodie de manière plutôt intéressante. L'ennui, c'est que c'est aussi un moyen de narration un peu artificiel pour rajouter artificiellement une dose de mystère et d'intérêt ("mais que s'est-il passé pour en arriver là?").
Si on suit tous les tourments de Jodie, force est de constater une fois le jeu reposé que le scénario n'a rien d'extraordinaire: le média permet une dimension immersive forte, mais le scénario en lui-même est finalement assez plat. Nul propos polémique ni politique à chercher (alors que certaines séquences auraient clairement pu s'y prêter), juste une gentille histoire de science-fiction contemporaine avec son cortège de clichés déjà revus (le complexe militaro-industriel dirigé par la CIA qui rêve de développer une super-arme...). À noter aussi quelques séquences (le Mexique...) qui se suivent avec plaisir mais dont on se demande bien ce qu'elles peuvent faire là... En comparaison, Heavy Rain offrait un honnête thriller.
Ce point est particulièrement dommage pour un jeu qui prétend s'élever au niveau du cinéma.
Impossible de conclure une critique sur Beyond sans revenir sur la petite phrase de Cage qui, dans un excès d'enthousiasme, a déclaré préparer "le futur du jeu vidéo". Inutile de prendre position ici sur la polémique "gameplay vs. immersion", qui n'a selon moi pas lieu d'être. Notons tout de même qu'à force de réduire le gameplay à un squelette, on risque d'aboutir à un semblant de film qui ne fait que demander régulièrement au spectateur d'appuyer sur une touche pour passer à la séquence suivante. Beyond évite certes cet écueil, mais souvenons-nous d'Asura's Wrath...
Peut-être Beyond marque-t-il les limites de l'exercice? Mais on peut en tout cas être reconnaissant à David Cage de vouloir sortir des sentiers battus et de proposer, avec le budget d'un AAA, une nouvelle voie à explorer, dans un milieu où l'on rechigne souvent à sortir de sa zone de confort.