Civilization VI
7.6
Civilization VI

Jeu de Firaxis et 2K Games (2016PC)

Critique publiée à l'origine sur Etoile et champignon.fr


Dans le genre des 4X, la série des Civilization est restée la plus populaire, tant pour sa mise en forme soignée que pour sa promesse thématique : celle de rejouer toute l’Histoire d’une civilisation, de l’installation de son premier village à sa conquête de l’espace. Si l’on ne se risquera pas à comparer ce Civilization 6 aux jeux d’avant, n’en n’ayant qu’une connaissance lointaine, on pourra au moins affirmer ses grandes qualités : cette nouvelle mouture nous a tout simplement captivé, tant par son thème joliment servi (par des graphismes soignés et ses innombrables références à l’Histoire) que par le raffinement de ses systèmes de jeu interconnectés, aux coutures subtiles.


Une chose saute aux yeux dans Civ 6, c’est l’importance de sa topographie. À l’entame d’une partie, la découverte d’une nouvelle carte-monde, et plus précisément de la proche région initiale est toujours un grand moment. On prend un plaisir fou à se l’approprier pas à pas, à se familiariser avec les montagnes alentours, son littoral et les ressources voisines, en se projetant sur des dizaines de choix futurs, en planifiant minutieusement les prochaines villes à poser à la case près. Le temps passé à se perdre en considérations géographiques, tant dans les déplacements d’unités que dans l’extension des limites de notre empire, est tel que notre souvenir d’une partie devient indémêlable de sa carte-monde.


Si la topographie est la « matière première » d’une partie, la forme en serait celle d’une course de petits chevaux à base de statistiques diverses, menant vers plusieurs lignes de victoires parallèles : victoires diplomatiques, suprématie militaire, domination culturelle ou encore religieuse (on en passe) donnent autant de grandes directions à suivre, multipliant les parties possibles. Le brio de Civ 6, c’est que les systèmes qui sous-tendent ces victoires ne fonctionnement pas séparément mais reposent au contraire sur de nombreuses interconnections. Presque tout et couturé sur tout, formant un grand ensemble de systèmes dont le mouvement général pourra d’abord sembler opaque et immaîtrisable, une impression qui s’amenuise grandement à mesure que l’on découvre des leviers efficaces pour contrôler la bête et l’infléchir dans telle ou telle direction, selon la victoire visée.


Le système « religion », par exemple, se révèle un moyen efficace de tirer précocement parti de notre région (de ses fleuves, par exemple), pour tenter de prendre un peu d’avance sur la compétition. Le système « gouvernement » est un autre levier au raffinement remarquable : chaque régime se présente sous la forme d’un plateau où placer des cartes obtenues via l’arbre des dogmes, permettant de régler le moteur de sa civilisation avec précision et de l’adapter à une situation impromptue, en basculant par exemple vers une production massives d’unités militaires pour faire face à une blitzkrieg par le choix du bon dogme. L’indispensable arbre « technologique », colonne vertébrale de toute partie, est bien sûr de retour dans Civ 6, et s’annexe au passage d’une nouveauté bienvenue sous la forme d’Eurekas : ils se déclenchent lorsque des conditions sont réunies pour accélérer l’accès à de nouvelles technologies (la construction d’un pâturage accélérera ainsi l’apprentissage de l’Irrigation). Pour le temps qu’ils font gagner et l’avantage stratégique qu’ils offrent, ces missions qui ne disent pas leur nom sont une manière habile de densifier chaque tout de jeu d’une nouvelle couche de choix importants.


L’une des nouveautés de Civ 6, les gestion des villes par quartiers plutôt que par bâtiments isolés, est aussi l’un de ces meilleurs systèmes. On étend désormais nos pôles urbains en construisant des quartiers spécialisés (campus, zones industrielles, campements militaire, etc…) que l’on pourra ensuite étoffer de nouvelles construction. Ces quartiers occupent une unique tuile, à choisir avec soin puisque la topographie environnante et les aménagements alentour sont susceptibles de lui octroyer divers gains : une ville jouxte une merveille naturelle ? Les cases voisines bénéficieront d’un bonus de foi, et seront un lieu tout indiqué pour poser un lieu sain. Telle autre cité borde une montagne et une jungle ? Leur proximité conférera un bonus scientifique propice à l’installation d’un campus, qui boostera la recherche. L’avantage de ce système en quartiers, c’est qu’il force la spécialisation de chacune de nos villes et fait sortir des routines de constructions « par défaut », qui consisterait à poser les mêmes bâtiments partout, sans regard pour les atouts locaux. Une fois de plus, la carte-monde s’impose comme une donnée brute, ou pour filer une autre métaphore, comme un diamant brut dont la forme et la configuration en ressource imposerait une taille à chaque fois singulière, faite de décisions sans retour. C’est d’ailleurs l’un des aspects les plus prenants de Civ 6 : chaque choix que l’on y fait a des implications majeures – en temps de construction, en ressources dépensées, en actions empêchées -, implications qu’il faut sans cesse mesurer à l’aune de leurs gains potentiels, dans le contexte de la course vers la victoire qui nous oppose aux autres joueurs.


Cette impressionnante densité de choix devait bien se payer quelque part, et c’est au niveau de l’interface que l’on fait en fait les frais : saturée de petites icônes, elle complique l’accès à des informations que l’on aimerait avoir plus facilement, et cache parfois des éléments-clés derrières des menus que l’on ne découvre qu’après plusieurs parties (on pense aux échanges diplomatiques cachés derrière les icônes des dirigeants, par exemple). Au rang des opacités durables, les réactions de l’I.A. à nos décisions ne deviennent pas toutes prévisibles avec le temps : après une soixantaine d’heures de jeu, on ne comprend toujours pas la raison de certaines guerres-surprises qui nous sont tombées sur le paletot, alors que nous n’étions pas particulièrement agressifs et qu’aucun signal avant-coureur ne les laissait supposer. Mais s’arrêter aux doléances ne rendrait pas honneur au jeu tant il recèle des richesses cachées : on pense aux cités-états, qui ouvrent tout un champs d’action via l’envoi d’émissaire et de gouverneurs, lesquels cachent eux-même tout un système de bonifications à haute teneur tactique ; on pense aussi à la compétition pour les systèmes partagés que sont les Personnages Illustres et les Merveilles, dont certaines apportent des bonus qui peuvent faire toute la différence, en plus d’enjoliver nos villes de leurs jolis modèles.


On pense enfin à tout le volet guerrier, que nous n’avons découvert que sur le tard mais qui nous a captivé, notamment par sa prise en compte, encore, de la topographie comme nerf de la guerre : pour assiéger une ville, les contraintes géographiques et la règle d’une unité par case impliquent toute une réflexion sur l’angle d’approche, le placement et le mouvement des unités, ou la composition de l’armée qui permettra de tirer le meilleur parti de la carte. Et l’on n’a pas même évoqué ce qui permet de « réussir » un bon casus belli, mijoté juste ce qu’il faut pour être du bon côté de l’Histoire et éviter les représailles : une décision un peu trop agressive, une diplomatie un peu trop abrupte, et c’est en effet toutes nos alliances qui peuvent s’effondrer comme un château de carte pour se retourner contre nous, faisant de la voie guerrière une étroite ligne de crête assez palpitante à tenter. N’oublions pas de dire combien le jeu est thématiquement passionnant et visuellement attrayant, notamment par l’allure que finissent par prendre nos mégalopoles sur la carte, clinquantes de toutes leurs merveilles, leur myriades d’aménagements et leur façon d’épouser les contours d’une topographie singulière de leurs canaux, aqueducs et barrages, souvent du plus bel effet. Pour toutes ces raisons, de fond comme de forme, de thème comme de jeu, Civ 6 est clairement notre 4X préféré du moment.


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Benetoile
8
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le 7 juil. 2020

Critique lue 404 fois

5 j'aime

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