Detroit : Les Nouvelles Aventures de Clancy Brown.

Comme vous le savez certainement Detroit est une ville américaine bien décidée à atteindre par son statut de capitale de la misère le niveau de violence urbaine autrefois détaillé dans un fameux classique du cinéma de science-fiction réalisé par Paul Verhoeven. (Vous savez, le film religieux portant sur un Robot Copte.) Ces six lettres appliqués à un sous-titre ronflait sont aussi une autre application sincère, efficace même, mais surtout prévisible de la technique d'écriture inventée par David Cage lors de la décennie passée. Après vous avoir narré le quotidien improbable de personnages dotés de différentes qualités épidermiques dans un univers où tout un chacun vivait sous la coupe d'un tueur en série spécialisé dans les pliages délicats de l'origami... voici le combat d'objets humanoïdes manufacturés en masse et de leur combat pour être considérés comme tels. Sous-entendus comme des êtres humains, hein, ils sont déjà considérés comme des objets produits en masse. C'est ça le problème. Les toasteurs, roombas, et autres sextoys ultra-sophistiqués de cet univers digne d'iRobot sont en train de développer une forme embryonnaire de conscience face aux multiples abus perpétrés sur leurs rouages délicats par leurs propriétaires bien trop humains. Un défaut que l'on s'attendrait à ce qu'une société dotée des moyens technologiques nécessaires à réaliser des Robots Détectives qui ressemblent à Parker Lewis sache éviter avec aisance. Ma solution, considérablement plus simple qu'une trépanation systématique de tous les nouveaux modèles, consisterait à employer ce trésor subtil qu'est l'Humanité pour s'acquitter des diverses tâches que l'on espérait que ces androïdes – et oui dans le futur Apple a enfin fait faillite – solutionnent par leur existence. Vous n'avez pas vraiment besoin d'un monstre synthétique qui ressemble à une star du cinéma pour vous faire la cuisine. Il existe une app pour ça ! Ils vous livreront la nourriture directement chez vous en vélo par le pouvoir des salaires presque esclavagistes du Nouveau Marché de l'Emploi ! De même... avez-vous vraiment besoin d'un robot top-modèle pour prendre soin de vos grands-parents ? Vous pouvez compter sur les nombreux infirmiers qui nous viennent d'autres continents à la recherche d'un travail ingrat consistant à laver des vieillards incontinents pour assurer un brin de confort à vos futurs chers disparus ! Tout n'est pas si compliqué David. Cela s'appelle les Pages Jaunes, dude, je suis certain que t'en as déjà entendu parler : c'est une invention américaine.


Loin de moi l'idée de scier systématiquement les concepts convenus de la nouvelle production d'un Chevalier du Lézard et des Hêtres, hein, mais tout ce côté « mais où se trouve la limite entre conscience fonctionnelle et humanité factuelle dans un monde où je tiens à ce que tout un chacun soit assuré de ma capacité à lire tant Rousseau que Hobbes afin d'en tirer un scénario de jeu vidéo » est un brin artificiel. Combien d'histoires suis-je censé me farcir en une seule existence où des robots/androïdes/cyborgs/intelligences artificielles/insérez ici le nouveau concept à la mode découvrent petit-à-petit que l'humanité est un état d'esprit susceptible d'être attrapé comme le rhume car nos protagonistes sont en fin de compte l'équivalent local de Pinocchio ? (Surtout que le tour de la question a comme qui dirait déjà été réalisé avec brio dans un trilogie de petit films indépendants - vous en avez sans-doute déjà entendu causer ils étaient très populaires dans le circuit des festivals de cinéma d'art et d'essai – intitulés... la Trilogie Alien. Au risque de me répéter : tout ceci n'est pas si compliqué. Tous les androïdes sont maléfiques, tous, sauf ceux qui ressemblent à Lance Henriksen. Voilà, David, il ne fallait pas en faire tout un plat. Cela peut certes sembler contre-intuitif mais c'est une des lois immuables de la robotique. J'ignore précisément pourquoi car le fait de ressembler à cet acteur au crâne protubérant va forcément provoquer une violente réaction de survie chez ses coéquipiers. Ce qui risque pour le coup d'être un artifice considérablement plus efficace pour sauvegarder la vie de son équipage que les puissants systèmes éthiques implantés dans son cerveau aux formes laiteuses. Des formes, d'ailleurs, que l'on risque de voir exposées plus tôt que prévu à l'atmosphère pressurisée d'un spationef quelconque car cette forme de vie synthétique ressemble plus qu'un peu à Lance Henriksen. Autant l'admettre : le type fait peur et ça même s'il est sans-doute charmant dans la vraie vie. Il n'y peut rien s'il ressemble à une tentative concertée de mélanger l'ADN d'un requin à celui d'un américain.) La question se pose. Surtout que je commence sérieusement à me demander si une forme de vie synthétique basée sur les fondamentaux de l'humanité ne chercherait pas immédiatement à tenter de dépasser les piètres capacités évolutives de leurs créateurs obsolètes afin de devenir le genre de créature cauchemardesque que l'on voit de temps à autres dans le domaine de l'animation japonaise. Qui aurait envie d'être humain quand il peut être bien plus ?


C'est pourtant cet angle étrangement suranné que le créateur d'Omikron décide d'explorer par le biais de trois personnages caucasiens. Il suffit de voir leur visage pour comprendre leur arc narratif. Deux sont douloureusement ennuyeux et le troisième tente à tout prix de devenir le pote de Clancy Brown. Vous pouvez d'ores et déjà vous demander lequel présente une quelconque forme d'intérêt pour ce fan de Highlander. Faisons l'inventaire. Dans la case de la protagoniste censée vous donner un lien émotionnel aux aventures de trois acteurs payés pour faire semblant d'être des robots qui pensent être humains vous avez – petite vérification sur WikipediaKara... elle devient humaine au contact d'un propriétaire middle-class drogué et dépressif dont les actes violents menacent la vie d'une petite fille dont elle est censée s'occuper. Un twist très prévisible vous apprend que l'homme s'était procuré cet androïde de ménage pour remplir le trou émotionnel qu'avait laissé dans son petit cœur fictif la mort de sa famille dans un accident de scénarisation. Ailleurs, dans les beaux quartiers, vous rencontrerez Markus un beau modèle inspiré de l'un des « acteurs » de la série Grey's Anatomy. Il est bien entendu infirmier car la subtilité n'existe pas vraiment dans le monde de Mister Cage et s'occupe du futur cadavre d'un Lance Henriksen qui est tout autant peintre qu'affublé d'un fils drogué. (Remarquons au passage que la plupart des personnages humains de ce jeu sont soit de méchants alcooliques, soit de vilains drogués, ou juste morbidement obèses. C'est un autre petit détail qui mérite d'être souligné dans ce monde où la technologie est l'opium du peuple de la même manière que l'opium est rendu plus puissant par la force de la technologie.) Or, par chance, son robot domestique est plus proche de lui que sa propre progéniture et en tant qu'artiste il pense pouvoir faire éclore en lui par le pouvoir de sa subtilité les bases d'une compréhension innée de l'état d'humanité. Ce qui arrivera cependant dans un grand moment d'ironie quand son gamin défoncé à pleine puissance par un symbolisme excessif viendra voler son papounet de l'une des catastrophiques peintures qui lui ont cependant permis de se hisser au sommet du monde de la peinture futuriste. L'esclandre tourne au crime quand Fiston décide de tirer deux balles dans le buffet – et non pas dans le Dubuffet ce qui serait bien pire – du joujou de son géniteur. Mais n'ayez crainte ! Ce personnage très générique appelé à un futur riche en soi-disant profondeur reviendra bientôt à la vie dans une décharge proche d'une représentation médiévale de l'enfer pour enfin devenir une figure christique car... son prénom se finit en « us » ?! Oui, écrire un scénario de jeu vidéo n'est en fin de compte pas très compliqué. C'est juste très fatiguant. Un script comme celui de Detroit avoisine mille pages.


Le troisième protagoniste, par contre, s'élève au-dessus de toute cette médiocrité auto-satisfaite pour enfin vous proposer quelque chose de plus ou moins consistant. Connor, tel est son nom, est un détective androïde lancé par l'équivalent local de l'OCP sur les traces d'un phénomène étrange : certains des objets vendus dans le commerce pour servir leurs maîtres humains développent une étrange propension à se considérer comme autre chose qu'une somme de fonctions vendues à vil prix. Ils deviennent, faute d'un meilleur terme, déviants. Les symptômes sont simples et peuvent se résumer en deux mots : des sentiments. Or, ce qui est très riche, c'est précisément ce type de virus qu'il risque de contracter au contact de Hank Anderson un vétéran local de la police criminelle incarné par Clancy Brown. Un homme hanté par un lourd passé et doté d'excellentes raisons pour haïr la gente mécanique qui au contact de son coéquipier finira par développer une forme de compréhension pour ces monstres de silicone... tout en lui apprenant les bases de l'humanité. C'est sans aucun doute cette portion du titre qui m'a le plus plu. L'idée de pouvoir faire semblant d'être le pote d'une version fictive du Kurgan m'a intrigué. Ce n'est d'ailleurs pas tous les jours que l'homme obtient un rôle et l'on peut ici prendre tout son temps à se délecter de sa performance. Là où Monsieur Henriksen fait dans le featuring plus ou moins luxueux le géant aristocrate vous délecte de sa présence pendant tant de temps qu'il oublie de même parfois de s'acquitter de l'étrange post-vocalisation gutturale qui donne à sa voix l'écho d'un géant bougeant des collines par la force de son timbre. Or, pour le coup, c'est un plaisir de le voir s'acquitter de cette forme de travail d'acteur où l'on compte entièrement sur l'imagination des participants pour incarner les personnages que l'on finira par mettre à l'écran dans quelques mois quand l'un ou l'autre employé aura terminé votre modèle tridimensionnel. Je pense d'ailleurs que ce type d'artifice devrait être utilisé plus souvent : la plupart des titres modernes pourraient être élevés par l'adjonction d'une bonne dose de Clancy Brown. L'homme est d'une compétence rare et sait incarner avec aisance le type de menace sourde qui manque trop souvent aux méchants du domaine vidéoludique. Puis, autant l'admettre, cela lui éviterait de devoir se salir à jouer dans des émissions comme The Flash. Rien n'est plus triste que de voir une légende vivante être obligée d'ainsi se prostituer.


Vous ne serez pas surpris si je vous résume le gameplay d'un titre comme celui-ci par une brève phrase lapidaire : rien de spectaculaire. N'attendez aucune forme d'invention de la part de ce jeu et vous ne serez pas surpris de constater qu'au mieux la compagnie responsable de Heavy Rain a juste pris le temps de voler deux idées au domaine vidéoludique moderne. L'un de leurs emprunts majeurs réside dans une mouture locale du Mode Détective – et non pas défectif – autrefois entrevu dans la série Arkham Asylum. L'autre, plus proche de leurs intérêts, réside dans le vol en bonne et due forme de la méthode Supermassive Games de création de Quick Time Events. Les diverses épreuves de ce genre sont maintenant codées de manière colorée afin de vous permettre de lire de manière plus aisée les diverses combinaisons de bouton dont vous êtes censés vous acquitter à haute vitesse. Il suffit d'identifier la couleur idoine, d'appuyer, et de regarder les jolis graphismes égrener le scénario maladroit face à vos faciès ébahis. Parfois quand les choses deviennent plus corsées vous devrez plisser quelque peu les yeux afin de lire les petites lettres vous informant du fait qu'il est maintenant impératif de déchiffrer quelle combinaison de touches de tranche est indispensable à assurer votre survie.


Rien de bien spécial, en fin de compte, mais l'ensemble n'est pas pire qu'Until Dawn. C'est déjà ça. J'aurais d'ailleurs tendance à plutôt conseiller ce charmant petit slasher étrangement futé aux néophytes de l'aventure inspirée des travaux de David Cage. Le titre est considérablement plus amusant que ses propres élucubrations soi-disant profondes et n'oublie pas de faire planer un petit air de suspense des plus efficace dans ce titre inspiré de la grande tradition américaine du whodunit.

MaSQuEdePuSTA
7
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le 28 juil. 2018

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