Dragon Age II
5.5
Dragon Age II

Jeu de BioWare Corp et Electronic Arts (2011PC)

De réputation mitigée, rejeté par une bonne partie de la fanbase, ce deuxième opus de Dragon Age fut une expérience tout à fait différente de son prédécesseur, un contraste d’autant plus renforcé quand on enchaîne les deux jeux. Que vaut l’opinion d’un modeste gamer, soucieux d’enrichir sa culture vidéoludique et de découvrir d’autres mondes fictifs ? Peut-être pas grand-chose, surtout huit ans après la sortie du jeu, mais je la partage tout de même.
D’emblée il est clair que Dragon Age 2 cherche à créer une certaine rupture. On peut souligner le dynamisme de son gameplay : les combats, quoique parfois répétitifs, ont gagné en nervosité et rapidité. Sans doute s’agissait-il d’une époque de transition dans les RPG occidentaux où volonté était de s’affranchir de l’aspect parfois statique des gameplays du genre. Pour autant, l’esprit de « pur jeu de rôle » semble préservé, sauf en ce qui concerne la façon d’équiper les compagnons. Il en résulte un plaisir de jeu accru, en tout cas lors des phases d’affrontement, qui conservent malgré tout l’aspect stratégique caractéristique de cette saga.
Qu’en est-il de l’orientation principale du jeu ? La décision de réduire la carte à Kirkwall et ses alentours a suscité de vives polémiques parmi les fans, en opposition totale avec le premier qui nous offre l’exploration de maintes contrées, à la rencontre de nombreux peuples. Il faut alors imaginer qu’ici, toutes ces « races », tous ces « enjeux », se retrouvent coalisés au sein d’une même cité. Une ville peu accueillante, à mi-chemin entre un Novigrad de The Witcher et un Vendeaume de Skyrim, où se confrontent bien des idéaux, où la criminalité et la corruption règne, où subsiste pourtant un espoir de se libérer de cette mauvaise influence. Il s’agit, du moins à mes yeux, d’un choix risqué qui a porté ses fruits. Il y a une place pour l’exploration en fantasy, ainsi se targuent bien d’autres œuvres, mais il y a aussi un moment où l’on peut visiter d’autres horizons, quitte à paradoxalement les rétrécir. Car le principal message de ce Dragon Age 2 réside en son habile traitement du communautarisme et des discriminations. Cela fait évidemment écho à notre réalité, par le biais des conversions forcées des Qunari, des ghettos Elfes, et du conflit entre mages et templiers, le fil conducteur de ce jeu, représenté par Mérédith, antagoniste principale dont la mentalité ouvertement raciste n’est pas sans rappeler nos propres pires tyrans.
Le souhait de s’affranchir du précédent jeu se marque davantage avec le choix du protagoniste. Si le Héraut de Kirkwall ne peut hélas être qu’un humain, sa destinée diffère bien du Garde des Ombres. Car là où le dernier est un « élu de la prophétie », exploitant correctement un trope bien connu du genre fantasy, notre personnage démarre ici comme « personne ». En tant qu’anonyme, réfugié, victime des événements de Origins. Le parallèle avec le « rêve américain », sur la légende « démarrant de rien » pour escalader l’échelle sociale, serait presque pertinente si les circonstances n’étaient pas différentes. Ellipses temporelles après l’autre (peut-être trop), des ghettos aux riches quartiers, notre héroïne/héros deviendra la figure de Kirkwall, pour le meilleur comme pour le pire en fonction de ses choix. Cela impliquera d’effectuer des allers et retours dans des zones sensiblement similaires, et des « donjons » qui semblent avoir été copié/collé. Pareille redondance aurait été gênante si j’avais mis plus de 27 heures à achever ce jeu, une durée encore honorable à mon goût.
Et puis, n’oublions pas de souligner qu’à l’instar des deux autres opus, l’écriture demeure à la hauteur. Peu de quêtes fedex sans ambition jalonnent l’épopée, au lieu de quoi quêtes secondaires et principales s’imbriquent dans un ensemble où la cohérence apparaît petit à petit. Tout est interconnecté, tout façonne une tragédie à peine dissimulée, que l’on affronte des mages du sang, des Qunari fanatiques, des Elfes en quête de liberté ou des templiers racistes. Si certains choix à effectuer s’avèrent difficiles, c’est parce que l’écriture est assez subtile pour nous montrer les torts que partagent les deux (ou plus) camps d’un même conflit. Aucun manichéisme clair ne se dessine malgré la présence d’antagonistes assez posés, une qualité partagée avec le précédent opus.

En ce sens, à ce même instar, nos compagnons sont merveilleusement intégrés à l’ensemble, notamment car ils n’hésitent pas à adopter de franches positions vis-à-vis de cette guerre « interne ». Anders (et Justice), de retour après son apparition dans Awakening, a gagné en maturité et en sagesse, et se dresse du côté des mages tout en affrontant ses propres démons. Merrill, Elfe dalatienne, est tiraillée entre ses choix douteux de mage et sa fidélité envers son peuple. Aveline, cheffe de la garde, doit également passer outre ses sacrifices et son amour pour sa patrie pour demeurer fidèle à notre personnage. Varric, Nain fier et d’apparence inébranlable, révèle lui aussi ses parts d’ombre. Isabela, capitaine pirate au caractère à la fois trempé et enjoué, surprend en partageant le rôle comique avec notre camarade Nain. Bethany, sœur de notre héraut, incarne à elle seule les discriminations que subissent les mages à Kirkwall, s’efforçant toutefois d’y résister. Finalement, seul Fenris m’a déçu, car il s’annonçait comme un personnage sombre et torturé. Sa haine anti-mage exacerbée, quoique compréhensible au vu de son passé, sa loyauté vacillante et son irrespect vis-à-vis des autres compagnons l’ont vite rendu « dark Sasuke » assez insupportable.


Dragon Age 2 mélange les genres pour prouver que la fantasy va au-delà de ses conceptions présupposées. Dragon Age 2 prend un pari risqué et l’assume jusqu’au bout. Dragon Age 2 n’excelle peut-être pas autant que son prédécesseur, mais il a réussi à proposer une aventure riche de thématiques intelligentes et de rebondissements, et ça m’a convaincu
Saidor
7
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le 14 déc. 2019

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