Fall Guys
6.4
Fall Guys

Jeu de Mediatonic, Devolver Digital et Epic Games (2020PC)


L'ombre de Kitano



La première chose qui peut frapper les japanophiles avertis, c'est la directe proximité de Fall Guys avec Takeshi's Castle, le jeu télévisé de course d'obstacles burlesque et culte, tout droit sorti de l'esprit génial de l'incontournable Takeshi Kitano. Diffusé à l'origine à la fin des années 80 au Japon, Takeshi's Castle avait eu droit à une diffusion française sur W9 et sur M6 à partir de 2006, pour notre plus grand plaisir. Si d'autres émissions ont repris directement ce principe par la suite, comme Ninja Warrior ou Wipeout, si d'autres encore s'en rapprochent de près ou de loin, comme notre Intervilles national, aucune ne tient la comparaison avec la folie de Beat Takeshi. Tous ces "Takeshi's Castle-like" étant des formes de battle royal soft, et Kitano jouant un personnage clef dans l'adaptation en film du roman éponyme qui a inspiré le genre des battle royal, l'ombre de l'auteur de Sonatine et de Hana-bi plane sérieusement sur Fall Guys.


Rappelez-vous des "Pierres Molles", du "Labyrinthe" ou des "Rouleaux à Pâtisserie" : qui n'a jamais gloussé devant ces épreuves absurdes et ces gamelles slapstick, bercé par les commentaires goguenards de Benjamin Morgaine sur Menu W9, sans être tenté d'y participer? C'est ce fantasme de gosse que réalise Fall Guys, à savoir la possibilité non seulement d'en être candidat, mais de pouvoir se mesurer à tout moment avec jusqu'à 60 autres joueurs en ligne pour espérer finir last man standing. Seuls de simples modes de jeu de Gary's Mod ou de Minecraft s'étaient positionnés sur ce créneau jusqu'ici. C'est sans hésiter un seul instant que je me suis précipité sur la Beta technique, qui m'a permis d'assister aux derniers ajouts de niveaux, coups de peinture et autres ajustements entre deux crashs de serveurs.


Dans son générique, ce n'est pas un hasard si le dernier né de l'écurie Devolver Digital se présente également comme un jeu télévisé. Certains niveaux (comme "Ruée vers la porte", dans lequel les joueurs foncent dans des séries de portes sans savoir si elles s'ouvriront ou non) ou certains éléments de niveaux (comme l'esquive de boules géantes dans les courses "Hauteur vertigineuse" ou "Chute montagneuse") sont des emprunts directs à Takeshi's Castle. D'autres sont de simples versions alternatives, comme "Perkute-porte" qui propose des portes non plus destructibles, mais qui s'ouvrent et se referment par le bas en coulissant de façon erratique, occasionnant de spectaculaires dégâts. "Fête aux blocs" quant à lui ressemble à une sorte de "Human Tetris" simplifié, un autre jeu télévisé japonais du même accabit.


Mais Mediatonic a le mérite d'avoir inventé un nombre significatif d'épreuves inédites (qui, espérons-le, va continuer de croître) avec une imagination remarquable, variant les modes de jeu entre course, survie ou par équipe. Chaque manche consistant en une succession de quatre, cinq ou six épreuves à élimination directe, les premières à alterner, comme "Les balançoires" (une course qui propose des espèces de plateformes à bascule), "Hauteur vertigineuse" ou "Tournenrond" (une autre course garnie d'hélices et de plateformes rotatives) reviennent peut être un peu trop souvent, mais toutes se rejouent en boucle avec le même appétit gourmand. Magie de la rejouabilité intrinsèque aux mini-jeux et aux party games ? Pas seulement.



L'enfant roi



Fall Guys, c'est ce pur plaisir jouissif et immédiat, presque régressif, du bambin qui escalade des châteaux gonflables géants à toute berzingue et qui plonge la tête la première dans des piscines à balles. Les environnement bigarrés et chatoyants des différents niveaux renvoient instantanément à ce type d'installations, et les développeurs ont poussé le vice jusqu'à reproduire les mêmes textures de plastique gonflé et de tapis mous sur les barrières et certains sols ou obstacles. Les couleurs vives, alternant les teintes roses et bleues, les éléments de paysage enfantins, les bonshommes cartoonesques et leurs costumes de carnaval participent aussi de cette infantilisation. En outre, se promener dans des environnements gargantuesques, ou, mettons, esquiver des bananes et des quartiers de pastèque géants dans un "Esquive chute", n'est ce pas quelque part se plonger dans le monde des dimensions et des perspectives bigger than life propre aux enfants?


Ces bouffées de plaisir brutes ont également à voir avec le simple jeu de la physique qui régit cette machinerie infernale. Il y a quelque chose d'étrangement satisfaisant -une satisfaction toute enfantine- à cheminer dans le ballet des pendules se fracassant violemment contre les joueurs dans "Hit parade" et dans la dernière ligne droite de "Ascension poisseuse", ou de pousser des boules énormes et jamais totalement contrôlables dans "Rock'n'roll", "Balle qui tombe" ou "Entasseur". Cette dernière épreuve par équipe, consistant à amasser de telles boules dans son camp, reproduit d'ailleurs une sorte de mouvement brownien. De ce point de vue, Fall Guys s'inscrit dans le sillage des clumsy simulators qui, de QWOT à I Am Bread, ont su merveilleusement exploiter le potentiel de fun du ragdoll, du jeu des formes, des matières et des poids, et s'emparer gaiement des lois de l'attraction. Même le tableau de qualification est un pur délice, avec cette façon gaguesque d'éjecter les joueurs éliminés.


Fall Guys innove, mais Fall Guys verse aussi dans une forme de classicisme en termes de game design, en invoquant des jeux de cour de récréation vieux comme le monde. "Attrape queue" et "Attrape queue en équipe" correspondent à une sorte de jeu du foulard, "Balle qui tombe" simule un football sous amphétamines, et "Maudit" ressemble à s'y méprendre à un épervier. De même, "Les deux font la paire" est un jeu de mémoire excessivement traditionnel, et "Assenscion Poisseuse" a pour inspiration première le fameux jeu d'imagination "Le sol est en lave" de l'aveux même des développeurs. Mais, pour chacun d'entre eux, les niveaux aux proportions dantesques, les mécanismes chaotiques et cruels qui les garnissent permettent toujours de revisiter les systèmes de jeu en faisant oublier leur universalité. La présence de tels jeux n'est peut être pas anecdotique, dans le sens où elle viendrait mobiliser directement notre expérience d'enfant et notre mémoire de joueur, dans une réminiscence et une célébration plus ou moins consciente des vertes années.



Seul contre tous



Niveau contrôles, le feeling est globalement satisfaisant, quoique un peu clunky. Il peut être agaçant de trébucher sans raison après un saut, ou à cause d'un joueur qui s'écroule sous les pieds, et le personnage peut mettre beaucoup de temps à se relever, mais cela participe de l'esprit d'ensemble. Se jeter en avant peut, entre autres, permettre d'obtenir plus de stabilité en réception de saut, voire d'effectuer un double saut, ce qui s'avère être à la limite de l'exploitation de glitch dans "Hexagone infernal". Quant au fait de pouvoir attraper, au-delà de son rôle central dans "Brouille œufs" ou les épreuves d'attrape queue, il donne une intéressante possibilité de quasi gameplay émergent, notamment en permettant de retarder des joueurs dans les épreuves de courses, ou d'en entraîner dans le vide dans celles de survie, au risque de se perdre soi même.


Finalement, beau message d'espoir en ces temps individualistes, c'est peut être les niveaux en équipe qui me plaisent le plus. D'une part, les niveaux de courses ou de survie peuvent vite faire abattre le couperet et terminer la partie entière sur un saut mal négocié ou une filouterie malveillante. D'autre part, faire preuve de solidarité et de synchronisation vis-à-vis d'éléments relativement chaotiques est un paradoxe plutôt intéressant, qui crée une alchimie assez unique entre performance personnelle un peu vaine, et esprit d'équipe bancal. J'aimais déjà le jeu flash Soccer Physics, je raffole désormais de "Balle qui tombe" et "Entasseur" et leur dosage savant à trouver entre attaque et défense.


Si je pouvais me fendre d'une petite critique, dans un jeu finalement aussi ouvertement compétitif, c'est la déception de ne pas avoir accès à plus de fonctionnalités communautaires et l'impression d'être tout compte fait assez isolé face au jeu. J'aurais adoré pouvoir détecter plus facilement les amis avec qui je joue à l'intérieur des niveaux, taunter les autres joueurs sur les temps de chargement, choisir les niveaux suivants avec un système de vote comme dans les derniers Mario Kart, avoir du ranking ou un leaderboard par saison, ou un chronométrage pour les épreuves de courses et de survie. A l'heure où le jeu vient à peine de sortir, espérons que de telles fonctionnalités s'invitent à la fête dans un futur patch ou DLC, et viennent compléter ce tableau dores et déjà extrêmement réjouissant, aussi aguicheur que peut l'être un parc de jeux pour enfants à l'heure du goûter.

DoubleRaimbault
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le 4 août 2020

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