Une enclave au fin fond de l’Amérique profonde est devenue une zone de non droit. Et c’est vous qu’on charge de remettre de l’ordre dans tout ça. Evidemment, toute votre équipe se fait décimer ou capturer, et vous vous retrouvez à survivre grâce à l’aide des locaux. C’est l’heure de la revanche, l’heure de mettre les pieds où vous voulez, mais de préférence dans la gueule, et de renvoyer ces enfants de salauds ad patres avec leurs parties génitales dans des boîtes de Chocapic.
Voilà peu ou prou le pitch déviant de Far Cry 5. Oubliez la promesse d’une satire sur l’Amérique de Trump à la GTA (contrairement à ce que la promo, la jaquette ou simplement le contexte actuel pouvait laisser croire), vous êtes en réalité propulsé dans un bon vieux film de Chuck Norris. Le monde qui s’ouvre à vous, véritablement magnifique (la sensation d’être plongé dans la campagne américaine est prégnante), est un vaste champ de tir. Tout est prétexte à sortir son bon vieux Remington. Impossible de faire trois pas sans tomber sur une prise d’otages, une plantation de drogue, un camion de marchandises ennemi, ou encore un grizzli coléreux. Ce n’est pas comme si vous pouviez choisir d’ignorer ces évènements : certes, la fuite est toujours une option, mais le jeu vous fait bien comprendre que si vous voyez l’ennemi, c’est que l’ennemi vous voit aussi. Imagine-t-on Chuck Norris se laisser toiser du regard par ces freluquets ? Bon, dans les faits, ce genre de rencontres arrivent si souvent, que par lassitude, vous finirez par passer votre chemin pour vous concentrer sur la quête principale, tel un Steven Seagal ne tournant que les combats finaux dans ses derniers films.
Le gros de la quête principale justement, ce sont ces avant-poste à récupérer. Là encore, la sensation d’être dans un gros film de bourrins ne se départit pas. On vous fait comprendre que vous pouvez vous infiltrer, la jouer « ici Snake » ou Sam Fisher. Et en bon soldat, vous commencerez par chercher un point de vue, repérer les gardes, et abattre les premiers discrètement à coup pelle dans la gueule (ok, vous n’êtes pas vraiment Sam Fisher). Sauf que voilà, vous vous rappelez de ce moment dans Fast 5, où après avoir passé tout le film à préparer un casse « subtil », Vin Diesel et sa bande décident que finalement c’est trop compliqué, ils vont plutôt foncer dans le tas ? Toutes mes missions avant-poste ce sont terminées comme ça : un morfalou me repère, une balle entre les deux yeux, et avant d’avoir pu crier gare, le jeu a basculé dans un théâtre de bruits, de fureurs et de kalachnikovs ! Il faut dire que le système d’infiltration n’est pas aussi jouissif, à mon sens, que celui de tir. Il est beaucoup plus excitant de courir trouver un abri pour flinguer ses ennemis, que de jouer la subtilité dans un monde qui ne l’est pas. Les zones grouillent de gardes, et il est très facile de se faire repérer. Le seul moyen de réussir son infiltration est de prendre son temps, d’attendre patiemment, de repérer ses cibles… Ce qui peut être très gratifiant, je n'en doute pas. Néanmoins tout le jeu est une ode au grand n’importe quoi et à la mitraille (encore une fois, hors mission, si vous passez prêt d’un ennemi, il vous repère immédiatement, et il n’est d’ailleurs pas rare d’être pris en chasse par un avion qui passait par là), et donne plus envie de se précipiter pour mettre une raclée à ces sagouins.
Malheureusement le plaisir est quelque peu gâché lorsqu’on se rend compte que les bad guys sur lesquels on se défoule sont en réalité drogués de force et lobotomisés. Dans un bon actioner des familles, les ennemis sont des méchants. Simplement des méchants. Indépendamment de tout ce que ces films (ou jeux d’ailleurs) peuvent véhiculer de réactionnaire, le contrat tacite passé avec les spectateurs / joueurs est que celui qui tire sur le héros ou l’héroïne a choisi son mode de vie, l’enfant de salaud, et qu’il mérite donc sa correction (dans l’univers du film, évidemment…). Donc lorsqu’on se rend compte que notre agent de la loi, protecteur de l’ordre et messager de la justice tire sur des pauvres hères qui se sont vus privés de leur libre arbitre, ça laisse un arrière-goût un peu amer. Far Cry 5 n’incorporant aucun mécanisme de « reconversion » (on ne peut que leur tirer dessus ou leur fracasser le crâne, mais jamais les réacquérir à notre cause), je pense qu’il s’agit là d’une maladresse d’écriture, d’un jeu qui n’a pas osé nous confronter à des vilains qui pourraient exister, ce qui impliqueraient d’importantes considérations sociales. Les scénaristes ont trouvé cette astuce de la drogue pour en faire des simili-zombie, espérant ainsi éteindre d’avance toute polémique. Ce qui, si on y réfléchit bien, fait de notre avatar un être qui ferait passer l’inspecteur Harry pour une groupie de Bernie Sanders, étant donné que méritée ou pas, quiconque se dressera sur sa route se prendra une balle dans la tête.
Sentiment renforcé par ces alliés plus fachos tu meurs qui, au détour d’une balade dans leurs bunkers, révèlent qu’ils sont plutôt adeptes de la torture par exemple. Au fait c’est quoi le problème avec le clan Seed ? Entendons-nous bien, je suis tout à fait prêt à m’enthousiasmer sur un jeu dont la révélation finale serait que l’on jouait le vrai méchant pendant tout ce temps. Mais je ne pense vraiment pas que cela ait été l’intention des développeurs, tout simplement parce que les mécaniques principales sont celles d’un jeu de tir bas du front, dont les cibles n’ont absolument aucune personnalité (hormis évidemment les boss, mais eux sont de véritables psychopathes, ce qui est loin de nous amener à remettre en question la dernière grenade qu’on leur a envoyée dans le collet).
En revanche, si on ne s’intéresse pas outre mesure à l’histoire, et qu’on est là simplement pour se marrer, Far Cry 5 remplit ses promesses. En coop, le jeu devient même hilarant, étant donné que l’on peut enfin faire des missions sans dépendre d’une IA alliée par essence imprévisible. D’ailleurs la coop pallie à un autre très gros défaut du jeu, à savoir le mutisme de l’avatar, qui bien loin de favoriser l’immersion, donne l’impression de jouer un robot sans personnalité qui se contente d’obéir aux ordres. Au moins avec un partenaire de jeu a-t-on quelqu’un avec qui se vanner, ramenant un peu de fraîcheur à la buddy movie, qui fait sinon défaut à un jeu qui se prend un peu trop au sérieux dans ses cinématiques.
Alors tant pis si ces pauvres gus n’ont pas demandé à être drogué. Tout comme Steven Seagal se réclamant du bouddhisme avant de pulvériser des clavicules, faites la paix avec vous-même, rechargez votre mitraillette favorite, et lancez vous à l’assaut d’un champ de marijeanne en wingsuit. Parce qu’après tout, la loi c’est vous, et l’ordre ?