Haven
6.1
Haven

Jeu de The Game Bakers (2020PlayStation 5)

Les amants se cachent pour s'aimer


Vous pouvez retrouver mon avis avec illustrations et vidéos sur mon blog



À la recherche du paradis


Comme vous vous en doutez déjà (ou alors vous allez le découvrir dans quelques secondes) dans le domaine du divertissement, dont le jeu vidéo, je suis globalement touche-à-tout. Je dis globalement car, dans la sphère vidéoludique, il m’est difficile d’exprimer une quelconque attraction envers les jeux de sports ou de courses. Je lancerais peut-être une ou deux parties entre amis, mais rien de plus. J’aime m’essayer aussi bien à des gros titres attendus depuis des lustres qu’à des opus indépendants. J’apprécie d’ailleurs de plus en plus m’attarder sur ces derniers pour plusieurs raisons. Leur temps de jeu n’est que rarement empli d’activités annexes peu attractives afin de rallonger la sauce à l’image d’un film qui, pour se présenter à un festival primé doit, pour cela, établir le mètre étalon requis. Et, surtout, ces petits studios osent sortir des sentiers battus que ce soit en proposant de la fraîcheur au niveau du gameplay que de l’écriture.


The Game Bakers est un studio indépendant qui a eu un succès retentissant avec Furi, boss-rush nerveux qui ne m’a jamais tapé dans l’œil malgré les qualités qu’on lui accole. Ce qui est amusant car Haven m’a interpellé dès les premières images et informations délivrées. Non seulement tout l’univers coloré, presque onirique, m’a séduit mais c’est la mentalité accolée par The Game Bakers à sa nouvelle production qui m’a fait définitivement me dire : “Je dois acheter ce jeu”.



Quand je travaillais sur des jeux AAA, j’ai joué à presque tous les hits du moment pour connaître le marché et la concurrence. Mais entre deux parties de Call of Duty et Assassin’s Creed, j’avais besoin d’une pause, et je me faisais 30 minutes de Flower. Je me souviens de cette période avec plaisir. Ce jeu m’a aidé à me relaxer entre deux expériences éprouvantes. C’est exactement le sentiment que je voulais offrir avec Haven : un jeu qui soit comme une brise légère. Un jeu qui vous relaxe. Un jeu qui soit comme une balade main dans la main. Bien sûr, l’un des moyens d’atteindre ça, c’était le concept même de Haven : l’histoire d’amour d’un couple qui essayait de rester ensemble. Un couple qui planait au-dessus des herbes hautes d’une planète déserte.



Emeric Thoa, directeur créatif de The Game Bakers


Moi qui ne voyait aucun intérêt futur à m’adonner à Furi, me voici donc prête à me lancer sur Haven. Je ne suis pas la seule à avoir suivi ce parcours. C’est même amusant de constater que Haven a été mal accueilli par par nombre de joueurs espérant y trouver un Furi 2. Une critique que je trouve déplacée puisque The Game Bakers n’a jamais présenté le jeu comme tel et a, au contraire, tout fait pour se détacher de leur précédente production.



Les gens me demandent souvent pourquoi on n’a pas fait la suite de Furi, et je réponds généralement que nous avons fait Haven pour surprendre les joueurs, pour innover, pour explorer de nouvelles expériences. C’est la vérité. Mais il y a un autre aspect dont je ne parle pas forcément : Furi m’a épuisé. J’avais besoin de m’éloigner un peu des jeux d’action ultra-rapides. Je voulais créer un jeu qui serait un peu comme une pause entre deux jeux d’action.



Emeric Thoa, directeur créatif de The Game Bakers


Explorateurs de la planète perdue


Si comme Emeric Thoa vous avez apprécié les créations de Thatgamecompany (Flow, Flower, Journey) vous allez retrouver en Haven cette même ambiance propice à la détente. En compagnie de Yu et Kay, on découvre Source, une planète fragmentée en multiples petits îlots. Ces derniers sont reliés entre eux par l’Onde, une énergie qui permet de transiter d’un lieu à un autre tel un pont mais qui nourrit aussi les bottes de notre couple, élément indispensable leur permettant de voyager en planant. Marcher c’est long, selon Yu et quoi de mieux que de survoler le sol avec grâce et fluidité ? Le joueur n’a qu’à rester appuyé sur (R2) et le joystick permet de diriger son personnage. Clairement on y prend rapidement goût d’autant plus qu’on peut effectuer des dérapages ou carrément revenir sur nos pas en une simple roulade aérienne. Afin de pimenter votre avancée, des arcs d’Onde pullulent à la surface de Source. Les suivre vous permet d’accéder à des zones en hauteur ou vous fait découvrir des éléments cachés.


L’exploration sera la clé de la survie de Yu et Kay sur Source. Seuls humains en ce refuge, il leur faut apprendre à cohabiter avec les créatures et subvenir à leurs besoins. Heureusement pour eux, ils possèdent le Nid, un vaisseau qui leur sert de domicile à l’image d’un mobile-home pour mener un comparatif prosaïque avec notre époque. Si le Nid offre un abri fort confortable, il faut bien trouver de quoi se nourrir. La fouille de Source se couplera de collecter des ressources aussi bien pour les repas qu’afin de créer de quoi vous soigner et même d’améliorer vos capacités. Toutes les créatures ne sont pas forcément ravies de voir ce couple étrange s’immiscer dans leur écosystème.


Selon les plantes récoltées, certains plats pourront être créés ou non. La première conception de chacun d’eux s’accompagne d’une scénette et, rien que pour cela, on veut tester toutes les combinaisons possibles. Au fil du temps, Yu et Kay récolteront des graines pour créer leur propre potager facilitant la récolte et transformant durablement les alentours du Nid en petit hameau. En dehors du vaisseau, il sera possible de camper en des lieux propices afin de se soigner, manger (et les plats sont différents de ceux créés dans le Nid) mais surtout dormir. Tous les moyens sont bons pour recharger ses batteries !


Dans Haven, vous ne disposez pas de niveau à augmenter mais d’une jauge d’affinité. Plus Yu et Kay verront leur relation s’améliorer, plus vous débloquerez de compétences comme les attaques duo et augmenterez vos statistiques (points de vie, résistance). Cette jauge d’affection n’est nullement dénuée de sens tant l’amour qui lie Yu et Kay est au cœur aussi bien du récit que du gameplay.


Si chacun d’eux peut frapper les ennemis individuellement, il est tout aussi possible de préparer des attaques combinées qui se révèlent plus dévastatrices. De même, activer un bouclier sur un des personnages permet de protéger le second d’une attaque ennemie. L’activation de tout cet arsenal est divisée en deux sur la manette : pad de flèches pour l’un, pad de touches pour le second.


Si au début on tâtonne, on prend rapidement le pli de ce système de combat rappelant le tour par tour des J-RPG. Notre couple a le choix entre deux types d’attaque : Blast et Impact. Certains ennemis sont plus sensibles à l’un ou l’autre. Il faudra même jongler entre les deux pour les adversaires les plus difficiles puisque leur faiblesse dépend entièrement de leur phase, voire réclame qu’ils soient sonnés en se prenant un bouclier pour se révéler. Même si Haven se veut un jeu accessible, il n’est nullement dénué de subtilités.


D’ailleurs Yu et Kay ne tuent jamais leurs ennemis. Une fois que la créature a perdu ses points de vie, le couple peut la pacifier. Là encore un détail qui n’est nullement anodin. Certaines créatures pacifiées rejoignent même les alentours du Nid comme Grouik qui devient une mascotte à part entière, ou encore Birble qui servira de point de voyage rapide.


L’exploration n’est nullement un fardeau dans Haven grâce à de multiples fonctionnalités pour la rendre la plus agréable possible. Carte et voyage rapide permettent de se repérer dans l’espace, sans compter les raccourcis que l’on déniche. Si la tâche principale consiste à réparer le Nid en trouvant des éléments mécaniques, Haven propose d’autres objectifs sans pour autant les imposer. Vous pouvez très bien conclure le récit sans jamais y prêter attention. Si vous nettoyez chaque ilot de la Rouille, un composant qui agit négativement sur l’environnement, vous créez alors un point de voyage rapide pour Briggle. Cette dernière ne vous déposera jamais sur une île non purifiée. En explorant quelques recoins, vous trouverez même des objets à rapporter au Nid, propices à de nouvelles scènes entre Yu et Kay.


Si vous appréciez les challenges un brin corsé, Haven renferme un boss secret : le Beruberu. Cette baleine gigantesque apparaît si vous restez plusieurs jours en dehors du Nid. Afin de tenir face à cette menace, il vous faudra vous armer de multiples soins et de vos meilleures compétences. Mais la satisfaction qui en résultera en vaudra la chandelle.


Si Haven se présente comme une expérience solo, il est possible de jouer en coopération. Si durant les combats cela requiert de la communication pour être réactif au même moment (ce qui est une bonne chose au vu du jeu) l’exploration perd en limpidité surtout si chacun veut aller d’un côté. C’est là un des rares défauts de l’opus. Un aspect coopératif plus prononcé et surtout une caméra moins perdue lorsque les deux joueurs volent de concert aurait apporté un plus à l’opus.


On ne badine pas avec l’amour


Plus que son gameplay entremêlant exploration et combat, Haven se démarque par sa narration. Les raisons de la présence de Yu et Kay sur Source demeurent, au début, volontairement nébuleuses. Tout en explorant la planète, on apprend à vivre auprès de ce couple, à connaître leurs caractères mais, surtout, leur histoire. Tout se dévoile à travers les échanges du couple qui ont lieu après un repas, un retour au Nid ou encore une nuit de sommeil. Tel un colocataire invisible, on observe ce quotidien somme toute banal et ici banalité ne rime pas avec morosité. Au contraire, Yu et Kay forment un couple comme on a tous pu côtoyer un jour, voire nous rappeler celui qu’on constitue avec notre propre partenaire. Si vous êtes vous-même en couple, vous aurez forcément une scène qui vous fera réagir et vous évoquera un vécu.


Il ressort de Haven une ambiance reposante, “chill” comme on dit désormais. Source est une planète aux coloris vifs sans pour autant brûler les rétines. On croise des créatures improbables voire magnifiques (comme le légendaire Heliga) et chaque île a un petit quelque chose à explorer avec des vestiges lourds de sens. Si la modélisation 3D des personnages paraît simpliste, les sprites 2D venant orner les dialogues (ce qui n’est pas sans rappeler les visuals-novels) viennent souligner leurs expressions en plus d’un doublage propre. Petite précision : les voix sont entièrement en anglais mais tout le reste de l’opus est en français. L’OST vient parachever l’ensemble avec des pistes qui se laisseront écouter même en dehors de vos parties. Il y a juste ce qu’il faut de tonicité lors des combats et une intonation plus lourde lors du choix final.


Si on ne voit rien de l’univers de Haven en dehors de Source, Yu et Kay nous fournissent assez d’éléments pour que l’on en comprenne les grandes lignes. Leur planète d’origine, le Rucher, se présente comme une dystopie où chaque chose doit être à sa place. L’Appaireur choisit lui-même avec qui chaque individu doit se marier. Loin d’accepter les partenaires qu’on leur a choisi, Yu et Kay ont décidé de vivre leur relation en s’enfuyant loin de leur planète. L’apparition des Frelons, des robots destinés à les traquer, vient rappeler qu’une épée de Damoclès plane au-dessus de leur tête. Ces ennemis constituent d’ailleurs le seul Game over possible de Haven. Face à d’autres adversaires, vous êtes renvoyés au Nid pour vous reposer. Hors les Frelons vous capturent et vous ramènent au Rucher.


Haven parle d’amour avec un grand A tout en évitant les écueils propres à cette thématique. Si Yu et Kay forment un jeune couple, leur passion traverse les âges et les genres. Les échanges ne sont pas dénués de sous-entendus coquins mais sans jamais verser dans la scène de sexe gratuite. Haven reste dans l’évocation, exposant une sexualité à la fois assumée et bienveillante. Yu et Kay vont ainsi réaliser du jeu de rôle, jouer à Strip-bouboule (variante du poker déshabilleur), faire un bain de minuit… A chaque fois la scénette se coupera avant passage à l’acte ou se place de façon à ce que rien ne soit vu. Ce qui fait que le propos reste drôle mais jamais outrancier.


Haven va même jusqu’à briser les clichés pouvant entourer la thématique du couple. Durant chaque sauvegarde, on a droit à un artwork présentant un moment de vie du couple : dispute, séance film sur le canapé, étreinte au lit, etc. Certaines vont même jusqu’à se répondre comme Kay et Yu portant, tour à tour, un tablier rose avec, on le devine, rien dessous. Voir ce type de scène sur les deux protagonistes permet de rire gentiment de ce fantasme.


Cela va jusque dans la caractérisation des personnages. Yu est la propriétaire du Nid et une mécanicienne qui peut réparer pratiquement n’importe quoi avec le moindre boulon qu’elle trouve. Comme beaucoup, elle a un passé d’adolescente ayant eu sa phase rebelle dont elle a honte. Elle représente la tête brûlée du couple refusant d’abdiquer, prête à mourir si jamais le Rucher revenait les chercher sur Source. De son côté Kay se montre plus mesuré, voire pragmatique. Peut-être est-ce là la suite logique de son esprit scientifique, lui qui est avant tout un biologiste. Ses connaissances serviront d’ailleurs au couple pour effectuer les récoltes et surtout les repas. Quand je vous dis que Haven brise les clichés ! Yu a les mains dans le cambouis, Kay dans les casseroles et c’est même ainsi que débute le récit. Si ce type de construction de personnages devient de plus en plus courant, cela fait toujours un bien fou d’en voir. De même, le jeu évite de tomber dans le pathos concernant le statut d’orphelin de Kay ou même d’être critique sur le fait que Yu a deux mères. C’est même amusant de voir que le Rucher crée de telles unions : une ouverture d’esprit qui n’empêche pas un contrôle absolu de sa population.


Je pourrais continuer en vous parlant des deux fins exposées par Haven mais cela reviendrait à gâcher la découverte de l’intrigue en détail. Ces finalités dépendent d’un choix crucial dont les conséquences peuvent se révéler désastreuses selon celles que vous avez opéré. La mauvaise fin de Haven ne vous laissera pas indifférent si vous y accédez. Elle se déroule sous nos yeux sans un mot : un silence aussi pesant que la conclusion qui nous est donnée de voir.


Toute histoire a une fin


Alors oui Haven c’est mon coup de cœur de fin d’année. Peut-être bien que le message porteur d’espoir du jeu et sa volonté de proposer une bulle d’apaisement voit ses effets décuplés par l’année fort compliquée qu’est 2020. La recette a fait mouche de mon côté. Pour ceux et celles chassant le platine, celui-ci sera aussi plaisant que parcourir Source puisqu’il revient à découvrir tout ce que recèle le jeu que ce soit pour explorer la planète à 100% ou découvrir certaines scènes du couple.

So-chan
9
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Créée

le 28 déc. 2020

Critique lue 1.1K fois

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So-chan

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