Un style divisif, expérience agréable malgré tout

La précédente décennie vidéoludique aura été notamment marquée par une réémergence des jeux de type « point and click » et « narratifs », marqués par les divers excellents titres de Telltale et Dontnod (The Walking Dead, The Wolf Among Us, Life is Strange, Tales from the Borderlands). Il est cependant un autre nom qui y a contribué, un peu plus tôt que les autres : David Cage. Si au cinéma, on a tendance à sacraliser des réalisateurs en oubliant la contribution des centaines de personnes à leurs films, aux jeux vidéos, c’est plus rare, avec quelques exceptions comme Hideo Kojima, et le susmentionné bonhomme.


Heavy Rain a sa réputation et j’arrive pourtant bien en retard. C’est que David Cage possède une réputation mitigée : soit les gens aiment, soit ils détestent, et je crains qu’une fois encore, je me situe entre les deux.


Qu’est-ce qui a perturbé mon expérience ? Certaines ficelles et choix de game design. Il est certain qu’une influence cinématographique imprègne l’œuvre, et contrairement à beaucoup, ce parti pris ne me dérange pas, d’autant que l’interactivité reste au rendez-vous et renforce l’implication dans ladite enquête. J’ai juste ressenti cette étrange impression que le jeu en faisait à la fois trop et pas assez. Le meilleur exemple est le sentiment d’urgence permanent : la musique dramatique fuse, sauf que… nos personnages gardent la même vitesse affreusement lente tout du long, créant un contraste. Le jeu se veut aussi dynamique en enchaînant les scènes avec rythme, mais des chargements d’une à deux minutes entre des scènes de cinq à dix minutes (parfois un peu plus longues) créent un sentiment de frustration. Enfin, je n’ai rien contre les QTE, mais ici ils ne sont pas toujours adaptés, surtout avec l’usage du shift droit qui se révèle tout sauf pratique.
Des défauts assez frustrants, et c’est d’autant plus dommage que la maîtrise du gameplay, de l’histoire et de l’immersion se ressent.


Quid de l’histoire, justement ? Nous contrôlons quatre personnages : Ethan, dont le fils Shaun a été kidnappé par le « tueur aux origamis », Norman, un jeune détective employant de nouvelles technologies, Scott, un détective plus « classique », et Madison, une femme mystérieuse s’impliquant aussi dans l’enquête. J’ai eu deux problèmes très exactement. J’ignore si c’est moi, mais Ethan possède cet air paumé tout du long et un manque flagrant de charisme et d’expressivité, au contraire des autres protagonistes. Quant à Madison, qu’elle ait une scène de nudité gratuite et un numéro de charme m’ont fait un peu facepalm, j’ai eu cette désagréable sensation de sexisme par une écriture peu subtile des rares personnages féminins de l’œuvre. Heureusement que les détectives s’avèrent mieux écrits, surtout Norman, auquel je me suis le mieux attaché.


L’idée d’incarner quatre personnages impliqués dans l’enquête était bonne et plutôt bien menée. Malgré quelques bagarres faciles, aucune sensation de répétitivité ne m’a frappé, même s’il faut avouer que le jeu est assez court (une dizaine d’heures). Les ingrédients des récits d’enquêtes sont rassemblés : un accent misé sur le suspens, la collecte des indices, les altercations avec des individus peu fréquentables, la hiérarchie bureaucratique pénible. Pour couronner le tout, les quatre personnages ont des séquences de gameplay bien différentes : là où Ethan devra résoudre des épreuves, Norman sera plutôt porté sur la collecte d’indices par sa brillante technologie.
Bien que plusieurs fins soient possibles, j’avoue ne pas être entièrement satisfait de ce qu’elle implique en général.


Pour ma part, Lauren s’est noyée involontairement, tandis que j’ai mené Madison et Norman à la mort pour cause de décisions urgentes et de QTE ratés. Que ces QTE puissent influencer sur le destin des personnages à un degré similaire aux choix m’a paru exagéré. Quant à la révélation que Scott soit le tueur aux origamis, le twist était plutôt imprévisible, car j’ai d’abord soupçonné Ethan puis Madison. Mais, à moins que je sois une buse, il y aurait dû y avoir davantage d’indices.


Souffrant de grosses ficelles, de soucis de game design et d’une loudeur d’écriture par moments, Heavy Rain a tout de même réussi une partie de son pari à mes yeux. Un jeu d’enquêtes avec du suspens, des rebondissements intéressants et une bonne rejouabilité.

Saidor
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le 12 mai 2021

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