Lancer une nouvelle console de salon est une entreprise délicate quand on a laissé s'écouler une dizaine d'années pour une seule génération et que le dernier succès dans le milieu fut la Nintendo Wii. Pensez-y, d'un côté vous devez fournir une machine à prix décent capable d'offrir une évolution visuelle satisfaisante, d'un autre vous devez innover en matière de contrôle de jeu pour singer Nintendo sans réduire votre périphérique à un gadget. Gyroscope, pavé tactile, pavé lumineux, vibration, sortie son... Des fonctionnalités dispensables qui font qu'on doit se taper 70 boules la manette sans qu'on comprenne vraiment les intérêts ludiques de l'objet. Alors pour noyer le poisson et éviter de vendre un concept sur du vent, on prie pour que les jeux du lancement de la console exploitent à fond les fonctionnalités proposées pour justifier leur existence.


Killzone : Shadow Fall tient plus du jeu vitrine que d'une œuvre artistique ou d'un produit fignolé, parce qu'il fut le fer de lance de la PS4 à sa sortie pour convaincre la foule de l'intérêt de son acquisition. Et non l'inverse. Le jeu dispose d'une technique impeccable en terme de graphisme et d'intelligence artificielle pour son époque. La direction artistique dont on sent les balbutiements qui mèneront à Horizon : Zero Dawn fait mouche lors de certains chapitres. Le pavé tactile de la manette qui sert à mimer une second croix directionnelle est exploité par la mécanique du drone. Oui, on peut le reconnaître, Killzone met en valeur son support... sans rien avoir dans le ventre. Rien qui puisse marquer le genre du FPS sur console ou même marquer la série Killzone. La définition même du jeu vitrine. Mais au fur et à mesure que je notais les défauts du jeu, que je commentais mes propres parties enregistrées et que je regardais ça et là les tests du jeu à sa sortie, une question me trottait :


Dans un genre aussi codifié que le First Person Shooter militaire, comment créer une grille de lecture suffisamment sensible pour distinguer l'excellent du bon, du mauvais et du médiocre ? Les Call of Duty, Battlefield, Halo, Crisis et Killzone partagent de près ou de loin le même cœur de jeu, une esthétique proche et des tropes narratifs comparables. Plus j'y réfléchissais, plus j'avais l'impression que le problème que j'avais de Killzone n'était pas dans son genre ou ses codes sur-utilisés, mais la confrontation entre ma vision du game design et l'exécution du titre.


Le Mauvais Professeur


Prenez n'importe quel jeu d'action ou de plate-forme de votre ludothèque, faites-le essayer à un néophyte et regardez ce qu'il se passe. La personne à côté de vous va rentrer dans une profonde phase d'apprentissage. L'apprentissage des contrôles, de la navigation des environnements jusqu'à la compréhension des objectifs de jeu et des moyens pour les atteindre. On apprend tous à jouer et parce que tous les jeux ont leur petite touche d'originalité, il faut passer par une phase d'apprentissage avant de maîtriser le titre pour pouvoir affronter tous les obstacles qui se dressent à nous. Dans l'idéal, le jeu est notre professeur. Soit il passe par un enseignement théorique, soit il nous met directement dans le feu de l'action. Dans ce cas, il est préférable de mettre le joueur dans des situations d'apprentissages contrôlés où la nouvelle information est isolée du reste et où l'erreur est permise.


Killzone : Shadow Fall lui s'en fiche royalement de votre apprentissage de joueur. Il a autant de pédagogie qu'un professeur d'université. Vous êtes en plein milieu d'une fusillade dans une forêt pour sauver une escouade après 30 minutes de jeu. Un ennemi avec un fusil à lunette avec la capacité de devenir invisible/se téléporter fait son apparition. Pas de message de tutoriel, pas de micro-cinématique comme dans Resident Evil 4, pas de remarques intradiégétiques sur cet ennemi qui dénote avec les autres... Vous doutez de la nature de ce que vous venez de voir ? Trop tard, vous êtes mort. Le joueur débutant comme le joueur érudit doit jongler entre le combat et l'apprentissage d'un nouvel ennemi qui n'est pas présenté. Ce n'est qu'un cas à part ? Vous marchez dans une station orbitale, vous affrontez des ennemis dans un couloir, une nuée d'araignée mécanique arrive sur vous et vous explose à la face. Parfois sans que vous ne les ayez vues. (Bonjour la frustration) Les drones aériens ennemis. Même chose. Les ennemis avec une armure d'énergie bleue qui résiste aux balles classiques ? Le premier apparaît quand vous ouvrez une porte dans une station et vous met la première balle. Vous devez gérer cet ennemi et le jeu en profite pour glisser une phrase de didacticiel en plein milieu de l'écran "Vous devriez utiliser le tir secondaire de machin XX89 pour détruire ce bouclier d'énergie." Tu ne peux pas le me dire avant jeu ? Tu ne peux pas mettre l'ennemi dans une position moins avantageuse pour que je puisse comprendre comment le tuer de manière optimale et effectuer mon apprentissage correctement ?


On parle de zone de proximale de développement en psychologie du développement ou de set-up en game-design, le principe est de ne pas exposer l'individu à un problème qu'il ne peut pas résoudre seul sans aide. Cela tient du bon sens. Vous ne pouvez pas demander à quelqu'un d'assimiler de nouvelles informations conséquentes et de réaliser une performance sans l'orienter un minimum dans un jeu d'action. Les développeurs de Guerilla Games ont une communication désastreuse avec leurs joueurs. Elle se remarque même dans les détails et les retours visuels et auditifs. Le jeu n'indique pas clairement quand un ennemi n'est plus une menace pour nous. À la différence du second épisode, ils n'ont ni d'animation claire ni un cri d'agonie distinctif. Parfois l'attaque au corps à corps étourdi, parfois elle tue, impossible de savoir pourquoi. L'interface est envahissante et nuit à l'immersion, mais sans elle impossible de savoir quand on doit pirater un ordinateur ou quand nos tirs (le cœur du jeu hein) touchent un ennemi.


De même, le didacticiel du jeu est incomplet. Le premier chapitre du jeu ne nous apprend pas les mécaniques de tir (le cœur du jeu hein - bis). Les différences entre les armes, leur mode de tir secondaire et l'utilisation du drone. Un drone qui permet des tactiques intéressantes, des micro-choix significatifs et une expérience de super soldat plutôt jouissive. Mais le jeu ne nous l'explique pas. Il nous apprend à manier les déplacements et la caméra (où le joueur habitué n'y verra aucune utilité) puis il nous laisse dans la première mission du jeu (où le nouveau joueur sera totalement démuni).


Tous ces détails accumulés en font un jeu extrêmement frustrant sur le long terme. On nage dans un brouillard informationnel constant qui nuirait à n'importe quelle expérience de jeu. Cette confusion est d'autant plus grave dans un jeu d'action puisqu'il faut que le joueur puisse jouer sans se poser de question. C'est crucial, je dirais même c'est ce facteur qui trace le continuum entre le jeu d'action pure et le jeu de réflexion pure. Le joueur n'a pas à se poser des questions sur le fonctionnement des règles de jeu dans le flot de stimuli et dans la frénésie des mouvements à adopter, puisque cette avalanche d'informations ne lui permet pas de faire cela correctement !


Le Mauvais Challenger


Mais que l'apprentissage se fasse dans la douceur ou la violence, il vient bien un moment où le joueur est essentiellement dans la performance. Il n'a plus rien à apprendre - du moins temporairement – et doit résoudre les problèmes qui s'offrent à lui. Killzone : Shadow Fall propose-t-il des situations intéressantes à résoudre ?


Si on excepte les passages où on flotte dans des bases spatiales pour réparer des réacteurs, les passages à la progression est balisée et les moments où seulement quatre faibles ennemis nous barrent la route... Erhm.... Non, c'est inintéressant.


Le jeu ne nous offre jamais un challenge digne de ce nom. Je ne dis pas que le challenge devrait être difficile, mais il devrait nous permettre d'exploiter le système de jeu et nos capacités de manière à se sentir valorisé dans notre participation. Or ici ce n'est pas le cas. Les ennemis n'apparaissent que par demi-douzaine. On nettoie un endroit, on avance vers l'objectif et des ennemis arrivent par le chemin qu'on a emprunté. Il est très désagréable d'être débordé, mais l'intelligence artificielle ne parvient pas à trouver le juste milieu entre sens surhumain et manque d'agressivité. Sans compter que certains affrontements se résument à ouvrir la porte d'un couloir et de voir cinq ennemis vous tirez dessus. Il y a une vacuité qui plane dans ces situations de jeu. Tout est vain, sans substance, sans génie. On est loin des combats amusants de The Darkness 2, de la brutalité de Killzone 2, de la crasse d'un Kane & Lynch 2 ou du level-design éclaté et vertical d'un Uncharted 2. J'aurais bien du mal à mette des mots et des exemples précis sur les escarmouches trop simples et trop courtes de Killzone : Shadow Fall, mais le ressenti est là. Je n'avais pas joué à un FPS militaire aussi mauvais depuis Crisis 2.


Killzone : Shadow Fall est – je me répète – une simple vitrine technologique de la Playstation 4. Son game-design manque de pédagogie pour permettre de joueur de maîtriser le système de jeu et pour se permettre d'offrir de véritables situations intéressantes. Les affrontements manquent et d'enjeux d'intensité à cause de ses ennemis timides, trop résistants, mais trop peu nombreux dans les trois quarts du jeu. On se retrouve avec un jeu de tir moyen servant un scénario absolument nullissime où le joueur et le personnage ne sont que des pions manipulés grossièrement.

H_Zinzolin
3
Écrit par

Créée

le 23 juil. 2018

Critique lue 185 fois

1 j'aime

H_Zinzolin

Écrit par

Critique lue 185 fois

1

D'autres avis sur Killzone: Shadow Fall

Killzone: Shadow Fall
HarmonySly
4

Patte folle

En temps normal, je n'ai rien contre Killzone. Un peu comme Lenny Leonard des Simpsons, c'est une licence qui se donne du mal pour gagner l'estime de ses pairs, alors qu'intrinsèquement c'est juste...

le 13 août 2014

11 j'aime

5

Killzone: Shadow Fall
Yautja
5

Critique de Killzone: Shadow Fall par Yautja

Oui, c'est superbe, même pour un joueur venant du PC, ça reste vraiment très joli. Le problème, c'est que c'est à peu près tout. Plus classique tu meurs. Dirigiste les 3/4 du temps. Des ennemis...

le 15 déc. 2013

11 j'aime

Killzone: Shadow Fall
DuffMan
5

Le syndrome Guerrilla

Guerrilla est sans aucun doute le jumeau de Crytek : d'excellent créateurs de moteur graphique mais de piètre conteur de jeux vidéos. Si Killzone ne volera pas sa carte de tueur de rétine graphique...

le 25 déc. 2013

9 j'aime

Du même critique

Fortnite
H_Zinzolin
7

Le prix de la victoire.

Critique du jeu dans sa version 3.1.0 Plus de 300 heures de jeu. Des dizaines de nuits blanches. Des responsabilités évitées. Des relations sociales qui s'effritent à cause de mes activités...

le 7 mars 2018

23 j'aime

9

NieR: Automata
H_Zinzolin
7

Transcender son système de jeu

Je ne sais pas ce que vous faites ici, je ne sais pas pourquoi vous lisez des critiques et pourquoi j'en écris. Tout ceci n'a aucun sens, nos opinions n'atteindront personne, nos analyses ne...

le 1 déc. 2017

20 j'aime

1