spoilers
Lorsqu'on termine Metal Gear Solid V, le silence qui lui succède est encore de lui. C'est un silence lourd. Pesant. Étrange. Tout sauf libérateur. Sans écho. Sans résonance. Ce vide qui m'habite, alors que je sors le disque de ma console pour le ranger dans son sarcophage de plastique - pour l'éternité? - au fond d'un tiroir, il est le jeu. Il est son propos, son histoire, sa destinée. Et il m'a contaminé. Plus que jamais, je suis une coquille vide. Et je ne sais pas ce qui me reste, quand tout m'est arraché des mains et que le temps s'arrête.
J'ai des images oui. J'ai erré dans ces fausses plaines afghanes, dans ces marais angolais pendant des journées entières. J'y ai tué mes heures à coup de fléchettes tranquillisantes et de ballon d'extraction. J'accumulais, j'empilais dans une fuite en avant absurde. Les cibles n'avaient pas de nom. Les avant-postes se succédaient. Routine précise qui semble avoir été installée il y a très très longtemps. Dans ce monde vidéo-ludique qui cherche à nous offrir tant d'échappatoires, j'étais simple VRP de la guerre, toujours sur la route, à la recherche de quelque chose, pas grand chose. Aucun but. Aucun sens. Le parfait petit soldat inconnu. Plus que je ne le pensais. Les muscles répondaient présents. La rétine pétillait. Le ronron neuronal face à un univers de jeu parfaitement mené. Pour sûr, le meilleur gameplay jamais offert par un Metal Gear Solid. Pure impression de contrôle et de liberté. Demander à Quiet de faire diversion pendant que vous attaquez par un autre pan en furtif. Une joie mécanique réelle, venue comme une surprise. Mais au service d'une intolérable impression de désertion intime face à ce jeu en kit, ou peut être juste en ruine.
Désagréable d'être dans un bateau qui coule, devant un monument qui brûle, témoin d'un déclin inéluctable. Et pourtant, la fascination qui agrippe au cortex. Metal Gear Solid V est un jeu en décomposition. Il s'effrite dès qu'on y passe le doigt. Des appendices modernes ont été ajoutées pour le retenir en vie artificiellement, pour le raccrocher à notre époque, mais chaque instant semble bercé d'une aura crépusculaire glaçante. Là où se dressaient des monolithes narratifs titanesques, des monuments pompeux qui agrégeaient prétention rococo et désinvolture régressive, il n'y a maintenant que des tas de gravas, posés là, en miettes, à aller creuser soi-même. Des heures d'audio-log trop fatigués pour essayer de nouer tous les fils conducteurs qui se contredisent d'un monstre fatigué. Le rythme s'est effacé au profit de rien. Du vide. Du silence. Dilatée à l'extrême, l'expérience Metal Gear n'est plus que le fantôme d'elle-même. Elle nous abandonne là, à courir après des chimères, des illusions, pour mieux nous les arracher des mains. Car vous n'aurez pas vos réponses. Vous n'aurez pas votre raccord parfait. Vous n'aurez pas vos boss fights impressionnants face à ces ennemis surnaturels. Ils mourront sans vous. Vous n'aurez même pas réussi à écrire une partie de l'histoire à votre manière. Vous vouliez rejouer une descente aux enfers. Jamais. Vous êtes un pion. Vous êtes un joueur. Vous êtes une créature qui appuie sur du plastique et se rêve autre chose pour n'être qu'elle-même. Certain y verront un hold-up. D'autres un hommage et l'invitation à faire sa propre histoire. Je marche à la frontière et c'est le bordel et c'est ça que je veux garder.
J'aime les fins de Metal Gear Solid V. J'aime l'histoire de Metal Gear Solid V. J'aime ses creux. J'aime ce rythme malade, hoquetant, mal foutu. C'est un titan qui s'effondre à mes pieds. C'est pathétique. C'est terriblement attachant. J'aime à me dire qu'il est amputé mais j'aime à me dire qu'il était fait pour être ainsi. C'est la fin d'un monde. Le baroud d'honneur d'une époque. D'une industrie. D'une façon de penser le jeu vidéo. Metal Gear crève sous nos yeux en nous faisant un dernier tour de passe-passe. Et après tout ça, vraiment, je n'ai plus envie de jouer à rien. J'ai envie de rester là encore un peu. Dans les limbes. Je suis libre. Je suis insatisfait. Je suis expulsé de ce monde comme la mort nous coupera les uns des autres. Et je me délecte de ressentir ce malaise. Car il est signe de quelque chose d'unique. Et c'est peut être ça dont je fais le deuil aujourd'hui, tout simplement.