Puppeteer
6.9
Puppeteer

Jeu de SIE Japan Studio et Sony Interactive Entertainment (2013PlayStation 3)

Dès les premières images de Puppeteer glanées sur le net, j’étais sous le charme. Aussi, lorsque la galette fit sont apparition au QG du LSR, j’étais déjà résolu, afin de pouvoir tester la bête, à affronter et à vaincre, quels que soient les moyens utilisés : photos montages de Yannou dans des postures honteuses l’obligeant à changer d’identité et de pays (mais étaient-ce vraiment des montages…), laxatifs dans le goûter de Flbond, somnifères dans celui de Koreana_, duel à l’épée contre le Serpent, je ne reculai devant aucun acte de courage, aucune bassesse… jusqu’à ce qu’on me dise que j’avais qu’à demander, si je voulais le tester, pas de problème, on est pas comme ça à LSR. Après avoir blindé les boissons de mes collègues de GHB dans l’espoir qu’ils oublient les sévices et humiliations que je leur avais imposé sur un malentendu (et avoir caché les corps de ceux que je n’ai pas réussi à sauver à temps) (désolé, Garr, Rest In Peace my friend), je rentrai chez moi sautillant tel un farfadet après deux thermos de café car oui, j’avais eu gain de cause, et je pouvais me lancer à corps perdu dans cette aventure à mi-chemin entre le conte pour enfant et la pièce de théâtre.

Puppeteer est vraiment beau, très beau. Le grain des textures, le choix des couleurs, la qualité du charadesign, la souplesse des animation, l’excellence des cut-scenes, la qualité des doublages, pas à dire, la direction artistique est au point, et tout à fait adaptée au mode de narration, qui prend la forme étonnante d’une pièce de théâtre de marionnettes. L’action est donc toujours cadrée par une scène, et l’on saute de tableau en tableau, tous plus enchanteurs les uns que les autres, accompagnés par les commentaires d’une voix-off chaleureuse faisant office de narrateur et servant de liant entre l’action de votre personnage et les cut-scenes qui s’enchaînent suivant un rythme soutenu, absorbant le joueur dans ce conte étrange et sombre mêlant sorcière à moitié malveillante, roi ours usurpateur de trône de la Lune, un chat trop bavard, un tigre féroce, un royaume lunaire, des décors enchanteurs, des enfants kidnappés et tués, et vous-même, Kutaro, un enfant transformé en poupée de bois et décapité par l’horrible Roi Ours. Contrairement aux très nombreuses victimes qui vous précèdent, vous avez eu un coup de chance et avez été pris en main par le chat qui vous initie à la technique du changement de tête, chaque tête étant lié à un pouvoir, et entre lesquelles vous pouvez jongler à loisir. Mieux, vous allez rapidement découvrir une paire de ciseaux magiques, sorte d’Exalibur de ce monde décalé, qui vous choisit comme porteur et vous prête ses pouvoirs. Dans un monde fait de chiffons, de tissus, et de poupées de bois, celui qui détient ces ciseaux magiques a un avantage certain… On est pas loin des créations ambiguës de Tim Burton, structure de conte pour enfants avec un propos assez sombre, mais non dénué d’humour, dans un cadre tout bonnement somptueux, où têtes et ciseaux représentent les deux mamelles du gameplay.

Mais bon, comment tout ça fonctionne ? Parce que ça a beau être excitant sur le papier, et magnifique à regarder, un jeu de plateforme se doit d’être plus que ça, d’avoir des mécaniques bien trempées. Et une fois l’émerveillement visuel passé, les défauts commencent à apparaître. Si l’on peut considérer que l’on a affaire à une sorte de descendant du légendaire Pitfall, – à savoir un jeu de plateforme à tableaux dont le but est d’éviter les pièges et de rejoindre la sortie en récupérant des trésors – boosté par d’excellentes idées, on se rend vite compte que celles-ci sont sous-exploitées. Parlons tout d’abord de la mécanique des têtes, une des deux principales originalités du gameplay de Puppeteer, qui se retrouve finalement ravalée au rang de gadget. En effet, les pouvoirs liés aux têtes ne servent qu’en des cas très précis, et uniquement pour débloquer des bonus lâchés par un squelette si vous avez la tête de squelette, par un sandwich si vous avez la tête de sandwich, par une araignée… Bref, vous avez compris (j’espère!). Dans l’action, ça se traduit de façon très sommaire. Lorsque vous passez à un endroit de l’écran cachant un bonus, une image représentant la tête à utiliser apparaît en surimpression, et à vous de la chausser et de cliquer sur la croix directionnelle bas pour faire apparaître la créature généreuse qui va vous offrir une chiée de cristaux ou débloquer la route vers une zone bonus. Mais encore faut-il avoir la bonne tête sur en stock, ce qui, lors du premier run, n’arrivera que rarement, et sent la ruse à peine déguisée pour booster artificiellement la rejouabilité… Mais voilà, le problème, c’est que ça ne va pas plus loin que ça. En dehors de ces ponctuels moments, à l’instar des anneaux dans Sonic, votre stock de têtes représente votre vie. Lorsque vous perdez la tête, vous pouvez la récupérer durant un certain laps de temps, puis celle-ci disparaît. Une fois épuisé votre stock de têtes, vous perdez une vie. L’idée était excellente sur le papier, mais se retrouve sous-exploitée, et c’est bien dommage, car au final, la mécanique des têtes n’apporte pas grand chose… La possibilité, à la fin de l’acte 1, de consulter la Collection de Têtes poussera les plus méticuleux à tenter d’en compléter les cases vides en rejouant les niveaux, mais on reste au stade de la collectionnite.

Bah, pas de panique, en plus de l’idée des têtes, on a l’excellente idée de la paire de ciseaux magiques! Kutaro dérobe cette paire de ciseaux au Roi Ours à la demande de la sorcière. Mais contrairement à la masse de gamins que celle-ci a envoyé au casse-pipe, non seulement vous réussissez à mettre la main dessus, mais en plus cet artefact enchanté vous choisit comme maître et vous laisse profiter de ses pleins pouvoirs, ce qui change radicalement la donne. Là encore, les mouvements et les textures des étoffes tailladées sont un régal pour les yeux. L’inertie du découpage vous permet de vous déplacer dans les airs tant que vous avez quelque chose à découper. Parfois même apparaissent à l’écran des pointillés qui vous permettent du découpage éclair, rapide et souple. Bien évidemment, cette lame doublée vous sert aussi d’arme contre les ennemis, enfants transformés dont vous libérerez les âmes à coups de ciseaux. Et là encore, sur le papier, ça fonctionne. En fait, même dans l’action, ça marche plutôt bien. Néanmoins, on sent déjà poindre un des gros défauts du jeu, que je ne vous mentionnerai que plus tard pour maintenir le suspense. Non, parce que pour l’instant, on a d’autres chats à fouetter, car je ne vous en ai pas encore parlé, du chat! Imporant, le chat! Ce dernier ne se contente pas de parler, il vous aide à dénicher les bonus cachés dans le décor. Vous pouvez faire fouiner ce dernier soit à l’aide du joystick analogique droit et de R2, soit à l’aide d’un ami qui fouillera le décor pour vous via une seconde manette. Rôle pas spécialement excitant, il a néanmoins le mérite d’exister, et vu la profusion de cachettes à gratouiller, la petite soeur habituée à jouer avec une manette éteinte pendant que vous ricanez dans votre barbe peut être impliquée dans l’aventure, si elle n’est pas trop gourde. Le premier joueur domine et le second meuble, certes, mais que ce soit à un ou deux joueurs, on a quand même de quoi faire en terme de trésors cachés, que ce soient des gemmes, des têtes ou carrément un bonus stage, et on préférera volontiers voir un second joueur se charger du chat plutôt que de casser l’action en jonglant entre les deux joysticks. Néanmoins, ces artifices ne parviennent pas à nous faire oublier les deux gros défauts du titre. (oui, c’est bon, j’en parle pour de vrai, cette fois!)

Tout d’abord, malgré les embranchements, les enfants à délivrer cachés un peu partout, les bonus dans tous les sens, un réel sentiment de linéarité s’installe trop rapidement. On se rend vite compte que bon, ça va pas changer grand chose de gratter chaque bougie et chaque trou du décor pour qu’ils crachent quelques gemmes, et sans le tableau récapitulatif en fin de premier acte, on se laisserait même gagner par la flemme de trouver chacune des têtes cachées dans les tableaux. Heureusement, ce dernier rebooste notre soif d’exhaustivité, d’autant que chaque stage se conclut par l’annonce du nombre de têtes et d’âmes d’enfants loupées, ainsi que du score du joueur, autant d’invitations au replay et de tentatives de prolonger la durée de vie par des mécaniques cousues de fil blanc, mais qui ont fait leurs preuves ailleurs. Reste que le sentiment de linéarité s’installe malgré tout, et le second défaut vient accentuer cette impression dérangeante. Il s’agit du rythme général du jeu, tout bonnement. Le découpage en scénettes fait sens de par le mode de narration et le cadre du jeu, mais au final, on se retrouve systématiquement à traverser des cadres souvent trop courts pour être passionnants, ou trop répétitifs. Il n’est pas rare de voir le même « puzzle » répété plusieurs fois de suite dans des géométries variables. Et la difficulté du jeu, généralement basse – il semblerait que les créateurs se soient laissé prendre à leur narration faussement enfantine et ont mis le jeu à la portée des enfants, auxquels ce conte aux résonances sombres ne s’adresse pas spécialement (c’est du -12, les gars, n’oublions pas!) – et tient souvent plus à une maniabilité un peu hasardeuse qu’à l’essence des scénettes. Donc on repère la sortie, on va vers la sortie, puis on recommence, et le rythme en devient à la fois monotone et saccadé. On n’a pas le temps de s’investir dans un stage lorsque celui-ci est découpé en des dizaines de micro scénettes, souvent interrompues par des cut scenes de toute beauté, certes, mais qui cut l’action malgré tout, au profit de la narration de l’aventure.

Et là, on touche au nerf du problème. Le jeu se présente comme un puzzle-plateformer, pour au final donner l’impression qu’il bâcle son gameplay, chose difficilement compatible avec ce genre, et n’exploite pas jusqu’au bout ses excellentes idées. C’est effectivement le cas et c’est vraiment frustrant, mais il y a une raison à tout ça : le jeu focalise sur sa dimension de conte, et force est de constater qu’à cet égard, malgré un coté parfois un peu bordélique, c’est une franche réussite. Les ambiances visuelles et sonores sont proches du sans faute, on est pris dans le ton plutôt audacieux de ce conte, par la beauté de ses décors, la drôlerie assumé des personnages. On frissonne lorsque le tigre géant se met en chasse, ou que le Roi Ours pique ses crises de rage, on est emporté par la magie des décors évoquant souvent une version virtuelle d’une attraction Disney, augmenté du coté sombre qu’on retrouve chez Tim Burton dans L’Etrange Noël de Monsieur Jack ou son livre La Triste Histoire de L’Enfant-Huître. Du coup, on est face à un choix : accepter le jeu en tant que tel, en piochant dans ses qualités bien présentes et en faisant le deuil de ce qu’il aurait pu être et des promesses non tenues, ou rager devant un potentiel vidéoludique gâché par un manque de liant ludique, où chaque élément pris à part fonctionne, mais l’ensemble grince aux jointures, au point de ne pouvoir s’immerger dans cette aventure qui tient finalement du livre d’images pour enfants à problèmes…

Argh! C’est un jeu que j’aurais voulu aimer, sur lequel j’aurais voulu à la fois rêver et m’amuser! Mais la beauté de l’ensemble de masque pas vraiment le bâclage de la dimension vidéoludique du titre. Attention, le jeu est soigné, abouti, simplement l’équipe semble avoir privilégié l’emballage au détriment du gameplay. Il est tout à fait possible d’aimer, mais à mon sens, le jeu ne tient tout simplement pas ses promesses. A vous de voir si vous êtes prêts à vous laisser emporter par une belle histoire amusante et plus sombre qu’il n’y paraît, rondement menée dans des décors enchanteurs et (pyro)techniquement maîtrisée, ou si les notions de gameplay et de challenge sont essentielles pour vous. C’est vraiment clairement une question de choix et de positionnement. D’une certaine façon, sans que ça en soit vraiment là, on n’est pas si loin du dilemme que représentent les jeux de David Cage. A la différence qu’ici, le problème tient au fait que le jeu aurait pu être une dynamite de plateformer en plus d’être magnifique, et se contente au final de ses atours plastiques. Et la question du public visé se pose aussi, la narration étant trop enfantine pour des adultes, le propos trop sombre pour des enfants, la difficulté revue à la baisse pour rendre l’ensemble abordable pour les plus jeunes mais en ajoutant le récapitulatif des scores afin d’ajouter artificiellement un peu de challenge pour titiller les plus grands. Les programmateurs auraient-ils oublié que les gosses des 80′s jouaient à SuperMario et à MegaMan, des jeux de pur Gameplay à la difficulté ébouriffante…?
LSRetrogamer
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le 12 nov. 2013

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