Resident Evil
8.2
Resident Evil

Jeu de Capcom (2002GameCube)

Il y a des souvenirs de joueurs qui demeurent indélébiles. Des traumatismes si grands, qu'une fois exposés, le sujet l'intègre inévitablement dans sa construction. Le premier trauma de l'épouvante, je le dois à un jeu et un seul : Silent Hill. Un cauchemar si tangible pour un enfant armé d'une poignée de printemps, qu'il allait contaminer son univers onirique, garantissant nombre de sueurs froides nocturnes. Pourtant je m'étais déjà exposé, à l'insu d'une surveillance parentale pourtant rigoureuse, à bon nombre de films de série B dont les ambiances glauques, les charniers et les créatures auraient du me préparer. En apnée dans un monde de polygones grossiers, devenir acteur et victime d'un théâtre macabre savamment préparé devenait insoutenable. De ce point d'entrée est née ma fascination pour l'épouvante, et une recherche perpétuelle du frisson.
De l'horreur sur Playstation je ne retenais que Silent Hill.
Il faudra finalement attendre le tapage médiatique de Capcom en fin d'année 2002 pour que je m'intéresse à cette saga concurrente, passée globalement inaperçue dans mes cercles d'amis. J'avais accueilli un cube de plastique violet pour piloter un X-Wing et affronter Ganon dans un jeu Zelda qui n'existerait finalement jamais et j'allais sans le savoir, prendre une des plus grosses gifles vidéoludiques de ma vie.


Véritable tour de force visuel pour l'époque, le remake de Resident Evil, dont le petit nom officieux est rapidement devenu REbirth, a fait couler des hectolitres d'encre et de salive sur sa simple plastique. La génération précédente avait permis la démocratisation du jeu tridimensionnel, avec ses modèles 3D mal dégrossis, la suivante allait amorcer une course effrénée vers le photo-réalisme. REbirth s'est inscrit dans l'histoire du jeu vidéo comme le marqueur d'une époque. Avec six années d'intervalle seulement entre la publication de la version 32 bits puis sa petite sœur 128-bits, le bon technologique réalisé était absolument vertigineux.
Alors on pourrait arguer que la version Gamecube reprend l'astucieuse 3D pré-calculées, mais cela n'enlève en rien le mérite des artistes et techniciens du projet. Les aplats de texture 2D, tout en trompe l’œil, étaient à eux seuls de véritables œuvres d'art, donnant des impressions de détails fourmillants et de relief, largement mis en valeurs par des jeux d'ombres parfaitement maîtrisés. Le mémorable manoir Spencer met un pied dans les années 2000 d'une bien belle façon, marquant également cette nouvelle décennie par ses murs séculaires, chargés de poussière et d'histoires tragiques. Rien ne saurait étancher sa soif de sang.
Tout ce qui y court, titube, rampe ou aboie a également bénéficié d'un soin tout particulier. Ce qui n'était qu'amas de pixels mal dégrossis au cours de la génération précédente se réincarne en créatures effroyables. Loin de l'abstraction du low poly, les carcasses dégueulasses saignent, suppurent et se meuvent comme jamais elles n'ont pu le faire jusqu'à ce jour. Le malaise est permanent, le dégoût devant cet étalage de chair décomposée vient chatouiller les estomacs des plus sensibles et les frissons s'amusent à parcourir les échines au moindre sursaut, la moindre étreinte, évitée ou non. Les deux jeunes bidasses n'ont jamais paru plus vulnérable. Jill et Chris sont alors bien loin des archétypes, parfois grotesques, qu'ils deviendront au fil des itérations. D'un pas lent et mal assuré, ils sont des héros ordinaires en perdition, parfaits réceptacles pour un joueur finalement tout aussi démuni et terrifié.


Il se dit qu'initialement les personnages joueurs devaient être aux prises avec une galerie de fantômes japonnais traditionnels, dans un remake de Sweet Home. C'était sans compter sur l'infusion lente du cinéma de l'oncle Sam dans la culture japonaise. En tête des équipes, deux noms célèbres et emblématiques de la future avant-garde de Capcom : Shinji Mikami est en charge de la direction du projet, alors qu'Hideki Kamiya officie en tant que game designer. Les deux bonhommes usent les sièges des salles de projection, se gavant de films d'horreur et de séries B d'action américaines. Si les appétences de l'un, plutôt porté sur l'épouvante et l'autre, davantage orienté vers les actionners les distinguent, cet opus séminal imprimera surtout les préférences du premier. Qu'à cela ne tienne, Kamiya se verra offrir sa chance 2 ans plus tard.
Resident Evil sera un conglomérat d'influences, une ode au cinéma de genre. La paternité la plus évidente est bien évidemment celle de l'oeuvre de Georges Romero et sa trilogie The Night of the Living Dead (et son remake de 1990), Dawn of the Dead et Day of the Dead. Le jeu en reprendra l'antagoniste principal, alors au sommet de sa gloire : le mort-vivant. Du premier film on retiendra principalement l'ambiance glauque de la maisonnée, la tension explosive induite par les assauts incessants et un goût prononcé pour le hors champ et les plans fixes. Une partition excessivement proche d'un de ses contemporains : Assault on Preccint 13 de John Carpenter. Tous deux font preuve d'une grande intelligence en matière d'économie de moyens, tout en tirant parti de ces astuces pour produire des métrages redoutables, la matrice de l'objet ludique sera la même. Du troisième on viendra extraire les complexes scientifiques cachés, lieux d'expériences macabres et défendues, où rien ne se passe jamais comme prévu.
Et sur ce socle solide seront ajoutés une pile d'emprunts et de clins d’œil, parfois à la limite du pastiche. Du John Carpenter, encore lui, quand il est question d'aborder la problématique du rapport au corps et ses transformations, le re-travail des modèles 3D renvoyant aux maquillages, prothèses ou animatroniques de Prince of Darkness et The Thing, sans oublier non plus les travaux de David Cronenberg et Sam Raimi, souvent à cheval sur le même créneau. Mikami tirera des courants expressionnistes et de tout le cinéma d'exploitation, voire de série Z, un mortier pour lier ces belles briques, s'autorisant même une incursion nanardesque dans Jaws et des clins d’œil farceurs au grand Alfred. Qu'importe les facéties des développeurs et le manque d'implication manifeste des comédiens de doublage américains, le patchwork ne parvient jamais à se disloquer tant les coutures ont été réalisées de main de maître. Le cinéphile averti se fait un festin de chair avariée, le néophyte se voit offrir un formidable golden ticket vers de merveilleuses fontaines d'hémoglobine.


Mais attribuer l'adoption de la proposition de gameplay de Resident Evil au septième art serait aujourd'hui une erreur. Il est un tabou que l'industrie a longtemps dissimulé : [la prise d'inspiration, pour ne pas hurler pompage, du côté de Frédéric Raynal et son lovecraftien Alone in The Dark. Initialement envisagé comme un jeu d'horreur en vue subjective, dont il ne reste aujourd'hui que les emblématiques séquences d'ouverture de portes, difficile de nier le changement de cap et une parenté pour le moins flagrante.
Ce lieu commun ayant été évacué, revenons à nous moutons putréfiés. Dans une parfaite fidélité avec le matériau d'origine et d'évidentes contraintes techniques, déjà abordées précédemment, REbirth n'entend pas particulièrement bouleverser la donne, adoptant une démarche conservatrice, à l'exact opposé du remake de Resident Evil 2. La version Gamecube apportera quelques légères modifications de gameplay, comme notamment l'abandon de la maniabilité tank originale, aussi contre-intuitive, parfois mortelle, mais cohérente avec les changements de plans. Un apport du remake finalement assez discutable, car sacrifiée sur l'autel de l'accessibilité, on en vient presque à la regretter quand notre cerveau, plongé dans une confusion musculaire nous joue des tours. Le reste des changements, finalement des améliorations globales de l'expérience, sont accueillis à bras ouvert, insufflant un soupçon de modernité à ce jeune dinosaure.
Au-delà de sa plastique, le cœur du jeu demeure aujourd'hui encore une petite gemme de game design, proprement inaltérable. Sa plus grande réussite ? Sans doute son level design, que le joueur va rapidement s'approprier, grâce au backtracking et une identité visuelle forte que renforce l'utilisation des plans fixes. Sans même ajouter un catalyseur de stress comme le Némesis ou le Tyran, le jeu incite progressivement le joueur sous pression à utiliser son environnement, à contourner les packs de zombies, les zones à risque, à me sure que se dévoilent raccourcis et chemins de traverse.
Cette exploration, sans cesse récompensée par de nouvelles trouvailles, de nouvelles ambiances et une poignée de sacro-saintes munitions, dont le rationnement est source de bien des angoisses, constitue le cœur du jeu. Le joueur arpente les couloirs du maniac mansion, enchaînant les plans fixes. Il n'est pas seulement acteur, il devient aussi le monteur de sa propre aventure. C'est d’ailleurs là que s'exprime le talent de Kamiya et toute l'incorporation des ficelles de l'horreur, laissant la part belle aux hors champs et à l'expressionnisme façon Murnau et Lang, tout en jeu de reflets, ombres et lumière. Ce qui se cache à l'angle du mur ou derrière cette porte ne nous veut sans doute pas que du bien. La composition de chaque plan est irréprochable et le sound design est diapason : la tension croît, rendant l'aventure viscérale, la survie redevient l'impératif roi.
C'est dans le mode de difficulté ultime que le génie du level design et du placement des objets et des ennemis, résultant sans doute d'intenses playtests, révèle son incroyable qualité, tant le pacing de nos mésaventures semble parfait. Sans cesse basculant du stress intense et la fuite tambour battant aux retrouvailles inespérées avec le hub central ou l'ambiance sonore d'une safe room dans laquelle on s'enferme in extremis, le rythme du jeu vient constituer un véritable momentum, un souvenir commun auquel l'on repense toujours avec émotion.
Et c'est quand le joueur victorieux pense avoir tout vu et s'être approprié les lieux qu'arrivent d'abord les Crimson, puis les Hunters, lui rappelant de facto sa position sur la chaîne alimentaire.


Il y a effectivement des souvenirs de joueurs qui demeurent indélébiles. Resident Evil version Gamecube en fait partie, dans son intégralité. Véritable pierre angulaire de ma culture vidéo-ludique, ce mini-disque a été un électrochoc que je peine aujourd'hui à retrouver. Alors en essayant d'oublier les errements modernes de la série qu'il a inspirée, j'espère un jour renouer avec le frisson dans ce qu'il a de plus pur.
En attendant je replonge de temps à autres et avec un plaisir non contenu dans le portage PC.


De l'horreur sur Playstation je ne retenais que Silent Hill.
De l'horreur tout court, je pourrais ne retenir que Resident Evil.

YvesSignal
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le 31 janv. 2019

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Yves_Signal

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