RimWorld
8.2
RimWorld

Jeu de Ludeon Studios (2018PC)

Ce titre est un peu tarte à la crème, et sonne un peu élitiste.


"Ouais Rimworld c'est vraiment pas mal, m'enfin il pompe tout sur Dwarf Fortress qui est quand même bien mieux faut bien l'dire, malgré sa gerbe de pixels et son ergonomie pensée pour créer des migraines chez le joueur, d'ailleurs c'est surtout parce que Dwarf Fortress est difficile d'accès que je l'aime m'voyez".


Y'a un peu de ça, mais j'ai aimé Rimworld. Je l'ai aimé justement pour sa plus grande accessibilité, d'ailleurs je ne pense pas que les deux jeux s'excluent, ce sont deux bons jeux qui partagent beaucoup en commun mais qui ont aussi de grandes divergences.


La plus grande différence avec Dwarf Fortress est la question de l'échelle. Vos cités de nains peuvent largement faire péter les 150 individus alors qu'ici quand on dispose de 7-8 colons, c'est déjà bien peuplé. Pareil pour la question du temps : dix ans passeront assez vite dans Dwarf Fortress alors que tenir deux ou trois ans dans Rimworld, c'est déjà avoir passé un peu de temps dans le jeu.


Donc déjà avec ces différences d'échelle, ça change pas mal de choses. Et Rimworld se démerde bien, il y a un gros contenu, une ambiance plutôt réussie, du fun.


Bref, c'est pas en tant que déclinaison western SF de Dwarf Fortress que je le situe en dessous de ce dernier. C'est en tant que générateur d'histoires.


La génération d'histoires est le gros point commun à ces deux jeux, c'est ça qui les rapproche le plus. Rimworld va parfois plus loin que son aîné d'ailleurs, sur la notion d'événement par exemple. Mais il y a quelque chose, et c'est sans doute là que je tombe dans l'élitisme prétentieux, il y a quelque chose qui magnifie Dwarf Fortress et qui amoindri Rimworld : les graphismes.


C'est paradoxal, car ils sont bien plus détaillés dans Rimworld. Il ne s'agit pas pour moi de défendre une espèce de position de pseudo-puriste qui jouit de la laideur graphique. J'ai toujours joué à DF avec des packs de textures qui "limitent" un peu la casse. Non, la question n'est pas là, la question est celle de l'imagination.


Dwarf Fortress ne se repose pas sur des événements aléatoires (il y en a) pour créer une histoire, non : le jeu joue sur la juxtaposition chaotique (conséquences des choix du joueur, d'événements divers, de circonstances) de faits pour créer une histoire. Mais rien ne viendra lier ces faits entre eux. C'est le joueur qui le fera, ou non. A lui d'éplucher ou non les biographies dynamiques de ses nains pour y voir toutes les interactions qu'ils ont connu, à lui de déchiffrer suffisamment ou non (question de goût) les événements de sa forteresse pour y trouver des coïncidences marrantes, des "ironies du sort" qui sont ironies seulement parce qu'un regard humain aura réinterprété des faits fondamentalement absurdes, ou isolés. Le monde de Dwarf Fortress ne produit pas d'ironie, c'est un pur produit du joueur, comme le tragique, l'épique ou le comique. Le jeu autorise, favorise, mais ne crée que très peu.


L'imagination du joueur est le principal moteur du jeu. Il décode voire invente (voyant de l'ironie ou du tragique là où il n'y a que du chaos par exemple) jusqu'au monde qu'il perçoit. Avec un pack de textures, les arbres sont des ronds, on reconnaît l'eau -bleue- l'herbe -verte- la caillasse -grise- mais le minimalisme est tel qu'il impose la reconstruction mentale du monde, sa ré-interprétation. Car ce minimalisme visuel s'accompagne d'une grande profondeur narrative, un "effet de réel" qui pousse à voir ce tas de pixels comme un monde vivant, et on part de perceptions presque purement symboliques (ce signe = arbre, cette couleur = eau, ce chiffre = puissance du courant de l'eau, ce clignotement = juxtaposition, etc), très distanciées, qui nécessitent un certain apprentissage ou au moins une familiarisation. Le jeu ne permet l'immersion instinctive.


C'est seulement après que le joueur injecte la sémantique, qu'il imagine les arbres, les prairies, les rivières violentes, la vie, les monstres. De la même façon, les textes qui décrivent les combats sont à l'inverse trop sémantiques, pures descriptions que le joueur ajuste et confronte aux autres éléments du jeu. Les divers textes (assemblages de blocs de textes) sont de la sémantique à intégrer dans le monde du jeu, c'est assez étonnant, car ce sens émane logiquement du jeu, mais il y a un vrai contraste entre ces phrases, très réelles, et la bouillie graphiques qu'elles décrivent. Ce machin qui clignote est un combat, voici le texte du combat, ok je comprends, je ne vois plus le machin qui clignote, ni seulement le texte, mais autre chose.


Quelque part, et c'est quelque chose que j'ai ressenti après avoir passé un peu de temps dans Dwarf Fortress, le minimalisme, l'austérité voire l'illisibilité du jeu devient non pas un frein mais un levier pour décupler le travail de l'imagination. Et c'est ce levier qui rend le monde crédible, qui rend facile la création de sens, d'effets de réel. Sans pack de textures, tout devient symbole, littéralement, et le levier est alors maximal. Mais le travail d'apprentissage est encore plus long, il faut s'y faire, pour ma part, je n'en ai pas eu l'envie.


Pour revenir à Rimworld, son souci de rendre plus lisible l'action affaibli grandement le levier. Le monde est beaucoup moins décodé, un mur est un mur parce qu'il ressemble à un mur, il y a bien plus d'adéquation entre la représentation graphique d'un élément et ce qu'il est sensé signifier. Il y a alors moins de place pour l'imagination, tout simplement parce qu'elle n'est pas forcée de se manifester. C'est tout bête quelque part. Dans Dwarf Fortress, on se met pas à tout imaginer par pur plaisir mais parce qu'on a pas le choix, le cerveau doit bien chercher à piger ce qu'il a sous les yeux, il faut fournir un effort, c'est même chiant dans une certaine mesure, et c'est par surprise que le jeu chope le joueur, qui ne s'attend pas du tout à la puissance de l'effet. Le joueur ne fait qu'essayer de se rendre la vie plus facile.


Dans Rimworld, il y a moins à déchiffrer, moins à décoder, l'imagination est nourrie de façon assez classique finalement, donc elle est plus paresseuse. Il reste bien les événements, les injections de narration (le jeu pige quand tout va trop bien, on sent une mécanique qui vient secouer la partie) et tout ça fonctionne plutôt bien. Même très bien. Rimworld est un très bon jeu, auquel je rejoue de temps en temps avec plaisir, mais il laisse trop apparaître ses mécaniques, il n'a pas le côté vivant de Dwarf Fortress, il ne peut pas l'avoir.


PS : j'adore les beaux jeux, je ne milite pas pour des jeux 100% hideux.

EverettMcGill
7
Écrit par

Créée

le 30 mai 2018

Critique lue 776 fois

Everett McGill

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