Cela ne vous a pas échappé si vous suivez un peu l'actualité vidéo-ludique, Lucasarts a fermé. Oui, Lucasarts, anciennement Lucasfilm games, le studio culte fondé par Georges Lucas au début des années 80. Même si le studio n'avait plus fait grand chose de valable ces 10 dernières années, il a quand même été un cocon formateur et libérateur pour certains game designers qui eux, heureusement, sont encore en activité. Ron Gilbert est de ceux là.
Artisan du ô combien vénéré Monkey Island et du système SCUMM, cela faisait un moment que ce bonhomme jovial à l'humour grinçant n'avais pas fait parler de lui. Certes, il y a bien son blog BD, Grumpy Gamer, ainsi qu'une tentative de retour raté avec le décevant DeathSpank, jeu d'action parodique assez peu convaincant au final. Mais avec "The Cave", Ron Gilbert est de retour avec ce qu'il sait faire de mieux, un jeu d'aventure loufoque à l'écriture irrésistible.
The Cave, c'est une grotte dotée de la parole. Elle offre à ceux qui la visitent la possibilité de réaliser leur plus beau rêve, leurs ambitions les plus démesurées, quitte à en payer le prix. Véritable protagoniste du jeu, cette grotte s'avérera particulièrement bavarde et caustique, les personnages jouables étant pour leur part presque muets. Ils seront 3 ,parmi 7, à tenter leur chance dans ce dédale improbable. Ils devront progresser à travers des zones en réalisant des objectifs ponctuels, généralement pour aider une gallerie de PNJ pittoresques, également perdus dans ce labyrinthe. Chacun personnage a une aptitude particulière (le chevalier peut devenir invincible, la voyageuse dans le temps traverse les murs, etc...) et une partie de la grotte leur sera spécifiquement dédiée. Corollaire direct de cet état de fait, il faut donc terminer le jeu trois fois pour en voir la totalité, ce qui lui assure une durée de vie respectable d'environ 10 heures.
Dans la forme, The Cave est un jeu d'aventure grimé en jeu de plate-forme. Lors d'une interview par Erwan Cario diffusée dans l'excellent podcast "Silence on joue", Ron Gilbert a précisé que ce choix avait pour but de divertir le joueur quand il était bloqué : plutôt que de circuler entre des écrans fixes comme dans un point and click classique, il peut courir et sauter de plate-forme en plate-forme pour éviter la lassitude. Et cela fonctionne : les laborieux allez-retours des jeux d'aventures se transforment ici en promenade sympathique. Mais ne vous y trompez pas : ce ne sera pas de skill dont vous aurez besoin pour vous sortir d'affaire dans The Cave, mais de matière grise bien entrainée pour venir à bout d'énigmes toutes plus tordues les unes que les autres. Et c'est une réussite : le jeu, loin d'être facile, provoque chez celui qui s'y adonne le délicieux frisson du "aha !" lorsque son cerveau, trituré dans tous les sens depuis quelques heures, trouve enfin une utilisation logique à ce fémur qu'il a trouvé dans un recoin sombre à coté d'un clown mort et dont il ne savait que faire. Devant la facilité et à l'accessibilité des jeux actuels, c'est une exercice mental que l'on croyait oublié, et dans lequel on replonge avec délice.
Bien sur, la formule classique du point and click a été modernisée. Dans sa conception déjà, puisqu'il n'y a plus d'inventaire et que le spectre d'action à réaliser est limité (en gros, il n'y a qu'une seule action possible : "utiliser"). Dans sa réalisation ensuite, car The Cave est très joli : tout en 3D, il propose des animations soignées et de très beaux décors, variés à souhait (la grotte est plus grande qu'on ne le pense au premier abord...), le tout doté d'une direction artistique du meilleur gout. Evidemment, inutile de préciser que les dialogues, ou plutôt les monologues vu que les avatars du joueur ne parlent pas, font preuve d'une finesse et d'un humour "Gilbertien" incomparables et reconnaissables entre mille.
Au final, c'est un bien agréable moment que l'on passe à parcourir cette grotte, et les vieux briscards comme moi ne peuvent que se réjouir de ce come-back réussi de Ron Gilbert. On espere donc qu'il continuera dans cette voie, même si il a récemment annoncé avoir quitté Double Fine et son pote Tim Schafer... Pour mieux nous surprendre peut être ?