Nous vivons les dernières heures d'une époque formidable dans le monde des jeux vidéo, mais nous vivons une époque formidable quand même. Les expériences n'ont jamais été aussi variés et les prouesses techniques n'ont jamais été aussi grandes. Si certains d'entre nous pesteront envers la qualité globale des jeux, la disparition de certains genres et sur le modèle économique de l'industrie, nous sommes forcés de constater que, malgré les effets de mode, nous pouvons autant jouer à des jeux tirs au ressenti cinématographique qu'à des jeux de rôle japonais en cell-shading. Il y a à boire et à manger pour tout le monde et, de temps en temps, chacun peut sortir de sa zone de confort et essayer un titre un peu particulier.


Moi, j'ai essayé The Lion's Song – Episode 1 : Silence du studio Mi' Pu' Mi Games. Un jeu gratuit qui m'a pris trois quarts d'heure de ma vie. J'y ai joué. Il ne m'a fait ni chaud, ni froid.


Puis, je me suis souvenu pourquoi je n'aime pas spécialement les jeux narratifs, les choix de dialogues, les points&click et les visual novels.


Du coup, j'hésite à faire un procès d'intention à l'encontre du titre sachant très bien à l'avance sa proposition et sachant très bien que je n'aime pas ce genre de proposition. Je pense que l'exercice critique ici sera moins de critiquer le jeu que d'essayer de comprendre mon aversion pour ce genre pourtant apprécier dans le milieu du jeu vidéo.


Inutile de débarquer avec vos commentaires déplaisants et vos « j'aime pas. » Ma note et ma critique ne blesseront personne.


The Lion's Song est un « narrative game adventure » dont l'histoire prend place en Autriche au début du 20ème siècle. On y incarne dans le premier épisode Wilma, une compositrice talentueuse, qui exilée dans les Alpes devra composer et terminer son œuvre pour une prochaine représentation. Nos choix auront des conséquences sur l'intrigue des prochains épisodes où on y incarnera d'autres personnages.


Évacuons tout de suite les points positifs, c'est beau, c'est original, c'est gratuit et en français pardi.


Le jeu est réalisé dans une sorte de pixel art, avec uniquement quatre couleurs, pour nous offrir des tableaux avec une teinte sépia. Le visuel du jeu allie l'ambiance du début du vingtième avec la colorimétrie des photos de l'époque et le pixel-art propre à notre médium.


Les thèmes abordés changent radicalement de ce qu'on peut trouver dans la production mainstream du jeu vidéo. Le choix d'époque et de pays est original. L'histoire de ce premier épisode parle autant du syndrome de la page blanche, que de l'inspiration artistique, les désirs et la relation tumultueuse entre un professeur et son élève. On y parle sans métaphore, sans fioriture, sans ornement et cette sobriété fait plaisir. Une belle preuve (s'il en fallait encore une) que le jeu vidéo peut porter plusieurs discours et thèmes, parler du quotidien et du réel, pas assouvir constamment nos fantasmes de grandeur, de frayeur ou de violence.


Bon, ça, c'est les points positifs. Place au retournement subtil de veste.


Je pense que le titre possède deux problèmes majeurs de natures distinctes mais d'égales importances. Sa proposition ludique et narrative et son exécution.


La proposition de The Lion's Song est de présenter une histoire – un texte – et de laisser aux joueurs le soin de choisir lors de certains dialogues ou à certains moments de l'intrigue ce que le protagoniste de l'histoire dira ou fera. Deux questions surviennent dans ma petite tête dans ces moments. « Qu'est-ce que je dois répondre/faire ? » et « Quelles seront les conséquences de mes choix et est-ce que j'arriverais à les percevoir ? »


Ces questions ne sont pas innocentes ! Pour la première, est-ce que je réponds comme je pense que ce le protagoniste pourrait répondre ou est-ce que je réponds uniquement selon ce que j'aurais envie de répondre au personnage qui me parle ? Ce serait nettement moins ambigu si Wilma était une coquille vide, mais comme elle sort quelques lignes de dialogue avant que le joueur parle, il y a un effet de halo (ou de contamination) et la moyenne des joueurs écrivent – je pense – selon l'idée qu'ils se font de Wilma. Son physique, son background, la façon dont elle s'exprime, ces éléments ne sont pas neutres. En témoignent les statistiques de fin de partie où on voit que la majorité des joueurs ont choisi certaines alternatives plutôt que d'autres. Psychologiquement, c'est très intéressant. Narrativement, je ne sais pas. Je me retrouve dans la place d'un scénariste à écrire les nuances d'un personnage. Je ne joue pas de rôle, « j'interprète » un personnage que j'ai entrevu et parfois je l'oriente vers une direction, non pas parce que c'est l'idée que je me fais de sa personnalité, mais parce que j'ai envie qu'il connaisse une fin heureuse. Ce compromis ne m'intéresse pas. En tant que joueur, je ne peux pas m'exprimer pleinement avec les outils qu'on me propose, face à un personnage à moitié écrit. Je suis constamment partagé entre les casquettes de scénariste, d'acteur et de spectateur. En tant que personne découvrant une œuvre, je suis face à une création où les auteurs n'ont pas assumé leur rôle jusqu'au bout.


Pour la seconde question. Elle est tellement tellement complexe qu'elle mériterait un livre et une vingtaine de débats pour elle toute seule. Je suis bien conscient que les conséquences des choix dans le premier épisode auront des impacts sur les épisodes suivants, mais la plupart du temps les choix aboutissent à une expérience et une conclusion similaire. Nous interagissons avec notre personnage, mais cette interaction n'a que très peu d'impact sur le monde de celui-ci. Les premiers dialogues démontrent bien ce constat. Qu'importe les choix de dialogue que vous ferez la réaction de votre interlocuteur sera plus ou moins la même, vous ne pouviez pas dévier du chemin prédéfini et l'expérience ne sera pas sensiblement différentes. On me rétorquera de façon bien pédante : « Un jeu vidéo n'est qu'une somme de choix illusoires, la conclusion est bien souvent la même : la fin du jeu. » Disons, oui, Pokémon par exemple, le choix de votre pokémon de départ ne va pas changer la fin du jeu. Il va tout de même changer en grande partie votre expérience de départ sur le court terme voire à moyen terme. Ce choix s'inscrit dans la durée. Dans un jeu narratif, un choix de dialogue n'offre qu'un dialogue et une ou deux petites répercussions quelques dialogues plus tard. Il ne change pas la tonalité du jeu ou son expérience. J'aurais presque envie de dire que dans les jeux d'action ou de stratégie classique, le joueur vit constamment ses choix et les conséquences qui en découlent, il ne les fait pas çà et là pour attendre quelques minutes plus tard des conséquences sporadiques.


Certains choix me semblent aussi étranges dans The Lion's Song. Comme au moment où le personnage s'adresse à son moi intérieur dans un rêve pour lui révéler son désir le plus profond. (Enfin ce que le joueur pense être son désir le plus profond, mais on va arrêter de s'étendre.) Comment une telle déclaration d'apparence anodine pourraient avoir des conséquences sur la suite de l'intrigue ? Aurais-je marqué ce personnage durablement en attribuant une étiquette à ses désirs, alors que ce choix n'avait aucun pouvoir causale sur son environnement physique et social ? Je le répète : psychologiquement, c'est intéressant. Narrativement et ludiquement, c'est bancal.


Le second problème majeur (oui, je n'ai pas fini d'écrire, restez là avant de m'insulter en commentaires) est l'exécution du titre. Je veux critiquer la façon dont les développeurs ont produit leur titre moins que les intentions de départ. D'abord, techniquement, les animations font peine à voir. Lors de ma partie, les premières impressions furent mauvaises. Typiquement, la scène de dialogue où deux personnages échangent dans leur bureau. Ils ne sont pas entièrement statiques, mais l'animation peinent à retranscrire la tonalité de la conversation et la psychologie des personnages. En l'état, il aurait mieux valu ne rien animer ou travailler cet aspect un peu plus. Ensuite, scénaristiquement, le titre à quelques faiblesses au niveau de l'écriture. La prose est belle, elle fait le travail. Quoi de plus normal pour un jeu sur le syndrome de la page blanche et l'inspiration artistique. Le souci est le manque de rebondissement et de révélation, et le manque d'importance de ces révélations. Une personne appellera Wilma alors qu'elle est dans sa cabane ? Aucune importance, le joueur peut ignorer cet événement. Une lettre révélera que son professeur avait une amante ? Elle s'en fiche. Peu d’événements perturbateurs (la tempête n'est pas un danger, Wilma composera son œuvre), peu de changements psychologiques, des introspections qui n'aboutissent à rien, peu d'évolution dans les relations entre les personnages. On peut aussi parler du final précipité : le joueur aidera Wilma à composer son œuvre dans sa petite cabane et la quittera quand elle aura fini pour assister en tant que simple spectateur à son spectacle. Les sous-intrigues ouvertes (l'appel téléphonique, la lettre retrouvée) n'auront pas de conclusions dans cet épisode. C'est bien dommage pour des sous-intrigues.


Bref, je n'aime pas les jeux narratifs à choix, mais c'est toujours un plaisir d'en parler. Jouez à The Lion's Song si vous aimez le genre, fuyez si vous ne l'appréciez pas. C'est aussi simple que ça.


P.S. : J'en ai plus qu'assez d'avoir les statistiques des choix faits par les joueurs en fin de partie. D'une part, parce que je m'en fous de ce qu'ont bien pu dire les autres, quitte à le savoir autant en parler en vrai ou sur un forum. D'autre part, j'ai l'impression d'avoir les résultats d'un test psychologique à grande échelle. Enfin, quitte à proposer une histoire interactive autant ne pas nous montrer les grosses ficelles après l'avoir finie pour préserver le peu d'illusion qu'il nous reste.

H_Zinzolin
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le 3 avr. 2018

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H_Zinzolin

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