Unrest
6.2
Unrest

Jeu de Pyrodactyl et Kiss Ltd. (2014PC)

Unrest est un jeu surprenant à plus d'un titre.


Son cadre, tout d'abord, dépayse le joueur en le transportant dans une Inde ancienne mâtinée de quelques gouttes de fantasy. L'intrigue se déroule à Bhimra, un royaume séculaire réduit désormais à sa capitale, une tripotée de jarrevilles* et quelques arpents de terre desséchée à l'entour, le tout crispé dans l'attente d'une hypothétique mousson. Heureusement (encore que cela ne fasse pas l'unanimité), il y a pour voisinage le puissant empire naga, aux ressources abondantes mais à l'artisanat poussif. Tout n'irait donc pas si mal... si les Nagas n'étaient pas d'imposants hommes-serpents, méprisés et craints par la majorité des humains et si les émigrés de cet empire n'étaient pas vus par la populace des bas-quartiers comme la source de tous les maux, sécheresse et chômage en tête.


Aux niveaux graphique et musical, Unrest est un peu brut: son côté indépendant se ressent notamment dans l'animation des personnages.


Sa narration met successivement le joueur aux commandes de cinq personnages distincts (six si l'on veut être exhaustif, mais le dernier est en fait un artifice narratif permettant d'exposer l'épilogue). Tour à tour princesse, diplomate naga, jeune paysanne promise en mariage à un homme qu'elle méprise, prêtre nouvellement admis dans un temple aux motivations discutables, capitaine mercenaire responsable de la défense de la cité, le joueur bénéficie ainsi de points de vue multiples et approfondis (à cette égard, les motivations des antagonistes sont toujours intéressantes) sur les troubles qui frappent Bhimra et ses environs et peut apercevoir des conséquences parfois inattendues de certaines actions posées dans une incarnation différente. Le personnage d'Asha, que l'on suit durant trois chapitres (un seul chapitre étant dédié aux autres), permet au récit de ne pas trop se disperser malgré les changements successifs de protagoniste.


Le gameplay nous place d'emblée dans un de ces rpgs sans combat ni statistiques. A l'exception d'une échauffourée qui ne demande ni habileté ni stratégie particulièrement poussée, tout se règle en effet par les dialogues, dialogues dont les répliques sont assorties d'une indication quant au ton utilisé par le personnage. Préférera-t-on bousculer son interlocuteur, se montrer cordial ou jouer les naïfs, montrer son hésitation ou afficher sa conviction? Autant de choix possibles au détour d'une conversation. C'est dire qu'il y a pas mal à lire dans Unrest, par opposition aux rpgs contemporains où les dialogues ont maigri depuis qu'ils sont intégralement doublés!


Nous ne sommes par ailleurs jamais directement témoins des troubles civiles qui agitent la cité, ceux-ci se déroulant invariablement entre deux scènes. Le mangeur de pop-corn impénitent que je suis ne peut que regretter qu'ils nous soient résumés dans des intertitres en lieu et place de cinématiques. Peut-être s'agit-il autant d'un choix artistique que d'un manque de moyen... mais j'en doute.


Dans sa démarche, enfin, Unrest étonne. Le rpg est très souvent un jeu dans lequel l'univers tourne autour du joueur. L'obscurité de celui-ci est presque toujours factice: héros prophétique, guerrier ultime, demi-dieu en goguette ou chouchou du destin, il est le levier qui soulève le monde, qu'attendent patiemment les factions pour faire progresser leur cause, les catastrophes pour être résolues, les démons pour être terrassés. Rien de tout cela ici. Les différents rôles incarnés sont autant de rouages qui, humbles ou nobles, faibles ou puissants, doivent tourner avec le reste de l'engrenage. L'on peut résister ou suivre le mouvement, mais d'autres rouages nous suppléeront... tout au plus peut-on accélérer ou freiner un peu le mouvement de l'ensemble. Cette idée se retrouve dans les propos de nombreux PNJs, et est tout particulièrement sensible au moment de l'épilogue (abrupt) du jeu: d'une part, on ne peut pas parler véritablement de fin au sens d'accomplissement auquel le jeu vidéo nous a accoutumé, d'autre part, on ne nous offre pas de choix à la Fable qui, arrivé au 85% du jeu, nous permet d'orienter brusquement, sans ambiguïté aucune, les événements dans un sens ou dans un autre.


Cependant, cet épilogue nous permet d'avoir un aperçu de ce que seront les prochains mois pour Bhimra. Quelle est là-dedans la part de nos réalisation? C'est difficile à dire. De l'aveu de Naota, l'un des scripteurs du jeu, il y a de nombreuses variables qui interviennent et beaucoup d'actions en apparence bénignes ont une incidence sur la suite des événements. Mais ce poids n'est généralement pas explicite et, partant, ses conséquences sont difficilement anticipables.


En résumé, Unrest, quoique un peu juste dans son apparence graphique, bénéficie d'un cadre original, d'une narration et d'une écriture intelligentes qui frustreront probablement nombre de joueurs en les prenant à rebrousse-poil. Loin d'être les héros sur les épaules desquels repose le monde, ils feront l'expérience intéressante, mais peu agréable, de l'insignifiance face à la marche de l'Histoire. Quel que soit leur rang, la pureté de leurs intentions ou leurs efforts, ils ne pourront pas vraiment faire la différence, ou la feront de manière si peu perceptible ou obscure qu'ils se sentiront, peut-être avec amertume, un grain de sable dans la tempête ou, avec un peu de chance, une goutte d'eau dans la mousson.




*Le bidon reste à inventer, mais l'idée est là.

NotQuiteDead
7
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le 21 sept. 2015

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