« Déjà ?! »

Un mot, le témoignage d’une réaction rare déclenchée par la vue des crédits défilant sur mon écran après deux petites heures de jeu. Il faut dire que je suis habitué à ces jeux à rallonge, monstres chronophages au contenu gargantuesque qui finissent par me noyer sous les quêtes, les collectibles et leurs ennuyants artifices. Face aux superproductions qui se livrent à cette logique accumulative, souvent jusqu’au dégoût, A Case of Distrust m’apparaît comme une anomalie. Et il m’interroge. Qu’est ce qu’un jeu peut raconter en deux heures et qu’ai-je à dire sur une expérience de deux heures ? Armé de mes notes et d’un thermos de café, il ne m’en fallait pas plus pour me lancer dans la résolution de cette question. Je devais comprendre.

A Case of Distrust est l’œuvre d’un seul homme, Ben Wander. Deux ans et demi de travail pour faire naître l’histoire de Phyllis Cadence Malone, détective privée du San Francisco des années 1920. On le devine facilement, c’est un jeu d’enquête, empruntant à la fois au jeu narratif, quasi-textuel, et au point-and-click pour le peu de gameplay qu’il a à offrir. Pour l’enrobage, le créateur s’est inspiré du cinéma et de ses films noirs. Un mariage sans prise de risque mais offrant un solide filet de sécurité à un créateur seul aux manettes.

A peine lancé, le jeu nous montre d’emblée sa plus grande qualité : sa direction artistique. Sur notre écran défile une succession de blocs monolithiques colorés sur lesquels sont projetés les décors et les personnages, tels des ombres sur un écran de cinéma. Le travail sur les transitions entre ces différentes écrans est remarquable et les quelques animations des personnages donnent une touche de vie au jeu. Il faut additionner à ces éléments la musique d’ambiance aux notes de jazz et le sound design soigné, jusque dans la moindre interaction avec les différents menus. Le jeu en tire tout son cachet et une ambiance qui rien que pour elle vaut de le lancer.

Et le lancer, c’est se faire happer. Dès le début du jeu, on perçoit l’expérience du développeur passé par des studios de plus gros calibre. La manière dont il condense la first hour experience dans une scène d’ouverture diablement efficace permet d’accrocher immédiatement à la proposition du moment où l’on est sensible à l’ambiance instiguée. Elle sert aussi de tutoriel pour les quelques mécaniques de jeu. C’est vite expédié, le jeu consistant simplement à relier les bons indices, amassés au fur et à mesure de la progression, au bon personnage au bon moment pour faire avancer l’enquête en cours. Pour collecter les indices, on clique sur les éléments du décor ou on les obtient auprès des différents personnages qui peuplent le jeu. Et c’est tout. C’est peu mais suffisant, surtout que le jeu ne guide que très peu le joueur, avec l’effet pervers que de parfois le laisser bloquer sans autre option que d’essayer des interactions aléatoires. C’est un choix intéressant par le sentiment de liberté et de contrôle qu’il procure mais qui en poussera sûrement plus d’un à l’abandon. Surtout qu’une fois la machine lancée, elle ne tourne plus qu’autour de ça.

En effet, impossible de réussir à tout faire tenir en deux heures de jeu, il fallait donc sacrifier un élément pour alléger la pression. Malheureusement, c’est la narration qui passe au second plan dès la seconde moitié du jeu atteinte. Elle s’efface au profit d’un jeu qui devient une sorte de Cluedo autour duquel tous les dialogues vont désormais tourner. Était-ce la meilleure façon de doser ces différents éléments dans un jeu au gameplay si pauvre ? Le résultat de ce choix condamne le jeu à n’être rien de plus qu’un bon jeu, là où on peut se demander ce qu’il aurait pu accomplir s’il le choix avait été contraire.

D’un autre côté, le scénario n’a de toute façon rien de très passionnant. Il rejoue simplement la partition classique des films noirs, celle du détective privé de seconde zone, engagé pour une banale affaire mais qui se retrouve propulsé dans une enquête nébuleuse qui le dépasse et qui va l’amener à se confronter à d’énigmatiques et dangereux personnages ainsi qu’à son passé. Ça n’est pas mauvais mais convenu, au point de désamorcer tout effet que la fin devait provoquer. C’est difficile de reprocher cet échec tant il semble impossible de construire quoique ce soit en si peu de temps quand toutes les ressources sont distribuées ailleurs.

L’œuvre n’est pas muette pour autant. Elle nous raconte des choses, d’abord sur son personnage principale. Chacune des lignes du jeu est l’occasion de découvrir Phyllis, un personnage attachant, profondément humain, superbement écrit. C’est à travers son regard que l’aventure se vit, ce qui permet à la narration d’avoir un coté personnelle, presque intimiste. La détective partage avec nous ses réflexions, ses souvenirs et ses doutes. Ses yeux nous servent de loupe sur une Amérique des années 20 réinterprétée et le discours critique que l’auteur du jeu y associe. Que ça soit par les propos de chacun des personnages ou à travers les articles de journaux trouvés à l’arrière d’un taxi, le jeu est comme un carte postale expédié il y a un siècle. Il est cependant clair que cette carte a été écrite par l’un de nos contemporains. C’est particulièrement palpable dans le discours sur la condition des femmes de l’époque qui est déployé, tant il semble anachronique à certains moments. Cette univers se livre à nous par une écriture fine et soignée, mais parfois d’une innocente maladresse quand il s’agit des réflexions de la narratrice. Elle permet au jeu de se parcourir avec plaisir, me faisant me demander au passage s’il ne tiendrait pas plus du roman noir que du film noir, tant il reprend les codes du genre littéraire alors qu’aucun élément cinématographique n’est utilisé dans le jeu. Mais encore une fois, avait-il seulement le temps et les moyens d’en faire plus ?

Le jeu brille surtout par l’intelligence qui s’en dégage, une suite de bons choix qui donnent un bon jeu malgré les multiples contraintes qui le poussaient à l’échec. Le jeu n’est pas trop court, il est équilibré comme il le fallait. Le résultat est une œuvre qui ne marquera pas les esprits, mais qui contentera amplement celui qui cherche une aventure sympathique, sans promesse irréalisable faite par un marketing trop gourmand. Au milieu des monstre, A Case of Distrust est une courte parenthèse, modeste et agréable. Un jeu que je ne saurai que recommander tant il laisse peu de place aux regrets.

Au final, il y en avait des choses à dire sur ce jeu. Peut être trop. Et si j’avais fait fausse route depuis le début ? Noyé dans mes notes, le café comme seul carburant et la même bande-son qui tourne en boucle, je commence à douter de moi-même et de ces lignes, de mes affirmations et de mes conclusions. Il faut dire que j’ai peu d’expérience dans le milieu. Et c’est dur de se faire une place au milieu des gros poissons dans la mare. Il n’y a pas de place pour tout le monde, et surtout pas pour les plus mauvais. Merde. Me serais-je trompé sur ce jeu ? Non, impossible, tout concorde, c’est forcément ça !

A moins que...

DMNK-919
7
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le 20 juin 2023

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