Quel dommage que les studios Troïka aient fermé leurs portes ! Chaque jour je pleure dix minutes devant l'autel que je leur ai consacré dans ma chambre. Troïka Games, c'est un studio crée par d'anciens développeurs d'Interplay, et notamment, et surtout, par d'anciens développeurs de Fallout, parmi lesquels le grand Tim Cain. Ceux-ci ont développé trois jeux, et aujourd'hui c'est d'Arcanum dont nous allons parler.

L'originalité principale d'Arcanum vient clairement de son univers, qui se distingue très fortement des autres jeux du genre. Il s'est développé autour d'un fait amusant : se querellant car ne pouvant décider si leur futur jeu prendrait place dans un monde futuriste ou heroic-fantasy, les gars de Troïka décidèrent finalement de créer un monde hybride mélangeant les deux aspects ! En somme, un univers en pleine révolution industrielle, où la magie peu à peu se voit supplantée par les machines, où les armes à feu, encore rudimentaires, remplacent les baguettes magiques, et où les villes industrielles tentaculaires déciment les villages de sorciers... Cette ambiance est soutenue par une musique absolument somptueuse, et principalement composée de lancinantes nappes de violons...

Beaucoup de joueurs, et même à l'époque de sa sortie en 2001, déclarent trouver Arcanum laid. Ne mentons pas : la résolution limitée, les animations des personnages en deux étapes ou presque, les décors très pauvres et souvent sommaires, sont bien éloignés des canons graphiques actuels, et cette 2D rappellent furieusement celle de Fallout, sorti en 1997. Pourtant, cette sobriété graphique ne me dérange absolument pas, elle participe même à l'immersion, car stimule l'imagination du joueur. Je me suis senti bien plus impliqué dans Arcanum et ses dialogues à rallonge que dans Oblivion. Peut-être l'affect entre t-il en compte, n'étant pas un fan des Elder Scrolls. Pour ceux qui n'aiment pas les moches, signalons la présence d'un patch haute-résolution, indispensable aujourd'hui, mâtiné par l'excellente communauté amateur, qui n'en finit pas d'être productive, encore aujourd'hui.

Pourquoi Arcanum est-il resté dans le cœur des joueurs ? Grâce, je pense, à l'immensité de son monde. Jamais je n'ai vu de monde aussi immense, Daggerfall excepté (dont le contenu était souvent aléatoire). La carte est gigantesque, elle s'étale sur des kilomètres. Mais là n'est pas le plus incroyable. Bien souvent les gens s'imaginent qu'un monde grand sera forcément vide. Ici c'est tout l'inverse : ce monde si original est peaufiné dans les moindres détails. Que ça soit au niveau des quêtes secondaires, des dialogues, des donjons, des villes, tout est soigné, détaillé à l'extrême. Je ne comprends pas comment une telle somme de travail a pu être accomplie. Les possibilités qui s'offrent au joueur sont donc proprement incroyables. Petit exemple : à la fin du premier village, vous trouverez trois bandits, devant un pont. Ceux-ci refusent de vous laisser passer. A vous de choisir : payer, les tuer (en déposant une grenade dans leur poche, en les shootant au pistolet...), les convaincre, pourquoi ne pas vous faire passer pour un supérieur de la Guilde des voleurs, courroucé de les voir ici et leur demander de l'argent à votre tour ? Tout est possible ou presque, si les développeurs l'ont imaginé bien sûr, et si cela correspond avec les compétences de votre personnage. Après avoir résolu une situation, bien souvent on ne peut pas s'empêcher de recharger sa partie, pour tenter une autre option, pour tester les rouages de ce système de jeu décidément d'une profondeur ahurissante. Pour une fois : oui, ce jeu mérite bien le titre de ROLE PLAYING GAME. Combien il est passionnant, et prenant, de résoudre toutes ces quêtes, de suivre le destin du héros, de rencontrer ces alliés, de tenter de les convaincre de nous suivre, de gérer sa fiche de personnage, de découvrir l'alternance jour/nuit, ici utilisée à merveille ! Pour une fois on découvre vraiment dans un jeu la liberté, sans artifices. Pour le prouver, rien de tel que de recommencer le jeu avec un personnage tout à fait différent, et constater son évolution tout à fait différente. Attendez-vous donc à rester scotché plusieurs mois devant votre écran.

Ce que je vais aborder maintenant, le système de jeu, va décourager bien des joueurs, même les plus aguerris. Arcanum est foutrement complexe. Il ne pardonne pas. Vous n'avez jamais joué à un RPG occidental ? Grands Dieux, fuyez Arcanum ! Rien que la création de personnage est un calvaire pour les non-aguerris, qui risquent de créer un personnage pas très équilibré... Au programme, donc : plusieurs points à répartir dans diverses catégories (caractéristiques principales, compétences, magie, etc.) Une jauge vous indique si votre personnage se destine plutôt à la magie ou à la technologie. Magie qui vous permettra d'acquérir des sorts au nombre de 80, et technologie pour concevoir tout un tas d'objets ou de potions (si tant est que vous disposiez des éléments nécessaires à leur confection).
Il ne serait pas étonnant d'apprendre que le système de combat soit lui aussi issu d'une querelle entre les développeurs : ici, plutôt que de choisir entre le tour par tour et le temps réel, ils ont incorporé les deux ! Mais le temps réel est proprement injouable, hormis au tout début du jeu, et rien ne vaut, pour prendre le temps de réfléchir, ce bon vieux temps réel, qui s'apparente à celui de Fallout.

Je me rends compte que je n'ai pas parlé du scénario. Peut-être parce que, bien que très efficace, il ne révèle sa grandeur qu'après de nombreuses heures de jeu, et qu'il s'inscrit parfaitement dans cet univers qui à lui seul est une histoire, et se suffit presque à lui-même. Il suffit de s'y plonger pour comprendre.

Côté défauts, signalons simplement une difficulté un peu rebutante, des donjons parfois bien trop longs et répétitifs, un scrolling de l'écran saccadé, une IA des alliés pas très finaude, et des bugs assez gênants parfois, quoique aujourd'hui corrigés pour la plupart d'entre eux.

Dans mon top 3 du genre, clairement, une tuerie.
LeChiendeSinope
9
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le 12 avr. 2010

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LeChiendeSinope

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