Assassin's Creed Shadows est le pire monde ouvert auquel j'ai joué à ce jour. J'ai pourtant déjà vu des jeux avec des mondes vides (Mafia 1-2, LA Noire), d'autres des mondes chiants et répétitifs (Ghost Recon Breakpoint, Just Cause 3, Dying Light 2, Mad Max, etc), et des mondes beaucoup trop énormes (AC Odyssey, Valhalla, Just Cause).
Shadows réussit à souffrir de tout cela à la fois, et y ajouter un autre défaut absolument rédhibitoire : sa carte est horrible à parcourir, avec une topologie abominable qui force à suivre à tout prix les routes et ne jamais s'écarter des sentiers battus.
• Trop gros : avec une superficie jouable d'environ 80 km², le monde est un peu plus vaste que Breath of the Wild ou Red Dead Redemption 2, et deux fois plus vaste que Skyrim. Le système de quête prend un malin plaisir à vous balader sans cesse d'un bout à l'autre de la carte, souvent au sein d'une même quête, si bien qu'une grosse portion du temps de jeu disparait en voyages interminables durant lesquels il ne se passe RIEN, puisqu'aucun évènement notable ne perturbe ces trajets.
• Trop vide : Rien ne perturbe ces trajets, car le monde manque singulièrement de vie. Vous croiserez régulièrement des bandits qui sont incapables de vous arrêter, des NPC en difficulté qu'on s'amuse à sauver une fois pour se rendre compte que c'est toujours exactement la même situation sans enrobage narratif, et il est très rare de découvrir en chemin quelque chose qui mérite de s'arrêter.
• Trop répétitif : Avec ses campements de soldats et de bandits clonés par paquets de 200, ses perchoirs par douzaines et ses 'activités' qui se résument à répéter le même gameplay minimaliste un nombre incalculable de fois, quand on ne vous demande pas simplement de parcourir une zone à la recherche de trucs à ramasser pour gagner un quelconque point de stat, on tourne vite en rond.
• Visuellement redondant : Techniquement, le jeu est impressionnant et offre des panoramas denses avec une distance de vue infinie. C'est franchement joli et le cycle des saisons fait son petit effet, mais entre son parti pris réaliste et son absence de direction artistique, ça manque singulièrement d'âme. En outre, malgré son absurde superficie, toutes les régions se ressemblent, de même que les villes et villages qui semblent tous identiques.
• Trop pénible à traverser : Si la mobilité est correcte dans les villes et les camps, explorer les décors naturels devient vite un calvaire, car les déplacements sont lourds, le cheval bute sur le moindre dénivelé et se bloque dans les chicanes, mais c'est surtout la topologie du terrain qui rend le déplacement insupportable.
Dès que vous quittez les routes et les chemins, le monde est composé de collines assez raides et couvertes de buissons. On ne sait jamais à l'avance si on pourra grimper ou si c'est trop raide, et la surabondance de végétation est telle que vous n'aurez plus que des buissons à l'écran, votre personnage totalement noyé et invisible dans la verdure. La plupart de mes virées champêtres se terminaient en diarrhée de fougères, avec mon personnage qui se coince dans des fourrés et bute contre des pentes 1° trop raides, dans un bordel d'animations syncopées et de sursauts de caméra.
Maintenant, si vous combinez tout ça, on a un monde beaucoup trop grand et vide, donc ça donne envie de prendre des raccourcis et de couper à travers champs et forêts, mais c'est inévitablement pénible. Donc, on finit par renoncer à quitter les routes, et la seule alternative est d'utiliser le pilote automatique du cheval, dont l'existence même est un formidable aveu d'échec.
Cette fonctionnalité vous permet de parcourir les distances délirantes entre chaque étape de quête sans avoir besoin de regarder votre écran pendant les 10 à 20 prochaines minutes, ce qui est à la fois pratique et d'une tristesse alarmante.
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À part ça, c'est de l'Assassin's Creed ordinaire, donc je ne pense pas avoir besoin de tirer davantage sur l'ambulance. C'est une série qui a cessé de me charmer il y a une quinzaine d'années, et qui depuis sa mutation en RPG n'a cessé de se dégrader avec des épisodes de plus en plus boursoufflés et interminables. Shadows a le mérite d'être un peu plus compact, mais hérite de la plupart des défauts de ses prédécesseurs :
■ Une écriture terne et peu inspirée
- Récit d'honneur et de vengeance générique au possible, sans surprise ni aucun sursaut de vie
- Personnages à peine esquissés, qui peinent à exister et dont vous aurez tout oublié dès qu'ils auront quitté l'écran, y compris ses deux protagonistes à l'alchimie quasi inexistante.
- Dialogues qui sonnent presque toujours faux et vous arrosent d'exposition sans aucun sous-texte. Les doublages foireux et des animations faciales d'un autre temps achèvent d'enfoncer le couteau dans la plaie des clous du cercueil.
■ Un gameplay vu et revu
L'exécution est compétente, et le système de combat fonctionne correctement, mais rien n'a changé depuis dix ans et le fait d'avoir découpé le gameplay en deux personnages ajoute plus de friction que de profondeur. Si c'est votre premier AC, il y a de bonnes chances que ça vous amuse. Sinon, c'est du réchauffé.
■ La formule a fait son temps
La formule de l'Ubi-game : un énorme monde ouvert avec des tours à escalader et des camps à nettoyer dans un mélange d'infiltration et de combat a été déclinée par le studio à toutes les sauces : Ghost Recon, Watchdogs, Far Cry, mais aussi par la concurrence, dans des titres comme Ghost of Tsushima ou Horizon Zero Dawn. C'est une formule qui ne me déplaisait pas encore en 2015, quand j'ai adoré et poncé chaque recoin de The Witcher 3, mais il est vraiment temps de passer à autre chose.
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Liberté illusoire et level gating
Non content d'avoir le pire open world de la décennie, Shadows commet un autre pécher majeur : prétendre vous permettre de choisir vos cibles et d'explorer le monde comme bon vous semble, alors que le leveling laborieux vous obligera à suivre un ordre prédéfini pour l'élimination des cibles, les missions annexes et les régions à visiter.
Son tableau d'objectif a beau vous présenter ça comme un buffet à volonté où tout parait accessible à tout moment, le leveling horriblement lent fait que vous n'aurez jamais le niveau requis pour plus d'une cible à la fois, et je me suis souvent retrouvé trop bas niveau pour la moindre cible, me forçant à me taper des missions annexes toutes identiques et écrites avec le cul.
Et attention, ce n'est pas comme un Elden Ring où on peut tirer son épingle du jeu dans une zone de haut niveau avec suffisamment de talent : si vous avez ne serait-ce que deux niveaux d'écart avec les ennemis, vous combattez d'énormes sacs à PV, car le jeu ne veut VRAIMENT pas vous voir aller dans ces zones.
Pire : comme le contenu annexe est également verrouillé par les niveaux, quand je tombais à court de quête principale et que je devais me fader la tambouille annexe, je n'avais généralement qu'une ou deux options, alors que le tableau d'objectif est énorme.
J'ai aussi vite réalisé que le jeu refusait obstinément de me laisser suivre son histoire sans m'impliquer dans la routine du farming de camps, de points de compétences ou de quêtes secondaires :
1- Les missions principales ne donnent pas assez d'XP pour faire la suivante, vous obligeant sans cesse à faire de la merde inutile sans aucun respect pour votre temps.
2- Les arbres de talents sont verrouillés par un système de leveling parallèle qui vous oblige à aller prier dans des temples (le "mini-jeu" le plus nul de la décennie, sans déconner) dispersés aux quatre coins du monde, entre autres activités chiantes (divers QTE, appuyer sur un bouton en regardant un NPC, etc)
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Il y a des jeux à monde ouvert qu'on aime pour la beauté de leur univers ou la singularité de leur ambiance (Horizon, RDR 2), d'autres qu'on adore pour leur narration ou leur écriture (The Witcher, Cyberpunk, New Vegas), et d'autres où on s'immerge pour la qualité de leur gameplay d'exploration ou de combats (Breath of the Wild, Elden Ring)
AC Shadows accomplit l'exploit d'échouer à tous ces niveaux, avec un open world sans âme, rempli d'activités redondantes, de missions répétitives et d'histoires mal écrites, reposant sur un gameplay sans originalité, et une structure faussement ouverte. Si Valhalla n'était pas encore l'épisode de trop, j'espère que Shadows est l'ultime représentant d'une formule sclérosée, qui a largement fait son temps.