Chicory: A Colorful Tale
7.3
Chicory: A Colorful Tale

Jeu de Greg Lobanov, Lena Raine et Finji (2021Nintendo Switch)

Je n’en avais pas du tout entendu parler…
…Et voilà qu’en suivant le fil d’actualité de ce charmant podcast qu’est Fin du Game il a fallu que je tombe sur cet épisode consacré à Chicory.


La seule esthétique de la miniature, déjà me séduit.
Je lance l’épisode. En seulement quelques minutes, voilà que j’apprends pêle-mêle qu’il sera question de manipulation de pinceaux, d’univers choupi, d’expérience visant à être accessible à tout un chacun et… Et qu’il sera aussi question de Lena Reine.


Lena Reine, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, c’est la compositrice de la merveilleuse bande originale de Celeste, un bijou du genre.
Il ne m’en a pas fallu davantage. J’ai coupé le podcast au bout de quelques minutes. Je n’ai rien voulu me gâcher. Je voulais juste jouer à Chicory.
Un an plus tard c’est désormais chose faite et… Comment dire…
Bah en fait c’est quand même vachement déceptif Chicory.
Oui, déceptif.


Pourtant le premier contact est plus que rassurant.
Menu, narration, gameplay, direction artistique : tout rayonne à la fois par sa remarquable singularité mais aussi sa lumineuse cohérence. J’avais l’impression d’être tombé sur ce jeu qui était le produit d’une brillante idée et qui avait su être réalisé avec la savoir-faire nécessaire.
Tout coulisse bien dès le départ : c’est certes déroutant mais suffisamment pédago pour que ça ne soit pas perçu comme une tare. C’est juste une expérience nouvelle à laquelle on a envie de se plier pour qu’elle nous imprègne et nous emmène loin.
Le simple fait de nous balancer dans un monde devenu immaculé en nous laissant en main le seul outil nous permettant de lui redonner ses couleurs, ça c’est juste la plus belle promesse qui nous soit faite en termes d’interaction personnalisée avec l’univers…
…Pensez-vous donc ! On va pouvoir le peindre selon notre envie !
Ah mais pensez donc ce que ça peut augurer au sein d’une logique vidéoludique !


…Et puis arrive la pratique.
Ah… Bon bah déjà, pour commencer on n’a que quatre couleurs : vert pomme, bleu ciel, violet et marron clair.
Bon… Bon bah je vais colorier le ciel en… Bleu hein.
Quelle couleur choisir pour le sol herbeux… Bah… Le vert, je suppose…
Que faire de ces arbres ? …J’ai une idée. Je n’ai qu’a choisir un autre vert pour… Ah bah non je n’en ai qu’un. Bon bah OK : vert pour le feuillage et marron pour le tronc.
Que reste-t-il du coup pour les fleurs et autres maisons ? …Bim ! Du violeeeeeet !
Eh bah voilà ! C’était long à faire et en plus de ça, c’est dégueulasse ! Super !
Qu’est-ce que je fais maintenant ?
Ah bah rien manifestement… Je passe à l’autre tableau et rebelote.


Alors oui, je le précise, j’ai fait ça.
A chaque tableau, j’ai paint.
Je vois déjà des connaisseurs du jeu se taper les joues de leurs deux mains, la bouche grande ouverte. Et je veux bien que ça puisse subjuguer comme attitude, mais – eh oh ! – moi on me refile un pinceau et on me dit que ma mission c’est de redonner des couleurs au monde, alors qu’est-ce que je fais ? Bah moi je peins ! Je pars explorer ce qui semble être le cœur de l’expérience du jeu ! Je ne vois d’ailleurs rien de foncièrement illogique à ça !
…Sauf que – putain ! – je peux vous dire que mes premières heures de jeu, ça a été une puuurge !
Je colorie partout. Je ne prends pas de plaisir. Je trouve ça moche. Je trouve ça aussi passablement pas très pratique à utiliser au stick de la Switch. Je galère à cibler chaque planche de cloture. Je galère à cibler le petit bout de tronc qu’on voit dépasser au milieu de tous les arbres touffus. Je galère à colorier toutes les fleurs…
…Du coup, forcément, je finis par me faire chier, quoi…
(Et d’une force !)


Bon. Alors après, c’est sûr, au bout d’un moment, je finis par comprendre.
Ne colorions plus rien et fonçons. N’utilisons plus le pinceau que lorsque le jeu nous y invite de manière inévitable…
…Sauf que – encore une fois - ça consiste à quoi d’utiliser le pinceau de manière inévitable dans ce jeu ?
Colorier des arbres pour qu’ils se transforment en plateforme.
Colorier des plantes pour qu’elles se transforment en propulseur.
Colorier un cristal pour qu’il s’allume et dégage un passage dans le noir.
Tapoter avec la gomme sur les arbres pour en faire sortir un chat perdu.
Au mieux tracer un trait fluo pour aider une petite souris vulnérable à sortir d’une grotte bien sombre…
Alors oui, ça peut être mignon hein, mais… Mais comment dire…
…Mais c’est quand même un peu chiant en fait. Non ?


D’accord, sur le papier j’avoue que c’est vraiment une belle idée que de vouloir faire un jeu choupi qui privilégie la créativité et l’expression personnelle plutôt que la performance. Sur ce point, moi, je veux bien…
…Seulement voilà, dans la pratique, ça n’impacte pas grand-chose dans notre partie.
On nous demande régulièrement de faire des dessins mais, quoi qu’on fasse dans les faits, d’une part ça n’aura qu’un intérêt superficiel et ultra-périphérique dans notre parcours (ça fera juste office de logo ou de toile) et d’autre part on sera toujours récompensé de la même manière par le jeu qui nous dira que c’est génial ce qu’on fait…
…En même temps, tant mieux qu’on me dise que c’est génial quand-bien même fais-je de la merde, parce qu’avec le joystick de la Switch, ça reste vraiment difficile d’espérer produire quelque chose de plus ébouriffant que ce qu’a pu vous dessiner votre petite filleule de trois ans pour votre dernier anniversaire.


Donc au fond, tout ça, ça sert à quoi ?
On repeint la maison de certains PNJ, et ?
On accomplit une figure particulière pour débloquer une porte, et ?
On clique à l’aide de notre pinceau pour activer un mécanisme, et ?
Tout ça ressemble quand même fort à un Zelda 2D sans ennemi, sans énigme (ou tout comme) et sans réel problème…
Du coup, il est où l’enjeu ?


C’est quoi l’intérêt d’avancer dans des zones qui ne nous bloquent pas ? De lutter contre des boss qui ne nous tuent pas ?
En vrai, j’aurais même tendance à pousser l’interrogation plus loin : il est où l’intérêt du pinceau ?
Il est où l’intérêt des différences d’épaisseur ? Des nouvelles formes à obtenir ? Des nouvelles gammes de couleurs (…qui se substuerons aux précédentes – je précise – ce qui signifie qu’en fait, on ne cessera jamais de ne colorier qu’en quatre couleurs)…
Non mais vraiment : où est l’intérêt ?
Où est l’intérêt quand, en définitive, la seule chose pertinente qu’il convient de faire à chaque fois qu’on arrive dans une nouvelle ère de jeu, c’est de maintenir appuyé sur le bouton de peinture pour recouvrir tout l’espace de jeu de manière monochrome et ainsi repérer au plus vite ce avec quoi il convient d’interagir ?


Histoire de voir si, à un moment donné, le jeu allait nous appeler à faire autre chose que de déverser de seaux de peinture sur l’écran sans génie ni technique, je me suis permis de lancer un walktrough sur Youtube afin de visualiser comment l’auteur de ce dernier interragissait à différents segments de sa partie, jusqu’à la fin…
Bilan : au bout de quatre, six, huit ou dix heures de partie, c’était toujours la même chose. Soit l’auteur du walktrough parcourait des espaces qu’il n’avait toujours pas peint, soit il traversait des espaces totalement criards et monochromes qu’il avait peinturluré à l’arrache pour faire ressortir tout ce qui était appelé à interagir avec lui.
Cette expérience m’a suffi pour me convaincre qu’il était inutile pour moi d’aller plus loin.
Pas d’enjeu : pas de jeu. Pour moi c’est aussi simple que ça.
Face à l’ennui et l’absence totale de perspective ludique, moi, ma solution, c’est le bouton « off » de la console…
…Et ça fait chier.


Bah oui ! Il fait vraiment chier ce triste bilan là !
Parce qu’il était beau ce Chicory ! Mignon ! Inventif ! Et pétri d’une identité très forte ! Toutes les bases d’un très grand jeu !
…Mais sauf qu’au bout du compte, il n’y a pas eu de jeu.
C’est terrible, mais j’ai l’impression que les auteurs de ce Chicory ont tellement été obnubilés par une sorte d’esprit bienveillant qu’ils en sont arrivés à totalement se déliter face aux principes pourtant fondamentaux d’un jeu.
Je trouve d’ailleurs même assez révélateur que l’intrigue du jeu se construise autour des thèmes de la dépression, du syndrome de l’imposteur et autre crise existentielle. Ce jeu ferait presque écho malgré lui aux maux générés par notre société libérale du confort.
Pas de violence, pas de confrontation, pas de contrainte, quand bien même la vie en société se serait faite que de ça. Au lieu de se forger à la lutte sociale, le héros nouveau est celui qui se replie sur lui-même, évitant toute forme de confrontation avec autrui, cherchant son réconfort, son essence et sa finalité en lui-même, quand-bien même se retrouve-t-il totalement asséché de l’intérieur par son refus de subir les impacts d’une interraction sociale potentiellement altérante.
Pas de violence. Pas de contrainte. Pas de jugement. Pas d’alterité ni d’altercation. Chicory est le safe space fait jeu…
…Et on s’y fait donc chier comme des rats morts.
Vive la déprime quoi. Bravo…


Tout ça au fond coule de source.
Chicory sort en 2021 quand, l’année suivante, c’est Elden Ring qui rencontre le succès critique et public…
…A croire que, dans le monde du jeu vidéo, les joueurs ne rechignent finalement pas tant que ça à ce qu’on leur dresse face à eux de la difficulté, de l’opposition et des obstacles. C’est même d’autant plus intéressant que cela se déroule dans un monde virtuel sans incidence. C’est formateur et excitant.
« Choupi » ne doit pas nécessairement être synonyme de « facile », pour ne dire d’ « inconséquent » en termes de difficulté comme c’est le cas ici. Et c’est là pour moi toute l’erreur commise par Greg Lobanov, le développeur à l’origine de ce jeu.
Ce n’est pas en dissolvant la difficulté et l’enjeu qu’on se montre bienveillant à l’égard de ses joueurs, bien au contraire. Celeste, sur ce point, a su pour moi parfaitement le démontrer. Celeste c’est un jeu difficile mais adaptatif. C’est un jeu exigeant mais pas jugeant.
Celeste est une véritable expérience de jeu vidéo. Chicory, non.


Alors qu’on se le tienne pour dit du côté de Greg Lobanov et des autres développeurs tentés par les wholesome games comme on s’est plu un temps à les qualifier : il n’y a rien de sain à nier les fondamenteux du jeu.
Le choupi, c’est certes mignon et ça part d’une bonne intention, mais si c’est déconnecté de tout enjeu d’interaction vidéoludique, eh bah c’est juste hors-sol. Hors-sujet. A coté de la plaque…
Comme quoi, les vieux briscards n’ont pas toujours tort avec leurs vieux dictons.
Clint disait à Hillary Swank dans Million Dollar Baby : « Tough ain’t Enough ».
J’aurais tendance à le paraphraser pour ce qui relève du monde du jeu vidéo.
Être choupi – oh ça non – ce n’est clairement pas suffisant…

Créée

le 19 sept. 2023

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