Faut-il vider un jeu vidéo de son essence pour qu’on puisse parler d'art ?
Dear Esther est une jolie balade dans la campagne anglaise. D’ailleurs si on devait le qualifier on pourrait parler de Balade numérique. Car oui, dans Dear Esther, on marche. On marche sur île déserte dessinée avec goût et application. On marche bercé par une très jolie musique et de temps en temps on sent presque les embruns sur son visage et le gout du sel dans la bouche.
A ce propos, je vous invite à lire la très jolie critique de Melusca : http://www.senscritique.com/jeuvideo/Dear_Esther/critique/11214807
Régulièrement, à certains endroits, on passe sur un checkpoint invisible et une fois profonde déclame un texte épistolaire. Particulièrement bien écrits, ces textes forment une sorte de puzzle. Les textes sont incomplets, non ordonnés et il faudra traverser plusieurs fois l’île, parcourir les recoins de chaque chapitre à plusieurs reprises pour avoir la totalité du texte. Voilà où se situe le gameplay.
Et c’est bien là son souci, Dear esther est conçue comme une œuvre d’art, mais il a oublié d’être un jeu. Reparcourir les chapitres, chercher les culs de sacs, se coincer dans les rochers pour espérer comprendre l’ensemble ressemble plus à la recherche des trésors et des bonus cachés, mais sans qu’il y ait un cœur ludique. Surtout qu’à 8€, on frôle un peu le foutage de gueule
Car on parle ici de deux heures d’ambiance sans interactivité et où la frustration peut prendre le pas sur l’immersion quand on se rend compte qu’on vient de se coincer dans un cul de sac et qu’on doit parcourir le chemin en sens inverse, lentement, pas à pas.
Dear Esther me donne l’impression d’une démo, un baroud d’honneur du Source engine où le pan technique n’impressionne pas. En l’absence de personnages, de créatures, d’animations (autre que deux, trois effets), il est assez facile techniquement d’afficher des jolies choses. Pour autant, le moteur ne permet même pas de concevoir l’île d’un seul tenant, la division par chapitre du jeu est un cache misère sur la limitation technique et découpe le terrain en zones. Au final, de l'aspect esthétique, on ne retiendra que la direction artistique et si je n’ai pas de doute sur le fait que ça fasse classe sur un CV, ça ne fait pas de Dear Esther, un jeu.
S'il avait été doté d’un vrai gameplay (et des jeux comme Myst et Amnésia ont démontré qu'on pouvait faire des jeux à haute qualité artistique et sans affrontements), s'il avait été allongé de quelques ‘chapitres’, il aurait pu (dû) être un bon jeu.
Mais au vue du résultat, son plus grand intérêt à mes yeux est de poser cette question : faut-il vider un jeu vidéo de son essence même, de ses composantes ludiques, pour qu’on ose parler d’œuvre d’art ?
Il semble que oui et c’est bien malheureux car pour ma part, j’ai pris autant de plaisir à la promenade et à la découverte dans Gothic, Myst ou même Darksiders. Je me suis immergé dans ces univers et j’ai parfois choisi de simplement me balader, observer, me nourrir des décors et réfléchir à ce que je faisais là, moi, mon personnage.
Au final, le plaisir était même décuplé, car c’était mon choix et je pouvais lui donner un sens.
Dear Esther, lui, en loupant l'illusion du choix et en criant ses frustrations à la face du monde perd tout son sens...