Bon, on commence cette critique avec la connerie consacrée qu'on se doit manifestement de dire avant d'aborder le vrai fond du sujet : oui, Dordogne c'est très joli.
Et qu'on s'entende tout de suite bien sur un point avant d'aller plus loin : je ne dis pas que c'est une connerie de penser que Dordogne soit joli. Non. Moi-même d'ailleurs je le pense. C'est même ce qui m'a fait acheter ce jeu. Par contre, considérer ce point en dépit de tout le reste, ça c'est quand même dire peu de choses quand on prend la peine d’y réfléchir deux secondes.
C'est même ne rien dire en fait.


Parce que Dordogne ça reste avant tout un jeu. Or, c'est quoi, « jouer » à Dordogne ?
La seule première séquence manette en main annonce malheureusement tout le reste.
Tout commence de nuit, sous la pluie, dans une voiture garée en pleine métropole, en bordure d'autoroute.
Notre avatar dort sur la banquette arrière et se fait réveiller par la vibration d'un SMS.
Une fenêtre tutorielle s'affiche alors. Le sac se met en surbrillance. Une flèche indique que, pour l'ouvrir, il faut maintenir A et relever le stick gauche.
Une fois la manip' faite qu'une deuxième fenêtre s'ouvre, mais ce coup-ci la flèche pointe le téléphone qui entre à son tour en surbrillance. Stick et bouton A sont à nouveau sollicités pour sortir l'appareil et voir le SMS.
De là, on découvre un message envoyé par un certain Fabrice que la voix off de l'avatar présente comme son père.


« Où es-tu ? ». Deux réponses peuvent alors être envoyées : « En Dordogne » ou « près de la maison ».
À noter qu'à ce moment là, nous, en tant que joueurs, on ne sait strictement rien d'où on se trouve ni même que la fameuse maison dont il est question se situe en fait en Dordogne. Mais bon, comme j'étais malheureusement en droit de m'en douter, tout ça sentait l'interactivité factice. Quelque soit la réponse fournie, le fil de conversation allait se dérouler de la même manière. Pas loupé.
De là, après une conversation sur rail, on nous invite à prendre des lettres en surbrillance dans le sac puis à les ouvrir. Ainsi pourra t'on alors finir ce prologue en lisant deux pages de scénario.
Tout un programme...


A ce moment là du jeu, on ne le sait pas encore, mais on vient déjà de faire plus ou moins le tour du gameplay. Les tableaux en aquarelles s'enchaînent et, nous, là-dedans, il nous faudra donc cliquer sur les machins en surbrillance puis suivre les indications affichées à l'écran.
Et vas-y qu'on va passer de super moments à prendre une boîte aux lettres, la retourner, en dévisser le cul pour récupérer une clef.
Et vas-y encore que je vais relever le loquet de la porte puis la pousser puis l'ouvrir.
Et enfin après ça – attention grand moment de folie – vas-y qu'une fois rentré dans la maison il va falloir qu'on sorte une allumette de sa boîte, qu'on la frotte contre le flanc abrasif et qu'on allume la bougie.
...
« Wou...
...
...Hou ! »


(Ce jeu c'est une dinguerie.)


Alors vous allez peut-être me reprocher de ne pas avoir su prendre ce jeu pour ce qu'il était, c'est-à-dire un jeu narratif et qu'en cela je passe à côté de toute l'expérience sensorielle proposée par ce jeu...
Seulement voilà, il se trouve que moi j'aime les jeux narratifs. Stories Untold, Firewatch mais surtout What's Remains of Edith Finch sont des jeux que j'ai par exemple beaucoup appréciés et mes critiques sont d'ailleurs là pour le rappeler.
Seulement voilà, dans jeu narratif il y a certes narratif mais il y a aussi jeu. Dit autrement, il est question de raconter par le jeu.
Or, qu’est censé raconter Dordogne ?
Dordogne c’est une histoire de souvenirs qu’on fait ressurgir. Des souvenirs d’enfance. Des odeurs. Des couleurs. Et surtout un plaisir.
Seulement voilà, moi je pose la question – outre le plaisir des yeux face aux belles aquarelles – qu’est-ce qu’on en tire, nous, spectateurs, comme sensations ?


Moi, la première chose que j’ai ressenti en arrivant dans cette maison ce fut justement le sentiment d’être prisonnier d’un univers totalement mort.
Mort d’abord parce que rien n’y bouge. Rien n’y vit. Je veux bien que la maison soit abandonnée, mais on parle de la campagne là. Où sont les arbres qui dansent ? Où est le vent dans les feuilles ? Les insectes dans les herbages ? Les reflets dans l’eau ?
Même la musique et les dialogues – plats et sans convictions – ne parviennent pas à insuffler un minimum d’atmophère à cet endroit.
Ajoutons à cela le fait que le jeu soit techniquement très limité et assure chacune de ses transtions entre tableaux par de longs fondus au blanc – voire carrément des temps de chargement ! – et on a déjà là un sacré cocktail pour tuer l’immersion.


En fait, dans Dordogne, on ne se balade pas dans une campagne fantasmée qu’on aurait stylisé en aquarelle. Non, on se balade littéralement dans une aquarelle. Une toile figée dans laquelle notre avatar n’a presque aucun droit.
Déplacement pénibles et souvent empêchés par le décor. Impossibilité ne serait-ce que de fureter du regard en nous laissant un peu de liberté avec la caméra. Même les interactions avec l’environnement sont presque réduites à néant, sauf dans des cas très précis qui ont été prévus par le jeu et qui en confineraient presque à l’absurde.
Mais bon, je crois que s’il fallait surtout évoquer un point pour surligner l’aspect mortifère de cet environnement ludique, c’est tout simplement sa liste d’objectifs ! (Parce que oui, il y a des listes d’objectifs dans Dordogne !)


« Monter sa valise dans la chambre. »
« Ouvrir les volets. »
« Ranger les vêtements dans les tiroirs. »
« Retrouver mamie dans la cuisine. »
« Aller chercher des friandises pour le chat dans la remise. »
« Arracher les mauvaises herbes. »
« Se brosser les dents. »
Je n’invente rien.
Et j’inciste : on parle bien là d’activités qui vont se mener avec grosso modo les mêmes mécaniques que celles que j’ai évoquées dans le prologue hein !
Se brosser les dents : droite-gauche-droite-gauche avec le stick.
Arracher les mauvaises herbes : poser le curseur « main » sur l’herbe, appuyer sur A et tirer le stick vers le haut.
Ranger ses affaires : poser le curseur main sur la valise, appuyer sur A pour saisir, faire un mouvement vers le haut avec le stick gauche pour l’ouvrir. Puis poser le curseur main sur le tiroir, etc. Etc.
Oui : on en est à ce niveau là.


Et donc, si je comprends bien, c’est au travers de ce gameplay situé entre Adibou et Versailles 1685 que je suis censé ressentir le plaisir et la joie emmagasinés par la jeune Mimie dans cette maison ?
…Mais paye ta dissonnance ludo-narrative puissance mille quoi !


Comme un triste aveu de faiblesse, ce Dordogne a lui aussi recours – comme de nombreuses œuvres ne maitrisant absolument pas leur medium – au plus triste subterfuge narratif qui soit : la voix off.
Heureusement que la voix off nous dit que Mimie s’ennuie moins parce que, sans ça, le joueur, lui, ne disposerait de rien pour le savoir.
Heureusement aussi que la voix off nous dit que Nora lui raconte un paquet d’histoires révélant la richesse de sa vie parce que sans ça, le joueur, lui, n’en a rien entendu du tout.
Heureusement enfin que la voix off nous rappelle en permanence ce qu’il convient de faire ou de penser, parce que sinon, sans ça… Ah bah si, là par contre, étant donné le fait qu’on n'a absolument aucun choix dans l’enchainement des événements, c’est totalement superflu.
Mort et prisonnier, jusqu’au bout. En fait Dordogne est un jeu qui ne veut surtout pas laisser de place à ses joueurs, ce qui est quand même ballot je trouve.


En définitive, et à bien tout prendre, la vraie question qui m’anime encore après avoir joué à ce Dordogne, c’est de savoir pourquoi Cédric Babouche – l’homme derrière Ce je ne sais quoi – a fait le choix du jeu, plutôt que celui du film, de la BD ou du roman.
Il n’y a dans ce titre aucune volonté de laisser le joueur réfléchir, déduire, interagir, explorer par lui-même. Bref, il n’y a dans ce titre aucune intentionnalité de jeu.
Alors franchement : pourquoi le jeu ?
Même si Cédric Babouche est certainement programmeur de profession et que c’est sûrement ce qui explique pourquoi il s’est orienté plus spontanément vers le format vidéoludique, il n’empêche qu’on aurait nombreux à lui conseiller d’écrire un bouquin s’il n’avait eu aucune ambition visuelle dans son projet. Or, là, manifestement, il n’avait aucune ambition ludique dans son Dordogne, donc pourquoi s’embarrasser d’un jeu ?


Eh bien moi je pense que la réponse elle est simple.
Elle est tout aussi simple qu’elle est triste en fait.
Moi je suis convaincu qu’en vrai, la réponse elle se trouve , et .
Dans n’importe quel autre domaine, quand ce que tu as envie de raconter c’est du vent, ça passe quand même globalement difficilement. Or – et ce sera quand même difficilement de le nier – mais ce que nous racontre Cédric Babouche dans ce Dordogne c’est quand même un ouragan de courants d’air. Ce trauma de trentenaire qui passe sa vie chez le psy parce qu’il ne s’en remet pas de la mésentente entre son père et sa grand-mère, il n’y a rien de plus bateau que ça, surtout pour en dire si peu de choses ! …Surtout pour le traduire de manière aussi impersonnelle que ça, à base de souvenirs de cartes postales et d’émotions standardisées.
Et attention ! Je ne dis pas que les sentiments et les souvenirs de Cédric Babouche n’ont pas de valeurs et ne sont pas intéressants en eux-mêmes, hein… Par contre je dis qu’il ne sait pas comment nous les rendre intéressants.
Faire ça, ce n’est pas donné à tout le monde.
Faire ça, ça nécessite une fibre artistique.


Cédric Babouche aurait fait de son Dordogne un film, un livre ou une BD qu’il en serait sûrement ressorti un retour critique lapidaire à base de : « c’est joli mais c’est creux ». Ça n’aurait été certes pas sympa pour lui, mais d’un autre côté les critiques n’ont jamais été écrites pour les artistes. Elles sont écrites pour les spectateurs, les lecteurs, les joueurs… Et eux auraient pu alors s’épargner une perte de temps face à une œuvre mineure et oubliable…
…Mais pas dans le monde du jeu-vidéo.
Aujourd’hui en France, si tu fais un jeu avec une belle direction artistique, ça passe. Et ça passe encore mieux si ton jeu est français ! (Asobo et BlueTwelve en savent quelque chose…)
Partout où on se balade aujourd’hui dans la presse JV, Dordogne rencontre un accueil plutôt chaleureux, voire parfois même très chaleureux.
Dans n’importe quel autre domaine artistique on se serait questionné sur la


Qu’est-ce qu’on dit pour vanter les mérites de ce Dordogne ? Eh bah on dit que c’est sublime et on s’arrête presque là.
Que ce jeu coute vingt boules, qu’il dure trois heures et qu’il ait le même niveau ludique qu’un Dora l’exploratrice ça visiblement, on oublie de le dire ou on le minore. Pire que ça, on le justifie.
Une belle connerie quoi…
…Une connerie manifestement consacrée, disais-je en intro.


J’aurais pu arrêter ma critique là d’ailleurs. C’était même mon intention première.
Moi qui ai peu le temps de jouer en ce moment, je m’efforce d’acheter mes jeux et de tenter des coups avec un minimum de jugeotte, en me rancardant un peu… Là le jeu était joli et les retours plutôt positifs. Bref, je me suis fait avoir comme un bleu et j’ai clairement la rage pour ça.
Néanmoins, il y a quand même un petit quelque chose dans cette histoire qui me donne un peu d’espoir. C’est qu’au final, il y a quand même un endroit où j’ai su trouvé un avis que j’ai su trouver des avis avertis et pertinents… Et cet endroit c’est ici.
Comme quoi cette mésaventure avec Dordogne m’aura appris – pour ne pas dire rappeler – quelque chose : dans un monde gangréné par le copinage, l’entre-soi et les cultures hégémoniques, c’est parfois auprès des siens, qu’on retrouve les plus perspicaces dessins.

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le 3 juil. 2023

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