Le studio français Kheops Studio continue son bonhomme de chemin, depuis quelques années déjà, en proposant avec régularité ses productions. Toujours fidèle au point and click, l'oeuvre qui aujourd'hui nous intéresse concerne le mythique Dracula. Difficile de passer après une flopée de réécritures et d'adaptations, pourtant le développeur parisien réussit avec brio son opération.


I) L'ambiance, le cadre historique et l'angle de tir


Une approche historique


Kheops Studio ne reprend pas le personnage de Dracula pour ajouter une énième pierre à l'édifice fantasmée du comte sanguinaire. De Bram Stoker aux productions hollywoodiennes (Tod Browning et compagnie), le filon a été suffisamment exploité. La cape, l'attitude aristocratique, le romantisme noir...ce stéréotype, encore repris aujourd'hui, confine plus à l'académisme un brin scolaire, et ennuyeux, qu'à la véritable créativité.


Le studio français se base lui sur des faits historiques. Le Dracula évoqué n'est autre que Vlad Tepes (Vlad III), un tyran ayant réellement vécu en Roumanie, rapidement surnommé l'empaleur du fait de son goût prononcé pour des us et coutumes d'un autre âge. L'homme dirigeait d'une main de fer ses terres et matait toute tentative de révolte.


C'est donc sur ses traces que le joueur se perdra des heures durant, collectant de vieilles gravures, d'anciennes chroniques, des extraits d'études sur le personnage et bien d'autres choses encore. Une documentation impressionnante est proposée, comprenant au passage l'intégralité de la Bible et le Dracula de Bram Stocker que Kheops Studio égratigne au passage par l'intermédiaire de certains de ses personnages.


L'homme que l'on incarne se nomme Arno Moriani, c'est un religieux. Plus précisément, un prêtre catholique qui sait rester rationnel lorsqu'il s'agit d'approcher le mystère et le surnaturel. Bref, pas un super-héros mais un homme ordinaire pour ajouter un peu de réalisme à l'aventure.


Une mission du Vatican


Nous sommes en 1920 et tout commence par une mission que le Vatican vous confie. Il s'agit de se rendre au village de Vladoviste, perdu en pleine Roumanie, pour enquêter sur une vieille femme, morte il y a peu, une certaine Martha Caligaru. Considérée comme une sainte par les villageois, possédant des pouvoirs mystérieux, vous avez la lourde tâche de tirer le vrai du faux de ce phénomène local pour savoir si le Vatican doit ou non considérer cette ancienne infirmière comme une véritable sainte et donc la canoniser.


Seulement, à partir de cet objectif initial, vous partirez à la recherche de Dracula. Remonter la voie du dragon pour tenter de le rencontrer et mettre à bas cette vieille légende. Peut-être qu'il ne s'agit au fond que d'un simple fantasme ? Ce serait alors pure perte de temps que de traquer le comte. Pourtant des groupes politiques et religieux se mêlent au mythe. Les actes qui se préparent sont trop graves pour ne pas considérer sérieusement cette affaire.


Une ambiance angoissante


L'ambiance est là : pesante, prenante. On se retrouve à errer dans Vladoviste, entre la brume omniprésente et les faibles lumières qui semblent mourir dans ce village froid et lugubre. Fantasmes et réalités se croisent, vous allez devoir parcourir ce hameau déserté de long en large. Du cimetière à l'auberge, en passant par le dispensaire. Seulement, Vladoviste n'est pas votre unique destination, la Turquie et l'Autriche sont d'autres lieux primordiaux pour remonter jusqu'au dragon.


Des graphismes léchés, sans exagérations, une musique stridente et angoissante sont autant d'éléments qui participent à l'élaboration de cette ambiance. Cette dernière s'appuie en permanence sur le fond historique sur lequel repose le jeu. Il est question de Roumanie, de sécessions et de pressions politiques. On découvre ainsi les soubresauts d'un pays fébrile, à la limite du chaos.


Pour faire revivre toute une époque, Dracula 3 joue à fond la carte de la documentation. L'avalanche d'informations est impressionnante, il faut prendre le temps de rentrer dans cette histoire, de lire et parcourir les feuillets, de scruter à la loupe des documents, d'enchaîner les conversations aussi bien avec les villageois qu'avec d'éminents journalistes et médecins. On apprend beaucoup mais toujours avec subtilité, sans lourdeur, sans didactisme frontal. On se prend au jeu et l'on n'a qu'une envie : parcourir cette voie du dragon pour percer le mystère de Vlad Tepes.


II) Des problématiques et thématiques adultes


Une question de foi


Le point and click est le genre par excellence permettant des traitements de fond de problématiques et de thématiques. Le père Arno Morinani, homme de foi touchant, nous amène à réfléchir sur bien des aspects de l'homme.


La question de la foi, évidemment, est centrale. Le père Arno va se retrouver au coeur d'un conflit aussi bien moral que religieux. L'homme devra savoir et donc choisir s'il faut poursuivre une voie malsaine ou non pour faire triompher le Bien, si oui à quel prix. Car le sacrifice et la violence que l'on s'inflige sont autant d'épreuves que l'homme d'église devra endurer. Partant d'abord d'une banale enquête sur la canonisation d'une femme, le joueur va rapidement s'embarquer dans une aventure lugubre et sordide où le païen et l'infâme se mêlent.


Le père Arno, monologuant régulièrement, déroule lentement et avec précision les souffrances qu'il endure. Ses doutes sur son projet de « détruire » Vlad Tepes, la qualité de ses choix, la voie à suivre oscillant en permanence entre le Coeur (au sens Pascalien) et l'envie, le désir (charnel). Plusieurs scènes, en plus de dialogues toujours fins, viennent enrichir ce malaise de l'homme en proie à une lutte entre ses idéaux et une réalité abrupte où les tentations et les maux sont nombreux.


Entre la croyance et le doute


Dans une scène se déroulant en Turquie, le prêtre pour survivre au froid devra surmonter le sentiment de honte et de sacrilège qui le ronge en brûlant sa Bible et son crucifix. C'est toute la problématique de la nécessité qui se pose. A partir de quel moment cette nécessité intervient-elle ? En vaut-elle la peine ? Est-ce au fond une nécessité ou une faiblesse humaine ?


A un autre moment, le père Arno est une fois de plus mis à mal dans sa foi indéfectible de chrétien. Il rencontre Maria, la jeune infirmière qui remplace Martha au dispensaire du village. Rapidement, notre prêtre en mission sent que tout son être est attiré par la charmante jeune femme. Une attirance profondément sexuelle. C'est toute la tentation originelle contre laquelle le chrétien doit lutter qui est ici illustrée.


Une nuit, le père Arno rêve de Maria, à d'autres moments il nous fait part de ses pensées profanes. Encore une fois, c'est l'homme dans toute sa faiblesse que l'on nous montre à travers ce personnage doutant perpétuellement de ses convictions. Un être nous prouvant que le maintient de nos idéaux n'est jamais chose facile surtout lorsque l'on est que « l'infiniment petit » comme dirait Pascal.


Nationalisme et autres problématiques


En dehors de ces problématiques liées à la question de la foi, on découvre également avec intérêt d'autres thématiques abordées avec intelligence. La question du nationalisme et l'élaboration laborieuse d'un pays avec ses frontières branlantes et ses conflits divisant la population, l'avidité et le travail difficile consistant à séparer le réel du fantastique, cette quête de la vérité, les angoisses de l'homme sur la mort et le désir profond d'immortalité.


Que de sujets abordés ! On suit autant le chemin de croix du père Arno que les déchirures qui divisent la Roumanie, les deux se recoupant au fur et à mesure. Le parcours initiatique qu'entreprend le prêtre nous interroge nous aussi. On apprend, on découvre, on se pose des questions. Nous ne connaissons peut-être pas encore les réponses mais nous avançons.


III) Un joueur aux usages multiples


Des phases de jeu variées


Autre force du gameplay, sa capacité à proposer au joueur des phases de jeu variées. Au cours de votre périple, vous allez faire face à bien des situations. Du simple interrogatoire au véritable casse-tête, la pression monte en même temps qu'augmente la difficulté des énigmes.


Parmi les expériences les plus marquantes, le joueur devra apprendre à développer des photos dans un vrai laboratoire avec manipulation de produits chimiques et utilisation minutieuse d'appareils ; effectuer des prélèvements sanguins et comparer au microscope des molécules pour faire des rapports ; faire fonctionner un vieil appareil à musique ; désamorcer une bombe...


Un héros polyvalent


La polyvalence du personnage que l'on incarne est un atout. Se retrouver le nez dans des situations aussi imprévues et variées apporte un vrai plus au titre. Il est assez rare de voir autant de fluctuations du gameplay, de petits écarts, dans un point and click.


Au fond, Kheops Studio cherche juste à nous proposer par cette petite manie une grande aventure nous nourrissant d'expériences parfois trop réalistes. Mais peu importe, on est là, porté par ce que vit le père Moriani, et on ne cesse de prendre du plaisir à poursuivre cette aventure nous conduisant à des situations toujours plus surprenantes.


Commentaire : Dracula III marque pour tous ces points positifs et même s'il a, comme tout jeu au fond, ses défauts (difficulté excessive dans la deuxième partie de l'aventure...) ils ne ternissent pas véritablement l'aventure vidéoludique que propose ce troisième opus des aventures du comte. Sans trop de problème, il s'impose comme un des meilleurs jeux sur le boucher de Transylvanie et probablement l'un des meilleurs point and click. Rien que ça.

Al_Foux
8
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le 31 déc. 2015

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Al Foux

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