Dungeon Master: Chaos Strikes Back
7.8
Dungeon Master: Chaos Strikes Back

Extension de FTL Games et Psygnosis (1989Atari ST)

Heureux qui comme Ulysse a castagné un tas de monde

Tout ce qui suit est intégralement vrai (1).


L'histoire de la création du jeu Chaos Strikes Back méritait d'être racontée quelque part, je suis content d'utiliser SensCritique pour la partager. Vous savez probablement tous que Dungeon Master est l'un des jeux fondateurs de la grande famille des rpg en temps réel, un des premiers a exploiter la 3d dans ce genre, un pilier de l'histoire du jeu vidéo autant que Sim City, Kick Off ou Arkanoid. Vous n'avez peut-être pas joué à sa suite, Chaos Strikes Back. Si vous êtes nés après les années 80, vous ne réalisez peut-être pas l'apport incroyable de ce jeu en son temps au genre, peu après le premier Ultima et le premier Wizardry. On résumera la chose en peu de mots : vingt-quatre ans plus tard, ce jeu pourrait encore sortir sur iphone et être acheté sans honte ni nostalgie mal placée. Je vous met au défi d'en faire autant avec le premier civilization venu. Ce jeu a tout simplement mieux vieillit qu'un Fable ou qu'un Tomb Raider, grâce au génie de ses concepteurs.

L'histoire va donc comme suit : Doug Bell et Andy Jaros sont deux potes de lycée qui s'apprêtent à aller à l'université. En jouant aux jeux sus-nommés, Andy dit à son pote qu'il est convaincu de pouvoir faire mieux, et que Richard Garriott peut bien aller se faire foutre avec sa morale envahissante. Les deux montent donc leur boîte au lieu d'aller à l'école et rament lamentablement jusqu'à vendre leur fesses à la compagnie FTL que possède Wayne Holder deux ans après. Encore un peu plus tard, ils sortent Dungeon Master et c'est le délire dans la foule, les millions et les femmes facile. Non, je déconne, on est 1987 et le jeu vidéo est un loisir d'adolescents (majoritairement) et de vieux monsieurs douteux aux grands imperméables (minoritairement ?). Les parents de Doug et Andy les ont d'ailleurs aidé financièrement pour leur boîte, ce qui est une aimable façon de dire qu'ils l'ont joué "Tanguy" pour pouvoir faire leur truc. Mais grâce à Wayne et son sens du business, ils sortent leur jeu sur l'Atari ST et - toutes proportions gardées - c'est un énorme hit (pour l'époque). C'est d'ailleurs seulement un an plus tard, le temps que le buzz passe des magasines au grand public que la reconnaissance - et le drame - arrivent.

En 1988 donc, Doug, Andy et Wayne s'en vont à une énième convention de jeu vidéo dans le coin des deux premiers (San Diego) pour récolter les honneurs et vendre des copies au passage aux jeunes qui ne connaîtraient pas encore le jeu. La convention se passe incroyablement bien, c'est un franc succès et le trio repart en ayant vendu environ mille copies supplémentaires du jeu (ce qui, pour l'époque, est un très gros coup dans une "foire" locale). En repartant dans leur camionnette vide, Doug, Andy et Wayne sont à la fête. Ils ont un peu bu pour arroser ça, car les ventes sont prometteuses et leur garantissent la possibilité de sortir un prochain jeu. Doug (le programmeur), qui est plus joli garçon qu'Andy (le graphiste), lui lance un soutien-gorge à la tête qu'une fan quelconque leur a lancé pendant leur speech. Il ne pense pas à mal, il se doute qu'il appartient probablement à une mineure mais il veut taquiner son pote avec leur gloire nouvellement acquise et sur les chances de ce dernier de conclure un jour malgré sa tête de balai-brosse. Malheureusement le truc atterit plutôt sur celle de Wayne (le propriétaire de la boîte) qui conduit la camionnette. Le véhicule fait un tête à queue et termine dans un poteau. Wayne et Andy sont ko. Quelques minutes plus tard, Doug, sonné, sort du véhicule pour demander de l'aide. Toutefois, comme la convention s'est terminée tard et que les gars sont resté fêter un peu, il fait nuit. Une voiture qui passait ne voit pas Doug et le percute. Au final, Doug et Andy sont dans le coma et Wayne se réveille seul dans une chambre à l'hôpital du comté le lendemain matin. Ses deux employés vedettes, apprendra-t-il deux jours plus tard, sont sur le carreau pour un temps indéterminé.


Wayne est un homme d'affaires, pas le genre de pleurnichard qui va tenir compte de l'avis de fanboys avant d'écrire "Il était une fois" dans un scénario. Après consultation de ses proches, il est convaincu que pour aider ses potes et sauver sa boîte il doit sortir une suite à leur chef-d'oeuvre sans attendre leur hypothétique retour. Seul problème, Wayne n'est ni programmeur, ni scénariste, ni graphiste, ni rien. C'est seulement le type qui avait un capital à investir et du talent en affaires. Il demande donc à ses deux autres employés, Dennis Walker et Michael Newton, de reprendre les assets de Dungeon Master et de se démerder avec. On est en 1988. Electronic Arts et les autres salopards n'ont pas encore inventé les DLC et n'ont pas encore domestiqué les joueurs pour qu'ils acceptent des add-ons de merde à prix prohibitif. Sinon, si la pratique avait été acceptée, Wayne aurait fait comme tout le monde et aurait sortit une épée +12 pour quelques dollars, une extension de donjon qui ajoute la possibilité de fritter un enemi jusque là inconnu ou un pack permettant de changer la couleur des slips du jeu. Très franchement, ne sachant pas quand et si ses potes allaient sortir du coma, Wayne n'en aurait rien eut à foutre comme il le mentionnera des années plus tard en entrevue avec la revue Mean Machines.

Dennis et Michael étant plus proches de Dumb and Dumber (2) que de Marie et Pierre Curie, ces deux tâcherons vont se contenter de récupérer le système du jeu et de pondre à peu près la même chose. Le scénario est massacré au passage : dans les deux fins possibles de Dungeon Master on finissait par fusionner Chaos ou Librasulus (en remontant tout le donjon) qui redevenait le vieux mage sympa qui avait causé la quasi-fin du monde. Eh ben Chaos est de retour quand même, il avait tout prévu depuis le début, il a un nouveau donjon bien plus balaise. Oui, d'accord, il aurait pu te balancer ses monstres là depuis le début et tu serais juste très mort, mais Chaos aime le challenge, c'est un joueur. Les gars ne s'emmerdent pas à sortir une explication qui tient la route, ni à innover en quoi que ce soit. On prend simplement des étages plus balaises, des monstres aux testostérones et des nouveaux types pour vous accompagner au niveau de base plus élevé que dans le précédent. Comme on est en 1989 et qu'on est pas une génération de gamins gâtés pourris, nous les fanboys comprennont que la license appartient à FTL et que FTL en fait bien ce qu'elle en veut. Certains - dont je fais partie - l'achètent (ou le piratent) et d'autres refusent de souiller leur enfance, et s'infligent plutôt des jeux comme Bloodwych en se convaincant qu'il est compétitif. J'ai essayé mais mes yeux partaient à saigner après dix minutes. Au final, le jeu ne se vend pas si mal mais presse et joueurs compris considèrent ce jeu comme un add-on et non une vraie suite. FTL peut alors tranquillement rentrer dans une phase de déclin qui culminera avec la sortir de Dungeon Master 2 des années plus tard, pour un résultat similaire à Duke Nukem Forever ou (cinématographiquement parlant) Transformers 2.

Pour la petite histoire, Doug et Andy sont sortit du coma à peu près le même mois quelques années plus tard et ont complètement changé de carrière ensuite. Doug Bell est partit dans le milieu des assurances comme programmeur - vous pouvez trouver sa fiche sur LinkedIn - et Andy a fait des trucs avant de faire une overdose monumentale au milieu des années 90. L'histoire ne dit pas si le saccage de leur rêve d'adolescent à un rapport avec tout ça. Dans sa dernière interview (celle de Mean Machines), Doug prétend que c'est pour avoir plus de temps à passer avec sa famille. Mentionnons que d'après Wikipédia, Dungeon Master va atteindre le chiffre délirant d'une présence sur 50% des atari en circulation. Imaginez ce chiffre pour un jeu d'aujourd'hui sur une machine d'aujourd'hui, multipliez par le prix du jeu, achetez la maison de ce salopard de Peter Molyneux et vendez sa famille à des esclavagistes du cacao en Côte d'Ivoire pour lui apprendre ce que c'est d'être sérieux.




Chaos Strikes Back est donc un jeu de rôles en temps réel, en 3D. L'aspect résolution de puzzle est augmenté, les combats sont plus violents. Il n'y a aucune nouveauté niveau gameplay par rapport à Dungeon Master. Cette fois, pour défoncer Chaos il faut trouver quatre pépites de chocolat bleu fluo. On peut (au prix de quelques manipulations) récupérer ses personnages de Dungeon Master, mais mieux vaut prendre les nouveaux car ça castagne sec. D'ailleurs dès la sortie du havre du départ, on se fait tabasser sévère. Les pièges - pour montrer que c'est une suite - ne sont plus progressifs en termes de difficultés mais occasionnellement démentiels. On sauvegarde/charge à tout bout de champ. Ah si, vrai innovation gameplay(3), on peut redessiner les portraits des quatre protagonistes. Qui n'a jamais fait une admirable paire de seins à "Sonja She Devil" en seize couleurs me jette la première paire :B

Pour ne pas trop souffrir rétrospectivement, résumons donc en : "Chaos Strikes Back", c'est le DLC stand-alone de Dungeon Master conçu pour faire vivre ses créateurs et pas plus.

(1) Dans la grande tradition mais sans le talent des frères Coen.
(2) J'en veux pour preuve qu'ils sont responsables de l'incroyable bourde qui prétend en gros sur la boîte que ça prend Dungeon Master pour jouer alors que non, ce qui limita forcément les ventes. Tous les magasines de l'époque ont trouvé nécessaire de préciser que ce n'était pas nécessaire, bravo les bouffons.
(3) Bon, y'avait deux persos survitaminés de cachés, aussi.

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le 30 août 2011

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zeugme

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