Half-Life
8.2
Half-Life

Jeu de Valve et Sierra Entertainment (1998PC)

1998, alors que l'immense majorité (pour ne pas dire la totalité) des FPS nous proposent d'incarner un soldat (ou assimilé) bourré de testostérone et avide de massacres sanglants, Half-Life nous glisse dans la peau de Gordon Freeman, scientifique maigrichon qui n'a jamais tenu une arme de sa vie.
Un choix qui n'est pas uniquement symbolique puisqu'il cristallise l'orientation globale du jeu : placer l'univers du jeu et sa cohérence avant le plaisir du frag.
Qui dans Doom, Wolfenstein, Duke Nukem ou Quake se souciait du comment et du pourquoi ? Franchement : personne, pas même les développeurs qui plaçaient le joueur directement dans le feu de l'action dès les premières secondes de jeu, tout au plus une porte à franchir avant d'accumuler frénétiquement les cadavres.
Half-Life prend le pari de rompre avec le rythme habituel du genre, comme en témoigne la longue séquence introductive où Gordon Freeman traverse le complexe scientifique de Black Mesa dans un monorail, en surimpression défile la liste des gens ayant participé au développement. Une séquence pendant laquelle le joueur n'a qu'une seule liberté : celle de regarder ce qu'il se passe autour de lui. Une fois débarqué on embraye sur une nouvelle séquence, tout aussi longue, où l'on assiste à des discutions d'importance variable.
Pas d'ennemis, pas d'armes, juste un monde qui prend vie sous nos yeux. Il faut attendre un long moment avant de pouvoir dégommer quelque chose et une fois que l'on peut, on se rappelle qu'on est qu'un simple scientifique, les adversaires sont coriaces et dangereux, il faut oublier la sensation de surpuissance qui caractérisait le genre.

Une orientation de Game Design novatrice permise par l'utilisation de séquences scriptés, d'événements sur lesquels le joueur n'a pas de prise, afin de renforcer l'immersion (le monde de Half-Life parait bel et bien vivant) et d'offrir sont lot de surprise et de séquence spectaculaires. Un collègue qui meurt sous nos yeux avant que l'on puisse l'atteindre, une altercation entre deux factions adverses, le conduit de climatisation dans lequel on rampe perforé de balles avant de s'écrouler au milieu d'une escouade ennemie, etc... Le genre de chose qu'on n'avait pas vraiment l'habitude de voir à l'époque.
Une immersion au coeur du Level Design aussi puisqu'on oublie ici la notion de niveaux visibles, le début et la fin des niveaux se fait dans des couloirs que rien ne distingue des autres couloirs croisés jusque là. Il n'y a pas non plus d'écran de fin de niveau, pas de score mais un simple loading qui apparait sobrement à l'écran. Même le loading ne bénéficie pas d'écran dédié, c'est simplement le jeu flouté. Tout est fait pour ne jamais briser la continuité de l'aventure, même les fameuses séquences scriptées sont vécues à travers les yeux de Gordon, sans coupures ni mise en scène superflue, on peut choisir de regarder ailleurs, de se déplacer.

L'histoire du jeu est ainsi particulièrement mise en avant et le fait est qu'elle a bénéficié d'un grand soin. Les rebondissements et retournements de situation sont nombreux et placés judicieusement et certains passages deviennent cultes de façon instantané. La rencontre avec les militaires est, par exemple, particulièrement mémorable. Mémorable en elle même mais aussi grâce à la façon dont elle a été préparée, montée en épingle lors des heures de jeu précédentes. Ménageant gros coups de stress et moment de calme, révélations et mystères la narration d'Half-Life tient en haleine tout du long et participe autant, si ce n'est plus, au plaisir de jeu que la découverte du prochain monstre qu'on va devoir affronter.
La contre-partie de cet effort narratif est une aventure linéaire, avec peu de secrets à découvrir et un aspect labyrinthique beaucoup moins prononcé (carrément absent, en fait, sur certaines maps) qu'à l'accoutumé.

Un générique d'ouverture, des pauses contemplatives où le joueur n'a "rien à faire" des évènements linéaires, un scénario très présent, Half-Life serait-il un film ou bien un jeu vidéo ?
Le tour de force de la bande à Gabe Newell est de proposé une oeuvre qui propose une caractérisation de l'univers digne du cinéma sans pour autant oublier qu'on est avant tout dans un jeu vidéo. Pionnier dans l'exercice du FPS scripté Half-Life transforme son coup d'essai en coup de maître. Si les phases purement narratives sont nombreuses elles sont entrecoupées de longues phases de gameplay dans lesquels les scripts restent discrets et au service du jeu. Half-Life reste un jeu avant tout puisqu'on y joue la majorité du temps.
Grossièrement le gameplay se répartie entre énigmes et shoot.
Les énigmes ne sont pas bien compliqués à comprendre mais ont le mérite de se renouveler et d'offrir un certain challenge dans leur exécution. Leviers à actionner dans n certain temps, parcours à arpenter selon un certain chemin, phases de plateformes, etc... on ne s'ennuie jamais.
Le Shoot quand à lui possède une nervosité vraiment appréciable ainsi qu'une gestion de la balistique qui demande une certaine habitude (le full burst avec la mitraillette est le meilleur moyen de gâcher ses munitions) sans sacrifier la précision. Plus que les sensations de tirs, très bonnes, c'est surtout par l'intelligence artificielle de son bestiaire qu'Half-Life marque les esprits. Si les premiers monstres restent dans la vieille rengaine basique du "je te fonce dessus et je premier qui tire a gagner" on affronte assez vite des adversaires autrement moins bête.
Les militaires évoluent ainsi en escouade, se donnent des ordres, des renseignements sur notre position, montent à l'attaque avec prudence, balancent des grenades pour faire diversion et attaquer par le flanc, etc... Des adversaires et non plus des cibles voilà ce que nous propose Half-Life. La tension qui ressort des combats est assez unique, même encore 13 ans plus tard. Mais le jeu ne se contente pas de ce tour de force puisqu'il propose un bestiaire varié avec des ennemis qui ont chacun leur façon de procéder et certains d'entre eux peuvent rendre fou si on ne fait pas attention à ce qu'il se passe pendant le combat.
Pour couronner le tout on nous offre aussi des combats contre de boss là encore bien trouvé et assez intense.

S'il y a un point sur lequel le jeu n'était en revanche pas au top c'était la technique. Quelque mois plus tôt était sorti Unreal qui proposait un moteur de jeu rutilant, bourré d'effets et de textures de la mort. Cependant Half-Life avait pour lui un moteur parfaitement optimisé, une absence de bugs et ce qu'il n'avait pas en nombre de polygones il le rattrapait largement ailleurs. Des différents labos de Black Mesa en passant par les canyon arides du Nouveau-Mexique jusque sur l'étrange planète Xen le jeu jouit d'une direction artistique cohérente et inspirée.
Loin d'être moche le jeu n'était "simplement" pas le plus beau de son temps, il n'empêche qu'aujourd'hui ces questions paraissent un peu ridicules et que, surtout, le travail d'orfèvre dont a bénéficié l'univers d'Half-Life a bien plus marqué les esprits que n'importe quel jeu sorti à ce moment là, Unreal y compris.

Half-Life est ce que l'on appelle un "jeu-étape", un jeu qui a marqué son temps, son genre, le jeu vidéo tout entier.
Il y a clairement eu un avant et un après Half-Life dans la façon de concevoir un jeu vidéo, dans la façon de jouer à un jeu vidéo. Schématiquement il est le fossoyeur de la "mentalité arcade" et le précurseur de l'"aventure ludo-narrative". Bien sûr il n'était pas le seul à explorer cette voix, surtout en cette année 1998 où l'on pouvait jouer à Unreal ou Dark Project, mais il est le seul à avoir réussi une synthèse aussi parfaite entre gameplay et narration. Une réussite saluée par une presse dithyrambique et un succès commercial impressionnant, même si une certaine partie de ce succès est dû à l'explosion de Counter Strike (mod multijoueur ultra populaire qui nécessitait une copie de Half-Life pour être jouer... j'ai moi même acheté 4 fois Half-Life en tout pour avoir suffisamment de licences pour des LAN de Counter Strike entre potes !)
Aujourd'hui cette influence sur le genre a dévié vers des jeux où "raconter une histoire" signifie 30 minutes de punch-lines débiles entrecoupées de 5 minutes de gameplay bourrin...bourrin quand il n'est pas tout simplement optionnel tant l'abus de script tue tout intérêt ludique.
Toujours est-il que 13 ans plus tard la maitrise dont fait preuve Half-Life étonne encore, ce subtil équilibre entre action, réflexion et explication semble toujours aussi parfait. Plus qu'un "simple" jeu pionnier Half-Life est pur chef d'oeuvre.
Vnr-Herzog
10
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le 15 avr. 2011

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