Me lancer dans la rédaction de la critique de I have no Mouth and I must Scream (NoM pour la suite du texte) me refait me poser cette éternelle question : un jeu doit-il être apprécié pour ce qu’il est quand on y joue ou pour ce qu’il était lorsqu’il est sorti ?


Car j’avoue que mon ressenti sur ce jeu est en-deça de ce que j’en attendais. Le pitch, en effet, avait tout pour me plaire. Pour ceux du fond qui n’auraient pas suivi, l’humanité a été décimée par sa propre création, AM, super-ordinateur haïssant le genre humain, qui a déclenché un conflit apocalyptique. Toute l’humanité ? Non, car un village gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur …


Merde ! Pas du tout. En fait, AM a gardé sous sa paluche mécanique et digitale cinq êtres humains qu’il se plait à torturer depuis des années. Ainsi, nous allons incarner chacun leur tour ces cinq âmes tourmentées dans un petit « jeu » concocté par AM.


Dès le lancement de l’aventure, le décor est planté. L’ambiance générale est pesante (bien comme il faut), renforcée par cette patte graphique « fait main » des années folles du point’n’click. L’introduction, articulée autour d’un petit monologue d’AM nous faisant part de sa haine pour l’Humanité, est particulièrement juste, crédible et inquiétante.


Bien entendu, comme dans tout P’n’C qui se respecte, votre progression dans l’aventure sera intimement liée à la résolution d’énigmes plus ou moins évidentes, et surtout plus ou moins tirées par les cheveux. Là où j’ai été étonné – mais il faut convenir que le genre du P’n’C n’est pas ce que je connais de mieux – c’est que NoM dispose également d’une part de Die’n’Retry : si vous ne résolvez pas complètement certaines énigmes comme il faut, il arrive – dans certaines histoires – que votre personnage meurt, provoquant le courroux de AM qui s’attendait à autre chose, qu’il nous réanime pour redémarrer l’histoire du personnage … du début. Et comme je ne suis pas très porté sur le Quick Save (qui n’est pas un réflexe naturel pour les joueurs console), je me suis fait un peu piégé au début.


Sur les cinq histoires que vous allez vivre, correspondant chacune à l’un des survivants de l’humanité, toutes ne se valent pas. Et c’est un des problèmes majeurs de NoM me concernant. Ayant démarré par l’histoire de Gorrister, un homme totalement désespéré par son sort, j’ai trouvé que cette partie constituait une bonne introduction d’un point de vue narratif (du point de vue du gameplay, ce n’est pas l’histoire la plus simple à parcourir). On sent le désespoir du personnage, le caractère un peu bizarre et définitivement sombre de l’histoire, des situations et des interlocuteurs que l’on va rencontrer.


J’ai également trouvé intéressante l’histoire de Nimdok, qui s’avère être un ancien scientifique nazi ayant torturé par mal de monde et se retrouvant confronté à ses propres fantômes. La petite histoire de ce chapitre est assez connue, puisque, dans la version française de l’époque, cet arc narratif a été purement et simplement supprimé, considérant qu’en 1995 nous étions encore trop proches des évènements de la Seconde Guerre Mondiale (mon avis est plutôt qu’en 1995, même si ce sujet peut s’avérer éminemment sensible, le jeu vidéo était un média bien moins émancipé qu’il ne l’est aujourd’hui et que, en conséquence, la censure et l’auto-censure de ce type de séquence étaient bien plus aisées et évidentes). Pour finir cette anecdote, il est amusant de constater que seule l’arc narratif de Nimdok permettait de découvrir un code nécessaire pour atteindre la fin du jeu, même si on pouvait ruser pour faire autrement …


Le problème est que j’ai trouvé les autres chapitres de l’histoire bien en deça. On y retrouve toujours cette ambiance suintante et malsaine, mais à un niveau bien moindre que ce que j’aurais pu attendre. Dans les faits, j’ai bien eu l’impression que le jeu s’assagissait. Comme je l’ai mentionné dans mon introduction, cette appréciation est sans doute et au moins en partie due au contexte dans lequel j’ai joué à ce jeu. En 2018, de l’eau a coulé sous les ponts et les jeux dérangeants ou d’ambiance se sont multipliés, évoquant des sujets complexes ou eux-même dérangeants, pour lesquels nous avons aussi pris, en tant qu’hommes et femmes, de la distance.


Ce ressenti « assagi » m’a d’autant plus surpris lorsque je me suis renseigné sur Internet sur la nouvelle à l’origine de l’histoire, qui, elle, contient des éléments scénaristiques complémentaires qui n’ont pas été repris dans le jeu.


On y apprend par exemple que Benny, transformé comme dans le jeu en espèce de singe, mais doté d’une libido (et les organes qui vont avec) particulièrement active, et Ellen, qui a elle-même été altérée par AM, entretiennent une relation sexuelle des plus malsaines. Ou encore qu’à l’origine de leurs aventures, nos cinq âmes partent à la recherche de boîtes de conserve pour se nourrir dans le complexe technologiques de AM.


A sa sortie, j’imagine bien que NoM a défrayé la chronique pour son registre malsain, son ambiance très noire, les thèmes particulièrement malsains qu’il touche. Le jeu, globalement, est cohérent et pas mal écrit. Il présente les défauts habituels du registre du PnC, sur lesquels je ne me suis pas étendu, mais qu’importe. C’est juste que, joué aujourd’hui, NoM reste une œuvre à découvrir, ne serait-ce que pour la place un peu à part qu’il peut avoir dans le jeu vidéo, mais il paraîtra sans doute un peu plus fade qu’à sa sortie. Plus « sage » en tout cas, pour reprendre le terme que j’ai utilisé plus haut.

Red13

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