Katawa Shoujo
7.3
Katawa Shoujo

Jeu de Four Leaf Studios (2012PC)

Je n'ai pas fini Katawa Shoujo. Je ne finirai pas Katawa Shoujo. Le jeu m'a suffisamment montré ses espoirs, ses qualités, ses défauts pour que je puisse considérer que cela suffit désormais pour en écrire une critique. Et pour une autre raison, qui vous paraîtra peut-être absurde, mais qui est bien là tout de même et dont je parlerai à la fin.

Hisao est un garçon comme les autres, mais sa vie va basculer le jour où il fait une crise cardiaque qui va révéler en lui une malformation congénitale grave : une arythmie. Pour faire simple, Hisao ne pourra plus jamais avoir une vie normale et sera enchainé jusqu'à sa mort à ses médicaments et à un traitement médical lourd. Il quitte donc son lycée pour un institut spécialisé dans le traitement des handicapés : le lycée Yamaku.

Hisao, c'est vous. Étant le protagoniste de Katawa Shoujo ("des filles en morceaux"), un visual novel donc, vous devez vous résoudre à vous intégrer dans ce nouvel environnement et, bien sûr, y rencontrer l'amour de votre vie parmi ce lots de charmantes demoiselles qui se présentent à vous. Mais celles-ci, bien sûr, sont toutes handicapées. L'une est aveugle, l'autre est cul-de-jatte, l'autre n'a pas de bras ou une dernière est sourde. Chacune de ces filles en morceaux souffre, et vous pourrez choisir, vous joueur, de vous attacher à l'une d'entre elle afin de vivre une histoire romantique.

Le titre de 4Leaf partait d'une bonne intention : présenter des personnes handicapées dans un milieu où tout le monde l'est pour éviter de résumer celles-ci à leurs membres manquants. Ainsi le joueur devait changer de regard sur les handicapés pour comprendre qu'avant d'être blessées physiquement, ces filles peuvent être blessées moralement, psychologiquement, et que surtout, ce sont des êtres humains qui ont besoin d'amour.

Dommage que l'ensemble tombe droit dans les pièges à éviter dans une telle situation : le personnage principal est fade, trop fade, et il change beaucoup trop facilement de personnalité en fonction de l'élue. Qu'elle soit sportive, il le deviendra. Qu'elle soit calme, il passera sa vie à la bibliothèque...comment s'attacher à un bonhomme sans âme ?
Ensuite, la question du handicap est trop légèrement traitée. Force est de constater que si les filles en questions sont blessées, leur ressenti vis-à-vis du handicap n'est que rarement évoqué. Signe du malaise des créateurs ? En tout cas les sources du conflit amoureux qui formeront systématiquement la trame de votre relation avec l'élue prendront naissance ailleurs que dans le handicap : le passé est généralement mis à l'honneur avec force évènements traumatisants dont la fille choisie ne veut pas parler.

Enfin, le vrai problème de Katawa Shoujo, c'est tout y est déjà vu. Déjà vu, on vous dit ! La fille hyperactive, la fille sérieuse, la fille pimpante, la fille snob, la fille asociale...prenez un manga de harem classique et vous retrouverez chacun de ces archétypes que l'on nous inflige une nouvelle fois dans Katawa Shoujo. Leur handicap ne change que formellement les choses : dans le fond elles sont les mêmes que n'importe où. Et ça, c'est frustrant et dommage, car on aurait pu s'attendre à une vraie originalité pour un jeu avec une telle thématique. Et que par voie de conséquence, les histoires sont prévisibles, rebondissant sur des trames vues, revues et rerevues. Qu'il est pénible de devoir supporter de pseudo-révélations quand on a déjà compris le fin mot de l'histoire depuis deux heures !

Heureusement, Katawa Shoujo a osé innover. Et la réussite est si éclatante là où l'audace a été osée que l'on ne peut que regretter que cette audace ne soit présente qu'à si peu d'endroits.

La première audace a un nom, Kenji, otaku asocial persuadé qu'un complot féministe se trame pour conquérir le monde et exterminer les mâles. Je ne vous en dis pas plus, mais autant y aller direct : les discussions avec lui sont hilarantes ! Sans compter que sa capacité à passer du coq à l'âne pour les raisons les plus absurdes ("donne moi 500 yen. J'ai soif, et je ne peux pas boire l'eau du robinet, au cas où les féministes l'auraient empoisonnée, tu comprends ? Je dois acheter une cannette.") n'aide pas à la compréhension mutuelle...et tant mieux !

Enfin, je vais vous parler de Rin. Rin Tezuka.

C'est à cause d'elle que je ne finirai pas Katawa Shoujo. Son histoire est sans nul doute la plus originale qui soit. Cette jeune fille n'a pas de bras, et malgré cela, elle peint. Elle cherche à exprimer par l'Art ce qu'elle est incapable de traduire en mots. C'est pourquoi elle est toujours déconnectée du monde, toujours shootée aux psychotropes, toujours décalée, toujours absurde, toujours la même, à brasser les grandes questions de la vie avec l'innocence d'un enfant de cinq ans, et à vous retourner comme une crêpe pour vous parler de la difficulté à ne pas penser ou de la perfection du ciel qui change mais reste parfait, puis de vous faire un câlin comme ça, sans raison, ou plutôt avec une raison que je ne comprends toujours pas bien. Et un câlin d'une fille sans bras qui vous regarde de ses yeux verts et vous dit d'un ton blasé "je te fais un câlin. Je te préviens parce que la dernière fois qu'Emi m'en a fait un sans prévenir, je lui ai donné un coup de pied.", ça vous marque.

Je ne veux pas continuer le jeu, car cela reviendrait à sortir avec d'autres filles que Rin. Et si mon âme de joueur accepte l'idée de faire des sauvegardes pour corriger mes mauvais choix, mon âme d'humain refuse absurdement de vivre une autre histoire que la sienne. Je ne veux pas l'oublier, perdue dans un monceau d'autres discours absurdes et inintéressants, parce que j'ai été ému. Et que je ne veux pas oublier l'émotion.

Katawa Shoujo n'est pas parfait. Il n'est même pas à la hauteur de ses prétentions ce qui, avouons-le, était prévisible. Mais il a eu l'audace d'offrir au monde le personnage de jeu vidéo le plus drôle, le plus émouvant, le plus artiste, le plus poète, le plus absurde, le plus innocent, le plus fragile et le plus incompréhensible qui soit. Pour Rin Tezuka, pour sa façon de manger, pour sa philosophie de la vie, de l'absurde et de l'Art, pour son sourire au milieu des pissenlits, merci, Katawa Shoujo.


***

Six mois plus tard.

Petit à petit, j'ai repris le jeu. J'ai fini par refaire d'autres histoires, celles de Lilly, Shizune, Hanako. Mais aujourd'hui, je retourne sur la route de Rin. Revoir ce petit bout de fille annoncer fièrement qu'elle a mangé une orange (c'est dur à peler quand on a pas de mains) me fait me dire que, peut-être, j'ai été un peu sévère. Parfois, en filigrane, les handicaps apparaissent vraiment et jouent un rôle dans l'histoire. Parfois un simple détail qu'on ne nie pas mais auquel, au bout d'un moment, on ne fait plus trop attention suffit à montrer qu'on peut réussir à faire abstraction des membres manquants comme on le ferait pour un bouton sur un nez. Allez, quoi. Il ne me reste plus qu'à pleurer un bon coup...

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le 5 sept. 2013

Critique lue 3.7K fois

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Tezuka

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