Nier
7.9
Nier

Jeu de Yoko Taro, Cavia et Square Enix (2010PlayStation 3)

«  Notre monde se meurt. Autrefois prospère, il a été décimé par les épidémies et les maladies. La fin n’a jamais été aussi proche. Qui plus est, nos vies sont menacées par les Ombres, des créatures monstrueuses qui errent à travers le monde.
Mais peu importe.
Ma fille est malade et mon seul but est de lui offrir une meilleure vie.
Je fais de mon mieux, mais je ne suis qu’un homme, un guerrier endurci. C’est avec gratitude que j’accepte la bonté des villageois.
Rien ne peut m’arrêter.
Je me battrai pour Yonah jusqu’au bout… jusqu’à ma mort. »


Sachez que cette critique ne contiendra ni spoilers ni plus d’un jeu de mots douteux. Voilà, vous savez à quoi vous en te-NieR.


Nier est de ces jeux qui ont eu la vie dure. Action-rpg développé par Cavia et édité aux écuries Square-Enix sur Xbox 360 et PS3 en 2010 ; il sortit plus ou moins dans la même période que Final fantasy XIII mais n’obtint clairement pas la même attention que celui-ci de la part des joueurs et certainement pas de la part de son éditeur qui n’injectât pas assez de fonds dans le projet et dans sa promotion curieusement moins grandiloquente que dans ses habitudes. On notera quand même un curieux effort de localisation : le protagoniste est le père de Yonah (la gamine à sauver) dans la version occidentale du jeu, mais dans la version japonaise il en est le frère, ce qui implique un changement du chara design avec un père adulte aux traits assez marqués ou un frère adolescent à la beauté éphèbe … On peut se questionner sur la réelle utilité de cette manœuvre, surtout que le jeu a clairement l’air d’avoir été pensé pour le « frère », mais c’est assez remarquable d’avoir donné une expérience presque en tout point similaire dans les deux versions malgré cela tout en restant cohérent. (À savoir qu’initialement le Japon possède les deux versions, la version « occidentale » étant la version xbox360 et la version « japonaise » destinée à la ps3, chez nous les versions de ces deux consoles correspondent à la version « occidentale »)


En tout cas on comprend assez vite pourquoi l’envie de montrer Nier n’est pas flamboyante lorsque l’on voit les images du jeu digne d’une ps2 à peine sortie de la salle de musculation, qui plus est en 2010, à une époque où on se bat encore et toujours à coup de screen entre les différentes versions d’un jeu pour essayer de ridiculiser, au polygone près et muni de sa loupe, les consommateurs des autres firmes.


Quoi qu’il en soit le résultat fût implacable : une bonne partie de la presse et du publique flingue le jeu. Son manque de visibilité, quand celle-ci ne lui porte pas préjudice, entraîne des ventes catastrophiques qui pousseront Cavia à mettre la clé sous la porte. On le retrouve assez vite à prix ridicules dans les bacs d’occase… bref, une nouvelle licence morte dans l’œuf destinée à finir dans les oubliettes des accidents industriels.


Mais l’histoire en décida autrement, car l’ultime jeu de Cavia sera porté par une communauté de fans conquis par l’expérience jusqu’à ce qu’une « suite », Nier : automata, vienne se lancer sur nos consoles et PC en 2017, cette fois-ci signée par Platinium games qui transformera l’essai en dépassant les 1,5 millions de copies vendues. Créant par la même occasion un nombre conséquent de curieux se demandant ce que c’était, que ce fameux « Nier 2010 ».


Commençons par clarifier les choses, si le terme « suite » est encadré de guillemets c’est pour signifier que les deux opus peuvent être appréciés séparément. Bien sûr il est conseillé de les faire dans l’ordre de parution, car des clins d’œil parfois très significatifs ou non sont disséminés çà et là dans Nier : Automata. C’est d’ailleurs aussi le cas du premier Nier (2010) qui est en réalité aussi la « suite » de la fin E du premier Drakengard sortit en 2003 sur ps2 ! Là, la filiation entre ces deux épisodes plus anciens est encore moins évidente et passera inaperçue pour ceux qui ne sont pas au fait de toute la mythologie sortie de l’esprit farfelu de Yoko Taro, directeur atypique de chacun de ces projets.


On en vient enfin, Nier (celui de 2010 on est d’accord) est un action-RPG où l’on suit un père du nom que le joueur daignera lui donner. Celui-ci devra fracasser de « l’ombre » (principal bestiaire du jeu qui rappellera sans doutes les sans-coeurs et autres sombres moribonds des Kingdom Hearts) et ceci afin de sauver sa gamine, Yonah, aux prises avec la nécrose runique, une maladie qui la tue à petit feu.


Outre la trogne du jeu, c’est aussi dans ses interfaces et menues que le jeu rappelle la génération Playstation 2 et bien que le jeu en vaut la chandelle pour ceux qui se seront donnés la peine de continuer malgré « l’aspect retro-gaming » (qui n’est pas sans charme ma foi), là n’est pas le seul problème du soft.


Il faut le concéder, le système de combat composé d’un corps-à-corps à l’arme blanche et d’un éventail assez varié de sorts ne possède que très peu de profondeur, mais il a au moins le mérite de ne pas être désagréable à pratiquer et cela sans permettre totalement au joueur de traverser la quête principale et les multitudes de quêtes secondaires en frottant son pad contre la paroi obtuse de sa boîte crânienne. De plus, la caméra change régulièrement d’angle et de maniabilité pour rythmer les phases de jeu, ce qui donne une saveur particulière propre au titre qui va jusqu’à se donner les airs de shoot’em up à de nombreuses reprises.


Parlons du système de quête secondaire, il ne se résume qu’à la vie palpitante du type le plus serviable du monde accomplissant les volontés de n’importe qui, ramenant item sur item, faisant des allers-retours de villages en villages tentant bien que mal d’économiser du chemin en organisant sa chasse et sa cueillette de façon à faire d’une pierre cinq coups, rendant d’un coup les cinq quêtes que l’on lui file par zone avant que celles-ci soient remplacées par six autres une fois l’intrigue principale un peu avancée. Autant dire que ces quêtes sont TRÈS répétitifs et TRÈS nombreuses. Cependant, la très grande majorité d’entre elles est un minimum contextualisée et possède ce je-ne-sais-quoi, cette petite étincelle d’ingéniosité en termes d’écriture qui apporte par de multiples petites touches de la consistance à l’univers que l’on nous dépeint , à ses problématiques, à sa quête principale (celle-ci on en parle un peu plus bas). Et puis certaines d’entre elles se font échos, de quoi ravir les complétistes en herbe qui pourront oublier le bâton pour accepter la carotte promise au bout des 10 peaux de loup, des 5 rondins, et du PNJ le plus prolixe du village qui lui restent à trouver.


En outre on a parfois l’impression que Cavia a bricolé tant bien que mal son jeu avec des phases d’une banalité aberrante tout en voulant les rendre intéressantes, mais il le fait si bien qu’on est finalement surpris de ne pas être frustré au point de jeter l’éponge seulement parce que l’on a eu nos deux lignes de dialogues malignes et que tout compte fait on accepterait bien une autre quête histoire d’en avoir deux autres.

Ainsi Nier c’est une économie contrainte de moyens pour un maximum de puissance et cela se cristallise parfaitement, peut-être avec excès, dans toutes les « phases de jeu » se déroulant dans la forêt des légendes.


Mais parler d’économie dans Nier serait totalement mensonger en ce qui concerne sa bande originale qui est tout simplement magistrale, signée Keiichi okabe, aidé de ses comparses Kakeru Ishima, Takafumi Nishimura, Keigo Hoashi, sans compter la précieuse voix d’Emi Evans. Cette OST aura marqué plus d’un joueur par son style indéniablement à part. Tout le pouvoir évocateur du jeu se démultiplie dans ces paroles aux sonorités étranges, issu de « dialectes » inventés à partir de sonorités de différentes langues, tel que l’espagnol, le japonais, le français, l’anglais ou encore l’allemand. Tout cela donnant accès à des mélodies d’un autre monde à la fois empreint de mystère et d’une mélancolie étrangement familière.


Étrange tout comme cette aventure que l’on pense comprendre de sa simplicité apparente : un protagoniste partant à la rescousse d’un être cher. C’en est presque un « piège » puisque le jeu martèle sans arrêt son aspect classique en jouant sur le passif du joueur, rien que par son aspect un petit peu daté à sa sortie, mais pas seulement. Par exemple on a, comme dit plus haut, un bestiaire ressemblant à celui de Kingdom Hearts. Ou encore lors d’une certaine phase la caméra se place et se contrôle à la manière d’un Diablo, dans une autre c’est à Resident Evil que le jeu fait hommage. Dans la version japonaise le design du héros est un mix entre Raiden de metal gears solid 2 et Wanda de Shadow of the colossus, dans la version occidentale on a un protagoniste plus Kratos-ifié à la God of war.
Ce qui frappe assez est la quasi constante impression d’être renvoyé vers Ocarina of times. Mise à part une référence frontale à l’iconique jingle d’ouverture de coffre on a tout de même une aventure se déroulant en deux parties séparées part plusieurs années, durant lesquelles le monde se dégrade et où le protagoniste GRANDIT (en tout cas dans la version japonaise et qui plus est dans les mêmes proportions que Link), celui-ci est accompagné d’un acolyte volant nommé Grimoire Weiss, flottant autour du protagoniste en le conseillant à la manière de Navi pour le héros D’Hyrule ; le design de Yonah peut quant à lui faire penser à celui de la princesse Zelda enfant avec le fameux ruban qui couvre leurs cheveux. Même la roulade (avec le petit rugissement du héros qui va avec) que l’on détourne pour aller plus vite en ligne droite rappelle les Zelda 3D, c’est dire... J’arrête ici avant que cela soit encore plus indigeste que ça ne l’est déjà.


Cependant, ces échos du passé sont immédiatement balayés par le jeu et son côté bizarre/fou/mystérieux que l’on retrouve dès l’intro. J’ai beau penser à Ocarina of times en y jouant, par exemple pour le côté héroïque et vertueux de son protagoniste, mais jamais en jouant à Zelda je ne me suis dit que les combats avaient une aura « bestiale ». Jamais je ne me suis dit que Link avait l’air un peu trop obsédé par sa quête, ou que son comportement d’une extrême gentillesse contrasté étrangement avec des réflexions parfois névrosées. On passe tout de même notre temps à faire les courses les plus anodines du moindre inconnu réclamant notre aide lors des quêtes secondaires alors que notre fille est en train de crever à petit feu et dans la douleur de sa nécrose runique. On pourrait penser que ce sont des problèmes de tons, mais ceux-ci sont tellement nombreux et ont tellement l’air d’être voulus que lorsqu’un PNJ se paye notre tête en nous demandant de danser pour lui contre des piécettes tout en nous faisant la remarque qu’on accepte n’importe quelle requête de n’importe qui - réflexe de joueur oblige - on comprend alors que tout cela est bien intentionné.


Vous l’aurez compris, Nier est son propre jeu et ce malgré toutes ces fausses pistes qu’il nous fait relever dans le seul but de nous déstabiliser quand arrivent les dernières scènes de jeu, où l’on nous jette à la figure une information capitale qui redistribue toutes les cartes de l’intrigue ; ceci sans la moindre forme de sympathie pour le joueur et le héros dont la confusion sera totale. Ainsi ce retournement de situation impromptu est expédié en moins d’une minute et on n’en reparle plus jusqu’à ce que le jeu se termine sur une fin plutôt nébuleuse où la satisfaction retirée n’est pas celle que l’on pensait ressentir, quelque chose cloche. On vient de voir la fin A, qui est la première avant les fins les B, C et D.


Chose qui surprendra les non-informés, mais on nous propose en atteignant la fin A d’en savoir plus en rechargeant notre partie, refaisant grosso modo la seconde moitié du jeu, mais cette fois-ci en nous donnant accès à de nouvelles cutscenes et lignes de dialogues prenant en compte la révélation du premier run, redéfinissant ainsi le sens de toutes nos actions perpétrées depuis le début. C’est bien la première fois qu’un jeu me fait comprendre ce que cela implique d’en savoir plus que son avatar et à quel point cela est cruel. C’est là, après coup, que l’on conçoit ce que Nier a de génial.
Attention ce n’est pas juste une histoire de révélation renversante, c’est surtout la manière dont celle-ci agit sur le jeu. Elle n’est pas du tout « galvanisante » lorsqu’elle est lâchée la première fois et nécessite tout de même de recommencer une partie pour prendre réellement du sens pour le joueur qui ne doit pas simplement la comprendre (ce qui est en fait le cas dès qu’on nous la donne la première fois), mais bien : la jouer. Car c’est avec ces informations en plus que s’opère une dissociation avec l’avatar avec lequel on était pourtant devenu proche dans sa détresse, on en sait plus que lui et on ne le jouera jamais plus aussi anodinement, c’est trop tard. Mais c’est maintenant que l’on a mis une distance par rapport à lui qu’on arrive à le remettre à sa place dans l’univers du jeu et qu’il devient autre chose que le prolongement de la main du joueur.


C’est en cela que Nier n’aurait pas pu être autre chose qu’un jeu et ce mantra prend tout son sens lors de la fin D dont le concept à la fois d’une audace remarquable (tellement que le jeu nous balance huit mille warnings dans la figure pour être sûr qu’on y accède pas par erreur) et est à la fois tellement porteur de sens qu’elle sert le propos du jeu tout en concluant l’expérience Nier ; sans vraiment apporter de conclusion à toute la dramaturgie du titre, en tout cas de façon concrète. La fin D n’est pas une fin, c’est un symbole.


Concluons simplement : Nier est unique. Bien qu’il demande beaucoup d’efforts de compréhension pour son aspect un peu « déglingué », on ne pourra jamais lui retirer le fait qu’il est une expérience maîtrisée du début à la fin (D pour le coup) et cela malgré ses faiblesses ; c’est peut-être là son plus grand atout, celui pour lequel il mérite qu’on lui donne sa chance.


On dit que les chiens ne font pas des chats, mais étant assez navrant que l’on gâche les œuvres qui se suffisent en elles-mêmes avec des suites sans saveur ; on pourrait se questionner sur l’utilité d’avoir donné une suite aussi inattendue à Nier et quelle pourrait être sa valeur au vu de l’héritage qu’on lui impose ? Et bien rassurez-vous, ce Nier : automata est un très grand jeu, mais ceci est une autre histoire.

Créée

le 3 juil. 2017

Critique lue 181 fois

Sobotka

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