La nostalgie, la souffrance, la peur, mais aussi le bonheur ou l'euphorie. Autant de sentiments qui puisent leur essence dans nos souvenirs. Parfois on s'amusera d'un brin de passé cocasse, à d'autres occasions nos actes nous hantent et violent nos esprits jusqu'à la dépression. Dans le Néo-Paris des années 2080, la société Memorize songe justement à un système pour éradiquer la peur du cœur des citoyens : le Sensation Engine (Sensen). Après d'énormes progrès technologiques dans le domaine de la compréhension du cerveau humain, le génie à la tête de cette entreprise tentaculaire a trouvé le moyen de numériser les souvenirs et de relier en réseau chaque individu à une unité centrale géante : H30. Les mémoires et les émotions du monde entier se retrouvent ainsi connectées les unes aux autres. L'expérience humaine est maintenant une propriété publique.

Le Sensen ouvre ainsi la voie à ce qui doit être un nouvel âge d'or de l'humanité : traitement thérapeutique de la dépression par transmission de souvenirs heureux, effacement des souvenirs douloureux, ... Seulement Paris se ghéttoïse, inévitablement. Les junkies mémoriels addicts aux bribes de mémoires heureuses se terrent dans les bas fonds mal-famés, tandis qu'un terrorisme mémoriel nait pour protester contre les méfaits de la technologie Sensen. Nillin est l'une d'entre eux, une chasseuse de mémoire. Une des rares capables de voler les souvenirs ou, plus impressionnant, de les altérer.

A travers elle, on rencontre le Paris futuriste de Remember Me. Balloté entre les quartiers riches qui n'ont rien perdu de leur cachet haussmannien et les bidonvilles du pourtour qui exhalent une ambiance cyber punk décadente, on découvre un monde doté d'un esthétisme certes binaire, mais tellement maitrisé. L'ordre et le désordre se côtoient comme deux vieux amis piliers de bar. Ici on appréciera la pureté des formes, ailleurs on louera l'art du bordel. L'éclairage et la mise en scène viendront parachever le tout. Ne pas se méprendre toutefois. Remember Me n'est pas un titre qui vous éblouit par ses panoramas. Ce sont plutôt de brefs instants où on perçoit clairement l'harmonie dans la réalisation, le cachet qui fait que l'on se souvient de l'instant. La direction artistique, enchevêtrement d'avant-gardiste et de traditionnel, de zen et d'apocalyptique, est une franche réussite et fait vite oublier les quelques lacunes techniques. Les pistes célestes d'Olivier Deriviere ajoutent enfin la tonalité épique qui manquait à ce tableau. Entre les voix mystiques et les sonorités électroniques sur fond orchestral, les mélodies collent à la peau de l'héroïne et nous immergent dans un océan de données tragiques.

Et quelque part, c'est un peu cela la vraie performance de Remember Me. Le joueur se trouve projeté dans une véritable tragédie. Le politique se mêle au familial, tout en traitant de sujets de société sensibles. A travers cette œuvre d'anticipation, DONTNOD Entertainment nous questionne sur notre patrimoine mémoriel. Du côté de Memorize, on considère que toute réalité est collective, que la mémoire était dans le passé une propriété dont nous privions les autres, comme l'on prive les propriétés intellectuelles aujourd'hui. Le versant contestataire préfère se focaliser sur les méfaits d'une telle technologie : l'effacement de soi, la marginalisation et les dangers de l'altération de la mémoire. On ressent cette ambiance de révolte tout au long de l'aventure : l'atmosphère est souvent guerrière, toujours teintée d'incertitude. Tout cela est au final presque effrayant, pour la simple raison qu'Alain Damasio (directeur narratif) a rendu son propos crédible, diablement solide, et fait quelque part écho à certaines problématiques actuelles. Difficile donc de reprocher à Remember Me des lacunes sur le background tant le codex est fourni. DONTNOD a joué la carte d'une exploitation à fond de son concept, et cela fonctionne à merveille. Le scénario est prenant, l'univers énigmatique et les thématiques bien amenées. Y compris dans le gameplay.

Les occasions ou Nillin devra "remixer" la mémoire des personnes sont en effet de loin les passages les plus judicieux du titre. Maintenant, si l'on doit statuer de façon globale sur le gameplay, difficile d'être aussi catégorique. Si le système de combo est plutôt simple à prendre en main, on regrettera une caméra capricieuse et l'impossibilité d'interrompre sèchement le combo en cours autrement qu'en faisant une roulade dans le vide. Reconnaissons cependant que le système de combat est suffisamment évolutif pour qu'on profite d'un peu de dépaysement de temps à autres. Et c'est sans compter les quelques combats de boss plutôt réussis qui jonchent le parcours, ou plutôt les couloirs, le soft étant particulièrement linéaire. L'idéal pour raconter une histoire bien scénarisée pourra-t-on arguer.

En fin de compte, Remember Me conjugue une esthétique accrocheuse, une bande-son jubilatoire et une écriture solide pour nous faire vivre une expérience étonnante de cohérence, dont on se détache difficilement. La narration laisse peu de place au répit pour cette pauvre Nillin, que l'on apprend à apprécier au fil des heures, alors que l'on discerne souvenir après souvenir, toute l'étendue de son douloureux passé. DONTNOD parvient enfin à mêler de façon habile l'intrigue personnelle au sociétal, tout en l'ancrant dans un univers au doux parfum d'anticipation. Une réussite.
DocElincia
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le 6 juin 2013

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