Spec Ops The Line est un cas intéressant dans une industrie vidéoludique préoccupée de cinématographie, embarrassée de savoir quoi faire du joueur quand elle doit raconter une histoire. Le jeu de Yager tente, dans un même geste, le jeu vidéo, le cinéma et la destruction du 4ème mur. Trop d’ambitions ?
Spec Ops The Line est un TPS tout ce qu’il y a de plus classique, voire de conformiste. Pas désagréable pour qui aime Gears of War et ses murets disposés en dépit de tout souci réaliste, cet énième shooter guerrier fait dans le solide et le connu. Une zone de conflit exotique (Dubaï), un système de cover qui, sans atteindre la qualité des meilleurs du genre, se révèle efficace, une campagne d’une dizaine d’heures plutôt relevée en Difficile et une IA honnête qui obligera le joueur à se la jouer « stratégie » en utilisant au mieux ses deux alliés. On pestera juste sur des checkpoints un peu élastiques et sur des alliés qui prennent un malin plaisir à mourir au milieu du champ de bataille, rendant leur sauvetage plus que périlleux voire impossible avant d’avoir nettoyer la zone.
Côté scénario et développement de l’histoire, les gars de Yager connaissent leur doublette Apocalypse Now de Coppola et Au Cœur des Ténèbres de Conrad sur le bout des doigts. De la chevauchée des Walkyries jusqu’au patronyme du soldat à sauver, les clins d’œil et les hommages se multiplient. Spec Ops The Line prend le contrepied des shooters militaires pour un voyage dans l’enfer de la guerre jusqu’au royaume de la folie. Le soldat Walker, incarné par le joueur, verra sa conscience mise à rude épreuve au point de ne plus pouvoir distinguer le bien du mal, la civilisation de l’animalité. Yager brouille les pistes avec un certain talent, questionne le joueur via ce personnage déboussolé et offre un crescendo vers l’horreur crédible, mêlant l’extériorité d’un champ de bataille en ruines et l’intériorité tourmentée de pseudos héros, comme le JV nous en sert par dizaines.
Spec Ops The Line se veut aussi une réflexion sur ce qu’est un joueur, particulièrement celui des guerres modernes et des champs de bataille divers. Yager brise le 4ème mur en s’adressant directement au joueur, à son héroïsme, à son utilité, à son appétit de tueur. Il suppose que le miroir d’horreur que son scénario lui tend (massacre des civils, bombes au phosphore, exécutions de soldats…) le questionnera sur le plaisir qu’il a à tuer virtuellement. Mais les devs de Yager le font de manière pleutre, façon petit maigrichon caché derrière de grands costauds (Coppola, Conrad…). Prendre à partie le joueur, lui ôter sa couronne de héros parti sauver le monde ou au moins les Etats-Unis, pourquoi pas, mais pourquoi alors le récompenser de ses headshots ou de sa maîtrise des armes via des jauges à remplir comme dans le premier shooter venu. Il y a là une prise d’otage forcée : le joueur est obligé de tuer pour avancer et le jeu le récompense de ses actions d’éclats, comme pour lui dire « tout n’est pas si sérieux, amuse-toi mais n’oublie pas de réfléchir un peu ».
Spec Ops The Line n’ôte jamais le plaisir de dégommer du soldat virtuel, de la chair à canon numérique. Il le glorifie même par le principe du ralenti lors d’un headshot et par son système de récompenses et de succès. On aurait aimé que Yager, en brisant le quatrième mur, mette le joueur à nu et le fesse ; au lieu de cela, Spec Ops The Line chante les louanges d’une arme dressée, comme un sexe d’homme, prête à décharger.