Vague à l'âme
Il est de ces jeux qui vous prennent par la main et vous bercent. Des jeux qui vous entraînent dans un univers capitonné, où de belles couleurs chaudes vous apaisent. Spiritfarer en est. Le troisième...
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le 9 sept. 2020
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« Spiritfarer », sur le papier, c’est tout ce que j’aime.
Et je ne vais pas vous mentir : sitôt j’ai vu le trailer de ce jeu que j’étais déjà conquis d’avance.
D’ailleurs ce trailer ne m’a finalement pas menti sur la marchandise.
« Spiritfarer » est bien un jeu à l’esthétique exquise, avec une direction artistique à mi-chemin entre « Gris » et « Cuphead », le tout agrémenté d’une bande-originale qui n’est pas non plus sans rappeler « Hollow Knight ».
« Spiritfarer » ne nous ment pas non plus sur le principe qui semblait être annoncé. Il est bien ce jeu s’inscrivant dans la droite lignée de ces walking simulators qui cherchent à développer une aventure ludique originale sans qu’il n’y ait de jauge de vie, de morts à répétition, de trucs sur lesquels tirer, etc…
Enfin, « Spiritfarer » est bien également cet instant de délicatesse et de poésie que chaque image du trailer semblait suggérer…
Donc oui, sur tous ces points, « Spiritfarer » est effectivement un jeu qui sait être touchant. C’est un jeu qui a du cœur.
Indéniablement…
Mais avoir du cœur ne suffit pas toujours à un jeu pour qu’il ait une âme, et ce « Spiritfarer » me l’a malheureusement démontré à mes dépends…
Triste ironie d’ailleurs que de manquer d’âme alors qu’on est un jeu dont le principe consiste justement à en trouver.
Car quand bien même je reconnais quelques moments de poésie qui ont su sincèrement me toucher au cours de la partie (…et on en reparlera plus tard), la lucidité m’oblige malgré tout à ce triste constat : la plupart du temps, ce long travail qui a consisté à trouver des esprits, les apaiser, puis les conduire jusqu’au seuil du repos éternel, je l’ai juste trouvé fastidueux.
Et c’est là que s’acte toute la différence entre ce qui peut faire rêver sur le papier et ce qui se passe réellement une fois la manette en main.
Un bon jeu ce ne se réduit qu'à de bonnes intentions.
Un bon jeu ce n’est pas que de la générosité.
Comme dans tout autre média, la poésie implique une métrique pour être séduisante.
Comme dans tout œuvre d’art, il faut que s’opère une certaine alchimie pour que le charme s’opère pleinement.
Mais le problème à mon sens avec ce « Spiritfarer », c’est qu’il enchaine trop les fausses notes pour que la mélodie qu’il me joue parvienne vraiment à m’emporter et m’enivrer.
La première de ces fausses notes est aussi de mon point de vue la plus flagrante : ce jeu a un vrai problème de rythmique.
Alors qu’il est toujours appréciable (je trouve) dans un jeu de connaître une progression continue, là dans « Spiritfarer » les changements de régimes sont nombreux et souvent pénibles.
Après un début bavard et dispersé, il m’a fallu subir pendant plusieurs heures une phase de tatonnement et de mise en place assez laborieuse.
Le problème c’est qu’au départ on se retrouve avec beaucoup d’actions possibles sans qu’on puisse en voir l’intérêt immédiat. Parfois même il faut peiner quelque peu avant de comprendre les quelques subtilités de l’activité. Et ça n’en devient d’ailleurs que plus rageant quand, plusieurs heures plus tard, apparait l’esprit qui entend nous expliquer par le menu tout ce qu’on a déjà compris par nous même depuis un certain temps …
…Mauvais timing.
D’ailleurs, ce souci de mauvais timing s’exprime aussi au travers de barrières de progression mal pensées.
Ainsi on peut se retrouver avec un paquet de quêtes bloquées pendant des heures parce qu’il nous manque l’équipement nécessaire pour se rendre aux endroits indiqués et puis soudain, sitôt l’équipement en question aquis, on se retrouve brusquement submergé par de nouvelles demandes.
Et ces situations, elles sont loin d’être si rares au cours d’une partie de « Spiritfarer » car la logique très aléatoire de ce jeu rend parfois certaines mécaniques bêtement hermétiques.
Ainsi d’un côté on peut fouler au pied nos rudiments d’agronomie quand il s’agit de nourrir les moutons avec des olives ou des paellas, mais d’un autre côté on a intérêt à savoir que c’est dans les mûriers que les chenilles à soie aiment à se loger, au risque sinon d’attendre longtemps de trouver une île sur laquelle trouver de la soie…
Et comme bien évidemment un mûrier ça ne pousse pas comme ça, sitôt découvre-t-on la solution pour avancer qu’on va se devoir… d’attendre.
Et le temps de pousse d’un mûrier dans ce jeu, c’est long.
…Très long.
…Surtout quand, comme moi, ayant cherché la solution partout en accomplissant toutes les autres quêtes possibles, on n’a plus rien pour occuper son temps de jeu durant la pousse.
Alors du coup moi je me suis occupé en jardinant, en pêchant et en collectant tout ce pouvait être collecté… Autant d’activités qui – malheureusement – trouvent très vite leurs limites me concernant.
La deuxième grosse fausse note, elle est d’ailleurs là : le manque d’intérêt des différentes boucles de gameplay qui nous sont offertes.
Alors d’accord, c’est chouette d’éviter de passer par la case « facilité » et de ne pas nous proposer de la plateforme ou du shoot comme on en a déjà vu des milliards de fois, mais encore faut-il être en mesure de proposer une alternative séduisante.
Parce que là, à bien tout prendre, l’offre de ce « Spiritfarer » n’est quand même pas bien folichonne.
En gros, jouer à « Spiritfarer », concrètement, c’est appuyer tout le temps sur le même bouton pour jeter et ramener sa ligne de canne à pêche, pour planter, pour arroser et arracher un légume du jardin, pour frapper le fer encore chaud puis le passer sous l’eau fraiche…
Clairement tout ça manque d’enjeu…
…Pour ne pas dire que ça manque carrément de « jeu ».
Parce qu’à bien tout prendre, dans quoi ai-je pu prendre du plaisir en tant que joueur dans « Spiritfarer » ?
Alors d’abord c’est vrai que j’en ai quand même pris quand il s’est agi d’agencer mon bateau avec les différents compartiments qui le composent et puis…
…Bah et puis c’est tout en fait.
Traire une vache, tisser du fil ou bien encore attendre qu’un plat soit cuit pour le sortir du four, franchement ça ne m’extasie pas plus que ça, surtout quand ça se fait d’une manière aussi rudimentaire.
Alors après – attention – je ne dis pas que ça aurait dû être des taches plus complexes à accomplir, mais je pense néanmoins que – malgré leur diversité – de telles tâches aussi sommaires ne peuvent suffire pour constituer un cœur de jeu.
C’est qu’en plus ces tâches ne sont pas toujours servies par un gameplay exemplaire.
Par exemple le déplacement de notre avatar est bien trop sensible. A peine a-t-on effleuré le stick directionnel qu’une foulée de sprint est déjà lancée.
…Et ça c’est juste gonflant tant on se retrouve régulièrement à devoir s’y reprendre à trois fois juste pour interragir avec l’élément qu’on a choisi et non celui qui était juste à côté.
Cette sensibilité du stick elle peut d’ailleurs très vite devenir usante sur certaines phases qui consistent à bondir à la recherche d’une méduse, d’une luciole ou d’un pulsar…
Les tâches ont beau être rudimentaires, cette approximation de gameplay peut soudainement les rendre rageantes et cela pour les mauvaises raisons.
De plus, je ne félicite pas le jeu sur certains manques de lucidité sir des points qui relèvent pourtant selon moi de l'évidence.
Par exemple quelle idée à la con qu’on ne puisse pas choisir soi-même où disposer les échelles sur son bateau !
Parce qu’au-delà du fait que la génération automatique d’échelles entraine parfois des aberrations assez crispantes – comme la présence de deux échelles l’une à côté de l’autre pour ne citer que ça – les échelles sont aussi les éléments de décors qui peuvent vous pourrir la vie lors de phases minutées de chasse au collectible.
Car non seulement la maniabilité de notre avatar n’est pas exempte de tout reproche mais, en plus, sitôt passe-t-on devant une échelle qu’on s’en saisit forcément pour peu qu'on ait bondi face à elle !
Or, quand on s’évertue à sauter d’un bord à un autre de son bateau lors de ces courses au collectible et qu’une vingtaine d’échelles se retrouvent sur notre passage sans qu’on en ait rien décidé, les occasions d’hurler deviennent légion.
Alors d’accord, c’est vrai que jusqu’à présent j’ai l’impression de piailler sur des détails.
Seulement voilà, ces détails rageants, il y en a quand même une petite fournée et si je me garde bien de tous vous les expliquer, c'est uniquement pour ne pas rendre cette critique trop indigeste.
Et si je m'attarde au fond sur autant de détails, c'est aussi parce que - malheureusement - ce jeu ne se limite qu'à ça : à des détails...
Et ce serait peut-être là le problème le moins évident à saisir et pourtant le plus essentiel de ce jeu ; sa dernière (mais terrible) fausse note.
« Spiritfarer » n’est qu’un agrégat d'éléments. Il ne forme jamais vraiment un tout.
Il est certes un assemblage de bonnes idées et de bonnes intentions mais il lui manque l’essentiel : une vision d’ensemble ; un propos pleinement construit ; une idée centrale qui l’habite…
En d’autres mots, une « âme »…
Parce qu’au final, où voulait en venir ce « Spiritfarer » ?
Que voulait-il nous raconter ?
A première vue, une idée semble pourtant s’imposer avec évidence : « Spiritfarer », de par son histoire et son principe, entend aborder la question de l’acceptation de la mort.
Après tout on passe son temps à rechercher les esprits en transition, à apaiser leur âme, afin que ceux-ci puissent ensuite avoir accès au véritable « repos »…
…Le repos éternel.
Et notons d’ailleurs que cette question de l’acceptation de la mort s’étendra jusqu’à nous puisqu’à la fin, c’est à notre avatar de devoir franchir le fameux « seuil » fatidique.
…
Seulement voilà, si le propos est bien celui-ci alors dans ce cas qu’on m’explique la raison de certains choix artistiques.
Pourquoi les esprits perdus ont-ils par exemple des têtes d’animaux alors que notre avatar a une apparence humaine ?
Pourquoi ne s’occupe-t-on que d’une dizaine d’esprits alors qu’il y en a plein d’autres qui habitent ce monde transitoire ?
Pourquoi certains de ces esprits semblent avoir des liens de parenté avec notre avatar (Gwen, Atul…) et pas les autres ?
Pourquoi certains personnages font-il référence à la guerre et d’autres à des pratiques bien ultérieures comme par exemple les jeux de rôle ?
Pourquoi les noms des différentes zones font référence à des cultures bien précises comme celle de l’Allemagne, du Japon, des Etats-Unis ou de la Scandinavie ?
Est-ce qu’il y a une logique d’ensemble à tout ça ou bien est-ce qu’on a juste pioché dans la boite à random ?
…Malheureusement, je crains que ma dernière question ne soit que purement rhétorique tant la réponse me semble évidente.
A bien tout prendre, il n’y a pas de cohérence d’ensemble dans cet univers.
Parfois quelques idées ont fleuri pour caractériser quelques personnages ou quelques lieux, mais à aucun moment on a cherché à créer un tout cohérent avec ça.
…Et pour le coup c’est royalement con parce que pour moi c’est là que se joue le cœur de la narration d’un jeu vidéo ; dans l’univers qu’on parcourt.
Pourtant il y avait moyen de faire quelque chose de vraiment intéressant avec tout ça…
…Si le cœur du propos c’est l’acceptation de la mort – qui plus est par une jeune-fille qui, de par son âge, ne devrait pas à devoir se poser cette question – alors il fallait savoir créer tout un contexte cohérent pour les joueurs afin de faire en sorte que notre parcours soit en fait un cheminement qui nous est offert par Charon afin qu’on accepte notre propre mort.
Aussi, pour faire de toute notre partie un cheminement personnel de Stella vers sa propre mort, il aurait fallu que tous les personnages qu’elle rencontre – et à qui elle doit faire accepter la mort – soient aussi des personnages dont elle se devait aussi d’apprendre à faire le DEUIL.
Astrid est sa sœur et Atul est son oncle ? Très bien ! Mais ce n’est pas suffisant ! Il aurait fallu que Summer soit sa grand-mère, qu’Astrid et Giovanni soient ses parents ; qu’Elena soit son instit et non seulement UNE instit ; que Buck soit SON pote d’enfance, voire son ex-mari puisqu’on nous dit que Stella a été mariée…
…Quant aux lieux, chaque lieu aurait dû renvoyer à son univers mental. Un archipel de souvenirs qui aurait dû apparaitre comme lié à son existence révolue ou à ses rêves inaccomplis. Ainsi visiter un lieu aurait pu être l’occasion pour le joueur de découvrir qui était Stella.
…
Mais au lieu de cela qui est Stella dans ce jeu ?
Finalement : personne.
Elle est juste une avatar random qu’on n’a même pas cherché à inscrire dans une période, dans un espace, dans une culture.
Stella est juste à l’image de ce jeu : elle est juste l’assemblage d’idées superficielles et éparses qui n’ont pas grand-chose à foutre ensemble.
Ainsi Stella est-elle une jeune-femme noire et rousse en même temps ; symbole d’une direction artistique qui ne sait pas où aller parce que derrière ce projet il n’y a pas de véritable fil directeur ; il n’y a pas de vue d’ensemble…
A bien tout prendre, donc, « Spiritfarer » est un projet qui m’attriste…
...Mais vraiment.
Et pourtant, en fin de compte, en dépit de mon long listing de défauts, je lui accorde malgré tout une note somme toute positive : 6/10.
Je le conçois : ça a de quoi surprendre.
Mais si je m’étale autant sur mes frustrations à l’égard de ce jeu c’est parce que – vraiment – il avait ce petit quelque chose qui fait généralement la base de tous les grands jeux.
Ce jeu transpire l’envie et les bonnes intentions.
Ce jeu a du cœur.
Et j’ai beau avoir dit en début de cette critique que le cœur n’est pas suffisant, il n’en reste pas moins qu’il est la base indispensable pour qu'un jeu espère devenir bon.
Avec ce « Spiritfarer » - les studios Thunder Lotus Games disposaient des prémisses nécessaires à un grand-jeu.
Et quand bien même je persiste à dire que ce n’est pas suffisant, c’est malgré tout difficile de ne pas y être sensible.
Parce qu’en effet, en tout et pour tout, « Spiritfarer » m’a quand même touché.
Et même si en fin de compte, en 45 heures de jeu, les moments d’émotion ont été rares...
…Pour ma part ça ne se limite finalement qu’aux quelques instants passés au Seuil éternel ainsi qu’à mes premières collectes de comètes, ce qui est finalement bien peu…
…Malgré tout ces moments ont néanmoins su être suffisamment forts pour que j’ai envie d’aller plus loin à chaque fois.
…Pour que j’ai envie d’aller jusqu’au bout.
…Jusqu’à la fin.
Au final j’y ai passé 45 heures donc.
Et même si ces heures n’ont pas été – dans leur grande majorité – enthousiasmantes, elles n’ont pas été non plus totalement désagréables.
Frustrantes certes. Rageantes parfois. Mais rien qui ne puisse entraver cette autre donnée si rare et si fondamentale dans notre rapport à l’art qu’est donc l’émotion.
Ce jeu a donc du cœur, c'est évident. Et c’est parce qu’il a du cœur qu’il est parvenu à me procurer ces petits moments qu’on oublie jamais vraiment.
Certes ce fut fugace, ponctuel et entravé.
Mais ce fut là. Et ça, je ne peux pas le renier.
Mieux que ça, je n’ai pas ENVIE de le renier.
L’un dans l’autre, j’aime « Spiritfarer ».
Je n’y rejouerai sûrement pas mais j’ai aimé y jouer. Vraiment.
Et s’il a fallu qu’existe ce jeu pour qu’ensuite s’ouvre une voie pour un futur jeu de Thunder Lotus games qui soit plus mature et plus abouti, alors je ne pourrais que l’aimer davantage.
Car après tout, l’âme c’est aussi un concept bien vague.
C’est ce qu’on aime imaginer chez ces choses ou chez ces gens qui parviennent à nous émouvoir ; à dépasser notre entendement.
Donc qui sait…
Peut-être qu’en partant d’autre détails, un jour, le cœur battant de Thunder Lotus Games parviendra à donner vie à une œuvre si puissante et délicate qu’elle finira enfin par me berner, me transcender, me dépasser…
Et alors peut-être que moi aussi j’y verrais ce que d’autres savent peut-être déjà entrapercevoir dans ce « Spiritfarer »…
…Une âme.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2020 : mes jeux de confiné, de déconfiné et de reconfiné... et 2021 : cette année de brun durant laquelle le JV va faire du bien...
Créée
le 13 janv. 2021
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