Il y a une malédiction pesant sur les jeux d'aventures, même les meilleurs. Le jeu peut être merveilleusement bien écrit, posséder des personnages et une histoire incroyable, être tout empli de personnalité, son gameplay sera tout de même construit autour d'objectifs et d'obstacles absolument fadasses, obstacles qui seront de plus censés être surmontés à l'aide de moyens (les objets de l'inventaire, les capacités pouvant être mobilisées) presque tout autant emmerdants. L'activité typique du jeu d'aventure le plus barré consistera généralement à réparer un ascenseur à l'aide d'un marteau, de matériaux chiants divers et d'une mouette. À tout prendre, je préfère encore tuer du clone à la chaîne.

Technobabylon est le seul Point & Click auquel j'ai joué à ne jamais tomber dans ce travers. Les situations dans lesquelles les personnages se trouvent, les outils que le joueur doit utiliser et les actions que celui-ci doit entreprendre pour avancer sont systématiquement amusants : survivre à une attaque, comprendre ce qu'il s'est passé sur une scène de crime atroce, poursuivre un criminel... voilà qui est excitant ; altérer la mémoire, le rôle social et la personnalité de personnages ou encore sauter du monde virtuel au monde réel... voilà des outils grisants à manipuler. C'est sans doute sur ce point que Technobabylon se distingue le plus des autres jeux d'aventure, et c'est la principale raison qui fait que c'est aujourd'hui de loin le Point & Click que je recommande le plus autour de moi.


Mais c'est loin d'être la seule qualité du produit. Une autre de ses forces est son ton, très plaisant, très mesuré. Le jeu présente des éléments pouvant sembler sordides (et parfois considéré comme tel par les personnages), mais ne tombe jamais dans le dramatique se faisant (les personnages tendent à avoir du recul, les éléments périphériques associés à l'élément sordide ne le sont pas nécessairement...). Par exemple, il y a dans le jeu un restaurant vendant de la chair humaine (de clones cultivés sans tissus cérébraux). La plupart des personnages trouvent en réalité ça d'assez mauvais goût, mais reconnaissent que personne n’en souffre et, partant, ne s'en alarment pas. De plus, le cuistot derrière l'opération est parfaitement normal et même sympathique. Un autre jeu moins habile aurait insisté sur le glauque en en faisant un type chelou et malaisant, pas Technobabylon.
Un autre exemple : assez vite dans le jeu, deux des personnages principaux rencontre un androïde, à l'apparence et la personnalité d'une femme, utilisée comme un jouet sexuel par ses propriétaires. Les deux héros (qui ne sont pas de grands cyniques) ne se lamentent pourtant pas sur l'exploitation sexuelle d'un être pensant, mais au contraire s'en amusent et plaisantent dessus.


D'ailleurs, Technobabylon se déroule dans un futur dont certaines des évolutions sociales peuvent être considérées comme positives (parfaite diversité en termes de race, de sexe et de pratique sexuelle ; très forte tolérance en général), mais le jeu (par ses personnages et les situations montrées) n'insiste pas sur à quel point cela est génial, à quel point cela constitue une évolution positive par rapport au passé (soit notre présent). Il ne critique pas non plus. Il est juste très neutre. Je ne serais pas étonné que quelqu'un de socialement assez conservateur et quelqu'un de socialement très libéral (au sens américain) fassent une lecture opposée du jeu à ce niveau. Pour être franc, Technobabylon projette tout de même beaucoup des signaux actuels du "progressisme", mais il le fait avec finesse et créativité. Pour autant que je sache, il est l'unique représentant de cette espèce.


Le jeu n'est pas parfait : les énigmes sont bien faites, mais cela manque de montée en complexité ; la conclusion de l'histoire est décevante et je ne trouve pas l'esthétique du jeu particulièrement captivante. Il n'en reste pas moins que Technobabylon est un jeu trash et fin, rythmé et continuellement plaisant à jouer. C'est pour moi le meilleur jeu édité par Wadjet Eye, et c'est un des meilleurs jeux d'aventure existants.

GéhenneFleurie
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le 12 nov. 2017

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GéhenneFleurie

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