Décidément, il semble que la mécanique de boucle temporelle ait actuellement le vent en poupe dans le domaine du jeu vidéo. Entre des titres comme Outer Wilds, 12 Minutes, ou Deathloop, de plus en plus de développeurs semblent vouloir explorer le phénomène qui a rendu célèbre le fameux jour de la marmotte. Un exercice pas si facile à retranscrire en jeu vidéo, tant elle s’appuie sur un concept basé sur la répétitivité des situations. De ce fait, sans un minimum de variables afin d’éviter de tomber dans le piège de la redondance, la proposition peut vite tourner en rond et se montrer finalement frustrante. C’est ce qui m’a notamment perdu dans le 12 Minutes de Luis Antonio, dont la boucle trop restreinte et contraignante finit par emprisonner le joueur dans un schéma d’action frustrant, limitant rapidement le plaisir de la découverte. Et c’est là qu’intervient cet étonnant The Forgotten City, une aventure narrative d’abord conçue comme un ambitieux mod de The Elder Scrolls V : Skyrim, mais qui a fini par devenir un jeu à part entière développé par Modern Storyteller. Un de ces jeux que je n’attendais pas, que j’ai découvert sur le tard, mais qui, à l’image de Paradise Killer l’année dernière, m’aura suffisamment interpellé pour me motiver à en parler pour peut-être le faire découvrir à un minimum de personnes.



Retour vers le passé



On se retrouve donc aux commandes d’un avatar, homme ou femme, reprenant connaissance après avoir été sauvé de la noyade par une jeune inconnue nommée Karen. Elle va rapidement nous demander de partir à la recherche de Al, un homme disparu depuis quelques heures alors qu’il fouillait les ruines romaines avoisinantes. Une tâche qui deviendra rapidement secondaire après avoir été absorbé par un mystérieux portail nous propulsant 2000 ans dans le passé, dans une mystérieuse cité de l’époque romaine. On apprendra bien vite que la petite ville peuplée d’une grosse vingtaine d’habitants est sous le joug d’une malédiction appelée la règle d’or. Ainsi le moindre péché perpétré par un quelconque résident transformera la totalité de la communauté en statues d’or. Evidemment, personne ne semble avoir trouvé le moindre moyen de fuir les lieux, tandis que le magistrat en charge de la ville parvient à contourner le problème à l’aide d’une incantation capable de ramener tout le monde quelques heures en arrière, avant l’inévitable moment fatidique où la règle sera enfreinte. Une solution qui l’oblige à sacrifier sa vie à chaque fois, et qui bien sûr, ne mène nulle part. C’est ce même magistrat qui va donc nous charger d’empêcher le fâcheux évènement, seule méthode présumée qui pourrait nous permettre de mettre un terme à cette boucle infinie, et de rentrer chez nous par la même occasion. Pour ce faire, il va donc nous falloir aller discuter avec chaque résident afin d’identifier qui est susceptible de troubler ce fragile équilibre, et si possible, essayer de régler ses éventuels problèmes pour écarter toute tentation de commettre un acte irréparable.


Une investigation sociale qui permettra de faire la connaissance d’une belle galerie de personnages intéressants, variés et qui sauront tous nous marquer d’une manière ou d’une autre. Qu’il s’agisse du sympathique Galerius toujours prompt à rendre service ; du sournois Desius prêt à toutes les bassesses pour faire fortune ; ou de la bienveillante Equitia, lucide et toujours de bon conseil. Si beaucoup risquent de trouver l’aventure peut-être un peu verbeuse, Modern Storyteller aura mis le paquet pour rythmer au mieux ses dialogues avec des citoyens travaillés. A ce titre, certaines conversations s’apparentent parfois à de véritables petites joutes verbales, et donnent parfois lieux à quelques petites réflexions philosophiques – toutes proportions gardées – qui donnent un vrai cachet à certaines rencontres. Et l’ensemble du scénario restera sur ce même niveau de qualité, entre surnaturel et références historiques, et sachant réserver son lot de surprises. A noter que vos pérégrinations pourront vous mener jusqu’à quatre dénouements différents, et je ne saurais que trop vous conseiller d’atteindre le dernier d’entre eux, riche en révélations, et ponctué d’un épilogue qui fait vraiment plaisir.



The Elder Scrolls à la mod(e) romaine



Dans la pratique, la filiation avec le Skyrim de Bethesda saute aux yeux au premier coup d’œil. Représentation en vue subjective, style visuel, mise en scène des dialogues ou même jouabilité des rares scènes d’actions, les développeurs n’ont clairement pas cherché à s’affranchir de la base du mod de 2015. On ne leur en tiendra pas trop rigueur au vu du résultat, rendant très correctement hommage à l’époque représentée d’un point de vue graphique. On n’est certainement pas au top de la technique avec ces textures un peu grossières, ces visages pas tous très beaux arborant des expressions faciales parfois douteuses, ou ces temps de chargement trop longs, accompagnés d’occasionnels gros retards d’affichages. Mais rien de suffisamment dommageable pour nous empêcher de profiter du caractère majestueux de l’architecture romaine et de la direction artistique générale, réussie et cohérente.


A partir de là, rien d’étonnant à ce que les sensations d’exploration soient très proches des The Elder Scrolls, exception faite de leur partie RPG, ici mise de côté. On devra, certes, choisir un des trois profils disponibles au début de l’aventure qui nous octroiera une aptitude particulière, à savoir courir plus vite, obtenir un arc dès le début de la partie, ou pouvoir encaisser plus facilement les coups lors des rares affrontements. Mais l’essentiel de l’aventure se focalisera sur les parties explorations, dialogues ou la récupération d’objets clefs afin de faire avancer l’intrigue. Toutefois, comme le suggère la présence de l’arc précité, The Forgotten City proposera tout de même en toile de fond quelques séquences orientées action. Cependant, outre le fait de ne pas apporter grand-chose à l’intrigue, leur manque de profondeur, leur faible fréquence et leur relative facilité ne sauraient aucunement combler l’amateur de FPS un peu nerveux. Si on s’interrogera longtemps sur la seule vraie fausse note de ce « Un Jour Sans Fin » façon époque romaine, on se consolera en reconnaissant que cet arc capable de transformer tout ce qu’il touche en or apporte de belles choses à l’exploration. Mais c’est réellement dans sa construction que ce Forgotten City se montre réellement brillant.



Boucle d'or



Comme je le disais plus haut, l’une des plus grandes difficultés d’un concept basé sur une mécanique de répétition comme dans The Forgotten City ou 12 Minutes, c’est d’éviter de tomber trop vite dans une redondance vectrice de lassitude prématurée. Un piège dans lequel le titre de Luis Antonio est, à mon sens, allègrement tombé, mais que Modern Storyteller a su élégamment enjamber. En premier lieu par l’intermédiaire d’une boucle beaucoup plus étalée dans le temps, qui laisse bien plus de latitude au joueur. On nous laisse le temps de nous acclimater à un enchainement d’évènements assez espacés, ce qui nous laisse une plus grande marge de manœuvre pour accomplir les différentes tâches. Un sentiment généreusement renforcé par la liberté d’action qui nous est laissée. On a toujours quelque chose à faire ou à essayer et surtout, le temps de mettre les choses en place sans avoir à craindre de devoir répéter tout un lot de corvées fastidieuses en cas d’échec. D’autre part, toute quête clef précédemment complétée pourra être confiée au providentiel Galerius qui s’en chargera à notre place. Une idée providentielle qui fluidifie largement la progression et renforce avec brio le sentiment constant d’avancer.


Intelligemment rythmé, le titre a également la présence d’esprit de ne jamais vraiment nous fixer sur des rails prédéfinis. On aura bien accès à un journal répertoriant les différentes quêtes qu’on aura ouvertes, ainsi que quelques indices pouvant nous aiguiller sur la marche à suivre. Mais ça sera à nous de décider quand et comment faire les choses, tout en sachant que dans certains cas, plusieurs méthodes seront à notre disposition afin de mener à bien un même objectif. De même, faire une bêtise en braquant un personnage qui ne souhaitera plus nous parler, ou oublier de s’emparer d’un objet lors d’un moment ponctuel important ne sera, là non plus, jamais vraiment pénalisant, étant donné que nombre d’actions – tel accomplir un méfait – permettront de facilement démarrer une nouvelle boucle. On ne tombe donc que rarement à court d’idées, sans pour autant avoir l’impression de parcourir une aventure trop aisée, où tout le cheminement paraitrait clair au premier coup d’œil. Attention toutefois, nous ne sommes pas ici devant un grand monde ouvert des familles garantissant des semaines de triturations cérébrales. Il m’aura personnellement fallu un peu plus de neuf heures pour découvrir le fin mot de l’histoire, et les joueurs les plus enclins à trouver un cheminement idéal pourront sans doute atteindre le dénouement en six ou sept heures. Mais n’étant pas de ceux qui évaluent le prix idéal d’un jeu à sa durée de vie, je trouve le deal tout à fait acceptable compte-tenu de la qualité de l’expérience.


Un peu comme Paradise Killer l’année dernière, The Forgotten City a été pour moi une vraie bonne surprise. Lancé peut-être quelques heures après en avoir découvert l’existence, ce « Un Jour Sans Fin » version Rome antique m’aura fait vivre une bien belle expérience narrative. Intelligemment construit dans son exploration afin d’éviter tout excès de répétitivité, le titre de Modern Storyteller favorise avec excellence plaisir de la découverte, liberté d’action et immersion. Entre histoire, mythologie, et fantastique, l’écriture saura elle-aussi susciter l’enthousiasme, avec un récit qui arpente des chemins parfois inattendus, ou ses nombreux personnages tous plus marquants les uns que les autres. Quelques anicroches relativiseront peut-être auprès de certains l’intérêt du voyage, à l’instar de ses limitations techniques, du manque d’intérêt de ses rares phases d’action, ou de sa faible durée de vie. Mais rien d’assez dissuasif, à mon humble avis, pour casser l’envie d’enchainer les boucles, afin de découvrir toutes les facettes d’une proposition maîtrisée et gorgée de belles surprises. Un vrai coup de cœur, qui mérite réellement d’être découvert.

Arnaud_Lalanne
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le 17 sept. 2021

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Arnaud Lalanne

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