Critique garantie 100% sans spoiler.


Impossible de ne pas vous proposer ma critique de l’excellent visual novel The House in Fata Morgana. Impossible car j’ai parcouru cette œuvre plus longuement que bien des fans, lisant 2 à 3 fois chacun des chapitres composant cette aventure atypique. En effet, ma femme a pris en charge la traduction française officielle de l’œuvre (avec l’accord et le soutien de Keika Hanada, le très sympathique créateur du VN et fondateur de Novectacle) et j’ai donc assumé avec application le rôle de relecteur. Durant un peu plus d’un an, j’ai lu, corrigé, proposé, puis relu tout le roman visuel, afin d’être certain que cette version française soit la plus aboutie possible.
Mais cette critique a pour but d’aborder l’œuvre dans son ensemble, pas simplement la traduction. C’est donc ce que je vais m’atteler à faire.



Entrez dans le manoir



The House in Fata Morgana est un roman visuel japonais racontant l’histoire des différents résidents d’un manoir du XIè au XIXè siècle. Vous, le joueur qui incarnez un personnage que vous ne voyez pas, serez guidé à travers le manoir par la Servante. Celle-ci se chargera de vous faire assister à ces différentes histoires dans le but de vous faire retrouver vos souvenirs. Petit à petit, ce qui semble prendre la forme de plusieurs histoires que rien ne relie va finir par s’entremêler jusqu’à ce que tout prenne sens.


Précisons tout de même que Fata Morgana est un roman visuel linéaire (un kinetic novel). Les rares choix que vous aurez à faire vous mèneront soit à la suite de l’histoire, soit à une fin précipitée en cas de mauvaise décision. Hormis cela, l’histoire se déroulera sous vos yeux larmoyants et vous ne pourrez pas la modifier. Pour un récit si bien écrit, je pense que c’était essentiel.


The House in Fata Morgana fait partie de ces histoires qui prennent aux tripes et vous émeuvent. Pour peu que vous ayez le cœur sensible, vous risquez de verser quelques larmes (voire de pleurer comme un bébé veau comme ça m’est arrivé) devant certains passages. De nombreux thèmes sont abordés : vengeance, cupidité, solitude et surtout amour, car c’est ici le cœur du sujet. Mais attention, on est loin d’une histoire niaise d’adolescents, c’est ici une histoire d’adultes, sombre et tragique. Le style gothique, sur lequel je reviendrai plus tard, n’est pas là pour décorer, car il y a une vraie noirceur dans ce récit, bien plus que tout ce que j’ai pu voir ailleurs. Oubliez en revanche les thèmes horrifiques ou glauques qu’on peut souvent trouver dans d’autres VN à tendance sombre, on est ici dans une véritable tragédie centrée sur les personnages, avec ce qu’elle comporte d’humanité et d’espoir.


Pour le dire en quelques mots, The House in Fata Morgana raconte avec brio une tragique histoire d’amour.


Même si ce sont plus souvent des larmes de tristesse qui risquent de couler sur vos joues, ce roman visuel n’oublie pas d’être drôle et léger de temps en temps, ce qui rend ces moments d’autant plus précieux. Certains personnages apportent un vrai vent de fraîcheur au milieu d’un casting très sérieux et peu enclin à la cabriole. Chacun est attachant et même ceux qui peuvent paraître manichéens au premier abord s’avèreront toujours plus nuancés qu’on ne le pensait, une fois qu’on apprend à les connaître. Plusieurs d’entre eux sont même d’une complexité rare et en deviennent particulièrement intéressants. Quoi qu’il en soit, chaque personnage réserve son lot de surprises et d’attachement au lecteur, tant leur humanité les rend touchants et compréhensibles.


En résumé, en ce qui concerne les personnages, les thèmes abordés comme la manière de les raconter, The House in Fata Morgana est une rareté dans le milieu du visual novel. Les tragédies qu’il dépeint et la justesse de ses propos permettent d’en faire une œuvre qui nous aspire et nous prend aux tripes comme rares les histoires peuvent le faire.



Mais qu’en est-il de la forme ?



Une majorité écrasante des œuvres de ce genre sont japonaises et utilisent donc un style manga plus ou moins marqué. Fata Morgana nous vient aussi du pays du soleil devant, mais il se différencie très nettement de ce qu’on peut trouver chez la concurrence par le style graphique qu’il adopte, à savoir un style réaliste à tendance gothique. Les personnages aux proportions et au caractère réalistes sont très bien dessinés et leurs différentes réactions sont rendues avec justesse et précision, alors que les environnements (qui ne constituent pas un grand intérêt dans ce VN) utilisent un style proche de l’aquarelle qui remplit son office. L’ensemble est très sombre dans la majeure partie de l’œuvre.


Côté sonore, on est face à quelque chose d’unique. La musique de Fata Morgana est presque aussi connue que le VN lui-même, tant elle est réussie. Le style adopté par les compositeurs ne ressemble à rien de ce qu’on peut écouter dans d’autres romans visuels. On passe du léger au plus sombre en passant par le mélancolique, lorgnant parfois vers le lyrique, mais toujours avec une touche qui rend cette musique extrêmement originale. L’ensemble est une grande réussite et je retiens personnellement quelques titres qui sont absolument divins et font partie des plus belles chansons que j’ai entendues dans ma vie (et à l’heure où j’écris ces lignes, ça fait plus d’un an que je les écoute). Alors oui, j’ai parlé de chansons, car la BO est essentiellement chantée (par Gao, qui a composé une partie des musiques). Il n’est pas exagéré d’affirmer que la musique apporte autant d’émotion à Fata Morgana que l’histoire elle-même. C’est toujours très juste, elle accompagne à merveille les personnages et les dialogues et saura accentuer l’émotion du moment par ses notes et par la voix singulière de Gao. Je conseille d'ailleurs vivement l'utilisation d'un casque pour en profiter pleinement. Je ne compte pas le nombre de fois où je me suis arrêté de lire, j’ai fermé les yeux, et j’ai profité de la musique. Quand on en arrive là, il n’y a pas de doute sur la qualité du travail fourni.


Avec une musique somptueuse au ton unique qui finira par vous faire pleurer si l'histoire ne le fait pas, et avec son style gothique et ses personnages aux traits réalistes très bien rendus, Fata Morgana est aussi bon sur la forme que sur le fond. Une réussite totale, tout simplement !


Enfin, quelques mots sur la version française. Dois-je revenir dessus ? J’en ai déjà parlé dans mon intro, mais Fata Morgana est désormais intégralement disponible en français. Etant donné que je suis directement concerné, j’aurais bien du mal à rester totalement objectif. Mais de mon point de vue, après avoir vu toute la passion avec laquelle la traductrice à travaillé et après avoir peaufiné avec elle le moindre détail, je ne peux que trop vous conseiller de profiter de cette VF, car les bon romans visuels sont rares en français.



Qu’est-ce qui empêche The House in Fata Morgana d’atteindre la perfection ?



Comme toutes les œuvres longues (35h de lecture environ, je crois), difficile de rester au top sur la durée. On ne passe pas à côté du défaut habituel, c’est-à-dire les longueurs dans le récit. Certains passages sont franchement trop longs et on est content quand on passe enfin à la suite. J’aurais pu dire que le chapitre final ne tient pas toutes ses promesses, car c’est ce que j’avais pensé à la première lecture. Mais après avoir mieux cerné les personnages et leurs motivations, j’ai redécouvert, à la seconde lecture, ce chapitre qui a su me toucher profondément. Je regrette enfin un manque d’alternance dans le ton dramatique à certains moments, qui peut lasser à force (j’ai essentiellement ressenti ça dans le chapitre 7). Hormis cela, on a affaire à un très grand roman visuel, qui se démarque nettement de la concurrence et propose une histoire forte, riche, complexe et très humaine.


Lire The House in Fata Morgana, c’est se plonger dans une tragédie bien écrite et extrêmement bien construite, dans laquelle on rencontre des personnages complexes et marquants. De nombreux thèmes y sont abordés, même si l’amour en forme le cœur. Les émotions défilent et il pourra être difficile de retenir ses larmes, pour peu qu’on ait l’âme d’un romantique, notamment grâce à une musique somptueuse qui sert admirablement bien cette œuvre et met en exergue les sentiments ressentis à la lecture de cette tragique histoire profondément humaine.
Une oeuvre majeure, tout simplement.
Et maintenant qu’il est disponible en français, je ne peux que trop vous conseiller d’entrer dans le manoir et de ne pas lâcher la main de la Servante.

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le 18 mars 2019

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roifingolfin

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