Tout bêtement, le jeu se pose comme une énième projection post-apo ultra pessimiste. Un futur où, après un effondrement de la civilisation, causé ici par des champignons dégueulasses, seule une violence permanente et systématique régirait la (sur)vit. Mais le jeu de Naughty Dog, c'est aussi un aperçu du monde d'après par sa simple réalisation. Un truc phénoménal, d'une beauté indécente, d'un Direction artistique à tomber et de prouesses techniques globales qu'on pensait inatteignables sur PS4. Un avant goût de la next-gen en somme. Et enfin le monde d'après, c'est celui dans lequel nous sommes plongés depuis l'instant où le générique de fin a commencé à défiler. Un lieu où nous errons, partagés entre la joie d'avoir vécu une expérience en tout point extraordinaire et la crainte de ne pas voir débarquer un autre jeu de cette trempe avant un bon bout de temps.
Il y a eu un avant The Last of Us Part II. Et je pense qu'il y aura un après. Bienvenue dans cet après.


Tout d'abord le final de The Last of Us m'avais laissé avec un goût amer dans la bouche. Non pas qu'il apparaissait comme une conclusion décevante, mais parce qu'il s'achevait sur un mensonge, sur le geste égoïste et monstrueux de Joel. Naughty Dog aurait pu s'arrêter après cet épilogue à la morale ambiguë qui, encore maintenant, continue de faire parler de lui. Mais le studio avait presque l'obligation de revenir sur l'action de Joel, qui ne pouvait rester sans conséquence. C'est d'ailleurs sur la confession de Joel à son frère que s'ouvre The Last of Us Part II.
Et il ne pouvait en être autrement, tant le final de The Last of Us est le véritable moteur de sa suite, le point de départ du cycle de la violence dans lequel nous entraîne l'aventure. Un cycle qui débute sur un évènement tragique, que Naughty Dog met si bien en scène, sur un évènement tragique, que Naughty Dog met si bien en scène,


durant laquel Ellie assiste, impuissante, à l'exécution sommaire de Joel . En situation de stress post-traumatique, dans la position coupable de celle qui a survécu, la jeune femme va alors s'enfoncer dans une vengeance aveugle d'une ampleur inouïe.


Avec The Last of Us Part II, le studio californien réalise le blockbuster ultime, un monument comme on n'en voit qu'un ou deux tous les dix ans. Mais Naughty Dog reste, entre autres, le plus grand décorateur au monde. Et pour la première fois dans un jeu vidéo, les personnages n'ont pas ce regard vide, en plus de s'inscrire complétement dans leur environnement.
Pour ce que je pourrais appeler le sens du toucher, c'est quelque chose qui est extrêmement complexe à mettre en place dans un jeu-vidéo. Que ce soit des visages bien fait, des bonnes animations, des effets de lumières ce sont des éléments que l'on voit souvent dans les jeux à gros budget, mais dès qu'un personnage doit tenir un objet ou attraper un objet du décor et le tenir dans sa main, en général ça ne fonctionne pas et l'on ressent souvent un effet de malaise, à l'inverse de The Last of Us Part II où les personnages font tous les gestes du quotidien avec un naturel qui est désarment ce qui montre vraiment tout le talent de Naughty Dog. Par conséquent cela participe à l’immersion et à notre compréhension de l'histoire. En plus de cela, toutes ces interactions sont omniprésentes, les personnes touchent les murs pour se mettre à couvert, s'habiller, ranger une arme etc... sans que l'on ressente aucune gêne. Si je parle de ça c'est que d'habitude un jeu-vidéo va solliciter notre sens de la vue et l'ouïe mais rarement plus, or là Naughty dog va tenter de faire ressentir ce sens du toucher. Et je pense que si ce jeu n'aurait pas aussi travailler ce sens, il n'aurait clairement pas fait couler autant d'encre pour sa violence et c'est justement parce que tous ces gestes sont crédibles qu'on ressent aussi fort les coups que sont portés par les personnages. Ce ne sont pas des meilleurs textures, du Raytracing, ou une meilleur résolution mais le résultat est bluffant, alors autant dire que The Last of Us Part II va être le maître étalon dans ce domaine pour beaucoup d'années.


En jargon de game designer, on aime à parler de dissonance ludo-narrative lorsque les actions d'un avatar que l'on donne à faire aux joueurs entrent on contradiction (souvent involontaire) avec la personnalité que lui donne un scénario.
Exemple : un héros humaniste on cinématique qui se transforme en machine à tuer on phase do gameplay. Si


la séquence du piège du groupe d'Abby envers Joel et Tommy


est si forte, c'est parce que la dissonance (pour Ie coup intentionnelle de la part de Naughty Dog) prend ici la forme d'une tromperie. La trahison envers Joel est insupportable,
mais pas autant que celle du jeu envers ses joueurs. Non seulement, le dessein caché d'Abby survient comme une déflagration (au propre comme au figuré), mais la culpabilité qui l'accompagne est encore pire : d'une certaine manière, nous sommes complices d'avoir aidé l'assassine, en la
sauvant de la mort, à avancer vers sa proie, alors qu'on pensait faire exactement le contraire ! Une telle violence émotionnelle aurait été profondément dégueulasse si Naughty Dog n'avait pas eu l'intelligence de la mâtiner d'une vraie réflexion, qui prend ses racines dans cette course-poursuite et va se déployer sur le reste de l'aventure. À plusieurs reprises, le jeu nous mettra face à des séquences d'un gore et d'une cruauté insoutenables, laissant craindre une certaine complaisance de Naughty Dog à torturer ses joueurs d'images traumatiques. Mais cette violence n'a en réalité rien de gratuit, tant elle alimente un discours critique à la fois global (le devenir humain, face au chaos) et local (notre responsabilité morale en tant que joueurs). Si cette séquence inaugurale scelle le désir primaire et dévorant de vengeance chez Ellie (que nous partagerons pendant un temps), elle inaugure aussi le parti pris du jeu : nous faire basculer dans l'autre camp, celui de l'ennemi dont les raisons de la vendetta nous seront longuement expliquées dans la deuxième partie du jeu. En maintenant cet équilibre entre les deux personnages, le jeu rompt ainsi avec tout manichéisme d'une prétendue guerre du bien contre le mal. Si cette séquence est aussi brillante que nécessaire, c'est parce qu'elle rappelle une évidence que la fiction oublie pourtant souvent : dans ce monde en délitement, il n'y a ni
bon ni mauvais, que des humains aussi paumés que nous.


Je n'a pas le souvenir d'un jeu qui, comme The Last of Us Part II, repose à ce point sur un travail de montage. Son récit, complexe car basé sur plusieurs temporalités prenant le point de vue de plusieurs
personnages, tranche avec la linéarité de ce que l'on a l'habitude de voir. La force du montage de The Last of Us II, c'est de s'inscrire pleinement dans le processus narratif et d'influer sans cesse sur notre pensée pour la remettre constamment en question.
C'est particulièrement flagrant dans la manière dont Naughty Dog distille ses flashbacks. Le début de l'aventure ainsi croire que Joel est mort en pensant qu'Ellie était fâchée contre lui, mais à chaque nouveau flashback, le titre nous fait comprendre que la relation entre Joel et Ellie ne s'est sans doute pas terminée comme on le pensait. Et ce jusqu'à un ultime flashback, arrivant très tard dans l'aventure, où Joel révèle son terrible secret, qui rend la quête de vengeance d'Ellie encore plus absurde, mais qui dans le même temps explique aussi le sentiment de culpabilité qu'elle peut ressentir. Et puis, c'est bien sûr dans sa structure symétrique que The Last of Us Part II transforme ce qui n'aurait été qu'une simple histoire de vengeance en une ambitieuse tragédie humaine. À travers ce montage parallèle, le jeu met sur un même niveau Ellie, l'héroïne attitrée, et Abby, l'antagoniste proclamée, dans un étourdissant jeu de rôle qui, intelligemment, donne à chacune quasiment le même temps de jeu, et où la question de l'empathie profite à merveille des caractéristiques propres au jeu vidéo. Jusque dans les dernières scènes à Santa Barbara, le montage vient remarquablement nous manipuler, donnant l'impression qu'Ellie arrive juste après le passage d'Abby, alors qu'on comprend finalement qu'il s'est passé plusieurs mois. Enfin, c'est encore sur une idée de montage —un simple flash de Joel en train de jouer de la guitare— que le jeu met un point final bouleversant à son infernale spirale de violence.


Merci d'avoir lu :)

Trickblock75
10
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Créée

le 23 août 2020

Critique lue 76 fois

Trickblock75

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