Forts du succès mérité de The Walking Dead, adaptation réussie d’un comics du même nom, les studios Telltale Games ne se reposent pas sur leur lauriers pour autant. Tout en concoctant la seconde saison de l’œuvre susmentionnée, nos talentueux développeurs s’attaquent en parallèle à une autre bande dessinée plutôt appréciée, Fables. Composée elle aussi d’une série de cinq volumes, ce qui constitue la marque de fabrique du studio désormais, cette transcription, rebaptisée pour l’occasion The Wolf Among Us, se présente sous la forme d’un point & click épisodique savamment orchestré et novateur, comme sait si bien les faire Telltale. Mais reste à savoir si la qualité est toujours bien présente, et si le succès massif de The Walking Dead n’aura pas voué à l’échec tout successeur potentiel dans le cœur des joueurs. Réponses avec l’analyse de ce premier épisode…
Qui craint le grand méchant loup, méchant loup...
Dans The Wolf Among Us, exit les zombies, les voyages dans le temps ou les dinosaures, et place aux contes de fées. Mais attention : pas les contes mignonnets que l’on connait via certaines adaptations en dessins animés. Ici, l’ambiance ne laisse que peu de place aux amourettes fleurs bleues et aux oiseaux qui chantent dans les branchages. C’est un versant bien plus sombre et tragique qui nous est dépeint de ces contes de notre enfance. Jugez plutôt. Suite à l’Exode massif des créatures de contes ayant fui leur univers insouciant pour échapper à un ennemi implacable, toutes se retrouvent acculées dans les bas-fonds de New-York, obligées à vivre en reclus parmi les humains, avec toute la noirceur et la violence que cela implique. Appelés Fables, ces êtres parviennent à se fondre parmi la foule en faisant usage du Glamour, une puissante magie les rendant plus ou moins « normaux » aux yeux des autres habitants de la ville. Et c’est sans compter la Ferme, lieu clos renfermant ceux que même la magie ne peut aider à faire illusion (géants, animaux, etc.) et qui vivent leur exclusion comme un véritable emprisonnement. Parmi toute cette faune désormais cantonnée à des rues insalubres et sombres, Bigby fait office de shérif tentant de contrôler avec plus ou moins de succès toutes ces créatures de légende noyées dans leur malheur. Bigby, c’est le célèbre Grand Méchant Loup (Big Bad Wolf), jadis craint de tous, et qui cherche à présent à se racheter une conduite pour expier ses erreurs, mais qui doit néanmoins composer avec l’animosité et l’inquiétude de certains Fables rancuniers. Le récit s’ouvre sur le meurtre d’un de ces êtres magiques, dont le cadavre difficile à identifier est retrouvé par mégarde, et il va alors appartenir à notre taciturne shérif, accompagné d’une Blanche-Neige à l’esprit vif, de faire la lumière sur ce crime odieux. Ce qui ne sera pas de tout repos au vu de l’animosité de certains protagonistes…
Contemplatif, mais aussi participatif
Comme ses prédécesseurs, The Wolf Among Us constitue une expérience assez peu classique dans le monde du jeu vidéo, une sorte de point & click narratif à la fois contemplatif et dynamique. Difficile de cerner le concept si l’on n’a pas préalablement joué à Retour Vers le Futur ou The Walking Dead. Pour être concis, le jeu est assez dirigiste, dans le sens où, s’il a décidé que vous ne pourriez pas traverser une rue, un mur invisible vous bloquera l’accès, par exemple. La contrepartie, c’est que le joueur n’est pas le simple spectateur d’un dessin animé ; il est sans cesse sollicité, pour effectuer des choix, donner des réponses, entretenir un dialogue cohérent, et puis aussi, parfois, réagir à une situation de danger imprévue, voire même combattre. Tout ceci se fait par le biais d’un éventail de choix ou d’actions attribués généralement à un bouton spécifique ou un stick, et souvent, la réactivité est de mise, car le jeu ne fait pas de pause, et si vous ne réagissez pas assez rapidement, vous risquez de ne pas obtenir la sélection de votre choix… Et bien sûr, de vous faire sévèrement démonter le museau lors des affrontements, qui, même s’ils ne constituent pas la partie principale du déroulement du récit, peuvent se montrer impitoyables en cas de réflexes usés. En effet, la vivacité est requise pour parer, esquiver, attaquer, le tout par le biais de touches qui s’affichent brièvement à l’écran, et chaque erreur sera cruellement sanctionnée. Néanmoins, rien de frustrant dans tout ceci, et les choses se déroulent plus ou moins de manière fluide, même si quelques essais sont parfois nécessaires avant de triompher. Et puis, il y a aussi les phases d’enquête, qui vont consister à réunir des indices, des preuves, interroger des témoins souvent menteurs et peu précis. A vous alors d’observer, de déduire, de choisir la bonne question à poser. Toutes ces phases forment un ensemble passionnant.
Un conte pas vraiment enfantin
Jusqu’à présent, me direz-vous, le jeu réalise un quasi-sans faute, mais qu’en est-il techniquement parlant ? La première chose à savoir, notamment si vous êtes adepte du comics Fables, c’est que la direction artistique de The Wolf Among Us s’en éloigne considérablement. Bien sûr, on reconnait les personnages, mais le jeu met beaucoup plus l’accent sur les contrastes entre couleurs vives et épais traits noirs, lui conférant un aspect visuel à la fois proche du dessin animé et du film noir (ces films policiers sombres et souvent assez désespérés) qui sied parfaitement au propos scénaristique. Tout ceci est renforcé par une bande-son magistrale ; outre les musiques impeccablement adaptées au récit, la grande qualité des dialogues et des doublages contribue à faire de The Wolf Among Us un titre mature et intelligent, bien loin des stéréotypes classiques. Le jeu se charge de démontrer que les racines des contes de fée baignent dans la violence et la cruauté, contrairement aux versions édulcorées que nous servent les dessins animés pour enfants. De ce fait, on trouvera des allusions à des contes bien connus des marmots, tels que Blanche-Neige, Le Magicien d’Oz ou Alice au Pays des Merveilles, mais aussi à des histoires plus folkloriques et sanglantes, comme Sleepy Hollow, Beowulf ou encore le psychopathe Barbe Bleue. Ce titre n’est donc résolument pas orienté vers un public jeune, en dépit des légendes qu’il évoque, puisque meurtres, bassesses et misère y règnent en maîtres. Qui plus est, sachez que les dialogues sont sous-titrés, mais uniquement en anglais à l’heure actuelle, ce qui devrait suffire à décourager bon nombre de joueurs, notamment les plus jeunes. C’est probablement le seul vrai défaut du jeu, mais on se souviendra que The Walking Dead, qui souffrait du même handicap, avait vu un patch lui apporter la VF, ce qui sera certainement le cas ici aussi.
Conclusion : Telltale Games frappe fort une nouvelle fois, avec une série sombre, violente et techniquement réussie, qui se chargera de vous faire voir les contes de fées d'un autre oeil. Dès lors, on attend avec grande impatience la suite du jeu, puisque cet opus n'est que l'introduction, le premier épisode d'une série de cinq (pour l'instant). Alors certes, le jeu se boucle en 4 ou 5 heures, mais n'oublions pas qu'il ne coûte qu'environ 5 euros (le season-pass est dispo pour moins de 15, à ce propos). Un titre original et extrêmement bien conçu, auquel on pourrait éventuellement reprocher de ne pas proposer le français comme langue sous-titrée. Si vous avez des notions d'anglais, par contre, foncez ! Le jeu en vaut largement la peine.
