Valkyrie Profile
8.2
Valkyrie Profile

Jeu de Tri-Ace, Masaki Norimoto et Enix (1999PlayStation)

Nous sommes en -1 avant le Millénaire de l'angoisse et la fusion d'Enix et de Square n'est pas encore une réalité, au grand bonheur des fans de JRPG inconscients de la menace qui pèse sur la licence des Final Fantasy et de leur genre fétiche en général.


Mais surtout, nous sommes en -1 avant le Millénaire de la loose et la mythologie nordique n'est pas encore banalisée (et vulgarisée) dans la Pop Culture occidentale; pas de surfeur australien récitant des blagues de merde à son frère monolithique, de mannequins vikings sur le petit écran ou de vacances de Kratos avec son BOY dans les contrées nordiques; hormis les férus de mythologie, les noms d'Asgard et de Thor évoquent surtout un arc particulièrement apprécié de Saint Seiya et une prolifique BD Franco-Belge. A la croisée des millénaires et des consoles Playstation, un JRPG va également surgir et s'approprier à sa manière ce folklore foisonnant de possibilités et c'est probablement la première chose qui étonne favorablement à l'égard de ce Valkyrie Profile : sa réinterprétation bien plus inventive de mythes désormais quelque peu galvaudés dans l'inconscient collectif. Le Chara Design frappe d'entrée de jeu par sa stylisation souvent inattendue des Dieux nordiques sans pour autant trahir leur essence et bien que le titre s'aborde comme un JRPG traditionnel à première vue avec son système de tour par tour et ses compétences à optimiser, il s'avère étonnamment très RolePlay dans sa manière de nous faire incarner la Valkyrie au centre de l'intrigue; le Ragnarök approche et il est de notre devoir (?) de recruter des âmes vaillantes pour défendre les contrées d'Odin face aux armées menaçant l'équilibre des mondes.


C'est bien joli tout ça mais une âme...Ça se recrute comment au juste? Hé bien comme dans la légende pardi, de courageux combattants tombent sur le champ de bataille et emportent avec eux leurs regrets d'une existence tourmentée, qu'il s'agisse d'une ambition inassouvie ou des remords d'une mauvaise décision; la Valkyrie intervient alors de manière littéralement providentielle et exauce ainsi le souhait du défunt afin de briser ses dernières attaches à cette terre meurtrie et d'acquérir son indéfectible allégeance en contrepartie. L'héroine est à la fois juge et bourreau, lance de la justice divine et meneuse implacable d'une armée en devenir; froide et distante, prompte à la colère face à l'infamie et pourtant quelque peu engluée dans le déni de sa propre servitude; c'est ce rôle là qui va nous être incombé durant une quarantaine d'heures et cette tâche de sélectrice des âmes en peine débute dès la World Map avec la complainte des défunts qui guide notre envol avant que le récit d'un nouveau Einherjar nous soit conté. En ce sens, la progression totalement décousue de Valkyrie Profile ne ressemble à aucun autre RPG : dans la majorité de l'aventure, notre héroine n'est qu'un intermédiaire entre les dieux et les humains s'effaçant pour laisser place au récit des mortels au premier plan et cette approche déstructurée peut rendre initialement perplexe face à nos habitudes de suivre une quête principale plus définie mais à mesure que les heures s'enchainent et que les récits poignants se succèdent, Valkyrie Profile dévoile progressivement sa saveur mélancolique et sa myriade d'histoires déchirantes à raconter. Si vous faîtes parti de ceux qui apprécient Mushishi pour la diversité de ces intrigues où Ginko est le seul liant véritable entre ses personnes souffrantes ou que le Millénaire de Rêves est votre meilleur souvenir de Lost Odyssey alors la démarche de Valkyrie Profile saura peut être vous interpeller mais il va sans dire qu'elle est autant au cœur du culte encore voué à ce jeu aujourd'hui que d'une certaine exigeance d'attention qui a pu empêcher la série d'acquérir les faveurs du grand public.


Au delà de ce foisonnement de récits, Valkyrie Profile met également en place un dilemme fort intriguant et avant-gardiste à bien des égards : notre rôle est donc d'envoyer des soldats au Valhalla en prévision de la bataille finale mais ce recrutement signifie également la disparition définitive de nos compagnons dans nos rangs. Vous devinez vite ce que cela implique : Valkyrie Profile est un jeu d'équilibriste permanent entre la nécessité de garder des soldats puissants à nos côtés pour surmonter donjons et dragons sur notre chemin mais également l'obligation de transmettre de vaillants guerriers vers les troupes d'Odin et de Freya; sachant que les compagnons présents à nos côtés sont les seuls à gagner de l'expérience (pas de Multi Exp dans le cas présent), le choix est souvent loin d'être anodin surtout quand nos ennemis font preuve de plus en plus de ténacité dans l'adversité à mesure que les chapitres s'enchainent et que le compte à rebours vers le Ragnarok diminue inexorablement. A ce titre, Valkyrie Profile fait parti de ces rares aventures interactives à confronter directement la soif de montée en puissance du joueur avec d'autres impératifs résultant de l'intrigue; des décennies avant que le méconnu Pyre de SuperGiant Games en fasse également sa thématique principale, à mon sens avec plus de brio mais nous y reviendrons par la suite.


Deux clés de voute (les récits des Einherjar et ce choix cornélien) qui confèrent une indéniable singularité à ce JRPG au demeurant plus convenant dans sa proposition de gameplay, dès lors qu'on ne s'étonne plus de cette progression beaucoup plus désentravée que d'ordinaire : combats au tour par tour, équipements, caractéristiques à optimiser, vulnérabilités élémentaires etc etc Je l'avoue volontiers : je n'ai jamais eu une patience extraordinaire à l'égard des JRPG et autant dire que cette patience s'amenuise au fil des années, même si le jeu est davantage inutilement confus dans sa présentation que réellement d'une implacable complexité. Au rayon des bonnes nouvelles : les ennemis apparaissent à l'écran donc on peut les éviter (pas de combats aléatoires donc) et le jeu parvient à conférer une composante plus action à ses affrontements entre les assauts à enchainer avec nos protagonistes (4 boutons pour 4 personnages à l'écran) et ses contre-attaques très vite plaisantes. Au rayon des mauvaises nouvelles : les donjons ne sont pas forcément mémorables dans leur exploration même s'ils bénéficient d'un vrai effort de diversité pour atténuer cette redondance, les séquences de plate-formes s'avèrent souvent un peu hasardeuses et certaines barrières de difficulté s'avèrent parfois inutilement pénibles comme l'invulnérabilité de certains monstres aux armes traditionnelles ou des pics de difficulté nettement marqués sur certains boss, de telle sorte que l'inévitable malédiction du Grind est une fois encore d'actualité.


Mais ces quelques écueils ne sont que d'une moindre importance face à la véritable maladresse qui entache cette belle épopée de Valkyrie Profile : le déblocage complètement alambiqué de sa véritable fin. Je ne gâcherais pas votre surprise en espérant vous avoir incité malgré tout à jouer à ce titre mais sachez que ce Valkyrie Profile ne dispose que d'un véritable dénouement consistant en matière de mise en scène et de narration, les deux autres étant désespérément sommaires et expéditifs dans leur présentation; problème : cette fin est verrouillée par des conditions totalement contre-intuitives et contradictoires avec le propos du jeu.

S'il est logique en soit de chercher à découvrir les souvenirs refoulés de Lenneth (l'anneau des Nibelungen imposé en début de partie étant déjà un sacré indice en soit sur l'endoctrinement imposé à notre héroine), il est assez aberrant que le déblocage de cette fameuse fin A impose de n'envoyer qu'un nombre de recrues restreint en prévision du Ragnarok alors même qu'il s'agit là de la mécanique principale qui confère une vraie distinction à l'expérience de ce Valkyrie Profile. Pyre propose également à sa manière ce dilemme avec un sacrifice définitif de nos compagnons mais ce dernier est justement censé renforcer les chances de victoire, sur le long terme, pour la bataille finale où nous ne participerons pas mais dans la mesure où Profile requiert une faible allégeance envers Odin pour permettre la libération de Lenneth de ses entraves, à quel moment le joueur est censé comprendre que l'action au cœur du jeu est contreproductive par rapport au destin funeste de l'héroine? Bref, une étourderie de développeur qui souhaitait rendre son jeu inutilement abscons alors qu'il dissimule ainsi sous le tapis littéralement la moitié de son intrigue, offrant un contraste complètement désordonné entre une heure de cinématiques durant le chapitre 8 avec la narration beaucoup plus parcimonieuse qui caractérisait le jeu jusqu'alors. Bref, quelle connerie je vous jure. :p

Pour finir néanmoins sur une note plus positive, un dernier mot sur la bande son. Une fois n'est pas coutume, je vais vous laisser tout simplement en juger avec une petite sélection de mes thèmes préférés du jeu; une musique vaut parfois mieux que les mots et je pense que ces notes illustrent bien mieux la teneur douce-amère de ce Valkyrie Profile que cette critique pourrait vous le communiquer. Sachez néanmoins qu'en dépit de choix de conception hasardeux, de l'inévitable épreuve du temps et d'une certaine lourdeur commune à de nombreux JRPG, Valkyrie Profile est une aventure qui mérite encore d'être découverte en 2024 et peut être même encore davantage à présent que la mythologie nordique a été spoliée de la sorte par cette dernière décennie peu glorieuse à l'égard du respect des mythes ancestraux. Mais voilà au moins un jeu qui, en dépit de ses apparences plus fantaisistes, traitait la légende avec le sérieux qu'elle mérite; celui d'un véritable conteur.


Quelques notes et nous voilà déjà au Valhalla :

https://www.youtube.com/watch?v=s5gY57i19Rw&list=PLSmqUq-bfAu7yiJEq9Mtn3tv94NuvHmWr&index=6

Y a t-il un meilleur thème pour une World Map? Je me le demande... (peut-être FFVII)

https://www.youtube.com/watch?v=_nN50jK9_W8&list=PLSmqUq-bfAu7yiJEq9Mtn3tv94NuvHmWr&index=5

L'arrivée providentielle.

https://www.youtube.com/watch?v=fQeg9jWCDZ8&list=PLSmqUq-bfAu7yiJEq9Mtn3tv94NuvHmWr&index=3

La tristesse de la séparation.

https://www.youtube.com/watch?v=chTe0QYHaoc&list=PLSmqUq-bfAu7yiJEq9Mtn3tv94NuvHmWr&index=3

La mélancolie des souvenirs refoulés:

https://www.youtube.com/watch?v=oVHkMhk-3P0&list=PLSmqUq-bfAu7yiJEq9Mtn3tv94NuvHmWr&index=2

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le 11 févr. 2024

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Leon9000

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