We. The Revolution
6.4
We. The Revolution

Jeu de Polyslash (2019PC)

Le principe de décrire la Révolution française à travers ses massacres, sa sauvagerie et sa politique vicelarde plutôt que par son ode à la liberté me plaît déjà beaucoup! C'est vrai que même si on a tendance à glorifier cette période historique en en faisant le symbole d'une France unie et résistante face à l'oppresseur, on sait aujourd'hui que c'était plutôt un assez gros foutoir dans lequel le peuple, rendu faible par sa faim, sa misère et la Terreur, était totalement utilisé par des politiciens calculateurs..


Dans ce jeu à la direction artistique ma foi fort agréable, nous incarnons Alexis Fidèle, jeune juge populaire prometteur au début qui finira par tomber dans la corruption et les complots politiques pour sauver son poste, sa peau, et celle de ses proches. La nuance est très importante et intéressante: le personnage n'est pas intrinsèquement une raclure (juste un ivrogne), il le devient par la force des évènements! La découverte d'un complot secret contre lui va l'amener à s'allier à divers personnalités pour assurer ses arrières ou obtenir des informations sur ledit complot. Pour s'assurer leur loyauté, il faudra les caresser dans le sens du poil, ce qui peut aussi bien signifier œuvrer pour discréditer un de leurs opposants que magouiller au tribunal pour épargner un accusé cher au cœur du demandeur, fut-il un égorgeur d'enfant.. Ici, c'est la nécessité de survivre qui pousse à la monstruosité, bien plus que l'envie de justice.


Malgré quelques approximations occasionnelles, le jeu tente de se rapprocher au mieux des grands évènements de l'époque: on assistera ainsi à de nombreux procès historiques (Louix XVI, Marie-Antoinette, Charlotte Corday..) dont il sera même possible de modifier le destin.. sauf quand le récit vous en empêchera.


Et c'est bien pour ça que, malgré ma grande affection pour ce jeu, je ne peux pas mettre une note plus haute: la trame narrative nous donne une illusion de choix qu'elle nous retire dès qu'il s'agit de servir le récit. Je m'explique:


On veut nous faire comprendre qu'il est impossible pour un juge populaire de rester professionnel et honnête durant la Révolution. Preuve en sont les très (trop?) nombreux paramètres à gérer qui ne cesseront de s'accumuler pour parvenir à garder le juge en vie (les procès, la vie de famille, la construction d'une statue de merde qui apporte plein de bonus ou de malus plus tard, la dépense stratégique des points d'action, la rénovation de certains endroits de la ville, la gestion de l'armée sur deux gameplay différents).. à la fin on a du mal à s'y retrouver, mais je pense que c'était le but des développeurs: nous mettre dans une situation de chaos où tout ce qu'on peut encore faire, c'est naviguer à vue et jouer tant bien que mal en faisant de plus en plus de concessions. à la fin, le jeu prévoie que le joueur fasse n'importe quoi partout: entre autres, que ses relations familiales soient un désastre et que ses affaires de procès soient pré-réglées pour servir des intérêts politiques plutôt que par réelle envie de rendre la justice.


Problème: il est possible (bien que compliqué) de jouer sans en arriver là. Il est possible de finir le jeu en ayant un compteur relationnel très élevé avec chaque membres de la famille Fidèle, il est possible de gérer chaque procès en prêtant un tant soit peu attention au contenu de l'accusation. Mais ça, le jeu ne le prend pas en compte dans sa narration, ce qui fait que le joueur s'estimera bien mal récompensé.. On aura beau œuvrer comme un fou avec notre famille, passer tout notre temps avec notre femme en désertant les tripots et passer tout le jeu avec un level max en relation, elle nous détestera quand même durant littéralement tout le récit parce qu'on la néglige et qu'on ne pense pas à notre famille. Meuf, sérieusement!

Pareil pour notre aîné: qu'on réussisse à sauver sa main ou non ne change rien: il nous déteste pareil à la fin. D'ailleurs, il était impossible pendant longtemps de gagner la dernière manche de dé avec le frère. Assez nul du coup de scripter une action qui se base normalement sur le hasard.

Même chose pour les procès: le jeu brisera de façon très peu modeste le 4ème mur vers la fin du récit en nous balançant un "depuis quand tu n'as pas lu un procès en entier avant de rendre ton verdict?". Le message se veut intelligent mais tombe complètement à plat quand le joueur a effectivement fait les choses dans les règles. Car c'est possible! Et même dans ce cas là, on nous donne quand même obligatoirement la réputation d'un corrompu. C'est dommage: si le jeu voulait vraiment qu'Alexis devienne obligatoirement un pourri sans cœur et sans famille à la fin, il aurait fallu que ce soit réellement impossible (et pas juste difficile) d'en être autrement. Le but était de prendre conscience qu'Alexis Fidèle (et le joueur), perçu comme un monstre de la Révolution, en est devenu un malgré lui sans même s'en rendre compte mais reste avant tout une victime de la Terreur qui s'est fait entraîner dans le délire crapuleux en cherchant juste désespérément à se maintenir, lui et ses proches, en vie. Si notre partie va dans ce sens, c'est brillant. Si ce n'est pas le cas, c'est injuste.


Un autre exemple narratif de cette envie de faire passer le juge pour le dernier des salopiauds, même quand c'est pas justifié:

Le cliffangher du frère qui n'est pas vraiment mort. ça aurait pu être pas mal mais c'est amené n'importe comment. Je récapitule: Bruno était condamné à une mort certaine pour une agression particulièrement sauvage dont on ignore la raison. Pour le sauver, son père Albéric l'exile... Et donc cet abruti de Bruno en veut à son père et pense qu'il l'a trahi et ne l'a jamais aimé car il l'a chassé?! Mais bordel de nouille, tu allais mourir et il t'a sauvé, qu'est-ce que tu comprends pas là-dedans?! T'avais qu'à pas agresser les gens si tu voulais éviter les ennuis! Donc du coup sa haine pour le paternel n'est absolument pas justifiée, à moins que Bruno ait la maturité d'un ado de 14 ans. Et donc comble de la débilité, il en veut à son frère car gnagnagna c'est le fils préféré, quelle injustice, c'est complètement le mythe d'Abel et Caïn (bravo le jeu, tu veux une médaille?).. Donc déjà là le gros antagoniste il tombe complètement à plat pour moi. Je comprend le message où c'est justement la magouille du père qui a voulu s'arranger avec la loi qui a conduit indirectement aux conséquences sanglantes de la fin du jeu. Mais franchement ces conséquences elles tiennent plus de l'immaturité de Bruno que de la magouille du père! Et puis son espèce d'armée des réprouvés sur le ton du "c'est les fils de tous ceux que tu as exécuté! Tu as tué leurs père, ils vont se venger". Si tu as joué ta partie en tentant d'être le plus juste possible dans tes jugements (ce qui, rappelons-le, est possible!), ça tombe complètement à plat! Je veux dire, dans ce cas de figure tu n'as tué que des criminels, des violeurs, des connards en tout genre... Donc c'était un peu de leur faute quand même! On va pas s'excuser d'avoir condamné un proxénète!

Bon voilà, je ne suis pas vraiment convaincu par la façon dont le jeu tente de faire passer son message; pour moi il y va parfois avec de gros sabots et souvent avec pas mal de mauvaise foi qui risque de faire grincer des dents les joueurs qui n'auront pas eu le style de jeu que la trame prévoyait.. Cependant, le message en lui-même est quand même très intéressant et on notera un beau travail de mise en scène: la corde de la guillotine que l'on doit nous même tirer, les visages choqués du public qui finissent par disparaître dans l'habitude de l'horreur, la signature a apposer en bas de chaque condamnation, les persuasions à n'en plus finir pour dire exactement ce que ton interlocuteur veut entendre.. Le jeu est très riche, très intéressant et ne manque pas de beaucoup d'intelligence. On déplorera une trop grande facilité narrative (fatale quand on cherche à faire tourner son gameplay et son récit sur les conséquences des choix) mais on complimentera cette description très impactante et sanglante de cette période si marquante dans notre Histoire. Le meilleur exemple de tout ça restera une cinématique du début lorsqu'Alexis se promène en riant avec son fils sur les épaules et qu'il dit que la France ne s'est jamais si bien portée sous cette aire de liberté pendant qu'un noble se fait pendre à une lanterne en criant derrière lui. La facade et la sombre réalité. Good job, le jeu.



Koubatsou
7
Écrit par

Créée

le 11 mai 2023

Critique lue 9 fois

Koubatsou

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