Wings
8.4
Wings

Jeu de Cinemaware (1990Amiga)

Cinemaware fait partie de ces sociétés à l'identité marquée qui ont laissé leur trace dans la courte histoire du jeu vidéo. Originale et innovante, ses influences puisées dans les productions cinématographiques de l'âge d'or d'Hollywood se retrouvent directement dans le mot valise qui lui donne son nom, dont le logotype est nettement inspiré de celui de Cinemascope.

Wings est l'un de ses derniers jeux, et probablement son plus grand. Sorti sur Amiga en 1990, il propose au joueur de vivre le quotidien d'un pilote de chasseur-bombardier allié lors de la deuxième partie de la première guerre mondiale. De 1916 à 1918, on accomplira donc les différentes tâches qui nous sont assignées, en solitaire ou au sein de notre escadrille. Trois types de mission viennent constituer le coeur de l'action :

- le bombardement en défilement vertical, dénué de toute indication à l'écran. Après un briefing donnant un aperçu de la zone d'action par des photographies aériennes en noir et blanc, vous êtes lâchés près la cible avec un nombre limité de bombes, visibles sous les ailes. Des appareils ennemis peuvent apparaître en face mais restent relativement rares, ici on trinque surtout avec la DCA, qui peut être redoutable et mettre un terme à la mission en un coup au but. Il s'agit donc de slalomer en calculant la trajectoire des tirs au sol et de lâcher ses bombes sur les bâtiments, les véhicules ou les cuirassés, dont il est impératif de déterminer la nature de mémoire, sachant qu'on ne peut tous les bombarder, et que détruire un hôpital vous rapporterait un blâme. Ces séquences peuvent être ardues suivant le nombre d'ennemis, mais demandent surtout une bonne précision d'exécution.

- le tir en strafing, qui nous fait survoler des convois de véhicules, des trains armés ou des tranchées, dans des séquences ayant la particularité d'afficher un défilement diagonal. Concrètement, une sorte de shoot'em up en défilement de 3D isométrique. On touche ici à la difficulté la plus importante de l'ensemble du jeu : la vitesse est élevée, les ennemis innombrables, la fenêtre de tir réduite. Il faudra un timing parfait afin de remplir tous les objectifs, et une bonne endurance afin d'aller jusqu'au bout de la carte. Ne comportant toujours aucun affichage parasite, on juge de la résistance de son appareil au nombre d'impacts sur son fuselage ou ses ailes. Beaucoup moins subtiles que les phases de bombardement, ces séquences ne sont néanmoins pas si sauvages qu'on ne pourrait l'imaginer puisqu'il s'agira d'identifier les cibles principales tout en évitant les structures ou véhicules médicaux. Objectifs toutefois peu aisés lorsqu'on se fait canarder à la fois par des dizaines de soldats éparpillés, de mitrailleuses dans des camions ou wagons, qu'un unique coup de DCA de gros calibre peut vous descendre et que la fenêtre de tir pour une seule de ces cibles dépasse rarement la seconde, sachant qu'il faut plusieurs rafales pour venir à bout du moindre élément. Il s'agit sans conteste des missions les plus intenses, et pour en rajouter, des plus sévèrement notées au débriefing.

- enfin, le dogfight en 3D, qui place le point de vue derrière le pilote du biplan, tout en permettant une bonne visibilité de l'action. Encore une fois, aucun HUD ne vient gâcher l'immersion, le joueur en vient très vite à reconnaître la progression des dégâts infligés à son appareil en cas de tir ennemi, qui peuvent détruire l'une des deux mitrailleuses embarquées, mettre le feu aux réserves d'essence (dans ce cas, il est recommandé d'atterrir rapidement, les commandes devenant lourdes et hasardeuses) ou encore tuer le pilote (forcément, il n'y a alors plus qu'à assister au crash de l'avion pendant qu'un filet de sang glisse lentement sur la carlingue). Ces missions offrent une relative souplesse de pilotage, et si le framerate est nécessairement limité par le matériel d'époque, le gameplay est étonnamment fluide. On y abat principalement des monoplans ou des biplans allemands, bien qu'on puisse également y descendre des triplans ou des ballons d'observation. Nombre de détails bienvenus viennent enrichir l'expérience de jeu, mais le sound design remporte la palme de la minutie : moteur crédible dans ses différentes phases, mitrailleuses presque palpables - jusqu'au son de l'enrayement -, panique sonore une fois notre avion abattu, la liste est longue.


Outre son gameplay tripartite, la grande originalité du jeu est de proposer une continuité quoi qu'il arrive : si votre pilote meurt, vous assistez à son enterrement, repassez par l'école pour en former un nouveau, et joignez à nouveau l'escadrille pour continuer l'aventure. Il sera possible, à la fin du jeu, de visualiser la liste des pilotes que vous aurez menés leur perte, ces derniers faisant partie de l'histoire - ou, oserai-je dire, de l'Histoire tout court -, à la manière d'un Cannon Fodder, mais en remplaçant les effets parodiques du procédé par des échos plus dramatiques.

Ce choix inhabituel s'inscrit dans l'esprit narratif qui traverse Wings, de son introduction à ses écrans de chargement : nous sommes avant tout dans un récit, un récit relatant l'avènement d'une technologie, les bouleversements politiques et humains de la guerre, mais aussi un récit plus intime, celui d'une bande de pilotes lancés dans les devoirs de la guerre, celui d'un homme dont la vie peut brutalement s'échapper chaque jour. Entre chaque mission, il est possible de s'attarder sur le journal de l'escadrille, tenu par votre personnage, qui y relate aussi bien les évènements quotidiens que les faits historiques changeant progressivement le cours de la guerre. Ces écrits, présentés sur un véritable journal à anneaux dont on tourne les pages manuellement, sont parfois accompagnés de photographies mais toujours de morceaux de musique variés, entre la complainte à l'accordéon et le stride, tirant remarquablement parti des possibilités sonores de l'Amiga.

Car il ne faut pas oublier que Wings est presque l'adaptation du film du même nom, un des derniers muets de la Paramount, et le seul à remporter l'Oscar du meilleur film. On retrouve tout le long du jeu le charme désuet de la mise en scène classique du film muet, chaque mission étant, par exemple, précédée et suivie de cartons de dialogue en noir et blanc, au cadres ouvragés, présentant l'état d'esprit du personnage comme son appréciation de la performance que vous venez d'offrir, ou jetant des catch-phrases guerrières surannées, empruntes de fierté. Curieusement, on en trouve même en pleine phase de jeu, lors d'un évènement particulier tel que l'enrayement de la mitrailleuse. De courtes scènes viennent également enrichir l'alternance des missions, ce qui comprend, outre les enterrements et les débriefings très détaillés, des déclarations du Colonel, vos remises de décoration, les pertes et arrivées du jour ou la consultation du tableau de service, qui recense les dix meilleurs pilotes suivant leur ratio de sorties et d'avions abattus. A vous de gagner du galon et de voir votre nom inscrit en haut de la liste.

Avec Wings, Cinemaware réinvente la narration du jeu vidéo, lui offre une continuité autonome et inscrit les actions du joueur dans un ensemble qui subit de façon implacable la progression de l'Histoire. D'une richesse rare, le titre s'offre non seulement le luxe de croiser les genres propres au jeu vidéo, mais profite également de l'expérience apportée par le cinéma, tant dans sa structure que dans ses aspects visuels et sonores. On remarquera de fait l'absence de toute indication à l'écran pendant les phases de jeu, tendance immersive moderne dont les manifestations resteront exceptionnelles tout le long des années 90. Plus abouti encore que Defender of the Crown, il propose une avancée notable dans l'industrie vidéo-ludique mais y demeure pourtant toujours, malgré ses nombreuses qualités, un titre à part.
Nahitsu
8
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le 2 mars 2013

Critique lue 488 fois

Nahitsu

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