Cover Bilan : 2020

Bilan : 2020

2020, année très étrange, anxiogène et sereine à la fois, durant laquelle les films ont été plus que jamais de précieux compagnons. Forte envie du coup de leur rendre un petit hommage, en listant les découvertes qui ont le plus comptées, chacune accompagnée d'un texte plus ou moins petit, repris ...

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44 films

créee il y a environ 3 ans · modifiée il y a presque 3 ans

Douleur et Gloire
7.2
1.

Douleur et Gloire (2019)

Dolor y Gloria

1 h 53 min. Sortie : 17 mai 2019 (France). Drame

Film de Pedro Almodóvar

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Un artiste frappé d’infertilité créative. Un corps trahi de toute part, étranglé par ce qui le tient debout. Le temps qui s’est écoulé depuis les erreurs commises et les occasions manquées, et qui prononce la forclusion du bonheur. Programme a priori peu amène de la vieillesse, mais dès les premières secondes, Almodovar prend le contre-pied de ce déclin qu’il image, et qu’il conjure aussi, puisque c’est un peu le sien. A 70 ans, c’est un cinéaste qu’on pourrait dire au crépuscule mais qui préfère toujours le soleil de midi. Notamment par la touchante ténacité qu’il emploie à toujours amortir l’affliction sans la dénaturer : dans le moelleux d’un coussin qui ménage la prosternation, en taraudant une brouille inconciliable qui n’entrave pourtant pas l’entre-aide salvatrice, et dans la dureté des derniers mots d’un parent perdu que le souvenir adoucit et la création exorcise. Almodovar loue les vertus curatives de l’art, et concocte un film-remède aux propriétés étranges, apaisantes et vivifiantes à la fois. La restauration de Sabor, ce film fictif dont la ressortie agit comme un discret déclencheur, constitue d’emblée une délicieuse allusion : ce goût de la vie, ressuscité, préservé, envers et contre tout, est une chose très précieuse, et dont la récurrence me semble désormais la plus emblématique de son cinéma. Sur l’affiche de Douleur et gloire, Pedro est l’ombre, et Antonio le corps qui la projette : un corps usé, grelottant de rancœur, qui se redynamise en resongeant ce premier corps désiré. Il est aussi cette voix suffocant à la moindre déglutition et qui retrouve son souffle par l’inspiration. Il est cet œil las qui s’embue soudain, et s’illumine de cet ancien amour miraculeusement retrouvé. L’acteur est magnifique, il forme ce premier plan vulnérable et sensible, dont les vibrations et les nuances contrastent sans jurer devant ces cadres généreusement chamarrés. Des cadres sublimes, dont Almodovar agence les couleurs avec la précision d’un peintre et l’évidence d’un formidable passeur d’émotions, du chaulage des murs vierges et primitifs de l’enfance, à la géométrie vermillon des cloisons ornées par les traces de toute une vie. D’ailleurs, cette extraordinaire caverne de préhistoire, où l’on y invente le dessin et l’écriture, la transmission et le désir, me hante encore aujourd’hui. Et ce désir primordial qui se manifeste comme une insolation me restera comme l’une de ses plus bouleversantes représentations. Découverte 2020 que je chéris le plus.

Tess
7.2
2.

Tess (1979)

2 h 50 min. Sortie : 31 octobre 1979 (France). Drame, Romance

Film de Roman Polanski

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Quintessence du romanesque, soufflant dans les robes blanches, sertissant d'or la blondeur des chevelures et des blés sous les derniers rayons du couchant. Puis, la tragédie qui sourd, invasive et inéluctable, telle une brume froide et sinistre, qui plonge ce fabuleux film dans un automne gris et humide, murmurant d'autant mieux la poignante déchéance d'un été pourtant radieux. Image et lumière embrassant les saisons du récit, sublime musique à l'unisson des mouvements amples du drame et de ses accents de désespoir : tout est aussi beau et envoutant que le visage de Nastassja Kinski, tout est aussi grave et pur que son regard. Parmi les milles trésors qu'il recèle, j'y ai trouvé l'une de mes plus belles scènes, sinon de coup de foudre, mais de "révélation amoureuse", lorsque Tess parle des étoiles, et des âmes qui y voyagent, sous l’œil mi-ému-mi-émerveillé d'Angel. Magnifique et terrassant, Tess subjugue autant qu'il émeut. Comme son actrice, encore une fois.

Souvenirs goutte à goutte
6.9
3.

Souvenirs goutte à goutte (1991)

Omoide poro poro

1 h 58 min. Sortie : 31 octobre 2007 (France). Drame, Romance, Animation

Long-métrage d'animation de Isao Takahata

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Parcourir à rebours une filmographie lorsqu’on l’a commencée par son aboutissement peut s’avérer hasardeux, impliquant le spectacle probable d’une involution. Par accident, ma première œuvre de Takahata fut sa dernière création : le fabuleux Conte de la Princesse Kaguya. Magnifique portrait de femme, mariant la sagesse délicate et concise de l’estampe à l’énergie aérienne des esquisses : célébration de l’ébauche par un artiste à l’apogée de son art. Une merveilleuse manière de joindre l’accomplissement d’un parcours artistique à la fraîcheur des premières tentatives. En complétant ce cycle à rebrousse-temps, une évidence s’est imposée : l’œuvre antérieure de Takahata est bien digne de ce remarquable référent, et recèle de purs moments de grâce. Souvenirs goutte à goutte est de ceux-là, et désormais son film le plus cher à mes yeux. Pièce discrète et méconnue du répertoire du studio, Omoide Poroporo est un trésor de sensibilité, une pépite douce-amère imprégnée d’une poignante nostalgie. Cette mélancolie ensoleillée, Takahata l’infuse par le dialogue émouvant qu’il instaure entre le présent et sa mémoire. Ce jeu des réminiscences qui scandent le récit met au jour avec justesse ces constituants de la maturité forgés dans la jeunesse : les hontes anciennes et les rêves empêchés, les douleurs de l’apprentissage et les premières euphories amoureuses. Entremêlant les fils du temps avec une belle poésie, le cinéaste traduit subtilement toute la complexité de l’écheveau intérieur d’une adulte arrivée à la croisée des chemins : ses blessures enfouies cicatrisées en cuirs de timidité, ses souvenirs d’enfance qui la suivent comme des fantômes, ses vieilles désillusions qui répriment ses élans, et ses sois passés qui la guident avec bienveillance vers la possibilité d'un bonheur. Le cinéaste parallélise cette fouille personnelle dans les souvenirs avec l’exploration recueillie de la mémoire de son pays. Ce séjour pastoral devient alors l’occasion d’un double voyage, intime et concret, traduit à l’image par une double approche esthétique : l’introspection revêt la douceur de l’aquarelle et l’inachèvement des formes ouvertes, et le pèlerinage champêtre la sophistication des époustouflantes toiles de Kazuo Oga. D’une beauté magistrale, baignant dans une tranquillité réconfortante, et porté par le rythme berçant d’un récit dépouillé de tout enjeu superflu, ce film animé agit comme un onguent apaisant, inspirant une profonde et précieuse félicité.

Voyage à Tokyo
8
4.

Voyage à Tokyo (1953)

Tokyo Monogatari

2 h 16 min. Sortie : 8 février 1978 (France). Drame

Film de Yasujirō Ozu

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Première incursion profondément émouvante dans le cinéma d'Ozu, Voyage à Tokyo est un drame qui se déploie serein, dans un geste humble, capté bien souvent à même le tatami, comme pour inviter à l'assise, à l'allongement, vers lequel le film tend. Le récit est simple, la forme sans afféterie, fixant patiemment ce qui se joue pour nous imprégner de ses profondeurs. Ce couple d'anciens dont la vie s'est débarrassée du soudain et de tout brusque se heurte au tumulte de la modernité que leurs enfants subissent hors champs, et qui semble les priver de leur aptitude aux égards et aux marques d'affection que leurs parents auraient pu espérer recevoir en leur rendant visite. C'est au spectateur de ressentir l'indignation que ces aïeuls n'exprimeront jamais, et que la mise en scène ne surlignera pas non plus, avec une poigne d'autant plus forte que ce couple restera toujours digne, souriant, bienveillant à l'égard de ses enfants, mais aussi, on le devine, parfaitement lucide. C'est aussi plus personnellement un douloureux rappel sur la considération due aux aînés, cependant affranchi ici de toute moralisation. Le film doit aussi d'être illuminé par le très beau personnage de Noriko, magnifique présence de Setsuko Hara, qui restera sans doute la figure de cinéma féminine la plus précieuse de mon année de cinéma 2020.

Tout sur ma mère
7.4
5.

Tout sur ma mère (1999)

Todo sobre mi madre

1 h 41 min. Sortie : 19 mai 1999 (France). Drame

Film de Pedro Almodóvar

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Magnifique découverte que ce mélo lumineux et atypique, à l’arôme inhabituellement safrané, préférant au miel de rigueur les épices pour accommoder l’amer. S’accordant de la poignante charité de ses héroïnes, le film s’offre avec une belle générosité : couleurs en abondance, foisonnement d'émotions, il transmue un bouquet de destins douloureux en une exaltante polyphonie, chantant l'altruisme, la tendresse et la magnanimité avec une vivacité galvanisante. La filature d’un cœur passé d’un corps à l’autre, l’homonymie de deux frères séparés par le temps, des missives qui voyagent par-delà la mort, Madrid et Barcelone qui s’alternent sans cesse, Tout sur ma mère est tout entier travaillé par la perpétuelle circulation des êtres. Ces intimités en mouvement, Almodovar les épouse, et place sa mise en scène dans le sillage de leur déplacement avec une maestria accomplie. Il agrippe le nœud remuant des existences, et capte les trajectoires naissantes, transitoires ou rompues, qui s’enroulent, se réorientent mutuellement, puis se délient pour repartir chacune dans une direction plus éclairée. Todo sobre mi madre est une zarzuela à ciel ouvert, où le théâtre – idée formidable, et si représentative de son auteur - est justement le foyer du drame et le pôle magnétique du récit, qui, de Tennessee Williams à Agrado, devient ce lieu des oraisons étranges, liturgie des larmes et communion des rires. Chaleureuse ronde des marginaux et des brisés, bouleversant éloge de la figure féminine, déclinée en quatre variations infiniment touchantes, à l’avenant d’un quatuor d’actrices fabuleuses et en totale synergie : Pedro, j'aime décidément beaucoup ton cinéma.

Barry Lyndon
8.1
6.

Barry Lyndon (1975)

3 h 04 min. Sortie : 8 septembre 1976 (France). Drame, Historique, Aventure

Film de Stanley Kubrick

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Que dire ? Sa renommée légendaire d’inaltérable monument, son génial architecte et ce que je connais déjà de ses ouvrages les plus fameux, tout cela nourrit un certain prestige qui oriente un peu l’accueil qu’on s’apprête à lui donner. C’est que les monuments, lorsqu’ils sont à cette échelle, ne s’inaugurent pas d’un simple ruban sectionné. Kubrick bâtissait des temples sacrés, imposants et impénétrables, et laissait à chacun le soin d’y trouver son propre sésame, pour les investir enfin et se les rendre intimes. Bien sûr, Barry Lyndon est encore de cette envergure, de celle qui ne s’embrasse pas d’une seule étreinte, un édifice encore une fois imprenable, mais dont les remparts m’ont paru ici étonnamment plus ténus, comme rendus plus fragiles par la sentimentalité qui perce à de nombreux endroits. Il y a déjà ces vibrations sensibles qui rayonnent de la ritournelle des Cheftains, et qui ouvrent d’emblée une saillie romanesque inédite et qui ne se refermera plus. Une brèche laissée là, offerte, ouverte sur les affects qui d’habitude sourdaient de l’opacité, et qui infusent ici une proximité nouvelle. Le tamisage des candélabres, qui empourpre les visages sous les poudres blanches et y fait vaciller les ombres, éclaire à merveille les aspirations charnelles silencieuses, les regards discrètement chargés de désir, de passion ou de rancune. A l’avenant : la facture formelle, absolument suprême, mais aussi moins rectiligne que de coutume, et la profusion narrative méticuleusement agencée préférée à l’épure trompeuse du récit, sont les deux rails du parcours aventureux et accidenté de Redmond Barry, périple aiguillé par l’Histoire et la fortuité des rencontres, qui prend alors le chemin d’une chronique dense, passionnante et imprévisible, narrée avec un recul amusé mais toujours bienveillant, un ton philosophe dépourvu de toute solennité. Kubrick y aplanit sa construction d’ordinaire érigée, composant une fresque ample, qu’il déroule avec l’habilité d’un conteur aguerri, sans rien perdre de sa capacité à susciter les profondeurs. Moi qui voyait son œuvre comme un formidable recueil d’épopées confinées, de voyages mentaux à travers une humanité clairsemée, de déserts ontologiques, arides et angoissants, Barry Lyndon s'est offert alors comme un opus singulièrement plus peuplé. Le nombre d’âmes lui procure une chaleur inattendue, colorant d’une belle émotion la profonde solitude existentielle qui taraude souvent sa filmographie.

Pique-nique à Hanging Rock
7.2
7.

Pique-nique à Hanging Rock (1975)

Picnic at Hanging Rock

1 h 55 min. Sortie : 30 mars 1977 (France). Drame, Fantastique

Film de Peter Weir

Omael a mis 9/10.

Annotation :

La blondeur du soleil nappant l’image d’un hâle d’or rappelle le verni ambré des grandes toiles : naïades échappées d’un Chabas, blancheur opaque des robes empruntant à Monet, déjeuner introductif dans une nature tortueuse, mythologique et secrète, évoquant les fêtes galantes de Fragonard. Ces réminiscences plastiques éminentes n’engoncent le film dans une posture figée que pour mieux souligner le puritanisme sourd qui enserre ces adolescentes. Malgré le corset d’une bienséance compassée, qui les oppresse comme les fleurs fragiles qu’elles laminent en herbier, ces jeunes sylphes diaphanes, belles et délicates, participent autant qu’elles détraquent cette picturalité très travaillée. Elles se nouent mutuellement les liens qui les encagent avec amusement, se sourient avec connivence, semblent détourner l’énoncé courtois des vers en langage codé, chargent leur pose d’un érotisme discret, et signent de la main un au revoir ambigu. Elles sont les motifs d’un tableau tramant à sortir du cadre. Progressivement, le mamelon volcanique en arrière-plan vient lui aussi contrarier cette délicate harmonie visuelle, sa difformité imposante se soustrayant à toute esthétique, son magnétisme disloquant la sororie, et ses radiations déréglant le temps. Peter Weir amorce alors un rituel hypnotique et insondable. Il orchestre la procession languide de ses figures virginales, au rythme des bourdonnements étranges et des vents pris dans les roches de son autel ancestral, sur lequel - on le sent - un sacrifice est en marche, et peut-être même désiré, sous l’œil d’une faune complice. Car les pierres accidentées d’Hanging Rock sont les sœurs rocailleuses de la Lisca Bianca de l’Avventura, elles convoquent le même hors champ minéral et dévorant, ce basalte perméable et occulte qui s’empare des femmes. « Let the mystery be ». Ces écolières aspiraient-elles à l’évanouissement hors du monde, à défaut d’y entrevoir un épanouissement possible ? Ont-elles été pétrifiées en obélisques comme les demoiselles coiffées de Théus ? Inexplicable dissolution pour un mystère insoluble : les rémanents se flétrissent, les souvenirs s’érodent, les sentiers empruntés sont rebattus en vain. Les visages disparus surgissent dans un fondu, les robes blanches deviennent celles de fantômes. Le film apparaît alors comme au ralenti, dans une sorte de convalescence sans rémission, se décantant en récit de démantèlement, celui d’un microcosme tronqué par une incommensurable béance. Un véritable ravissement.

Pompoko
7.2
8.

Pompoko (1994)

Heisei tanuki gassen pompoko

1 h 59 min. Sortie : 18 janvier 2006 (France). Animation, Fantastique, Comédie dramatique

Long-métrage d'animation de Isao Takahata

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Takahata s’immerge dans les traditions de son pays, sans se préoccuper une seule seconde de ce qu’il pourrait perdre en intelligibilité hors de ses frontières. De cette folle parade de références folkloriques qu’il défile joyeusement tout au long du film, et qu’il aurait pu oblitérer par souci de didactisme et d’accessibilité, il en exhibe fièrement la moindre parcelle. C’est qu’il privilégie finalement la même stratégie insouciante que ses tanukis : celle du partage culturel plutôt que la collision, du « convaincre plutôt que vaincre », avec le risque, amèrement validé par le film, de ne pas parvenir à se faire comprendre. Mais à l’inverse de ses héros velus aux boules magiques dont les intentions se heurtent cruellement à la méprise totale des humains, Takahata réussit la prouesse d’étendre progressivement son propos à une dimension universelle, malgré son univers pour le moins spécifique et localisé. Cette lutte singulière qui favorise souvent à l’inféconde violence les armes de la farce et de l’émotion poétique, la représentation artistique et la mise en scène pour communiquer un désarroi et effleurer la possibilité de changer le monde, tout cela témoigne de la belle foi de l’auteur en la capacité du cinéma à faire, pourquoi pas, bouger les lignes, ne serait-ce qu’un peu. Et pour ce qui est de bouger les lignes, le cinéma de Takahata se pose là, et cette fois pas qu’un peu : la rondeur et le rebondi des formes s’y alternent avec les traits plus durs et précis du naturalisme, l’animation épousant avec une grande intelligence l’oscillation du cinéaste, qui d’une part s’adonne à l’humour franc et aux sentiments doux, sans rien lâcher de l’autre de sa vive lucidité. Réassemblant la mémoire des paysages oubliés dans un dernier cri désespéré et bouleversant, Pompoko est une fable dense, intriquant ses thématiques en un canevas bariolé et humaniste, toujours clairvoyant. Car si Takahata radiographie à nouveau la fracture qui clive sa patrie entre la ruralité ancestrale et l’urbanisme invasif qui la ronge, c’est autant pour raviver une douleur qui ne doit jamais s’engourdir, celle d’une nature ravagée et fragile, que pour prévenir la possible infirmité d’une société qui s’ampute de sa propre histoire. Il fait alors de la tragédie des tanukis l’écho déchirant de toutes les civilisations humaines ensevelies sous les velléités conquérantes, ou dissoutes dans le bain du mimétisme social résigné. Takahata savait nous dire tout cela, puis nous quitter en chantant.

Si tu tends l'oreille
7.3
9.

Si tu tends l'oreille (1995)

Mimi o sumaseba

1 h 51 min. Sortie : 7 janvier 1995 (France). Animation, Drame, Comédie musicale

Long-métrage d'animation de Yoshifumi Kondo

Omael a mis 9/10.

Annotation :

On ne mesure pas encore l’ampleur de ce que Yoshifumi Kondo a apporté aux productions Ghibli : l’élégance des traits qu’il mettait en mouvement, la construction épurée de ces visages si typiques du studio, et qu’il savait faire frémir de milles émotions avec une évidente authenticité. Son seul leg en tant que cinéaste rend d’autant plus amère la perte de cet inestimable artisan. Car il s’agit du sublime Si tu tends l’oreille, première et ultime réalisation de son auteur, œuvre orpheline, unique, infiniment précieuse. Ici, pas de contrées gorgées d’onirisme, d’escapade bucolique et de visions fantasmées de la vieille Europe, le film ose le cadre moins immédiatement accrocheur de la vie citadine d’une lycéenne, en périphérie de Tokyo. Gageure d’autant plus remarquable qu’il parvient malgré tout à y insuffler une sorte d’enchantement murmurant : les détails à foison qui régalent les yeux, les fourmillements lumineux de Tokyo comme des lucioles dans la nuit, le moment suspendu d’un trajet en train en compagnie d’un passager incongru, ces voyettes magiques et ses chemins de traverse menant à des impasses inexplorées, cette boutique aux trésors, ses poupées de chat et ses pendules marquetées. J’en passe. A ce merveilleux de l’ordinaire, plus subtil que de coutume, Kondo accole une chronique très touchante sur les vocations naissantes et les balbutiements de la créativité, à l’aune desquelles le devenir se construit, le soi se jauge et l’intime se met en jeu, s’accompagnant de doutes, de déprimes, d’efforts et de joies gratifiantes. Si son envergure est plus modeste et son ancrage prosaïque, cela n’en fait pas une œuvre mineure pour autant : Si tu tends l’oreille est une création chaleureuse, douce et sensible, souvent touchée par la grâce. Ce sont ici les soubresauts de l’imaginaire en gestation d’une apprentie poète, qui resonge soudain sa ville en récifs coralliens, arbres-à-chat dantesques et palais de Cheval. Plus loin, c’est le spectacle attendrissant d’une jeune lectrice émue par sa lecture du soir. Ailleurs, c’est le chant délicat d’une parolière amateure qui s’accorde au violon d’un jeune luthier sur le Country Road de J. Denver, semblant alors s’échanger leurs vœux, applaudis par les percussions des aînés. Voilà qui augurait tant. L’occasion plus que jamais de célébrer cette œuvre déjà pleinement accomplie, parangon anonyme et discret de l’animation, qui, de Shinkai à Miyazaki fils, continue d’inspirer.

JFK
7.5
10.

JFK (1991)

3 h 09 min. Sortie : 29 janvier 1992 (France). Drame, Historique, Thriller

Film de Oliver Stone

Omael a mis 9/10.

Annotation :

3 heures bien pleines, qui passent comme une seule. 3 heures passionnantes, mues par une énergie rageuse, par une soif de vérité communicative, qui suscite très vite un fort appétit du vrai, et une faim de justice à l'encontre des puissants qui la détournent. Foisonnant mais toujours limpide, multipliant les régimes d'images et les niveaux de fiction (archives, reconstitutions historique, hypothèses mentalisées) sans jamais nous perdre un seul instant, jouant la carte de l'interactivité en plaçant son spectateur au centre de son vertigineux tourbillon d'informations, avec, pour ancre émotionnelle, la lutte opiniâtre de ce fabuleux collectif (personnages, comme acteurs), bravant les simulacres et les instances occultes du pouvoir, pour toucher du doigt une vérité protéiforme, éternellement fuyante.

Dans un recoin de ce monde
7.4
11.

Dans un recoin de ce monde (2016)

Kono Sekai no Katasumi ni

2 h 08 min. Sortie : 6 septembre 2017 (France). Animation, Drame, Historique

Long-métrage d'animation de Sunao Katabuchi

Omael a mis 9/10.

Annotation :

Dans ce recoin du monde, le parcours délicat et poignant d'une jeune fille se blottit, comme l'infime intime s’enchâsse dans la trame plus vaste de l'Histoire. Celle qui nous fera vibrer, avec qui l'on partagera joies et peines, c'est la belle et frêle Suzu, imperturbable centre chaud d’une maison encerclée par les drames, moteur tendre et brave de cette communauté attachante, quand bien même la société la déracine de son amour, et l’âpreté envahit son quotidien. Sous son pinceau, les vagues du Pacifique ondoient comme des lapins sautillants, et les satyres s'écroulent comme des ogres abusés par une nuit de papier. C'est que Suzu est une incorrigible rêveuse, petit bout de femme à la fois fragile et fort, superbe héroïne immédiatement touchante, pour peu qu'on soit, comme moi, comme elle, un de ces êtres régulièrement dans la lune. Sous la plume du cinéaste qui lui fait vivre le Japon en guerre, Suzu reste ce trait doux tiré sur une toile dure. Si le sujet suscitait la tentation de l'emphase, et la poésie de son traitement le piège de l'embellissement, Katabuchi a l'intelligence de ne succomber ni à l'une, ni à l'autre. Il préfère observer la guerre depuis sa périphérie, là où elle se manifeste en un oxymore pernicieux, horreur latente et ensoleillée, mue par une paradoxale langueur et rythmée par le chant des cigales et le cris des alarmes. Il en fait une force diaphane, inoculant toute chose de sa contradiction, dégradant les cieux azurés en chapes menaçantes, les vagues du Pacifique en berges de machines guerrières, la lumière irréelle d'un soleil passager en signe d'un inconcevable brasier nucléaire. Ces paradoxes s’accompagnent aussi de leur versant lumineux, celui de la bravoure bouleversante d'une famille refusant de briser la délicate chaîne des vies. Ainsi, les abris terreux n’empêchent pas les gestes tendres d'un couple, le rationnement se détourne en autant de défis soulevés à l'inventivité culinaire, l'absurde oppression militaire en déclencheur de rires réprimés et complices, et les pertes irréparables de chacun se reconfigurent en rapprochements nouveaux, redonnant de l’élan, après les peines et les heurts, à la poursuite du bonheur.

Ma vie de Courgette
7.7
12.

Ma vie de Courgette (2016)

1 h 06 min. Sortie : 19 octobre 2016 (France). Drame, Animation

Long-métrage d'animation de Claude Barras

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Le paradoxe étrange de ces grands yeux, tout à la fois ahuris et cernés, dit déjà beaucoup de cette enfance abîmée, mirettes candides toute grandes écarquillées, à la fois sur l'extérieur et sur l'intérieur, et bordées d'un liseré plus grave. Ce regard, c'est aussi celui qu'offre le film : pur, invariablement doux, malgré l'accablement qui frappe ces débutants de la vie. Il embrasse l'imagerie enfantine tout en s'abstenant de verser à plein dans son imaginaire : cette esthétique un peu bricolée et ses dioramas naïfs, ces visages qu'on dirait formés par des légumes dans une assiette, cette élocution de véritables enfants qui apporte aux dialogues une mélodie immédiatement touchante, jusqu'à la fébrilité des mouvements qu'implique la technique d'animation, tout ce qui l'éloigne d'un certain réalisme pour d'autant mieux atteindre une poignante justesse. Et ce qu'il illustre de cet élan vers le bonheur, naturel chez les enfants malgré l'adversité, constitue un rappel désarmant, à nous, adultes qui l'avions peut-être un peu oublié. Sans doute ce que j'ai vu de plus précieux cette année.

En chair et en os
7.1
13.

En chair et en os (1997)

Carne tremula

1 h 39 min. Sortie : 29 octobre 1997 (France). Drame

Film de Pedro Almodóvar

Omael a mis 8/10.

Annotation :

De nouveau Almodovar, et la joie d'y retrouver ce que j'aime : ses couleurs chatoyantes, son espressivo, ses femmes au centre de son cinéma, et les hommes gravitant autour, la caliente des passions, le paso doble des corps, de la vie, de l'amour et de la mort, et toutes les chairs, frémissantes ou tristes, meurtries ou désirées. Le plaisir aussi de le voir déplacer légèrement son terrain d’expression. Son nuancier bigarré y côtoie ici la grisaille des taudis, dévoilant l’envers décharné de Madrid, cette misère en toile de fond qui colore le film d’une dimension sociale inédite. Puis, le jeu sous-terrain des désirs et des frustrations, des culpabilités et des rancunes macérés par le temps, qui se raffinent en un carburant instable, parfumant le mélodrame des effluves du danger. Sa mise en scène se voile d’une placidité inquiétante, comme le patient compte à rebours d’une bombe incandescente qui met finalement le feu à la pellicule, autant par la tragédie qui s’embrase que par cette étreinte ardente, fabuleuse scène d’amour.

Une femme disparaît
7.5
14.

Une femme disparaît (1938)

The Lady Vanishes

1 h 36 min. Sortie : 26 mars 1952 (France). Thriller

Film de Alfred Hitchcock

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Sacré numéro de prestidigitation que celui-ci, prodigieuse entourloupe, à la fois amusée et brillamment tendue. Une fois embarqué dans le train, le film ne cesse plus d'être en mouvement, navigue avec une insolente aisance de l'angoissante disparition/permutation d'un corps, à l'abattage d'un couple en formation autours de la résolution du mystère, chacun rivalisant de charme, de répliques mordantes. Gros plaisir que ce film éminemment ludique, à l'humour vif, et qui interagit avec bonheur avec le spectateur en jouant avec sa frustration comme avec celle de la protagoniste (l'identification est du coup totale), suscitant son désir de surmonter l'énigme, lui glissant malicieusement tantôt indices, tantôt faux-semblants.

The King of New York
7.1
15.

The King of New York (1990)

King of New York

1 h 43 min. Sortie : 18 juillet 1990. Policier

Film de Abel Ferrara

Omael a mis 8/10.

Annotation :

La sortie de prison inaugurale plonge d’emblée dans une étrangeté saisissante, filmée comme le passage irréel entre deux mondes : le corbillard est avancé, s’engouffre dans la nuit naissante, Frank White est revenu d’entre les morts. Ferrara fait de son caïd une figure atypique du gangster, une entité fantomatique, de retour en son royaume des ombres. Christopher Walken s’incarne au diapason : présence surnaturelle, regard de Méduse, maintien de seigneur et gestuelle d’un autre temps. La direction est parfaite, et l’acteur prodigieux. Et le cinéaste joue beaucoup de ce visage singulier et fascinant, motif qu’il imprime en transparence sur l’horizon nocturne de sa nécropole et ses flambées fluorescentes. Ces deux ombres translucides qui se superposent à plusieurs reprises scandent avec une belle éloquence la poétique de l’œuvre : sa mégapole décadente et l’âme qui la hante, et son roi voué à contempler l’évanouissement d’une chimère. Entouré d’une légion de goules tendance new jack, pourchassé par l’Évêque et ses sbires inquisiteurs (pas plus catholiques dans leur méthode), sans cesse mis à distance d’un objectif fuyant de respectabilité, ce roi sans trône et sans couronne assiste impuissant à la nécrose de ses rêves. Du couplet éculé de la « récolte de ce qu'on sème », Ferrara en tire une variation sépulcrale et vénéneuse, visuellement très sophistiquée, et sans concession sur l’inéluctable échec de la justice et de la moralité, lorsqu’elles sont greffées sur la violence et la corruption.

Diamants sur canapé
7.4
16.

Diamants sur canapé (1961)

Breakfast at Tiffany's

1 h 55 min. Sortie : 6 décembre 1961 (France). Comédie romantique

Film de Blake Edwards

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Merveilleuse comédie romantique, qui, derrière ses tonalités délicieusement enjouées, dessine discrètement une douce mélancolie qui la rend vraiment émouvante. Audrey, divine brindille flânant dans New York en Givenchy et collier de perles, ou voisine au lever en pyjama, masque de nuit et boucle d'oreille unique, est complètement désarmante de charme, de décalage, de fragilité, de contradictions. Edwards emballe le tout avec une grande élégance, que parachève la musique superbe de Mancini.

Alice
6.9
17.

Alice (1990)

1 h 42 min. Sortie : 6 février 1991 (France). Comédie, Fantastique, Romance

Film de Woody Allen

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Véritable enchantement que cette chronique d'émancipation d'une femme, bardée d'un romantisme rendu incongru par sa déclinaison au fantastique. Le dialogue de cette femme avec ses souvenirs d'enfance, ses amours anciennes, ses fantasmes enfouis, ses "sois" possibles, sont l'occasion de milles fantaisies délicieuses à l'écran, d'autant plus merveilleuses qu'elles touchent chaque fois la juste notion, l'émotion adéquate, la pertinente représentation de ce monde intérieur de désirs, de doutes, de regrets. Complètement charmé.

Patlabor
6.9
18.

Patlabor (1989)

Kidô keisatsu patorebâ: Gekijô-ban

1 h 40 min. Sortie : 15 juillet 1989 (Japon). Animation, Action, Science-fiction

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii

Omael a mis 8/10.

Annotation :

C'est bien la première fois qu'un film d'Oshii me fait sourire. Sans doute encore inféodé aux obligations de la série télévisée qu'il a lui-même instiguée, cette première déclinaison cinématographique adopte une tonalité plus enjouée et lumineuse, apportant une vraie fraîcheur, un rythme vif, inédit autant que bienvenu dans l'œuvre (future) d'ordinaire plus lancinante d'Oshii, en phase avec la jeunesse et la candeur de ses héros. Le mariage de cette légèreté avec la part habituellement plus mélancolique et méditative de son style est consommé avec un grand bonheur, renforçant la valeur des plages contemplatives, bien présentes, et superbes comme il en a le secret. Techno-thriller d'une grande tenue esthétique malgré son âge, haletant et passionnant, j'en retiens donc surtout la patine exceptionnellement espiègle, amplifiant le charme de l'ensemble.

Patlabor 2
7.5
19.

Patlabor 2 (1993)

Kidô keisatsu patorebâ: The Movie 2

1 h 50 min. Sortie : 7 août 1993 (Japon). Animation, Science-fiction, Action

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Les sourires s'estompent ici. Oshii radicalise considérablement son approche, évacue toute l'insouciance du premier opus pour laisser place à une construction plus cérébrale, délaisse l'humour pour le verbe inquiet, et marginalise le cœur cybernétique de la série au sein de ce nouveau film. Ce second épisode apparaît comme une récidive mélancolique, un film en état de stase progressive, une sorte de déambulation engourdie par les neiges qui recouvrent une Tokyo amorphe dépeinte en un diaporama d'images absolument somptueuses. La proposition d'Oshii est très surprenante : sorte de film de guerre sans poudre (ou presque), film de méchas sans méchas (ou presque), suite affranchie de toute attache. Accouplé au 1er, qui constituait le versant le plus lumineux et accessible de son œuvre, ce second film, à l'autre extrême, sans doute le plus personnel de son auteur, forme ce fabuleux dyptique, constituant une sorte d'éventail très représentatif et passionnant du travail d'Oshii.

Snake Eyes
6.8
20.

Snake Eyes (1998)

1 h 38 min. Sortie : 10 novembre 1998 (France). Policier, Thriller, Drame

Film de Brian De Palma

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Un vieil adage veut qu'une image vaille mille mots. Cette règle de conversion poétique qui vante l'ascendant de la représentation picturale sur le discours pourrait insidieusement supporter un tout autre postulat, bien plus inquiétant : comment un contenant si plein de sens possibles ne pourrait-il pas finalement nous tromper ? Si cela est vrai pour une image, que dire de l'image filmée qui en compte 24 à la seconde, 60 fois par minute ? La mystification ainsi multipliée prendrait vite la forme d'une vertigineuse exponentielle. Plus que jamais avec ce film, De Palma fait sienne cette idée de l'image indomptable et fourbe, de sa complicité qui laisse s'échapper la vérité en la masquant de son point mort, puis sa trahison qui signale le coupable en projetant son ombre à l'écran. Jeu de dupe à la fois ludique et acerbe, comme souvent chez l'auteur, Snake Eyes est une sorte d'aboutissement virtuose de son travail antinomique de scrutateur et de faussaire. Surfaces rutilantes servant de voile opaque à la corruption, paradoxe de la multiplicité des points de vue, qui perd dans l'équivocité celui qui pensait atteindre l'exhaustif, le métrage baigne dans un univers intégralement artificiel, à la turbulence organisée, sciemment surchargé de signes, dans lequel De Palma inscrit le parcours d'un anti-héros recouvrant sa probité. Au contact d'une femme, encore une fois, récurrence sentimentale si appréciable dans son œuvre.

Mind Game
7.7
21.

Mind Game (2004)

Maindo gêmu

1 h 43 min. Sortie : 7 août 2004 (Japon). Animation, Aventure, Comédie

Long-métrage d'animation de Masaaki Yuasa et Koji Morimoto

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Mue par une liberté si ardente qu'elle semble assouplir les contours rigides de l'écran, la première œuvre de Yuasa au cinéma est un véritable magma sensoriel, bouillonnant et incoercible. Sorte de collage animé bizarroïde et a priori rebutant, Mind Game érode bien vite les digues de la perplexité par son puissant flux d'idées jaillissantes, pour nous aspirer dans un hourvari grisant. Expérience d'avantage qu'expérimentation, sa constante inventivité formelle et narrative, qui aurait pu en faire un objet vainement conceptuel, empesé et abscons, enfermé dans son propre délire, aboutit bien entendu à tout le contraire : développement organique du récit, tonalité délicieusement aérienne, le film s'organise en un chaos curieusement limpide, se déploie dans un mouvement d'épanouissement absolu, suivant le cheminement enjoué d'un cinéaste qui ose tout, et réussit chaque fois. Adoptant une prise instinctive sur le monde qui lui confère la perspicacité des rêves, Yuasa préserve miraculeusement l'intelligibilité du fond malgré la turbulence de forme, et délivre une ode hédoniste à l'existence. Formuler d'avantage serait profaner l'incroyable euphorie que procure sa découverte. Mind Game est à vivre. C'est d'ailleurs là tout son propos.

Les Ailes d'Honnéamise
7.2
22.

Les Ailes d'Honnéamise (1987)

Ôritsu Uchû-gun: Oneamisu no Tsubasa

2 h 01 min. Sortie : 1987 (France). Animation, Drame, Science-fiction

Long-métrage d'animation de Hiroyuki Yamaga

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Annales imaginaires de la conquête spatiale, Honnéamise est une sorte d’Étoffe des Héros relue à la lumière d'une autre étoile. Velléités démiurgiques donc, d'une ambition absolument démente, forgeant de toute pièce un monde fictif déroutant dans ce qu'il a de familier et d'étranger à la fois : de la simple fourchette au téléphone, de l'alphabet à l'architecture, tout est identifiable tout en étant résolument autre. Cette prouesse plastique d'une incroyable cohérence permet au film de maintenir une étrange sensation, un état d'émerveillement méticuleusement dosé, mesuré, comme un miroir tendu à notre propre monde, déformant juste ce qu'il faut pour ébahir tout en gardant une forte proximité. Soit le cadre parfait de cette contre-épreuve de l'Histoire, qui allégorise toutes les guerres froides de la nôtre, et interroge le regard de l'Homme sur lui-même, sur la futilité des conflits et des dissensions. Car cette quête de l'altitude est aussi une ascension poétique de ce regard, rappelant qu'à hauteur de vue suffisante, le chaos disparaît à la faveur d'une tranquille et absolue harmonie. Œuvre téméraire, rendue à la fois fascinante et revêche par ses constituants pour le moins atypiques, elle prend le risque supplémentaire d'asseoir son socle émotionnel sur les épaules d'un anti-héros contradictoire, être apathique rêvant pourtant de se soustraire à la pesanteur. Moteur paradoxalement inadéquat pour une telle quête de propulsion, ce personnage impose au récit une inertie mélancolique qui s'appaire bien de la belle dimension rêveuse du film.

À la poursuite d'Octobre rouge
7
23.

À la poursuite d'Octobre rouge (1990)

The Hunt for Red October

2 h 14 min. Sortie : 29 août 1990 (France). Action, Aventure, Thriller

Film de John McTiernan

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Immense partie d'échec, dont le damier se mesure en milles et en longitudes, McTiernan offre un thriller constamment limpide, faisant éclore la jubilation de notre capacité à progressivement maîtriser le langage dissimulé dans les trajectoires, et appréhender le double-fond des manœuvres en grand fond. Avec une grande intelligence du récit et de la mise en scène, il nous fait comprendre, en même temps que les personnages, les intentions non-explicitées, les implications des actes, la traduction des informations captées. La séquence de "dialogue" en morse par périscopes interposés est à ce titre l'une des scène de dialogue les plus incroyables que j'ai pu voir. Casting de premier choix, d'un Alec Baldwin en enthousiaste candide à l'esprit vif, à Scott Glenn, admirable de charisme. Et bien sûr le regretté Sean, impérial.

La Folle Journée de Ferris Bueller
7.2
24.

La Folle Journée de Ferris Bueller (1986)

Ferris Bueller's Day Off

1 h 43 min. Sortie : 17 décembre 1986 (France). Comédie, Drame

Film de John Hughes

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Respect des obligations comme un idéal de vie, assiduité louée comme une vertu, à l’heure adulte où le temps planifié nous dérobe la liberté d’en jouir et nous morcelle l’existence. La relève ? Elle n’aspire qu’à la pause et à la fuite en contre-sens, loin des routes embouteillées de la responsabilité, regardant amusée cette morgue depuis sa bulle frivole. Ah, elle est belle la jeunesse ! Bulleur de génie, Ferris en est un étendard à lui seul. Il renvoie aux souvenirs de ces beaux-parleurs à la fois irrésistibles et agaçants, qu’on a tous connu, et parfois désiré être. Né sous la bénédiction d’une chance insolente, avec cette aptitude innée à prendre avantage des circonstances qui lui préserve l’insouciance : bref, tout lui sourit. Et, en parfait idole qui a la classe de ne pas en jouer : tous lui sourient, aussi. A un proviseur près, tout de même. Cameron, lui, est son parfait complémentaire, ce timide inquiet et sensible qu’on a plus souvent croisé, ou été. La belle et sincère amitié que lui voue Ferris est l’indispensable cœur du film, en plus de donner à son héros-titre le capital sympathie qui aurait pu lui manquer. Si c’est Ferris qui provoque le mouvement, c’est dans Cameron que Hughes place son regard d’adulte en devenir, apportant un contrepoint plus tendre et grave à sa comédie légère et impertinente. A travers lui, Hughes illustre avec beaucoup de justesse ce pivot incertain de l’existence où l’on se retrouve soudain au seuil du monde adulte, avec ce gouffre béant qu’est l’avenir au bout du lycée. Et entre les deux potes, la divine Sloane, tenant amoureusement la main de l’un, et affectueusement celle de l’autre. Cette folle journée est un merveilleux rappel, celui des instants où l’on s’est laissé entraîner à faire le mur, déjouant la vigilance du monde, échappant à l'autorité, pour se retrouver libre. Elle nous permet d’assouvir à nouveau, par procuration cette fois, ce désir de parenthèse, ce besoin de retarder l’échéance des impératifs pour mieux jouir à plein du présent. Car même si le lycée est maintenant loin, il y a toujours cette douce possibilité qui sommeille : celle d’entendre la sonnerie retentir, appelant au devoir, et de s’y soustraire. En tout cas, le film la ravive à sa manière, et l’étincelle qui brille dans le regard tient autant de la nostalgie que de l’envie face au spectacle euphorisant de ces jeunes qui s’offrent le jour à eux-mêmes, dans la joie et les rires. Oui, elle est belle la jeunesse. (Mia Sara surtout, mama mia)

La Tour au-delà des nuages
6.1
25.

La Tour au-delà des nuages (2004)

Kumo no mukô, Yakusoku no bashô

1 h 31 min. Sortie : 2004 (France). Animation, Drame, Romance

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Dans ma découverte de Shinkai cette année, je suis d'abord passé par le très beau The Garden of words, mélodrame humble et réservé, à la mélancolie touchante et à l'image opaline. On retrouve ici la même diaprure, cette picturalité subjuguante qu'on identifie déjà comme une signature, apposée méticuleusement sur chaque élément reproduit : ombres délabrées d'un couloir d'école découpées sur le couchant, herbes folles brunies par cet été cardinal, nuées orageuses bourgeonnant au loin, ... tout participe à cette douce mais prégnante sidération. Et, bien sûr, ces magnifiques cieux de nacre, rendus étrangers par cette intrigante verticale que trace Shinkai, cette tour des nuages qui barre le ciel et qui polarise le récit. Totem uchronique et sibyllin, cette ligne fantastique est une idée merveilleuse, dans ce qu'elle matérialise en un douloureux rappel l'inaccessibilité des rêves et le regret des promesses inabouties, qui font de l'âge adulte cette autre uchronie, née des aspirations non assouvies de l'enfance, et des potentiels non concrétisés. Shinkai réalise ici un premier long métrage ambitieux, une fable poignante et formellement sublime, qui resonge la jeunesse comme l'été de tous les possibles, et poétise les renoncements aux rêves comme autant de portails fermés sur d'autres mondes et d'autres sois possibles.

Vampire Hunter D: Bloodlust
7.4
26.

Vampire Hunter D: Bloodlust (2000)

Banpaia hantâ D

1 h 43 min. Sortie : 31 octobre 2000 (Japon). Action, Fantastique, Épouvante-Horreur

Long-métrage d'animation de Yoshiaki Kawajiri

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Excellent film d'aventure conjugué au fantastique, d'un niveau comme je n'en avais plus vu depuis très longtemps ! Constamment inventif, plastiquement somptueux, Kawajiri parvient à tirer tout le parti d'un récit très simple, qu'il met en image avec dynamisme et virtuosité, et réussit à insuffler un charisme certain à des personnages pourtant croqués en quelques traits. Il y a ce qu'il faut de romantisme gothique et de fulgurantes scènes d'actions, où chaque instant est l'objet d'une trouvaille, d'un travail d'animation ahurissant de fluidité, d'arrières plans divinement peints à la main et beaux à tomber.

Un été avec Coo
7.1
27.

Un été avec Coo (2008)

Kappa no kû to natsu yasumi

2 h 15 min. Sortie : 10 septembre 2008 (France). Animation, Comédie, Drame

Long-métrage d'animation de Keiichi Hara

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Après le magnifique Colorful et le très bon Miss Hokusai, cette dernière découverte vient confirmer qu'Hara est un de mes cinéastes préférés dans le domaine de l'animation japonaise. Sous ses atours de fable enfantine se cache une incroyable densité de péripéties, d'émotions, de sujets. Le récit se laisse porter par le quotidien d'une famille qui se reconfigure avec l'arrivée d'un membre issu d'un autre monde, qui, à l'image des partis-pris esthétiques qui viennent l'illustrer, navigue avec brio entre le journal d'un foyer d'une grande justesse et la poésie qu'emmène avec lui l'intrusion du fantastique. Tout autant chaleureux et ensoleillé qu'il soit, il ne se détourne pas d'une grande noirceur qu'il fait poindre de manière assez surprenante avec une grande violence.

La Mule
6.7
28.

La Mule (2018)

The Mule

1 h 56 min. Sortie : 23 janvier 2019 (France). Drame, Gangster, Thriller

Film de Clint Eastwood

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Avec la nonchalance d'un incorrigible briscard revenu de tout, Eastwood détourne une histoire vraie propice à tous les suspenses en un road-movie léger et oscillant, curieusement paisible. Pas d'itinéraire aventureux filant vers l'horizon ici, le cinéaste préfère décliner le motif de l'aller-retour, dont la répétition favorise la progression amusée du récit en épisodes qui sont autant d'occasions de porter son regard attendri par le temps, mais toujours aussi malicieusement vif, sur l'Amérique contemporaine. C'est presqu'un road-movie inversé finalement, tant l'on ressent que ce qui intéresse vraiment le cinéaste dans la figure de l'aller-retour, c'est le retour en lui-même, démultiplié ici en tentatives émouvantes : retenir encore un peu le temps qui s'amenuise, reconquérir une place laissée trop longtemps vacante, réinvestir un point de départ pour y construire une ultime halte. Tout cela se conjugue parfaitement avec le retour du légendaire cinéaste lui-même : retour de son regard d'auteur qu'on aura vu se forger, et de son corps d'acteur dont on aura vu tous les âges, le temps d'imager pudiquement une sorte de rétrospective, que l'on sent très personnelle, à la fois lucide, un brin amère, et volontiers goguenarde. On pourra regretter le manque d'enjeu et d'ambition, mais cela participe aussi de cette tranquillité lumineuse et badine, celle d'un vieil homme qui n'a plus rien à prouver, et qui préfère partager avec nous une dernière danse à son propre rythme, et sa présence dans cet écran qu'il a toujours su si bien habiter.

Ninja Scroll
7.5
29.

Ninja Scroll (1993)

Jûbei ninpûchô

1 h 34 min. Sortie : 5 juin 1993 (Japon). Animation, Action, Aventure

Long-métrage d'animation de Yoshiaki Kawajiri

Omael a mis 8/10.

Annotation :

"Excellent film d'aventure conjugué au fantastique, d'un niveau comme je n'en avais pas vu depuis très longtemps !"- Tout comme Vampire Hunter D plus haut !
A ceci prêt qu'on y retrouve d'avantage le Kawajiri un peu déviant de Wicked City et que les moyens mis en jeux ne sont pas les mêmes (le film est aussi plus ancien de 7 ans). Plus trouble et sensuel, mais aussi techniquement plus rudimentaire, le film n'a donc pas la même tenue, et se montre volontiers plus turbulent dans ses idées (sans atteindre le niveau complètement borderline de Wicked City), mais reste un très beau morceau d'animation, rythmé, brillamment mis en scène, exploitant jusqu'au dernières ressources une trame (là encore) pourtant assez simple.

Elle
6.7
30.

Elle (2016)

2 h 10 min. Sortie : 25 mai 2016. Drame, Thriller

Film de Paul Verhoeven

Omael a mis 8/10.

Annotation :

Verhoeven se joue ici de l'esthétique tristement atone, baignant couramment une certaine frange de la fiction audiovisuelle française dans une espèce de formol éthéré, comme il l'avait précédemment fait avec les codes esthétiques à la fois proprets et criards de la télévision américaine dans de féroces et jubilatoires opérations de saccage et de démaquillage. Il ne s'agit cependant plus de salir ici, ni d'en briser la surface, mais plutôt d'en noyauter la chair par une opération de greffe qui apporte au métrage une étrangeté indiscernable. Comme un ver dans le fruit qui se manifeste par éruption sur sa pelure : le sang qui apparaît au centre de la mousse irisée, le cure-dent dans le petit four, le poids de la folie d'un père dans l'âme de sa fille. Ce cadre familier permet à Verhoeven de mettre en exergue une inscription tout en décalés et en mouvements imprévisibles, alternant le frontal et le regard de biais pour mieux dérégler le laid flou de la photographie. Refusant courageusement d'oblitérer les paradoxes béants et les complexités troubles des comportements humains, se prémunissant de toute tentation moralisante en se tenant à égale distance de la farce et de la fable, il laisse le spectateur mesurer seul son jugement face à ce théâtre pour le moins déroutant, à ces monstres, à ces survivants, et à ces monstres/survivants.

Omael

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