Cover Anatomie d’un album #1 : OK Computer

Anatomie d’un album #1 : OK Computer

[Attention, je n’ai fait aucune étude de musicologie, mon seul « bagage » musical se compose de quelques années de solfège ainsi que de la pratique d’instruments. Ainsi je peux me tromper, ne pas dire des choses exactes (même si je compte ne pas rentrer dans des aspects techniques parce que je n’en ...

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12 morceaux

créée il y a plus de 7 ans · modifiée il y a plus de 7 ans
Airbag
7.6

Airbag (1997)

Airbag

04 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock, Blues

Morceau de Radiohead

Annotation :

La première chanson de l’album apparaît comme assez optimiste et son titre cite immédiatement la technologie pour nous mettre dans le bain. Elle est animée d’une guitare électrique plutôt rapide et surtout d’un bon rythme de batterie dans le fond qui ne s’arrête que rarement.

Cette chanson est aussi un témoignage à la première personne (« I am born again ») ce qui lance tout de suite la manie de l’album qui ne sera qu’une succession de « témoignages ». Sont-ils tous de la même personne ? L’identité ici est assez floue, on nous parle de quelqu’un heureux d’être en vie et qui a survécu grâce à un airbag. La chanson a une pause au milieu où seuls les instruments frénétiques s’agitent avant une répétition du refrain. Cette « pause » arrive après le témoignage de l’incident comme s’il fallait se remettre du choc avant de reprendre. Car en effet cet événement est raconté à la fin, car avant il parle de survivre à la prochaine guerre mondiale tandis que le refrain évoque de survivre à une explosion interstellaire. Avoir survécu pousse le personnage à avoir une foi énorme en la technologie (« jakknifed juggernaught » ; « in a deep deep sleep » - qui pourrait facilement faire référence à la cryogénisation).

Ainsi un rapport paradoxal aux machines s’applique immédiatement : elles nous sauvent et nous tuent. Le personnage est heureux d’être en vie quand c’est l’humanité qui s’est mise en danger, sauf que sa confiance en la technologie le fait se sentir comme une sorte de Dieu car il pense pouvoir résister aux explosions interstellaires.

A la fin, la batterie prend beaucoup de place et émergent de drôles de sons qui font très générés par ordinateur accompagnés du fredonnement du chanteur et d’un chœur au fond comme pour généraliser le propos. Sauf qu’à partir de là le rythme se répète beaucoup (la répétition étant une véritable constante dans cet album) et il y a comme un crescendo avec la guitare, le son monte comme l’enthousiasme du narrateur. Ce qui termine la chanson sont trois « bip » informatiques.

Paranoid Android
8.4

Paranoid Android (1997)

Paranoid Android

06 min. Sortie : 26 mai 1997 (France). Pop rock, Bande-originale

Morceau de Radiohead

Annotation :

La chanson est directement en lien avec la précédente et démarre après les droits « bips » avec une guitare sèche immédiatement en opposition avec la très électrique avant afin de tout de suite installer une ambiance plus calme. D’ailleurs le « je » de ce morceau se plaint tout de suite de la frénésie du précédent en commençant par « please could you stop the noise I’m trying to get some rest ? ». Si on se fie au titre, cette chanson semble être la voix d’un androïde (ou du moins métaphoriquement) atteint de délires paranoïdes (et pas paranoïaques, paranoïde signifiant un état beaucoup plus déconstruit ne se rapportant plus à la réalité). Voilà pourquoi juste après il parle de « chicken voices » dans sa tête. Très vite, les paroles ne font que peu de sens et on est face à une totale déconstruction du discours de celui qui parle.

Cette déconstruction est surtout formelle. De fait la chanson se scinde en trois parties distinctes : une première douce, une seconde soudain plus violente et la dernière encore plus lancinante que la première. L’instabilité de la personne/chose qui parle se reflète dans la musique et aussi dans les paroles qui rappellent un peu son état d’ordinateur : il y a usage de répétitions qui dépassent l’idée du refrain (car refrain il n’y a pas prouvant l’absence de structure cohérente) ; on peut voir cela comme un bug de la machine, un disque rayé. Les paroles passent par tous les états : détresse dans un premier temps et incompréhension, puis vulgarité et colère, jusqu’à ce que la perdition atteigne le point culminant où les mots de la fin s’enchainent sans faire de phrases.

Mais c’est une véritable panique décrite sur la fin alors que c’est le moment où le rythme est le plus doux comme une déchéance que l’on voit se profiler sans rien faire. « God loves his children » qui clos la chanson est une phrase ambigüe : qui vise-t-elle, est-elle ironique ? La personne se rassure en disant que malgré tout dieu l’aime et ça peut être la voix-machine puisqu’on pourrait voir là une interrogation de la machine qui voit le monde se disloquer et lui en demander beaucoup, et elle trouve une sécurité en disant que les humains, ses créateurs, l’aiment (cf 1er morceau où l’homme se sent divin). La musique s’emballe entièrement après dans des sons aussi synthétiques comme un plantage de la machine puisque les dernières secondes sont un silence total.

Subterranean Homesick Alien
7.6

Subterranean Homesick Alien (1997)

Subterranean Homesick Alien

04 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

Le morceau commence assez doucement avec des sons qui semblent s’éloigner et se rapprocher instaurant une ambiance très science-fiction, très spatiale. De fait la chanson parlera d’aliens (en anglais le mot à plusieurs sens, à la fois alien comme nous nous l’entendons mais aussi juste « l’autre », l’étranger).

La chanson est assez compliquée en termes de point de vue. D’après le titre, on pourrait croire que c’est l’alien qui parle, mais ça se corse quand on comprend que c’est un alien « souterrain » quand habituellement on se figure les aliens là-haut. Ainsi, l’alien serait-il l’humain ? Le premier couplet semble nous dire que non car en effet, le narrateur parle d’un peuple qui fait des films pour cloitrer les gens chez eux, activité reliée à l’humanité (art cinématographique mais aussi aliénation). Et avec ce mot « aliénation » (alienation en anglais) on comprend pourquoi les humains sont traités d’alien (« up above aliens hover/Making home movies/For the folks back home »), du moins au travers de cette interprétation sémantique.
Le refrain (« they’re all uptight ») s’avère lui aussi plutôt ambigüe : déjà saluons le termes « uptight » qui contient « up » signifiant « sur » (en gros) en anglais ce qui rappelle qu’on voit du dessous des gens en haut. Mais uptight signifie surtout crispé (sur-tendu) et donc il y a comme une critique de ceux là-haut. Le second couplet semble cette fois-ci prendre le point de vue d’un humain qui aurait aimé être embarqué par les aliens (il parle notamment d’un « beautiful ship » ralliant à nouveau la technologie comme démonstration de beauté et puissance) et qui a été enfermé.

L’enfermement désigne-t-il alors celui qui parlait au début et qui parle depuis un souterrain, regrettant le pays ? Dans ce cas le premier couplet est le présent et ce second le passé. L’homme est dans le souterrain et voit les autres qui l’ont rejeté comme des aliens, quand lui-même est considéré comme un alien. Le mot prend ainsi un sens universel, car tout le monde est l’alien d’autre chose et tout le monde prend l’autre pour un fou. Et les fous majoritaires sont les « gagnants ». On voit par ailleurs la folie gagner la voix de Thom Yorke (le chanteur) dont la voix est de plus en plus malheureuse et écorchée avec ce second couplet, puis qui répète très longtemps le « uptight » en criant de plus en plus jusqu’à une sorte d’endormissement accompagné de la musique qui se calme. Il a perdu.

Exit Music (for a Film)
8.4

Exit Music (for a Film) (1997)

Exit Music (for a Film)

Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock, Electro/techno

Morceau de Radiohead

Annotation :

Le 4eme morceau de l’album n’est pas relié musicalement avec le 3eme, pourtant par son titre on a immédiatement un lien qui s’instaure entre les deux : le précédent évoquait les films faits par les humains, ce morceau par son titre évoque tout de suite un film. Par la parenthèse du titre le compositeur assume tout de suite le statut de la chanson : elle a en effet été écrite pour Romeo + Juliet de Baz Luhrmann. Ainsi l’album rentre dans un propos très méta et le morceau a un statut différent : il n’est plus un témoignage comme les autres mais un morceau réalisé pour un film dans le monde de l’album.

Exit Music est une chanson très douce qui commence par une guitare sèche et la voix de Thom qui ne pousse pas encore. Les paroles de la chanson parlent d’un couple qui veut s’enfuir : si le lien avec Roméo et Juliette est évident, on peut très clairement en faire un avec tout l’album et les morceaux analysés précédemment. Nous parlions d’aliénation, d’enfermement, il y a là une envie d’échappatoire. L’extérieur inocule d’ailleurs le morceau après les trois « breathe » où des bruits parasitent la guitare, des sons indistincts qui ressemblent à ceux émis par des machines ou les bruissements d’une foule. Le morceau décolle après avec le retour de la batterie, une poussée de la voix et la guitare qui sature : ceci accompagne une sorte de venin dans les paroles. Le romantisme devient violent et Thom commence à hurler avec le « choke you » (étrangler). La paix éternelle des amants demande à ce que ce qu’ils fuient ce « you » (quelqu’un en particulier ou le « you » général ?) mais ils désirent aussi sa perte.

La chanson se termine par une répétition du « we hope that you choke/That you choke » (3 fois quand même) et le dernier signe le retour du doux rythme de guitare du début. Il y a là le dessin d’une véritable rébellion compulsive qui s’accompagne d’une haine envers le reste mais cette haine la renvoie elle aussi à la répétition comme une boucle infernale (la chanson qui se finit comme elle a commencé). Peut-on alors réellement s’enfuir ?

Let Down
7.9

Let Down (1997)

Let Down

Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

CrèmeFuckingBrûlée a mis 10/10.

Annotation :

(ma préférée avouons-le)

Let Down est le point névralgique de l’album, elle signe un basculement. C’est pourquoi elle est déjà complètement remplie de choses : en effet pleins d’instruments résonnent en même temps (ça commence par une guitare seule, mais une autre se superpose, puis la batterie, et encore une guitare, etc.) De plus la voix du chanteur est dédoublée (cette chanson est a absolument écouter en stéréo).

Le trop plein est là, le ras-le-bol (poussé par le chant révolutionnaire précédent) a atteint son maximum : il n’y a aucun point de vue au début, les vers s’enchaînent avec peu de pause et sont longs, il y a comme un déballage. Pour la première fois, la critique est très directe (« the emptiest of feeling »), la société est décrite sans métaphore alambiquée, on parle d’un monde où les sentiments sont complètement aspirés, où on est entrainé dans une répétition (d’ailleurs les vers sont chantés de manière presque monotone au début et se teintent d’effets au fur et à mesure). Mais dans cette surcharge, cette répétition, l’espoir arrive enfin : tout d’abord après le second refrain où les instruments se taisent et la guitare seule (ou presque) en bouffée d’air résonne avant d’être reprise dans la meute musicale.

Mais là le rythme accélère, il perd sa monotonie avant le début du troisième couplet (« you know, you know where you are with ») : surprise, émerge enfin une voix seule (à droite), l’indépendance est en train de s’accomplir ; puis avec l’ultime vers de liberté (« one day I am gonna grow wings »)une seconde voix plus aigüe arrive dans l’autre oreille : les luttes s’unissent, un autre rejoint ce désir de liberté mais ils ne sont plus conformes dans la réalité puisqu’après le « one day » qui scelle leur union, les deux voix chantent à un rythme différent, une octave différente, etc. Le refrain revient alors pour unir les voix (bien que celle de droite fredonne encore) pour répéter le refrain qui a changé de sens : le « let down » n’est plus « laisse tomber ton humanité » mais « laisse tomber cette société ». La libération est accomplie, Let Down est l’hymne à la liberté, le dessin de l’émancipation.

Karma Police
8.3

Karma Police (1997)

Karma Police

04 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

Cette chanson est la première où on entend très distinctement un piano. Il ouvre avec la guitare une chanson qui apparaît très douce. Le piano est un instrument assez fort qui a un son surtout très net, comme un rapide retour à l’ordre et l’arrivée d’une nouveauté : le piano est l’arrivée de la police. La Karma Police est ostensiblement une référence à la Thought Police du très célèbre roman 1984 de George Orwell, une police qui contrôle et punit la pensée. Sauf qu’ici, c’est le karma donc, le destin qui a une police.

Cette chanson étouffe immédiatement la liberté qui s’éveillait avec Let Down. Au début nous avons une personne qui interpelle cette police et lui demande d’arrêter des gens pour des raisons absurdes (« He talks in Maths/He buzzes like a fridge »). Ainsi au refrain l’utilisation du « us » (« this is what you get when you mess with us ») semble désigner à la fois la police et celui qui parle, qui collabore, et qui devient lui-même un agent.

Mais très vite le schéma se déstructure : il y a tout un jeu sur les pronoms où le narrateur parle en je en répétant qu’il a fait ce qu’il a pu, sauf que le couplet se finit avec un « we’re still on the payroll » : à nouveau il y a un nous indistinct qui vise ce grand Karma et dès lors le nous n’est plus la police et celui qui parle, mais celui qui parle et un groupe indistinct. La fin permet de relier avec Let Down : « For a minute there I lost myself ». Il confesse s’être égaré pendant une minute mais il revient dans l’ordre, parce que ses péchés le rattraperont toujours, sauf que les péchés ici ne sont pas si négatifs, ils le sont pour un monde quelque peu aliénant et restrictif. Les chœurs qui se déploient à la fin sont beaucoup moins fantomatiques qu’habituellement et ont un aspect très paisible afin que le nouvel endiguement de l’esprit se fasse en douceur. Mais sur la fin, ils prennent une tonalité aigüe presque inhumaine (retour des machines) et un drôle de son électronique grimpe en crescendo et finit par prendre toute la place et faire le bruit indistinct d’une chose qui se casse, s’éteint.

Fitter Happier
6.1

Fitter Happier (1997)

Fitter Happier

01 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

La voix de robot qui parle dans cette chanson a été générée par ordinateur. Tout de suite le parti pris est clair : il n’y a plus d’humanité. Selon mon interprétation qui veut que l’album soit le chant de libération métaphorique d’une machine, cette chanson est le point où à cause de la Karma Police, il est de nouveau une machine. Il a essayé de se libérer, de s’émanciper, mais là c’est terminé, il est rapporté à la conformité. La peur de ne plus être qu’un ordinateur est donc accomplie. La machine, l’ordinateur est métaphorique, il s’agit de l’homme qui a peur de lui-même n’être qu’automatisme. Ainsi nous avons un ordinateur qui ne peut atteindre l’humanité, et un humain qui devient un ordinateur.

Ces paroles sont une suite de dogmes qui appellent à la conformité car comme le dit le titre : Plus on est conforme, plus on est heureux (traduction un peu maladroite excusez-moi). Mais très vite il y a des interférences, sur le côté on entend une voix indistincte qui cause et fait plus humaine mais impossible de comprendre ce qu’elle dit et très vite quelques notes de piano se joignent à l’ensemble. Mais surtout c’est le grande arrivée des violons qui interviennent pour la première fois de l’album : le duo piano + violon introduit une véritable tristesse, une véritable mélancolie. L’émotion vient des instruments et non des paroles ou de la voix mais ainsi ces consignes récitées prennent une véritable consistance et en deviennent extrêmement tristes.

Cette chanson évoque à nouveau les films : « Still cries at a good film » : on retrouve là l’idée d’aliénation du cinéma : tu n’as pas le droit de pleurer en public mais pour un film c’est ok, tu ne dois pas tuer les insectes ni être un rebelle, mais dans un film on a le droit. L’art devient un moyen de manipulation pour que chacun assouvisse ses phantasmes devant un écran mais plus dans la réalité. A la fin, ce n’est pas à une machine que l’humain est comparé mais à un cochon en cage sous antibiotiques : une vulgarité s’instaure de fait vers la fin, comme si l’ordinateur prenait lui-même la violence perverse humaine. De plus cela renvoie à Paranoid Android qui dans son délire parlait de « the crackle of pig skin ». Il n’y a plus aucun avancement. Et à la fin il y a comme un avion qui tombe sur le tout donnant une idée de surchauffe et de destruction.

Electioneering
7.1

Electioneering (1997)

Electioneering

03 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

Après la chanson très douce voire silencieuse précédente, Electioneering est soudain très rythmée. On voit arriver de nouvelles percussions qui s’ajoutent à la batterie ainsi que le retour d’une guitare électrique. Thom Yorke chante d’une voix moins aigüe et termine ses phrases avec des intonations très rocailleuses : ce morceau est ainsi définitivement rock.

De fait il y a un côté très féroce, tant avec ces percussions constantes que ce rythme soudain hyper rapide. Il parle à la première personne et cette fois-ci la première personne est un homme politique qui demande des votes. De fait le côté un peu sauvage est ici justifié avec cet homme qui a l’air aussi honnête et pour la démocratie que Macron (c’était gratuit mais ça fait du bien) : de fait il parle de boucliers anti-émeute et donne une grosse importance à l’économie (« Voodoo economics/It’s just business »). Lorsqu’il chante « Cattle prods and the IMF » (bétail et FMI) on retrouve la métaphore de Fitter Happier qui comparait l’humanité à des cochons en cage, sauf qu’ici la valeur de l’argent est ajoutée pour accuser clairement le capitalisme.

On a là un morceau féroce où Yorke rugit presque en chantant pour la seconde fois « I trust I can rely on your vote » et avec sa façon de beaucoup lier les mots, on entend presque la prononciation du mot « lion » (rely on), donc l’homme politique est affilié à un prédateur. Ce morceau est assez limpide, il se moque des hommes politiques qui grignotent le peuple : tandis que les chansons chantées par les humains s’endorment, celle de l’homme politique est extrêmement vive. Ainsi cette chanson est très différente dans l’album, bien plus punchy. Et la musique continue presque une minute après la fin des paroles pour montrer une cadence qui ne s’arrête pas, un bruit constant des médias, des politiques pour avaler la masse.

Climbing up the Walls
8

Climbing up the Walls (1997)

Climbing up the Walls

04 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

La chanson commence avec d’étranges grésillements puis ensuite arrivent des percussions très graves avant la voix multipliée de Thom Yorke. Certaines saturent, d’autres sont graves pour une ambiance fantomatique assez poignante. Dès le refrain apparaissent dans le fond des violons (saturés, ils ont un son un peu étonnant et monstrueux) qui font des allers-retours à la place de longues notes : cette façon d’utiliser l’instrument donne une ambiance angoissante (cf Psycho) et stressante. Dès le second couplet on entend quelques parasites électroniques : ils font petites voix dans l’esprit et symbolise de fait deux peurs : celle de la technologie, de l’électricité mais aussi juste des petits parasites dans la tête.

Car cette chanson parle très clairement d’une personne malade. Le plus brillant est que le « je » employé ici n’est pas réellement celui de la personne mais bien de la folie à l’intérieur de lui. Qui explique qu’elle sera toujours là à grimper les parois du mur/de son crâne. On remarque que dès le second couplet, les voix sont encore plus saturées et les bruits parasites augmentent : la folie grimpe complètement avec la musique et on participe à une plongée dans les méandres de nerfs fatigués qui débordent de choses négatives.

Le solo musical est déstructuré avec une guitare qui sature, une batterie qui s’enflamme et un instrument que je n’arrive à identifier qui fait de longues notes stridentes avant l’arrivée à nouveau des violons : la chanson ne cesse jamais de rajouter et rajouter dans une désharmonie sublime qui angoisse. Thom Yorke termine par un hurlement terrible et assez déchirant. Ici la chanson est en totale opposition avec la précédente tout en utilisant les mêmes instruments (pour les multiples percussions et les guitares) : l’homme qui sombre dans la folie est entièrement détaché de l’homme politique, un véritable écart est entre les deux et l’homme malade ne peut que sombrer, complètement esseulé.

No Surprises
8.4

No Surprises (1998)

No Surprises

03 min. Sortie : 6 avril 1998 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

A l’hystérie musicale qui clos le morceau précédent, No Surprises répond soudain par des notes claires, calmes et répétitives, douces et enfantines. A la folie nerveuse, une autre forme de folie répond, celle de la léthargie. Dès le début, Yorke chante doucement mais surtout articule très peu, certains mots sont presque mangés, tous se lient très facilement pour participer à cette torpeur.

Le premier couplet est un modèle d’utilisation des pronoms : le début énonce des généralités avec un « you » indistinct (« a job that slowly kills you) avant un « you » qui semble viser quelqu’un (« you look so tired and unhappy/bring down the governement »). Ce second « you » semble lucide et appelle à la révolution mais il n’y croit pas, l’intonation monotone ne change pas. Mais juste après arrive le « I » (« I’ll take a quiet life ») qui dit le contraire de ce qu’il se disait avant : on comprend dès lors que le personnage par le « you » se parlait à lui-même (d’où le us dans « they don’t speak for us »), extérieur à son corps et essayant de se réveiller. Mais il n’y arrive pas et lorsqu’il parle par lui-même, il n’a plus ses idées, plus cette lucidité. Le « no alarms and no surprises » répété énormément de fois a ainsi un sens clair : la société est endormie, on préfère le calme plutôt que la libération.

Le personnage ne veut plus que le silence et il s’abandonne définitivement et complètement avec le « this is my final fit » (ma dernière crise/explosion). Il abandonne la rébellion et même la folie de la précédente chanson pour la conformité, il se noie (cf le clip) dans la moule comme un suicide de sa personnalité pour rester une gentille machine.
A la fin avec le « such a pretty house, such a pretty garden », il n’y a plus de pronom, l’identité n’existe plus, elle n’est vouée qu’à s’extasier devant un modèle de la société rangée et les quelques notes de guitares qui se répètent tout le morceau sont la démonstration de cette conformité. Ainsi cette chanson est extrêmement triste (écrire dessus me donne les larmes aux yeux).

Lucky
8

Lucky (1997)

Lucky

Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

La chanson qui suit est aussi très douce, avec juste une guitare et une batterie vraiment calme. Elle semble un peu étonnante dans l’album, comme si elle parlait d’autre chose : en effet, elle a été écrite pour s’ajouter à l’album Help, un album regroupant des chansons de plusieurs artistes en faveur des victimes de la guerre en ex-Yougoslavie. Ainsi elle n’est pas dans la diégèse complète. Pourtant elle entre parfaitement dans le message total de l’album : avec une critique de nos sociétés actuelles, on ne peut pas oublier la guerre. Ici celui qui parle oublie pourtant la guerre pour la relier à l’amour. Il évoque ainsi une certaine « Sarah » et il lui demande de le tuer : la guerre devient une femme et il est son « super-héros ».

On ne parle jamais à proprement parler de guerre dans ce morceau, mais de crash aérien et de chance, ainsi que de jours glorieux. C’est une démonstration de comment la guerre est vendue comme quelque chose de beau et glorieux et dont il faut être fière : d’ailleurs le personnage devient une fierté de son pays lorsqu’il dit « the head of state has called for me by my name ». Mais il ajoute ensuite qu’il n’a pas de temps pour lui : finalement l’obsession de la guerre prend le dessus. Par ailleurs à son deuxième « glorious day », Yorke pousse magnifiquement sur sa voix afin d’exacerber cette envie de gloire. Lucky est dès lors une sorte de métaphore des conflits : le narrateur envisage le conflit comme une femme à sauver mais qui peut le tuer, il s’estime comme heureux de l’avoir et ne pense qu’à être le dernier debout. A la fin, les instruments jouent longtemps seuls comme la manifestations des bruits du conflit puis seule sonne la voix presque a cappella de Yorke qui se tient aux ruines du monde, « we are standing on the edge » comme un conquérant.

La dénonciation est très claire, et on voit par un personnage presque inconscient et heureux les séquelles de la conformité qui fait qu’il ne se réveille et ne se rebelle pas. Pourtant sa voix paraît se disloquer au fur et à mesure du morceau où son intonation est très triste.

The Tourist
7.5

The Tourist (1997)

The Tourist

05 min. Sortie : 16 juin 1997 (France). Pop rock

Morceau de Radiohead

Annotation :

La chanson qui termine l’album est la seconde plus longue. En effet elle est très lancinante avec une guitare très douce et surtout un Thom Yorke qui fait durer énormément toutes les syllabes. Chaque phrase est prononcée très lentement, on retrouve les dégâts d’une torpeur sur le personnage. Mais il semble encore différent et en dehors du monde : « It barks at no-one else but me/Like its seen a ghost ». De fait, par sa lenteur, le personnage est ici complètement déconnecté du reste, il ne comprend pas le monde qui l’entoure et semble n’être un observateur. C’est pour cela que pour le refrain (« hey man, slow down ») il demande à quelqu’un de ralentir parce qu’il n’arrive plus à comprendre et à englober le monde. C’est comme si notre machine-personnage rebelle et hystérique avait pris plein de sédatifs pour ne pas tout détruire sauf que désormais il est beaucoup trop lent. On peut voir là comme une image des troubles de la personnalité (il évoque de fait la folie dans Subterranean Homesick Alien, Paranoid Android et Climbing Up the Walls) et des gens qui sont endormis par les cachets afin de ne plus être différent. Sauf qu’ils le sont toujours désespérément.

Dans cette chanson il évoque deux fois le fait de voir des « étincelles », ce qui accentue cette idée de voir des choses, des lueurs. Avec le « they asked me where the Hell I’m going/A thousand feet per second » on voit là l’aveu d’une incompréhension du monde : où va-t-on et pourquoi aussi vite ? Le narrateur ne voudrait que se poser, voir les étincelles et comprendre.

Car c’est beaucoup de ça que parle cet album : une incompréhension de tout, un esseulement permanent, une individualité disloquée au nom du rien. La révolution engendrée par Exit Music et Let Down était trop hystérique, trop rapide et ainsi absurde, et l’arrivée de la Karma police était immédiate comme le robot de Fitter Happier parlant beaucoup trop vite. Cette fin très lente veut enfin poser les choses, tout se lâche tant les instruments que la splendide voix de Yorke, mais il est bien trop tard et cette sonnette aigue comme dernier son est juste une fin brutale aux interrogations et un retour à la consommation. L’histoire est terminée avec ce dernier cri qui ne trouvera nul écho.

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