Cover Anthologie personnelle

Anthologie personnelle

Challenge aussi délicieux qu'inutile : choisir quelques scènes parmi mes préférées. Inutile bien sûr de rappeler les évidences (c’est infaisable, c’est inhumain, c’est ma liste aujourd’hui mais demain elle serait toute autre, etc). J’avoue avoir versé dans la "solution de facilité" en ne piochant ...

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20 films

créee il y a 6 mois · modifiée il y a 5 mois

La Nuit du chasseur
8.1

La Nuit du chasseur (1955)

The Night of the Hunter

1 h 32 min. Sortie : 11 mai 1956 (France). Drame, Thriller, Film noir

Film de Charles Laughton

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

John et Pearl sont en fuite, pourchassés par le démon. Ils sont pleins de courage mais dénudés par l’enfance même. Autour d’eux, le sud d’un continent merveilleux, le pays archétypal des songes immémoriaux. Au beau milieu de leur cavale, un instant de répit : ils se sont réfugiés sur une coquille de noix, le courant de la rivière les éloigne provisoirement de leur tourmenteur, et ils se laissent aller, épuisés, à la somnolence. Les étoiles font briller la voûte céleste. L’eau scintille. La fillette serre contre elle sa petite poupée et entonne une comptine qui berce son frère endormi. La nature a des oreilles et des yeux : les deux fugueurs sont observés par les lapins tranquilles, la grenouille placide, l’oiseau de nuit bienveillant. Au premier plan, une toile d’araignée prend une dimension gigantesque. Plongée verticale sur la barque qui glisse et semble emporter les enfants comme sur un fleuve biblique. Où est-on ? Dans un conte des frères Grimm ? Un rêve d’Hoffmann ? Un épisode onirique à la Lewis Carroll ? On est dans un espace hors du temps, un moment de pure poésie, une véritable échappée féérique dont la puissance d’envoûtement ne connaît aucun équivalent dans toute l’histoire du cinéma. À cet instant, rien n’est plus légitime que de prétendre que l’unique long-métrage de Charles Laughton est le plus beau film du monde.

https://www.zupimages.net/up/23/46/55ac.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=akyxPomqAZc

La Parole
8.1

La Parole (1955)

Ordet

2 h 06 min. Sortie : 28 décembre 1955 (France). Drame

Film de Carl Theodor Dreyer

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Le dénouement d’"Ordet" relève de la plus pure épiphanie. Il convient d’en peser chaque seconde, chaque image, pour bien prendre la mesure de ce qui s’y joue. Inger est morte en couches, et les siens sont anéantis par la douleur. Johannes, l’illuminé de la famille, ose lui parler ("Réveille-toi") en tenant au pied du cercueil la main de la fillette qui vient de perdre sa mère. Il lui faut ce relais, transvasement de sa parole dans l’écoute et le regard de l’enfant. Le visage de celle-ci est grave, puis elle sourit. Inoubliable contrechamp sur les mains de la morte qui se dénouent lentement. Le spectateur se croit victime d’une hallucination avant de se raviser. Rarement le cinéma n’a atteint ce point de frayeur épanouie. La pénible confrontation au cadavre, le regard qui n’en revient pas de l’inertie du corps et qui, à force de le fixer, le voit soudain bouger. Pourtant c’est vrai, la femme se réveille. Son mari, qui avait traversé tout le film muré dans une souffrance muette, l’étreint doucement. Elle lui rend son baiser, ouvre des yeux vagues mais bien vivants, animés par cette étincelle spirituelle que le cinéaste n’aura cessé de traquer obstinément dans les ténèbres du drame. En touchant du doigt ce que d’aucuns seraient tentés d’appeler la grâce, Dreyer vient de capter le triomphe éphémère de l’éternité.

https://www.zupimages.net/up/23/46/f6hh.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=hr6Tx5YY8LQ

Sueurs froides
8.1

Sueurs froides (1958)

Vertigo

2 h 08 min. Sortie : 12 décembre 1958 (France). Romance, Thriller, Film noir

Film de Alfred Hitchcock

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Quelle scène retenir du Saint-Graal de l’Internationale cinéphile ? Quel passage, quel moment isoler dans ce douloureux cri de détresse romantique qui, rappelons-le, demeure l’une des plus belles histoires d’amour de l’écran ? De façon parfaitement arbitraire, la deuxième montée au clocher. Un calvaire où Scottie se venge d’avoir été dupé. Il se confesse à la place de Judy, laquelle proteste de toute son âme. Il réplique qu’il est trop tard, qu’on ne peut pas faire revenir Madeleine. En haut de l’escalier, son vertige surmonté et les conditions trafiquées de la rencontre levées, un bref instant apparaît où la réciprocité simple de leurs sentiments pourrait s’accomplir. Mais tout se passe comme si le film ne voulait pas une autre issue que tragique, comme s’il fallait qu’un impossible marque cet amour qui n’aura été, à travers elle, que l’amour de cet impossible. Une forme noire et voilée, un réflexe de frayeur, une chute fatale, un signe de croix, le tocsin. Au bord du vide, les bras ballants, le héros devient un Christ à nouveau martyrisé. Cette fin ajoute la véhémence la plus terrible à ce qui, dans le désir, s’oppose à sa propre réalisation. Car c’est dans l’impasse subjective de la maîtrise, cousue de manière fascinante avec l’argument narratif, dans l’assomption de ses effets perceptifs par le cinéma même, que "Vertigo" constitue une balise si fondamentale.

https://www.zupimages.net/up/23/46/h7o3.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=61iExUSL2Ao

Huit et demi
7.8

Huit et demi (1963)

Otto e mezzo

2 h 18 min. Sortie : 29 mai 1963 (France). Drame

Film de Federico Fellini

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Un épisode parmi d’autres dans ce maelström hallucinatoire qu’est "8 ½". La rêverie diurne de Guido, metteur en scène-Don Juan, s’est complètement abandonnée au plus formidable de ses désirs. Toutes les figures souhaitées sont rassemblées en harem pour son plaisir, avant d’aller rejoindre l’enfer du grenier et brûler des flammes du souvenir : femmes-conquêtes, femmes-nourrices, épouse, maîtresses, femme-fleur, femme-plume, femme-cadeau (la jeune Noire qui déclenche la révolte, inversant le mythe de Tarzan). Car il faut de tout pour faire un homme ; à cet univers féminin dont le héros est le Grand Ordonnateur, il ne manque même pas Rossella, confidente critique, perchée là comme un grillon familier, qui au beau milieu de l’insurrection converse amicalement, en toute complicité, avec Luisa. Sur les notes de Wagner, des ombres projetées sur le mur, des jeux de lumière affolants. Le sadisme se montre, Guido fait claquer son fouet : course des belles, fuites des corps, cris de douleur et de plaisir ; de la répression naît l’extase. Le châtiment se termine en jouissance, la situation se retourne en triomphe consenti, les victimes en redemandent et applaudissent. C’est la fin du jeu sado-masochiste, avoué et accepté comme tel ; c’est la reconnaissance du maître, créateur tout-puissant.

https://www.zupimages.net/up/23/46/yafw.jpg

Persona
8

Persona (1966)

1 h 24 min. Sortie : 21 décembre 1966 (France). Drame

Film de Ingmar Bergman

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

L’art de l’entrée en matière. Pensée par et pour le médium cinéma, l’ouverture du chef-d’œuvre de Bergman s’offre d’emblée comme un sidérant manifeste esthétique. La seule énumération des plans qui la compose relèverait de la cuistrerie analytique si elle n’était motivée par une irrésistible curiosité. Soit (liste non exhaustive) une ampoule clignotante, l’inscription "start" en blanc sur fond noir, une série d’images indiscernables avec des chiffres, des cylindres métalliques, un écran saturé de lumière, le projection d’un dessin animé à l’envers avec un personnage qui accompagne le mouvement de la caméra, une bobine qui tourne, un morceau de pellicule qui défile, deux mains d’enfant ou d’adolescent se livrant à un geste de prestidigitation, des arbres dans la neige, les herses d’une grille, une série de cadavres photographiés en très gros plan dans une morgue… Lorsque le générique démarre, c’est pour séparer chaque carton par un flash visuel où apparaissent successivement deux lèvres inférieures accolées l’une à l’autre, une forêt sous la neige, des rochers, un plan d’eau, et finalement se dissoudre en un fondu au blanc qui fait éclore la parole. Six minutes d’expérimentation brute, indiquant immédiatement à quelle hauteur vertigineuse ambitionne de se situer l’artiste.

https://www.zupimages.net/up/23/45/q8bb.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=atepCAiyVUM

Il était une fois dans l'Ouest
8.5

Il était une fois dans l'Ouest (1968)

C'era una volta il West

2 h 55 min. Sortie : 27 août 1969 (France). Western

Film de Sergio Leone

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

On pourrait évidemment inventorier les séquences d’anthologie dont regorge le cinéma de Sergio Leone et les relier comme des perles dans le plus beau des colliers. Du "triel" dans un certain cimetière à l’embuscade sous un certain pont, difficile de ne pas faire affluer les souvenirs religieusement entretenus. Puisqu’il faut néanmoins en choisir une, je m’arrêterai sur la scène célèbre entre toutes de l’arrivée de Jill à Flagstone, dans Il était une fois dans l’Ouest. Pas seulement parce que Claudia Cardinale est la plus magnifique actrice de tous les temps. Pas seulement parce qu’en quelques mouvements de caméra somptueusement choisis, le cinéaste y évoque rien moins que la naissance d’une nation. Pas seulement parce que la composition chavirante d’Ennio Morricone atteint une puissance expressive proprement inimaginable. Pas seulement parce que souffle sur cette gare aux avant-postes du chemin de fer, sur cette petite ville en effervescence, sur cette population active et bigarrée, le vent épique du nouveau monde. Mais pour toutes ces raisons à la fois et bien d’autres encore, qui cristallisent comme jamais le regard émerveillé, infusé de mythologie personnelle, d’un créateur à nul autre pareil. Rarement le lyrisme leonien aura trouvé une ampleur aussi fulgurante.

https://www.zupimages.net/up/23/45/ki59.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=SP4UQrT9zd8

L'Empire contre-attaque
8.1

L'Empire contre-attaque (1980)

Star Wars Episode V: The Empire Strikes Back

2 h 04 min. Sortie : 20 août 1980 (France). Aventure, Science-fiction, Action

Film de Irvin Kershner

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Mais oui, vous savez bien. Dès le début du film Han et Leia ne cessent de se chipoter, de se chambrer, de s’envoyer des crasses. Mais toujours certains signes, certaines attitudes trahissent leurs sentiments. Vient le moment à la fois désiré et redouté où l’un comme l’autre doivent y faire face. Le film met un point d’honneur à l’amener sur un plateau en or massif. Esthétiquement d’abord : il se déroule dans une atmosphère de bleu électrique et d’orange enveloppant, parmi les nuages de vapeur d’une hallucinante forge futuriste. Dramatiquement ensuite : le contrebandier est au seuil de la mort, il le sait, elle aussi. Ce qu’elle lui avoue alors, ce qu’il lui répond avant de descendre dans la fosse, les regards qu’ils s’échangent, tout cela est scellé et gravé sur la plus haute colonne de mon panthéon personnel. Le chef-d’œuvre musical de John Williams fait résonner ses cuivres et ses percussions, à l’unisson de la gravité de l'instant. Et lorsque le caisson de carbonite retombe au sol dans un bruit sourd et terrible, le visage sculpté dans un rictus de souffrance répond aux yeux éplorés de Leia qui se blottit dans la fourrure de Chewie. Ne reste plus à Kershner qu’à peaufiner l’enchaînement parfaitement économe des plans pour relancer le récit vers les prodiges à venir de son joyau.

https://www.zupimages.net/up/23/46/knai.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=E-AmHZ17gWM

Les Aventuriers de l'arche perdue
7.7

Les Aventuriers de l'arche perdue (1981)

Raiders of the Lost Ark

1 h 55 min. Sortie : 16 septembre 1981 (France). Aventure, Action

Film de Steven Spielberg

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

L’occasion de révéler un petit souvenir personnel. Je ne devais pas avoir plus de six ou sept ans lorsqu’un soir je suis tombé sur la diffusion télévisée du film de Spielberg. En réalité elle en était à la fin. Et les images que j’ai pris de plein fouet m’ont traumatisé pendant des années. On y voyait des visages hurler, s’embraser, se liquéfier, jusqu’à exploser dans des gerbes de flammes apocalyptiques. Voilà ce que fut mon tout premier contact avec l’un de mes films de chevet : un véritable cauchemar. Depuis, le frisson originel ne m’a jamais quitté. Mais autour de lui se sont tressés la stupéfaction, l’émerveillement, la délicieuse terreur que me valent encore et toujours l’ouverture de l’Arche d’Alliance. On prétendra à juste titre qu’il est impossible de favoriser une séquence dans l’incommensurable filmographie du réalisateur. Que les exemples sont légions, et peut-être plus caractéristiques, de ses fameux "Spielberg faces", cloués par l’ébahissement et la sidération. Qu’il serait légitime de préférer des moments plus intimes, plus chaleureux, plus poignants, témoins de sa sensibilité sans pareille. Seulement voilà : l’enchantement fatal s’offrant au regard des profanateurs de l’Arche demeure une pierre angulaire de mon imaginaire. Indy avait pourtant bien prévenu : il fallait garder les yeux (grand) fermés.

https://www.zupimages.net/up/23/46/hv1t.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=5z43FTxB30A

Blade Runner
7.9

Blade Runner (1982)

1 h 57 min. Sortie : 15 septembre 1982 (France). Science-fiction, Film noir, Thriller

Film de Ridley Scott

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

C’est une scène qui (comme toutes les autres) brille comme un éclair de magnésium et laisse une trace indélébile sur la mémoire. Roy Batty, le surhomme cybernétique condamné à une disparition imminente, vient rendre visite à son géniteur pour obtenir de lui un sursis. Mais le Père ne peut accéder à la requête, et le désespoir pousse le fils prodigue au déicide. Il y a cette extrême sophistication stylistique, ce grondement furieux du mythe (Adam se retournant contre son créateur), cette sensation d’un désastre qui s’ébauche à la lumière archaïque des bougies, dans une ambiance de Moyen-Âge futuriste que vient accentuer l’envolée terrifiée des chœurs de Vangelis. Le moindre détail, le plus infime choix d’éclairage, de costume, de décor, de maquillage, la puissance inouïe des images, leur degré d’évocation, leur pouvoir d’incantation, la tétanisante splendeur de ce qui se joue à l’écran participent d’un rituel de fascination hors du commun. La blondeur du répliquant. Le lit épiscopal de Tyrell. Les candélabres qui le ceignent. La pupille incandescente de la chouette assistant, imperturbable, à la mise à mort. L’effroi de Sebastian qui se sait perdu après que le forfait a été accompli. Et le regard possédé de Roy sous des flashs stroboscopiques de fin de monde. On n’en fera jamais assez pour ce monument.

https://www.zupimages.net/up/23/46/muye.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=CVMtqrfEAzg

Le Rayon vert
7.3

Le Rayon vert (1986)

1 h 39 min. Sortie : 3 septembre 1986. Drame, Romance

Film de Éric Rohmer

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Qu’est-ce qui rend cette scène finale aussi bouleversante ? L’intuition déjà que l’ensemble de ce qui précède y amène, que la moindre situation préalablement vécue par l’héroïne était programmée pour son épanouissement. Car ce qu’Horace appelait le "Capricone souverain de l’onde occidentale" s’est enrichi de tous les symboles constituées au fil de l’œuvre avant d’être évoquée par la conclusion. À cet instant, le portrait pleinement concret (c’est-à-dire gouverné par une vision totale du personnage et gorgé de réalité) ouvre sur le sentiment transparent de la plénitude. On sait quelle admiration Rohmer portait à Hitchcock ; en matière de suspense, l’écoulement des secondes qui préside à cette attente n’a rien à envier au maître. Filmée en temps réel, la séquence transforme in extremis le film en leçon sur l’illusion cinématographique comme reflet fidèle de la réalité, hier banale, ce soir transfigurante grâce à un exemple sans égal (puisque le cinéaste a dû effectivement attendre un authentique rayon vert pour achever son tournage). Surtout, elle accrédite pleinement la croyance de Delphine, suspendue à ce phénomène optique hasardeux sur lequel elle semble jouer sa vie – l’astre couchant lui donne glorieusement raison. Ainsi Rohmer a-t-il l’audace de nous faire assister en quelques minutes à la naissance d’une femme et à la révolution de son cinéma.

https://www.zupimages.net/up/23/46/ejok.jpg

Abyss
7.3

Abyss (1989)

The Abyss

2 h 20 min. Sortie : 27 septembre 1989 (France). Aventure, Drame, Thriller

Film de James Cameron

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Et pour prouver qu’il est loisible d’apparier un maître de l’ascèse scandinave à un roi de l’entertainment hollywoodien, le plus grand film de Cameron succède à "Ordet" (plus haut dans la liste). J'avoue que l’idée de cet écho vient de ne vient pas de moi, mais c’est peu dire qu’elle est belle. On ne pouvait en tout cas rendre meilleur hommage à la puissance dévastatrice de l’estomaquante séquence où Bud ramène Lindsay à la vie. Car aux yeux de tous (ses compagnons, le spectateur), la jeune femme est morte, noyée. Mais lui refuse cette idée, il ne se résout pas à la voir partir. Alors il se lance dans une épreuve qui dépasse le simple exercice de réanimation : au diable l’équipement technique, le protocole médical, les gestes cliniques qui auraient pu sauver (pour cela, il est trop tard). Il passe à l’étape supérieure, celle du désespoir, de la rage, de l’amour qui le lie à cette épouse que pourtant (il le croyait) il ne supporte plus. Il lui exhorte de se battre, de reprendre conscience, et cela se joue à la voix, à la gifle, au hurlement. Dreyer avait filmé son miracle, Cameron filme le sien. Monstre de volonté, Lindsay cligne soudain des yeux, toussote très faiblement. Stupeur. Doucement, en mots tendrement choisis, Bud la ramène parmi eux. Le groupe s’effondre de joie en pleurant, et ses larmes sont les nôtres.

https://www.zupimages.net/up/23/46/y88n.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=-dJq2urnVbE

Les Affranchis
8.2

Les Affranchis (1990)

Goodfellas

2 h 26 min. Sortie : 12 septembre 1990. Gangster, Biopic

Film de Martin Scorsese

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

6:55 am. Début de journée pour Henry Hil. La fusée Scorsese décolle. Premier rail de coke, première pièce dans le juke-box. Le truand embarque sa cargaison de flingues. Le temps d’un regard inquiet dans le ciel (le virus de la parano incube), et la course commence. Pied au plancher. À partir de cet instant, c’est une masterclass de mise en scène – rythme frénétique, montage incendiaire, enchaînements visuels et musicaux à estourbir le plus solide des colosses. Accélération, pause, redémarrage, brève suspension, virage à gauche, un nouveau rail, on renifle, on repart, l’hélicoptère surveille, virage à droite, un appel téléphonique depuis une cabine, la panique prend à la gorge. Comment sortir de ce guêpier ? comment tout boucler dans les temps ? comment à la fois livrer la marchandise, rendre visite à sa maîtresse, déjouer la filature des flics, assurer la bonne cuisson de la cuisine qui mijote à la maison ? Le tourbillon est chevillé à la perception d’un monde qui tangue comme un bateau ivre. 10:45 pm. Fin de journée pour Henry, hagard, essoré, à bout de souffle. Sa gueule de bois annonce déjà le retour à la vie ordinaire qui l’attend en fin de parcours, purgatoire d’un homme qui, pour avoir les mains propres, ne brille plus d’aucun éclat. Prodigieuse leçon de cinéma pur, où Scorsese atteint la quintessence de son génie.

https://www.zupimages.net/up/23/46/nuqp.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=7SvJ--JVU9w

Le Parrain - 3e Partie
7.4

Le Parrain - 3e Partie (1990)

The Godfather: Part III

2 h 42 min. Sortie : 27 mars 1991 (France). Drame, Gangster

Film de Francis Ford Coppola

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Certains ostrogoths prétendent que le dernier volet de la légendaire saga n’est qu’une rallonge indigne de ses prédécesseurs. Respirons calmement. Et admirons avec quelle souveraine inspiration le cinéaste boucle sa trilogie. La séquence se déroule en deux mouvements. Le premier temps consiste en un montage alterné oscillant entre le théâtre Massimo de Palerme où joue l’opéra de Mascagni, le Vatican, une chambre où se cache un banquier véreux et la maison de Don Lucchesi : quatre lieux pour une structure classique d’expansion des actions qui culmine dans un climax dramatique. La saturation mate des couleurs, la splendeur de la stylisation nourrissent la majesté d’une pièce d’orfèvrerie qui renvoie à l’économie somptuaire de l’œuvre. Si le deuxième temps feint d’abord la décompression après la crescendo qui précède, c’est pour mieux conduire à l’implacable aboutissement de la tragédie. La balle qui devait tuer Michael abat sa fille Mary. Et la douleur qui transperce le parrain est si fulgurante que le hurlement qui sort de sa gorge est muet. La férocité du trait, le réalisme pesant de la scène, la dramaturgie des choix chromatiques, la présente dominante des chairs, tout ramène ici au caravagisme – celui du "Sacrifice d’Isaac" ou de "Judith et Holopherne". Coppola ne pouvait pas mieux conclure.

https://www.zupimages.net/up/23/46/z3po.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=QyaDlIirJnw

JFK
7.5

JFK (1991)

3 h 09 min. Sortie : 29 janvier 1992 (France). Drame, Historique, Thriller

Film de Oliver Stone

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Le film de Stone, sa démarche, sa méthode, son esprit, pourrait être intégralement condensés dans la rencontre entre Jim Garrison et l’agent X qui lui donne rendez-vous à Washington. Cet exercice de "spéculation informée" y atteint une densité extraordinaire. Pendant plus de dix minutes, Donald Sutherland livre un monologue-fleuve à travers lequel le cinéaste suppute, argumente, récapitule, synthétise. Sa logorrhée chevauche un montage époustouflant de brio qui donne corps à une somme proliférante de données, de questionnements, d’enjeux historiques, politiques, idéologiques et moraux. Les gouffres de l’inconscient américain y côtoient le spectre shakespearien ("Jules César"), la radiographie du système militaro-industriel et de ses accointances avec le FBI, la CIA et la Mafia épouse les flux d’une respiration épique. Impossible de résumer un tel morceau d’anthologie, de rendre grâce par les mots à la complexité de son élaboration, à sa ferveur galvanisante, à son intensité dramatique rendue plus saisissante encore par la partition audacieuse, toute en cordes, cuivres et percussions, de John Williams. Lorsque, au terme de la rencontre, la magnifique musique vient couronner le recueillement du personnage sur la tombe du Président, on émerge dans un état d’exaltation groggy.

https://www.zupimages.net/up/23/46/wpet.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=vK8RosaXpyI

Mission: Impossible
6.5

Mission: Impossible (1996)

1 h 50 min. Sortie : 23 octobre 1996 (France). Action, Thriller

Film de Brian De Palma

Thaddeus a mis 9/10.

Annotation :

On est aux deux tiers du film environ. Ethan Hunt est attablé à une buvette de Waterloo Station avec son mentor Jim Phelps, qu’il pensait mort dans l’opération désastreuse de Prague. En apparence, les deux hommes échangent de chaleureuses amabilités. En réalité, ils se livrent à un redoutable duel cérébral. Le premier tient au second, qu’il a identifié comme étant le traître, un discours en totale contradiction avec les images mentales qui lui viennent à l’esprit. Ces dernières pourraient d’ailleurs êtres celles qu’imagine Phelps en l’écoutant, à savoir l’élimination successive des différents membres de l’équipe. La séquence, absolument magistrale, donne l’impression que les personnages ne parlent pas le même langage pour mieux se piéger l’un l’autre. Les violons obsédants et les chœurs lyriques de Danny Elfman lui confèrent la dimension supplémentaire d’une séance de maraboutage en bonne et due forme. Ces quelques instants résument à la perfection deux heures de jubilation pure et saccadée, faite de flux et de reflux, de giclées discontinues, d’attentes, de moments orgastiques, de brefs moments de détente, de pics et de chutes vertigineuses. Ce qu’épousent le montage et la mise en scène brillantissimes de "Mission : Impossible", ce n’est rien moins que le mouvement ondulatoire de la jouissance de l’œil.

https://www.zupimages.net/up/23/46/4lhq.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=zRgYWF5MkTA

The Big Lebowski
7.7

The Big Lebowski (1998)

1 h 57 min. Sortie : 22 avril 1998 (France). Comédie, Policier

Film de Joel Coen et Ethan Coen

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Sur ces entrefaites, rions un bon coup. Or en matière de poilade, les frères Coen sont des maîtres-queux, et le très culte "The Big Lebowski" leur mets le plus succulent. La preuve avec cette hilarante tranche de délire. Sur le siège passager, le roi de la glande, Jeffrey Lebowski dit le Dude, missionné par son homonyme milliardaire pour verser une rançon à une bande de kidnappeurs. Sur celui du conducteur, son meilleur pote Walter, bandana et ray-ban jaunes, bien décidé à retourner la situation à leur avantage. Mais le plan infaillible qu’il a concocté tourne à la débandade. Au son du "Run Through the Jungle" des Creedence, dont les phases ponctuent le découpage avec une science parfaite du tempo, la séquence glisse inexorablement dans le burlesque le plus complet. Notre gros agité se jette hors du véhicule en kamikaze, comportement héroïco-allumé qu’il a probablement hérité du Vietnam ; son Uzi canarde en tous sens jusqu’à flinguer les pneus ; la pauvre voiture finit violemment dans le décor. À la fin, le Dude ne peut que constater, dépité, le ratage complet de l’opération. Cet alliage de désinvolture apparente, de rigueur formelle et de raffinement esthétique (voir le camaïeu bleu/orangé qui enchante la rétine) prouve que la comédie n’est jamais aussi drôle que lorsqu’on la respecte.

https://www.zupimages.net/up/23/46/3rlz.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=7iTT8tIVTkE

Le Projet Blair Witch
6.1

Le Projet Blair Witch (1999)

The Blair Witch Project

1 h 27 min. Sortie : 28 juillet 1999 (France). Épouvante-Horreur

Film de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez

Thaddeus a mis 9/10.

Annotation :

Dans le registre de la peur paralysante, qui glace l’échine et neutralise toute possibilité d’échappatoire, le film qui chez moi domine tous les autres n’est ni "L’Exorciste", ni "Shining", ni "Massacre à la Tronçonneuse". C’est un found-footage tourné pour 60.000 $. Et l’expérience terriblement éprouvante que constitue son visionnage atteint son acmé à la fin, lorsque les deux personnages pénètrent en pleine nuit dans une maisonnette perdue au fond des bois. On a été psychologiquement bien cuisiné pour en arriver là. Ce sont les cris de souffrance de leur camarade, exhalés par les ténèbres, qui les ont menés en ce lieu sinistre. L’alternance des pellicules (une en couleurs, l’autre en noir et blanc), la fébrilité de la prise de vues qui accroît la tension à chaque tressautement, les détails que le cerveau enregistre avec effroi (des traces de mains sur les murs), les jeux de lumière suscités par la caméra qui panote dans des pièces vides, créant ainsi des ombres furtives et laissant croire à chaque instant qu’une abomination va surgir d’un coin du cadre (ce qui, sadisme ultime, n’arrive jamais), le travail opéré sur la bande-son, fait de craquements, de chuintements, de gémissements étouffés : tout participe d’une immersion tétanisante dans les gouffres de la terreur blanche. Vous pouvez vous moquer, m’en fous.

https://www.zupimages.net/up/23/46/e7si.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=EZX0BROwFZc

Eyes Wide Shut
7.4

Eyes Wide Shut (1999)

2 h 39 min. Sortie : 15 septembre 1999 (France). Drame, Thriller

Film de Stanley Kubrick

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

Kubrick, évidemment. Mais comment, pas la plongée psychédélique dans le vortex de "2001" ? Quoi, pas les approches de séduction de "Barry Lyndon" ? Et où est la poursuite du tricycle en steadycam de "Shining" ? On peut considérer que toutes ces merveilles se reflètent dans son dernier film – raison pour laquelle celui-ci a la faveur de ma liste. Particulièrement la scène-charnière qui vient le scinder entre sa partie nocturne, dionysiaque, fantasmatique, et sa partie diurne, engourdie, funèbre, aussi psychiquement violente qu’un choc en retour. Le cinéma proprement sorcellaire du réalisateur y atteint son plus haut degré d’envoûtement. Au rythme d’une sorte de messe noire chantée en roumain, sa caméra s’y livre à un ballet hypnotique de travellings (circulaires, avant, arrière), de zooms millimétrés, de rétrécissements ou d’élargissements du cadre. La grandeur hiératique du décor, les sombres accords aux résonances médiévales de l’orgue, les poses des mannequins dénudées, le bestiaire baroque des masques vénitiens, l’extrême élégance qui régit la composition des images : tout dans ce cérémonial relève d’une tension stupéfiante entre fascination et mauvais rêve, tout y fait vibrer l’inquiétante étrangeté associée aux origines viennoises de la nouvelle de Schnitzler.

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Mulholland Drive
7.7

Mulholland Drive (2001)

Mulholland Dr.

2 h 26 min. Sortie : 21 novembre 2001 (France). Drame, Thriller, Romance

Film de David Lynch

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

C’est l’un des plus beaux adagios du cinéma : le bien-nommé "Love Theme" d’Angelo Badalamenti. On l’entend une première fois, très brièvement, lorsque la radieuse ingénue s’avance d’un pas conquérant vers le studio où elle doit passer une audition. Son lyrisme célèbre ensuite l’extase charnelle de Betty et Rita : dans la moiteur de la nuit, les deux sexbombs s’abandonnent à leur attraction, assouvissent le désir brûlant qui les anime, s’enivrent de caresses et de baisers, enflamment la pellicule. Un érotisme à réveiller les morts. La langoureuse sensualité de leur corps-à-corps se nourrit au feu ardent d’un amour que l’héroïne formule en une déclaration suave, éperdue, sublime. Le thème revient encore lorsque les amantes empruntent un sentier édénique à travers les bois, sur les hauteurs de L.A. En cet instant d’enchantement absolu, le regard émerveillé de Diane sur Camilla, qui la guide en la tenant par la main, s’avère d’autant plus déchirant qu’il prélude à sa crucifixion. Elle sortira dévastée de la party où on la conduit. Et lorsque les mêmes notes résonnent pour la dernière fois, les chimères d’Hollywood ont fini de la consumer. Mais dans le ciel étoilé de la cité des rêves, elle sourit pour l’éternité aux côtés de sa bien-aimée. Et moi on me ramasse à la petite cuillère. Je vous entends protester : cela fait quatre scènes, hé ! Soyez heureux que je n’en évoque pas davantage.

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https://www.youtube.com/watch?v=st02_ULWd3I#t=1m00s

Le Nouveau Monde
6.7

Le Nouveau Monde (2005)

The New World

2 h 15 min. Sortie : 15 février 2006 (France). Biopic, Drame, Historique

Film de Terrence Malick

Thaddeus a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

"L’Or du Rhin" avait somptueusement ouvert le film. Il le referme avec la même majesté, en un crescendo émotionnel qui confine à la suffocation tant le cinéaste semble vouloir livrer, à travers un montage impressionniste d’une exceptionnelle liberté, toute la beauté du monde et de la nature. Deux plans fixes émaillent ce mouvement ascensionnel. D’abord celui sur le lit vide, bordé, de la princesse indienne devenue anglaise et emportée par la variole anglaise loin de son pays. Puis un raccord à 180° sur un Indien assis, raide, qui fixe l’objectif et qui aussitôt après s’enfuit de la maison en courant. C’est comme si l’on était les seuls témoins directs de l’évasion de cette âme qui vient de s’envoler sous nos yeux. Le prélude wagnérien soustrait du flux filmique la mort en terre étrangère de l’héroïne, afin de faire monter dans les nuages l’image transcendante d’une destinalité commune. "Mother, now I know where you live", s’écriait Pocahontas dans sa cage dorée. Elle voulait dire sur l’autre rive de l’océan, là où elles les arbres croissent naturellement, où les flots des torrents coulent sans entraves, où l’homme peut se fondre dans la source de l’Over-Soul. Là où ces derniers instants la ramènent, en faisant souffler un vent cosmique et en accompagnant son assimilation au grand cycle de l’univers.

https://www.zupimages.net/up/23/46/nqak.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=mtb1g3mGVW0

Thaddeus

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