Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

Des citations, bouts, bribes, extraits trop longs pour tenir dans le cadre restreint de la longueur de caractères des annotations des listes de lecture.

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Liste de

489 livres

créee il y a plus de 4 ans · modifiée il y a environ 4 heures

Tout l'art de Assassin's Creed Odyssey
7

Tout l'art de Assassin's Creed Odyssey (2018)

The Art of Assassin's Creed Odyssey

Sortie : 5 octobre 2018. Jeu vidéo, Beau livre

livre

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« C'était très amusant d'utiliser des statues monumentales pour renforcer le côté épique et mystérieux de ce monde. Des conditions météorologiques variées, comme le brouillard ou une mer agitée et des nuages,sont aussi utiles,non seulement pour ajouter une dimension dramatique à la narration, mais aussi pour montrer différentes facettes de cette Grèce antique qui n'était pas toujours baignée de soleil et aride. » Hugo Puzzuoli

« Après le succès mondial d'Assassin's Creed Origins, Assassin's Creed Odyssey propose une aventure épique en plein âge d'or de la Grèce antique, bien des siècles avant les événements d'Origins et la création de la Confrérie. Le joueur pourra explorer le berceau de la civilisation moderne qui a donné vie à la démocratie, naviguer sur la mer Égée, visiter des cités et des sanctuaires de légendes comme Athènes, Thèbes, Argos, Sparte, Corinthe, Delphes et Olympe et découvrir des grottes et des ruines, en quête des merveilles oubliées de Grèce.

En choisissant l’Antiquité, nous nous sommes mis au défi de recréer un univers crédible ainsi que ses grands monuments. De nombreux paysages que nous connaissons ne sont que des ruines qui dépassent à pruine du sol. Il était donc nécessaire de tout rebâtir. Nous tenions tout particulièrement à travailler avec des experts et des historiens pour mieux comprendre à quoi la Grèce antique aurait pu ressembler à cette époque.

La découverte la plus surprenante est sans doute d’apprendre que tout était peint. D’un point de vue artistique, c’était une bénédiction : nous pouvions utiliser cette information à notre avantage pour ajouter de la couleur pratiquement à toutes les constructions humaines. Nous avons donc une chance unique de pouvoir donner vie à une Grèce antique colorée, telle qu’elle l’était il y a deux mille ans. »

«  La disposition des camps doit être crédibles. Ils doivent être habitables, tout en étant adaptés aux mécaniques de jeu, c’est-à-dire le combat et l’infiltration. »

Jean Giono, au-delà du roman

Jean Giono, au-delà du roman

Sortie : 21 octobre 2016 (France). Biographie, Essai

livre de Denis Labouret

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Ce paradigme cynégétique fait partie de notre culture, et pas seulement de celle de Giono: il conduit à rapprocher le travail du lecteur, en tant que recherche d'indices en vue de construire un sens, de tout travail d'enquête qui vise à identifier son objet selon une méthode analogue. C'est sur ce paradigme indiciaire, selon Ginzburg, que le roman policier et la psychanalyse freudienne fondent également leur stratégie et leur procédure. Le paradigme cynégétique, écrit Antoine Compagnon à la suite de Ginzburg, « fait du lecteur un détective, un chasseur à l'affût des indices qui lui permettront de donner un sens à l'histoire » . Raconter des histoires de chasse, pour le romancier, ce serait alors représenter dans la fiction narrative un processus d'enquête dont le fonctionnement indiciaire est le miroir du processus de la lecture. Parce qu'elle est affaire de signes et de traces, la chasse racontée renvoie le discours qu'on tient sur elle à son propre jeu sémiotique. Et l'on serait tenté de croire que le thème de la chasse plaît à Giono, conteur et non tueur, non parce qu'il prend place dans des relations naturelles, aussi violentes soient-elles, entre l'homme et le monde, mais en ce qu'il permet d'inscrire dans l'œuvre le processus éminemment culturel de la lecture, comme reconnaissance synthétique d'une cohérence narrative. » 

« Malgré les regrets exprimés au début de Noé (le romancier est obligé de « raconter à la queue leu leu », la fin du roman dit les insuffisances de l'image et la puissance du verbe pour viser l'inépuisable invisibilité du visage.
Noé est donc non seulement un catalogue de têtes, de mufles, de figures et de masques, mais aussi un roman des visages - qui séduisent et fascinent d'autant plus qu'ils ne sont pas réductibles à leur part visible. S'ils courent toujours le risque d'être noyés dans le flot de l'imagination, neutralisés par la foule impersonnelle ou uniformisés par une férocité universelle, ils émergent dans leur singularité parce qu'ils ne sont pas figés dans des portraits conventionnels,mais dynamisés (et non dynamités) par une esthétique romanesque de la surprise. Dans Noé, Giono restitue au visage son étrangeté dérangeante: on n'a jamais fini de s'étonner, en effet, de voir un visage d'homme. »

AraboFuturs

AraboFuturs (2024)

Science-fiction & nouveaux imaginaires

Sortie : 22 avril 2024. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Élodie Bouffard, Nawel Dehina et Joan Grandjean

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

[Hicham Berrada] : « Dans sa dernière série de sculptures, Les Hygres (2023), Hicham Berrada défie et hybride les lois du vivant. En artiste démiurge, il crée et expérimente des œuvres-laboratoires dans lesquelles il fusionne organismes vivants et non vivants. Pour ces trois sculptures, l'artiste applique la symétrie bilatérale, une loi biologique qui régit la majorité des formes animales, à des entités minérales. Se présentent ainsi devant nous des êtres composites, défiant les lois naturelles. Fusions, combinaisons, hybridations entre la matière inerte et organique, Berrada invite à la recomposition des lois terrestres dans un environnement post-humain. La matière inerte devient vivante, ces sculptures se métamorphosent en oracle ou matière divinatoire. Structurées autour de cet axe central, test de Rorschach iridescent,elles deviennent ce que l'observateur souhaite y voir. »

*

« Ces propositions artistiques questionnent également l'ombre de l'Occident qui pèse sur les esthétiques et les vieux rêves à recycler. Elles amènent le futur à se diffracter, à rompre avec une appréhension monolithique des avenirs possibles en faisant un pas de côté.

Ces artistes proposent ainsi des futurs dans lesquels ils et elles s'auto-représentent et créent pour certaines des récits spéculatifs depuis les marges,rompant avec les discours hégémoniques et créant des contre-récits forts.Les œuvres deviennent le lieu où les personnes invisibilisées dans notre présent se reconnaissent et peuvent imaginer un futur dans lequel elles sont légitimes.Les artistes créent de nouveaux avenirs émancipateurs qui donnent matière à réflexion et libèrent nos imaginaires du poids des discours dominants et anthropocentrés. Leurs œuvres s'ouvrent non seulement aux personnes minorisées mais aussi au vivant qui nous entoure et même au non-vivant, dans l'objectif de créer un monde dans lequel ces éléments puissent retrouver leur place légitime, tout en mettant en exergue la fragilité du règne humains. »

*

« Champ artistique global, la spéculation fictionnelle offre en effet des territoires créatifs pluriels accordant à chacun-e le droit d'imaginer ses propres futurs, hors des voies classiques de l'anticipation technoscientifique. L'exposition va donc au-delà de la science-fiction et interroge la plasticité de l'imagination spéculative des futurs, remettant en cause la linéarité du temps. » (lol)

Autour de Guillaume Fouace

Autour de Guillaume Fouace (2011)

1837-1895

Sortie : 1 mars 2011. Essai, Biographie, Peinture & sculpture

livre de Maurice Lecœur

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Si Jean-François Millet est le peintre de la Hague, Guillaume Fouace demeure le peintre du Val de Saire. C'est ce qu'on a coutume de lire dans les monographies de notre région. Certes, la renommée du peintre de Réville est sans commune mesure avec la notoriété de son compatriote. Mais les opposer n'aurait aucun sens, ne serait-ce que parce qu'une génération les sépare. Si Millet, avec d'autres,annonce l'impressionnisme, Fouace n'accuse en rien l'influence de ce mouvement pictural. Le 1er exprime des états d'âme à travers ses visions de la réalité, le 2nd ignore l'anecdote, fait de la nature morte son domaine d'excellence, certains diront son pain quotidien.

Le XIXe siècle, c'est le premier essor du prolétariat mais surtout le triomphe de la bourgeoisie. La nature morte, bien souvent liée aux plaisirs de la table, décore les salles à manger des plus fortunés. Même si Fouace s'essaie dans d'autres genres, c'est par ses natures mortes qu'il est reconnu, qu'il ‘devient l'égal des premiers‘. Son univers familier lui fournit des sujets, coquillages et crustacés offrent de la matière à son inspiration. Sa clientèle recherche le faste, une représentation sociale à travers la gastronomie. Dans les toiles du peintre, elle apprécie les qualités de rendu, de trompe-l’œil d'une saucière de vieux Rouen ou d'un fromage irrésistible voisinant avec une bouteille de sauternes.
Après sa disparition, et jusqu'au milieu du XXe siècle, Guillaume Fouace a fait partie de ces ‘petits maîtres de la peinture’, parfois rejetés dans les réserves des musées, bannis par les bons esprits, mineurs par leur réputation si ce n'est par leur talent. Alors que de grands artistes de son époque, promis à l'immortalité, ont aujourd'hui chuté,il est depuis longtemps revenu en force dans les ventes publiques. »

*

« Au Salon de cette année-là, Fouace présente deux tableaux, ‘Les Confitures’ et ‘L'Oie aux marrons’. D'aucuns le placent alors au premier rang parmi les peintres de natures mortes. L'année suivante, pour se diversifier, il expose un nu, ‘Coquetterie’, qui ne fait pas l'unanimité. Il n'en est pas de même d'une toile présentée à l'Exposition maritime du Havre, ‘Fromage’, acquis par la ville et qu'un journal local qualifie de vrai « chef-d’œuvre de vérité ». Comme le fait remarquer Jean Fouace, « la participation à tous ces salons, qu'ils soient de Paris, de province ou de pays étrangers suffit à dé-montrer l'excellente intégration de Fouace dans le milieu artistique de sa génération ».

La Guerre du Péloponnèse
8.8

La Guerre du Péloponnèse

(traduction Denis Roussel)

Historía toû Peloponnêsiakoû Polémou

Histoire

livre de Thucydide

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Mycenes était à coup sûr une petite ville et il se peut que telle ou telle place de cette époque ne nous fasse pas grande impression. On ne saurait pourtant tirer de là un argument valable pour mettre en doute ce que les poètes nous disent de l'importance de cette expédition et ce que la tradition en a retenu. Ainsi, à supposer que Sparte soit dévastée et que seuls subsistent les sanctuaires et les fondations de ses édifices, les générations qui viendraient dans un lointain futur douteraient fort, je pense, que sa puissance réelle eût été à la hauteur de son prestigieux souvenir. Et pourtant les deux cinquièmes du Péloponnèse sont directement soumis à son autorité et son hégémonie s'exerce sur l'ensemble de la péninsule, ainsi qu'au dehors sur un grand nombre de cités alliées. Néanmoins, parce qu'il n'y a pas d'agglomération centrale, parce que les sanctuaires et les monuments sont modestes, parce que, comme c'était autrefois le cas dans toute la Grèce, les Lacédémoniens vivent disséminés en bourgades, on pourrait croire que Sparte n'était qu'une puissance de second ordre. Qu'Athènes en revanche vienne à subir le même sort, le spectacle qu'offriraient les vestiges de cette ville ferait croire que sa puissance était double de ce qu'elle est en réalité.

Il ne faut donc pas se montrer trop sceptique, ni prendre en considération l'apparence extérieure des villes plutôt que leur puissance réelle. On peut admettre que l'expédition de Troie fut plus importante que les précédentes entreprises de ce genre, tout en n'égalant pas celles d'aujourd'hui. Faut-il, ici encore, en croire les poèmes d'Homère ? Sans doute peut-on supposer qu'étant poète, il a voulu embellir son sujet en le grandissant. »

Vallée du silicium
7

Vallée du silicium (2024)

Sortie : 12 avril 2024 (France). Récit

livre de Alain Damasio

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Monde lisse sans pli repli ni plissement – sans ride sur les peaux d’alumine. L’aplat règne. Les couleurs sont pleines. Homogènes les matières.
Rien ne répugne plus aux designers d’Apple, dirait-on, que l’impur des textures. Un dégoût évident du chamarré, de l’hybride, du collage ou du rugueux. L’œil ne doit pas souffrir ou risquer la moindre écharde. Le design est une pacification. »

*

« Tout s’embrouille mais je n’ai pas envie de tailler les méandres de la coulée réflexive pour faire semblant d’avoir tout compris d’avance, pour vous présenter ça comme un essayiste vous le ferait, reclassé et linéarisé, en rationalisant à rebours le cheminement d’une errance.

Je reste un romancier. M’intéresse suprêmement le sentier plutôt que la carte ; l’enfrichement de la forêt plus que son quadrillage ; le récit et ses arcs plutôt que la flèche de la thèse. »

*

[Penser contre soi-même] :
« Ce que je suis venu chercher relevait d’un espoir tors : parvenir à penser contre moi-même. Pouvoir accueillir la technologie non plus comme une menace, une servitude volontaire ou un état de fait, mais avec l’euphorie excitante et tranquille de ceux qui la conçoivent, la promeuvent et la font. Me désaxer, au moins ce petit mois, de ma ligne technocritique de Français narquois en privilégiant, face au flux d’innovations, en lieu et place de mes réflexes de défiance, une forme de positivité complice, j’allais même dire : un enthousiasme. Faire comme si et faire tout comme – me laisser traverser pour mieux éprouver cet engouement que trouvent mes interlocuteurs à faire partie de « ceux qui en sont » – et tenter d’en orpailler la limaille des affects. Se syntoniser pour épouser leur vision avec la même fluidité qu’on plonge, écrivain, en apnée dans ses personnages par crainte de sinon les trahir. »

*

« Nous ne vivons plus ici ou ici, nous créchons dans le non-lieu de la communication et des messages, nous flottons dans l’irradiation nébuleuse des plateformes qui plagient le vécu, ou le fanent en le numérisant aussitôt éclos. Instagram est un buvard qui boit l’intensité fuyante de nos moments prétendument riches. Court cette impression que les instants vraiment uniques de nos vies ne valent que pour la vidéo qui nous les fera revivre par après. Les gamers diraient : pour leur replay value. »

Jan Van Eyck

Jan Van Eyck (2024)

La Vierge du chancelier Rolin

Sortie : 10 avril 2024. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Sophie Caron et Pierre-Olivier Dittmar

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Or, à la fin du Moyen Age, cette exacerbation de la relation entre l'auteur et le lecteur accompagne une nouvelle façon de concevoir le livre. Le livre est de plus en plus envisagé comme un espace matériel dans lequel "le lecteur semble [se] projeter physiquement, accomplissant [une] métalepse". La notion littéraire de métalepse, qui définit ce phénomène de projection du lecteur dans le livre, conçu comme un monde matériel (de même que plus tard au cinéma, 'dans' l'écran), nous semble précisément dire l'expérience proposée par Van Eyck : le lecteur-spectateur effectue un "saut" dans le livre-panneau. La métalepse exprime donc d'une part le mouvement d'immersion du lecteur dans la matérialité de l'œuvre, et d'autre part Y'idée d'un livre comme un monde en soi, pouvant être parcouru.

Il semble alors que les deux personnages soient en train de conclure un étrange accord, que l'on pourrait assimiler au pacte de lecture du début d'un roman : en effet, "tout roman, d'une certaine manière, propose à la fois une histoire et son mode d'emploi : une série de signaux indiquent selon quelles conventions le livre demande à être lu. L'ensemble de ces indications constitue ce qu'on appelle le "pacte" ou le "contrat" de lecture". Cette définition du pacte de lecture, formulée ici par Vincent Jouve, nous semble en effet pertinente pour achever de décrire l'enjeu de la relation entre les deux personnages : ils traduisent en peinture le moment de ce contrat, annonçant au spectateur qu'il va parcourir un monde aux côtés de son auteur. Or, ce pacte est figuré en un lieu suspendu, ce chemin de ronde qui ne semble exister que pour accueillir ce dialogue entre auteur et lecteur, ou entre peintre et spectateur. Le chemin de ronde fait figure de seuil, d'incipit en quelque sorte, moment de transition et de transaction retenant un instant l'attention du spectateur, le temps de lui annoncer les conditions du voyage imminent qu'il s'apprête à effectuer dans le monde pictural déployé en contrebas des remparts. »

[+ commentaire " Plonger dans le paysage"]

Le Déversoir
6.3

Le Déversoir (2023)

Poèmes Minute

Sortie : 16 mars 2023. Poésie

livre de Arthur Teboul

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

CA NOUS FERA DU BIEN
« Dans quel hémisphère de quel encéphale rachitique avons-nous trouvé la paix ? Avons-nous trouvé la couleur de l’amertume et celle de la joie, milliers de sabots en marche et vent cavalier ?

Cartographions. Les explorateurs nous ont transmis les coordonnées, degrés et distances. Dessinons les humeurs géométriques aux perpendicularités splendides. Nous l’avons inventée cette croix humaine, cet angle droit. Il nous revient dans sa forme élémentaire puissante,

au carrefour,
à l’épée combattue
au panneau publicitaire
au refus catégorique.

Cartographions le cercle des empirismes doux, de la caresse, de la danse, des apprivoisements. Désenroulons le serpent replié, le serpent coupable. Nous avons toutes les informations des charmeurs, consignées dans un cahier rouge sang. Prenons les enfants dans nos bras, nos bouches seront pleines de doigts que nous ne mangerons pas. Ça nous fera du bien.

Cartographions. Les épis de blé qui poussent dans les têtes nous sortent par le nez. Le temps de la récolte est venu. »


*

« Un troubadour délivre sa chanson. Je m’endors. Tout roule. Une fois qu’on arrive vraiment au cœur du sujet, j’abandonne toute velléité à prouver quoi que ce soit. On réanime le cœur du sujet, c’est déjà pas mal. Nous prenons quelques précautions et la tendresse nous revient en pleine face, comment ne pas pleurer. Le troubadour pleure sa chanson venimeuse. Tout roule. Nous badigeonnons de pleurs nos bras déchargés. Dans le noir la pudeur n’a plus d’ennemi. Nous psalmodions avec le troubadour. Saviez-vous qu’applaudir est très, très bon pour la santé ? L’immobilisme et l’inactivité sont les causes principales d’une mort certaine. Si vous voulez survivre, applaudissez. »

*

« Hier une plante sans faille défia le monde entier, rien qu’en poussant. C’est dur à comprendre et facile en même temps. Discrétion, lenteur, apanage des grands. À la fenêtre, où tout passait, elle attendait 17h30 pour sa réunion hebdomadaire avec le moineau.
Il avait toujours un peu de retard, vieille habitude prise dans l’autre hémisphère, quand il y habitait.
Elle avait le temps, c’était agréable d’envisager la vie sous cet angle rythmé tranquillement par la marche des passants et leurs bruits étouffés. C’était agréable de se laisser bercer sans chercher à comprendre. Juste attendre 17h30 et de grandes poussières.
Elle ne savait pas encore que le moineau ne viendrait pas. »

Monique s'évade
7

Monique s'évade (2024)

Sortie : 26 avril 2024. Biographie

livre de Édouard Louis

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« rien qui ressemble à un endroit où ma mère aurait pu vivre – et pour la première fois j’éprouvais l’importance de cette expression, vivre quelque part, et pas seulement habiter, trouver un lieu dans lequel sa vie serait vivable, et pas seulement un toit ou un abri. Avec l’homme chez qui elle avait vécu, elle n’avait pas vécu. Elle avait habité avec lui, mais cette cohabitation avait justement rendu la vie invivable. Je dois faire attention aux expressions que j’emploie, il n’était pas l’homme avec qui elle avait vécu, il était l’homme avec qui elle avait habité. »

« – Hum, ça dépend de ce qui te fait envie. De la cuisine libanaise ?
Je l’ai sentie enthousiasmée par cette idée.
– Ah oui tiens, j’ai jamais goûté.
Je lui ai demandé :
– Jamais ? Du houmous ? Des falafels ? Des haricots à la tomate ?
– Non jamais.
L’exclusion qui avait formé la matière de sa vie se jouait dans des détails si minuscules, si minuscules, je pensais en l’écoutant : à plus de cinquante ans elle n’a encore jamais expérimenté certaines saveurs, jamais éprouvé certaines sensations gustatives, comme une forme de dépossession culinaire et sensorielle. Quand on pense à la dépossession, à la pauvreté, on pense à la difficulté à s’acheter des vêtements ou à payer des factures, mais on ne pense pas à ces choses-là, les saveurs, les odeurs, les sensations jamais connues. »

Instanciations
6.9

Instanciations (2020)

Instantiation

Sortie : 29 février 2024 (France). Science-fiction

livre de Greg Egan

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Ce changement de sexe accidentel lui avait en tout cas assuré une sécurité incomparable ; de ce qu'elle avait vu jusqu'à maintenant de Minuit sur Baker Street, les femmes du coin existaient avant tout pour crier d'horreur, vendre leur corps ou se vider de leur sang, étalées dans les rues, à en rougir les caniveaux. Doyle, Dickens, Stoker, Stevenson et Shelley, tous auraient vomi leur petit déjeuner s'ils avaient pu imaginer le jour où leur travail finirait pastiché et mélangé en un pot-pourri malodorant dont l'élément dominant se résumait à la puanteur de l'aura misogyne de Jack l'éventreur. »

« Sagreda se positionna tout au bord de la grotte et s'y tint debout, les orteils au sommet d'une lèvre rocheuse qui semblait prête à la projeter dans l'immense gorge en contrebas, le soleil dardant ses rayons vers le haut pour lui frapper le menton. "Si tu tombes, la prévint Guertelle, c'est pour de vrai." Sagreda peinait à comprendre comment créer une illusion si parfaite. [...] Peu emballé par l'idée, son corps tout entier commença à lui intimer de battre en retraite. "Ou peut-être que je devrais juste me mettre à jeter des cailloux pour fracasser quelques miroirs.
- Il n'y a pas de miroirs, annonça Guertelle d'un ton las. Tout est numérique. »

Sur le Jadis
7.8

Sur le Jadis (2002)

Sortie : 2005 (France).

livre de Pascal Quignard

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Éden, cité lointaine, grotte au haut de la montagne, nid d’aigle, temple détruit, mur du temple détruit, mur du temps où poussent quelques fougères, où percent quelques liserons verts, chambre interdite à l’intérieur du donjon, château blanchâtre perdu au fond de l’immense forêt pleine de cerfs, de biches, d’ours, de sangliers, de loups, de faucons, de vautours.
Toujours nous tente le désir de retourner là où nous avons été heureux.
Nous ne savons plus très bien où était ce lieu merveilleux et obscur. Nous croyons qu’il date de l’air atmosphérique et qu’il se trouve dans l’espace. »

« Peu la voient quand elle irradie faiblement dans le monde et qu’elle en bouleverse la vision.
Cette lumière est celle qui provient du nord. Vermeer dépose en silence ses gouttes de jadis au sein du passé.
Les tableaux du Lorrain où la lumière devient elle-même un regret de la lumière dans l’éblouissement de la campagne qui entoure les ruines alors encore ensevelies de Rome. On peut suggérer que c’est le Jadis qui se cherche sous le pinceau du Lorrain comme s’il s’agissait d’une lumière perdue.
Lumière dévorée par le passé, par le passé païen, par le passé romain, puis impérial, puis républicain, puis royal, puis antérieur, puis antécédent, puis fictif, puis créatif.
Lumière qui régresse jusqu’à son soleil. »

« Les êtres vivants sont truffés de morts, de fantômes affamés de vie, d’êtres beaucoup plus anciens que nous-mêmes qui engloutissent à peu près tout ce que nous portons à leur bouche et déversons dans leurs yeux. En entrant dans les musées, ce n’est pas soi qu’on fait jouir. »

Fabriquer une femme
6.8

Fabriquer une femme (2024)

Sortie : 4 janvier 2024. Roman

livre de Marie Darrieussecq

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Et dans la petite chambre, tous les deux trempés de pluie, étendant comme ils peuvent leurs vêtements mouillés, se serrant fort dans le froid, dans le frrroid, dans cette chambre étroite, miteuse, ancienne, mais qui n’était ni à l’un ni à l’autre, dans cette chambre qui ressemblait à une chanson de Barbara, dans ce creux sous les toits, dans la ville bruyante de pluie et de trafic, dans la fin des années 1980, étourdis par le monde et moins par eux-mêmes, portés par les chansons qui disent la vérité, elle et lui surent mieux s’y prendre, se prendre, faire durer leur moment.
Mais ça n’était toujours pas ça quand même. »

«  Il lui souffle dans le cou : « Les cheveux lâchés, tu as un faux air d’un Botticelli. » Elle se laisse embrasser. Sa bouche a goût de saint-émilion. »
 
« Comme c’est étrange, dans l’alcool et cette ville si profondément sombre, de penser que le village existe toujours, là-bas. Qu’il existe de façon certaine, comme existent, en ce moment même, les étoiles sur notre tête, les animaux dans les forêts, les baleines dans les océans – en ce moment même, avec la même réalité qu’eux trois ici, serrés dans le froid et tirant sur le joint, en ce moment même le village occupe deux plis de la croûte terrestre, et il y distribue ses maisons, ses champs, son église, son bistro, son école et sa putain de boutique de souvenirs, avec la même réalité physique que les bêtes inaccessibles et les atomes des étoiles et l’absence de Maïder. Buvons. » 

La Plage de Scheveningen
8

La Plage de Scheveningen (1952)

Sortie : 1952 (France). Roman

livre de Paul Gadenne

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Cette plage qu’il apercevait au loin, où sans doute il n’irait jamais, c’était celle où avec Irène il avait été dix ans plus tôt, – celle où ils avaient passé la nuit côte à côte en compagnie d’un condamné à mort. Et il fallait admettre que le monde était divisé, que la moitié des hommes s’efforçaient à la haine, car la vengeance aussi est éternelle, et le travail de tuer est sans fin. Demain il allait retomber dans ce que les gens qui aiment vider les mots de leur sens appellent bassement « la vie ». Peut-être savait-il un peu mieux où était la vie, et ce qui vaut la peine d’être vécu. Il ne désirait de puissance que celle de la conscience. Et il aurait voulu transmettre à d’autres la lueur qui avait brillé un instant à ses yeux, – car il n’y a que des instants, et ils sont vite évanouis, – sur la courbe argentée de cette plage déserte, sur cet affrontement de terre et d’eau, si lointains déjà et si effacés par la brume, qu’il croyait les apercevoir dans le verre d’un télescope. »

« Les images s’éloignaient. Non, il n’était pas croyable qu’elle l’eût quitté sur un simple mouvement d’humeur. Elle avait pu ne rien se préciser à elle-même, non plus qu’à lui, cela avait pu ne pas être clair dans son esprit, mais Guillaume était de plus en plus persuadé qu’il y avait eu en cela autre chose qu’une fantaisie ou une lassitude : une décision profonde, un jugement non formulé sur elle-même, et peut-être contre elle-même. Mais comment exprimer tout ceci ? Ce n’était pas sans raison qu’elle n’avait jamais rien dit à quiconque, qu’elle n’avait jamais rien révélé. Et ce ne pouvait être sans raison non plus qu’elle l’avait suivi jusque-là, au bord de cette plage bouleversée. »

L'Œuvre de Kaiji Kawaguchi

L'Œuvre de Kaiji Kawaguchi (2024)

Un dialogue entre passé et présent

Sortie : 15 avril 2024. Beau livre & artbook, Culture & société

livre de Ilan Nguyên et Claude Leblanc

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Il y explore d'emblée le passé proche du Japon, dans ses aspects les moins reluisants, sa violence et ses enjeux de pouvoir. À ses yeux, comme pour bien d'autres dessinateurs de sa génération (HIROKANE Kenshi, TANIGUCHIJirô,HONMA Riu, NAGAYASU Takumi, MURAKAMI Motoka), le registre de la bande dessinée est avant tout un champ d'exploration du réel, destiné à un public plus mûr que le lectorat enfantin. Comme eux, il alterne collaborations avec des scénaristes et créations originales.
Dès ses premiers récits, il s'attache à décrire la vie des laissés pour compte, le destin d'individus ballottés dans les remous de l'histoire. Ses protagonistes (gangsters, soldats, policiers..) ancrent d'emblée son œuvre dans une dimension générique. Ainsi, il signe également séries de mahjong (jeu d'argent prisé des couches populaires), drames dans le milieu économique ou celui du cinéma, récits sentimentaux ou sportifs (baseball, boxe.) À partir de The Silent Service (1988-96), son attachement à dépeindre des enjeux géopolitiques trouve un large écho public, qui l'amène à explorer de nouvelles voies du récit historique: politiques fiction sur le Japon contemporain, voyage temporel dans le passé et ses conséquences sur le présent, récit sur le futur proche alternatif d'un Japon scindé en deux par une catastrophe, épopée médiévale.

Caillebotte, peintre et jardinier

Caillebotte, peintre et jardinier (2016)

Exposition au Musée des impressionnismes, Giverny du 25 mars au 03 juillet 2016

Sortie : 23 mars 2016. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Paula Luengo, Gilles Chardeau et Marina Bocquillon-Ferretti

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Après un long purgatoire, l’œuvre de Gustave Caillebotte (1848-1894) bénéficie aujourd'hui d'une juste reconnaissance. L'artiste a enfin trouvé la place qui lui revenait, parmi les premiers au sein du groupe impressionniste. Au fil des expositions qui se sont succédé depuis 1994,le public a eu l'occasion de découvrir une personnalité riche de contradictions. Formé dans la meilleure des traditions, entouré d'une famille qui ne s'est pas opposée à sa vocation d'artiste, Caillebotte est pourtant rebelle aux conventions et curieux de toute forme de nouveauté Dévoué à ses amis impressionnistes, il se montre farouchement indépendant quand il s'agit de sa propre évolution artistique. Peintre militant, grand organisateur d'expositions et très conscient des stratégies nécessaires à la promotion de l'impressionnisme, il a pourtant outrageusement négligé sa propre réputation posthume. »
« Dans cette exposition, nous mettrons l'accent sur la période où, à la fin des années 1880, l'artiste se retire au Petit Gennevilliers et crée un somptueux jardin. A cette époque, Caillebotte voit beaucoup Claude Monet, qu'il avait initié au jardinage aux temps héroïques de l'impressionnisme et dont il partage les intérêts et les préoccupations. Car tous deux renouvellent profondément leur art et, chercheurs inquiets, ils sont rarement satisfaits de leur production. Depuis longtemps passionnés d'horticulture, ils créent simultanément les jardins qui leur inspireront leurs derniers chefs-d'œuvre. Mais Monet s'en ira en 1926, couvert de gloire, et la réputation du jardin de Giverny rayonne aujourd'hui dans le monde entier. Quant à Caillebotte, il meurt prématurément en 1894, alors que son œuvre est en pleine évolution. Comme Monet le fera à son tour quelques années plus tard, il s'inspirait quasi exclusivement du domaine qu'il avait élaboré de toutes pièces au bord de la Seine. »

Nuits sans nuit et quelques jours sans jour

Nuits sans nuit et quelques jours sans jour (1961)

Sortie : 1961 (France). Récit

livre de Michel Leiris

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

27-28 JUILLET 1924
(vécu)

« Arrivé de Mayence, où il avait travaillé comme journaliste, et à la veille de partir pour Le Havre qui est sa ville natale, Georges Limbour – auteur de L'enfant polaire et de ces Soleils bas qu'André Masson avait ornés d'eaux-fortes prodigieusement aiguës et légères – partageait pour quelques jours la chambre que j'occupais alors dans l'appartement de ma mère.
Vers 2 heures du matin, je m'éveille et j'aperçois Limbour assis sur le divan qui lui sert de lit et regardant autour de lui avec des yeux égarés. Sa couche me semble tout enveloppée de mousselines, comme garnie d'une moustiquaire. A la question que je lui pose pour savoir ce qu'il y a, Limbour répond qu'il croyait qu'on avait entouré son divan de draperies, pour l'enfermer. Aussitôt, l'illusion se dissipe.
Le mot rêve participe de la toile d'araignée, ainsi que du voile ténu qui obture la gorge des personnes atteintes du croup. Cela, en raison de sa sonorité et de certains rapports de forme entre le v et l'accent circonflexe qui le précède (cet accent n'étant pas autre chose qu'un v plus petit et renversé), d'où l'idée d'entrelacs, de voile finement tissé. Le rêve est arachnéen, à cause de ce qu'il a, d'une part, d'instable et, d'autre part, de voilé. S'il touche au croup, c'est probablement parce qu'il est lié à l'idée des malaises nocturnes (telles ces crises de "faux croup" qui me prenaient la nuit quand j'étais très enfant). »

25-26 AOUT 1924

« Une rue de banlieue, la nuit, entre des terrains vagues. A droite, un pylône métallique dont les traverses portent sur chacun de leurs points d'intersection une grosse lampe électrique allumée. A gauche, une constellation reproduit, renversée (base au ciel et pointe vers la terre), la forme exacte du pylône. Le ciel est couvert de floraisons (bleu foncé sur fond plus clair) identiques à celles du givre sur une vitre. Les lampes s'éteignent tour à tour et, chaque fois que la lumière de l'une d'entre elles s'évanouit, l'étoile correspondante disparaît aussi. Il fait bientôt tout à fait nuit. »

Suite orphique

Suite orphique (2024)

99 quatrains

Sortie : 7 mars 2024. Poésie

livre de François Cheng

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

80.
« Les êtres qui m’habitent, je les porte
Non en masse, mais un à un. Chacun
Vient à moi, chaque fois en méconnu ;
Les découvrant, je me vois, inconnu. »

92.
« Cette trop belle nuit nous remue les entrailles ;
Tant d’astres et de fruits sont là au rendez-vous !
Ils sont là pour nous seuls, car seuls nous les voyons ;
Ô Toi qui sais, sois enfin là, présent à tous ! »

55.
« Perdus dans la nuit, nous voici
dans une auberge sans visage.
La proche cascade nous prodigue, elle,
ses dons pérennes avec faste. »

91.
« Que valent les cailloux dans le fracas d’une chute ?
Que valent nos corps sous la houle des galaxies ?
Un œil qui voit, un cœur qui bat, en un instant,
L’univers est plain-chant déchirant sa propre nuit. »

69.
« Que de fois, un rendez-vous manqué nous laisse
désemparés ; l’être attendu n’est pas là.
Que de fois, l’Autre est là, mais n’ayant point
croisé notre regard, sans bruit, il s’en va. »

Attaquer la terre et le soleil
7.5

Attaquer la terre et le soleil (2022)

Sortie : 1 septembre 2022. Roman

livre de Mathieu Belezi

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« on travaille jusqu’au soir, et à la nuit tombante on se réchauffe la couenne autour des feux, les muscles revigorés par l’espèce de couscoussou que préparent nos moukères, on boit la gnôle que notre capitaine n’oublie jamais d’emporter dans ses expéditions

— Il n’y a pas de bon soldat sans gnôle, pas vrai mes braves ?

affirme notre capitaine, assis comme un pacha sur un trône en bois sculpté qu’il a trouvé dans la tour et qui lui sert à donner ses ordres, à imposer sa discipline au troupeau de moukères

on acquiesce, parce qu’au fond de nous-mêmes on sait bien qu’il a raison, qu’on ne serait pas aussi déchaînés dans les batailles si on n’avait pas notre gorgée de gnôle pour nous incendier les méninges

les nuits sont claires, sans un souffle parce que le vent du nord est tombé d’un coup, et c’est comme une bénédiction ce fouillis d’étoiles suspendu au-dessus de nos têtes, une grâce divine du ciel avec lequel nous nous sentons réconciliés, et si nous ne sommes pas des anges il y a certaines nuits où nous sommes tout près de le regretter

— N’est-ce pas capitaine ? »

« Cette vie de caserne ça nous panse nos blessures, on ne crapahute plus le ventre vide sur des chemins de poussière et de boue, on peut chier ou pisser tranquille à l’abri des guenillards kabyles toujours prêts ceux-là à nous couper les couilles, on mange à notre faim en tapant dans les réserves du fondouk, on chasse le lièvre et l’antilope pour améliorer l’ordinaire, on a rangé le fusil et la baïonnette et avec les moyens du bord on fait le maçon ou le charpentier, on s’étripe aux cartes des heures durant dans la chaleur des braseros lorsqu’il pleut ou qu’il neige, et que la pluie ou la neige tombées en abondance nous forcent à couver dans la paille les vermines qui nous collent au cul »

Journal du regard

Journal du regard (1988)

Sortie : janvier 1988. Journal & carnet

livre de Bernard Noël

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Dès qu'une peinture nous arrête, nous voyons sans le savoir sur elle l'influence de notre présent sur son passé, chose inestimable et qui fait que, dans la représentation, la réalité a tendance à se confondre avec la fiction. Alors, on se souvient parfois qu'il y a dans toute mémoire l'image d'un paradis, et dans tout regard une ouverture vers l'infini. La double trace de cette situation est inscrite dans la peinture, mais elle y demeure indéterminée, tout comme la part du dit et du non-dit dans un livre. »

« Chaque image est sans cesse remise au présent par nos yeux parce qu'on ne peut voir que présentement. Voir est un acte sur le vif, et peindre est le même acte. La main charnelle du peintre entre alors tout entière dans sa main mentale, et celle-ci contient ses yeux. L'histoire de la peinture n'est peut-être que l'histoire de cette passation. Par elle, le sujet quitte la tombe de l'anecdote et entre dans la mentalité; autrement, il n'y aurait sur la toile qu'un document et la mort. Le peintre détache de son sujet une figure, qui ressemble au sujet autant que celui-ci ressemblait à son modèle. Ce détachement fait de la représentation un état charnière entre le visible et la vue mentale que nous en tirons. »

« Les images sont à la fois détachées du réel et détachées du mental, mais pour occuper la surface peinte elles donnent la priorité à leur ressemblance avec la réalité. Le peintre n'utilise cette ressemblance que pour exprimer sa pensée, seulement c'est la ressemblance avec la réalité, et elle seule, qui est visible. On croit que le tableau est le miroir de la réalité, alors que sa réalité est le miroir de la pensée. »

« [...] Le visible ne cesse de transformer l'expérience intérieure en expérience extérieure, et réciproquement.
Voir est un acte dans lequel s'unissent la pratique et la pensée du monde. La peinture mentale visualise cet acte il faut toujours faire voir ce qu'on ne voit pas, et qui aussi bien s'effacera dans la vue puisque toute pensée éclaire, puis disparaît. »

« La nudité en peinture n'est pas la représentation du nu, mais la création de son équivalence. Il faut que la surface soit de la peau. Nous n'aurons jamais assez de peau pour toucher le monde et pour être touchables.
Jamais assez de peau voyante sur nos yeux.
Le corps du peintre, quand il peint, est une articulation de l'espace. Et l'espace alors est en lui la vue et la lumière. »

+ Commentaire sur Jean Hélion // sa rétrospective au MAM.

Les Elégies de Duino
8.5

Les Elégies de Duino (1923)

suivi de Les Sonnets à Orphée

Sortie : 2006 (France). Poésie

livre de Rainer Maria Rilke

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Et, légère, elle le conduit par le vaste paysage des Plaintes,
lui montre les colonnes des temples ou les ruines
de ces forts d'où jadis des princes de la plainte sagement
dominaient le pays. Lui montre les grands
arbres de larmes et les champs de chagrin en fleurs,
(les vivants ne la connaissent que comme une douce
feuillée) ;
lui montre les bêtes du deuil, en train de paître,— et parfois un oiseau s'effraie et trace, volant au ras de l'horizon de leur regard,
jusque très loin le graphe de son cri esseulé.
Le soir elle le mène aux tombes des Anciens
du lignage de la Plainte, aux sibylles et prophètes.
Mais quand la nuit s'approche, ils vont à marche plus légère,
et bientôt
le ciel s'enlune, et monte le monument tombal
qui veille sur tout. Fraternel à celui du Nil,
au sphinx sublime -: face altière de la Chambre recluse et
taciturne.
Et ils admirent, étonnés, la tête coronale qui, à jamais,
silencieuse a posé le visage des hommes
sur la balance des étoiles. »


« Chante, mon cœur, tes jardins inconnus ;
Jardins comme pris en cristal, transparents, hors d'atteinte.
D'Ispahan, de Chiraz, chante-les, eaux et roses,
Célèbre-les en joie, eux à rien comparables.

Montre, mon cœur, que d'eux jamais tu n'es manquant.
Que c'est pensant à toi que leurs figues mûrissent.
Qu'à travers les rameaux en fleurs tu t'entretiens
avec leurs souffles d'air enchéris en visages.

Évite cette erreur de croire à quelque qu'il manque,
dès lors que c'en est fait, décidé, ceci : d'être !
Tu viens de t'intégrer, fil de soie, au tissu.

Quelle que soit l'image à quoi tu t'es uni,
sens (serait-ce un moment où la vie est supplice)
qu'il y va du tapis, de l'ensemble en sa gloire. »

The Art of Dragon Age: Inquisition
7.7

The Art of Dragon Age: Inquisition (2014)

Sortie : 18 novembre 2014 (États-Unis). Version originale, Beau livre & artbook, Jeu vidéo

livre de BioWare Corp

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Très peu d'attributions ; difficile alors de faire des renvois aux artistes...

http://escapethelevel.com/art/dragon-age-inquisition-concept-art-by-matt-rhodes-128/

https://www.artstation.com/mattrhodes/albums/77989

Théodore Rousseau, la voix de la forêt

Théodore Rousseau, la voix de la forêt (2023)

Exposition, Paris, Petit Palais, du 5 mars au 7 juillet 2024

Sortie : 6 avril 2023. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Servane Dargnies-de Vitry, Dominique de Font-Réaulx, Pierre Wat, Sandra Buratti-Hasan et Petit Palais Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« C'est ce beau pittoresque qui fait flores au XIXe siècle, au moment de cette démocratisation de l'accès au Beau que veut alors être le développement du tourisme.
Avec ses guides, ses chemins fléchés et ses points de vue qui se retrouveront bientôt dans l'iconographie des cartes postales, Denecourt est l'un des plus éminents représentants de ce courant.
Rousseau s'oppose en tout point à ce projet. Pour lui, nature rime avec origine. En Fontainebleau, il voit une sorte de forêt primaire, mi-nature intacte, mi-histoire présente sous l'allure de traces, dont il faut préserver la forme c'est-à-dire la mémoire. Du beau pittoresque tel qu'il s'est formulé dans l'Angleterre de la fin du XVIIIe siècle, il privilégie le goût de la variété et de la surprise, au détriment de l'organisation de circuits à vocation panoramique. Sa conception de la "promenade", clairement romantique, lui fait préférer la Wanderung à la randonnée sur des sentiers balisés. Théophile Thoré […] parle de pérégrination aventureuse, identifiant ainsi leur expérience à celle du Wanderer, cette figure essentielle de la peinture romantique de paysage. Il s'agit d'errer sans but et de jouir de l'errance, loin de toute mise en coupe réglée du mythe bellifontain. »

« La critique, par Rousseau, du projet de Denecourt, relève de la querelle d'héritage. Le peintre revendique lui aussi son inscription dans la tradition de l'imaginaire bellifontain, même s'il privilégie un autre aspect : le romantisme, cette qualité que l'on accorde à la forêt dès le début du XIXe siècle.
Théodore Rousseau peintre romantique ? Que signifie ce terme, accolé à un peintre de l'École de Barbizon dont l’œuvre se déploie entre les années 1830 et 1860, c'est-à-dire entre l'apogée et le déclin de cette notion dans le champ des beaux-arts en France ? De fait, et c'est sans doute là l'une des originalités de l'artiste, celui-ci donne à ce mot, à en juger par ses tableaux, un sens plus proche de ce que les artistes allemands entendaient en leur temps que de celui que lui attribuent ses contemporains français. »

Visite

Visite

livre de Li-Cam

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« — J’en ai entendu parler. Je sais pas ce qu’elles ont avec cette planète.
— Elles lui font dire tout et n’importe quoi, intervient Millie.
— Je comprends pas.
— Pendant longtemps, on a fait dire des choses aux planètes, dit Gus.
— Ah bon ?
— Oui, on les imaginait comme des dieux, enfin des dieux avec des travers bien humains, des dieux se comportant comme les plus petits des hommes. Des dieux tyranniques. »


« — Penser comme une arbre, une fluv, an pierre, comme lae moindre brin d’herbe, la plus petite insecte. Écouter patiemment la vie qui anime lae monde, l’écouter respirer, grandir, grossir, se renouveler et découvrir lae beauté partout prêt à nous enseigner. »

« — Mensonge ! Mensonge !

Lae colère qui couvait trouve enfin à s’exprimer. Dans les cris. Dans lae progression de lae foule. Les représentantes réfugiées à l’intérieur de l’Agora tentent de fermer les portes de lae bâtiment, puis se ravisent, confrontées à l’agressivité grandissant des contestantes. Des coups de poing s’écrasent sur les vitres. Des coups de tête. Des crachats. »

« — Nous avons appris à habiter les vestiges du monde, annonce Bella en s’emparant d’an petit cuillère se transformant sans cesse et lae faisant tourner sur yel-même pour l’observer sous tous les coutures. »

« Elle voit mal les couleurs, et est incapable de les désigner, elle peut néanmoins les goûter, yels sont – acides, âpres, salés sur san langue – yels lui piquent les narines aussi. Néea voyage dans an univers de formes, de textures et de saveurs dans laequel ses yeux et san palais ne faisant qu’an – perçoivent, reçoivent – an réalité singulièren où les arbres aux hauts branches sentent la menthe et lae ciel est – poivré, sucré. »

Foi, espérance et carnage
7.7

Foi, espérance et carnage (2022)

Faith, Hope and Carnage

Sortie : 14 septembre 2023 (France). Entretien, Autobiographie & mémoires, Musique

livre de Nick Cave et Sean O'Hagan

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Un sentiment des possibles, peut-être ?

Oui mais de possibles réels. Les possibles de l'impuissance ironiquement. Non pas la possibilité de faire, mais celle de ne pas faire. D'un seul coup, j'ai pris conscience que je pouvais simplement rester chez moi avec ma femme Susie, ce qui était en soi incroyable puisque notre relation avait toujours été rythmée par mes départs et mes retours. Et du jour au lendemain, j'avais la possibilité de voir mes gamins, ou simplement de m'installer sur le balcon pour lire. Comme si j'avais reçu la permission de me contenter d’être, au lieu de faire.

Et au fil du confinement, il y a eu cette sensation que le temps se disloquait, que les jours se fondaient les uns dans les autres. Tu l'as éprouvée aussi ?

Oui, le temps paraissait altéré. C'est peut-être mal de dire ça, mais en un sens j'ai vraiment adoré la liberté étrange que ça me donnait. J'adorais me lever le matin avec la perspective d'une nouvelle journée où je pourrais me contenter d'exister, sans obligation de faire quoi que ce soit. Le téléphone a cessé de sonner sans arrêt et très vite mes journées sont devenues merveilleusement répétitives. Bizarrement, c’était comme de redevenir un junkie : le rituel, la routine, l'habitude.

Je dis ça alors même que la tournée précédente, où on jouait sur scène l’album Skeleton Tree, avait été l’un des moments décisifs de ma vie professionnelle, par le simple fait d’être sur scène soir après soir, porté par cette énergie farouche qui émanait du public. Je n’insisterai jamais assez sur cet extraordinaire sentiment de communion. Ça a changé ma vie. Ou plutôt, ça m'a sauvé la vie! Mais c'était aussi terriblement éprouvant, physiquement et mentalement. Alors, quand L tournée a été annulée, la déception a bientôt laissé place à un certain soulagement et, oui, à la perspective de possibilités étranges et anarchiques. Je me sens coupable rien qu’à le dure, car je sais à quel point pour beaucoup de gens la pandémie a été dévastatrice. »

La Société ingouvernable
8.4

La Société ingouvernable (2018)

Une généalogie du libéralisme autoritaire

Sortie : 19 octobre 2018 (France). Politique & économie, Culture & société, Essai

livre de Grégoire Chamayou

Nushku a mis 6/10 et le lit actuellement.

Annotation :

« L’absentéisme, assurait un dirigeant de General Motors, ne résulte pas de la monotonie du travail mais de la prospérité économique de la nation, du haut degré de sécurité et des nombreux avantages sociaux fournis par l’industrie. » La reproblématisation allait bon train : plutôt qu’aux moyens de remédier au « blues des cols-bleus », on conseillait de s’intéresser aux conditions sociales avantageuses qui leur offraient le luxe de se montrer si effrontés. Le problème n’est pas que le travail est trop dur, mais que la société est trop molle. »
 
« Les générations qui sont nées après 1973, celles qui ont grandi à l’ère de « la crise » perpétuelle, ont intériorisé, l’une après l’autre, l’idée que chacune vivrait globalement moins bien que la précédente. Elles ont réappris à avoir peur. Un retournement historique qui pourrait aussi se lire comme une sorte de psychothérapie de groupe, une rééducation de masse à la « tolérance à la frustration ».

« Du point de vue néoclassique, c’était là une surprise, mais aussi une énigme : comment expliquer, alors même que l’on considère en général le marché comme étant le seul mode de coordination efficient, que de telles formes hérétiques puissent même exister ? Il fallait rendre raison de la firme. Pour le dire en termes leibniziens : pourquoi y a-t-il de la firme plutôt que rien ? Ou, plutôt, plus exactement, pourquoi y a-t-il de l’autorité économique privée plutôt que du pur marché seulement ? »

Les Petits Oiseaux
6.9

Les Petits Oiseaux (1979)

Erotica II

Sortie : 1979. Recueil de nouvelles

livre de Anaïs Nin

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Elle pensait que cela venait peut-être d'avoir découvert qu’il avait appartenu à tant de femmes. Dès la première nuit, elle eut l'impression que ce n'était pas elle qu'il possédait, mais une femme comme des centaines d’autres. Il n'avait manifesté aucune émotion. Lorsqu'il l’avait déshabillée, il lui avait dit : "Oh! comme tu as de grosses hanches. Tu paraissais si mince, je n'aurais jamais imaginé que tu avais de si grosses hanches." »

« Elle regardait le plafond tout en posant.

Ils se trouvaient dans une très vieille maison : la peinture était écaillée et les plâtres très inégaux. Et, tandis qu'elle fixait le plafond, ce plätre rugueux et tombé par endroits prenait tout à coup toutes sortes de formes. Elle sourit. Là, dans ce mélange de lignes, de trous et de bosses, se lisaient toutes sortes de dessins.

Elle avait dit à Jan : "Quand tu auras terminé ton travail, j'aimerais que tu dessines pour moi quelque chose au plafond, quelque chose qui s'y trouve déjà, si tu peux le voir comme je le vois..."»

Barbares
6.9

Barbares

Barbarians

Sortie : 19 octobre 2023 (France). Science-fiction, Nouvelle

livre de Rich Larson

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« "Nous avons été élevés sur Vieux-Lire, ajoute Y. Le tout dernier bastion croulant de la Maison Novak. Un fantôme de sa gloire ancestrale. Un lieu pareil nourrit l'imagination, Et, par la suite, l'ambition.

- J'en ai entendu parler." C’est vrai : Vieux-Lire est l’un des mondes intérieurs des nébuleuses colonisés il y a un bail — peut-être même avant que l'humanité édifie son premier portœil. "Il y a des jardins nocturnes, non ?"

Leurs regards s’éclairent.

"Massifs, labyrinthiques, oui, dit X. De taille à engloutir une ville entière. Notre gouvernante nous promenait de l’un à l’autre, puis au suivant. Cela a duré quatre ans." Il titube, se plie en deux pour poser les mains sur le spath, se redresse et lève les yeux. "Nous voulions les voir tous avant qu’ils ne meurent, vous comprenez."

Un écosystème peut s'effondrer pour maintes raisons, et j'ai toujours considéré ces vastes jungles bioluminescentes sur Vieux-Lire comme délicates, mais sa façon d’en parler me donne un peu la chair de poule.

"Une maladie ?

- Un incendie, répond Y d’un air triste. Plusieurs, en fait. »

« On ressort dans une salle caverneuse flanquée de vastes murs parasismiques ornés de bas-reliefs usinés et de lampes à décalage vers le rouge que notre présence fait s'ouvrir tels les yeux croûtés par le sommeil d'un géant. Des volutes de vapeur à hauteur de cheville, sans doute des retombées des souffles, dissimulent le sol. Membrane gonflée évoquant des nuages, le plafond pulse, éclairé de l'intérieur par les lueurs périodiques des charges électriques qui entrent en collision. Le tout s'enfle et se rétracte en rythme comme les poumons d'un dieu endormi. « C'est le soufflet, l'un des organes dévolus aux échanges gazeux. » Je cherche du regard le tissu cicatriciel, vu que les ouvriers ont dû exciser un lobe entier pour loger cette poche d'infrastructure. « Pas étonnant que le nagevide soit mort. » » 


« Une géante gazeuse orange et violette a attiré dans son orbite la carcasse, satellite de chair et d'os rétroéclairé par les orages qui tournoient à la surface de la planète. La taille me sidère à chaque fois. Mes yeux ont de la peine à l'appréhender : ils suivent le bord d'un cratère, s'avisent qu'il s'agit de la crête d'un évent, prennent du recul, encore et encore... »

Battling le ténébreux
8

Battling le ténébreux (1928)

Ou La mue périlleuse

Sortie : 21 septembre 1928. Roman

livre de Alexandre Vialatte

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Fallait-il qu'à tant d'années de distance il retrouvât au fond de lui les mêmes éléments obscurs dans son amour pour l'étrangère, cette pitié pour lui, pour elle, cette haine, ce besoin de souffrir et de faire souffrir, cette avidité de gâcher sa chance et ce désir qui trouvait sa forme la plus aiguë, la plus déchirante, dans la détresse, cette volupté du regret qu'il voulait ajouter d'avance à l'irritation du désir ? »

« Et voici qu'il la retrouvait cruellement installée auprès de lui sous la tonnelle, avec son sourire pervers et malheureux, au seuil de l'étrangère indifférente dont le reflet, pâle comme une ondulation de l'air chaud, flottait sur les jardins exaspérés. Quel rêve, quel idéal, quel caprice où Battling n'avait point de part, occupaient son cœur indéchiffrable ? De qui s'étaient occupés ses beaux bras, ses mains blanches, sa bouche étrange, ses yeux pleins de pays et de figures lointaines ? Comment rencontreraient-ils jamais ce petit masque douloureux de gamin perfide assis entre deux poubelles dans une cour d'immeuble misérable, et pleurant sur sa méchanceté, sur sa tristesse, à l'heure de la première étoile où les pianos des quartiers riches distillent toute la nostalgie des sédentaires dans le crépuscule navrant ? »

« Je ne sais quel vieux charme rustique semblait monter des planchers de cette auberge, quelle hallucination tremblante se dégageait des prairies vespérales quand le premier brouillard s'élevait. On voyait au loin quelques becs de gaz patrouiller dans les faubourgs tristes où le camion d'un brasseur passe sans but entre des murs d'entrepôt fleuris d'affiches électorales que le vent déchire.
C'était à l'auberge de Mexico que, fumant en silence nos premières cigarettes, nous nous inventions des pays et des bonheurs qui n'existent pas ; c'était là que, souverains taciturnes, nous régissions des empires surnaturels. C'était là que nous lisions Toulet, Levet, Laforgue, que nous commentions l'existence et que nous nous illusionnions d'une façon méritoire sur les qualités du rhum-fantaisie. Les premières heures du soir, lavant le monde des réalités diurnes, dégageaient de la campagne visionnaire une sorte de mythologie rustique qui renouvelait la planète pour notre usage personnel. Bien que les éléments traditionnels de la féerie n'eussent absolument rien à voir dans ces histoires, il se passait là entre chien et loup d'étranges chose »

Le Tableau du maître flamand
7.1

Le Tableau du maître flamand (1990)

La tabla de Flandes

Sortie : 1993 (France). Roman

livre de Arturo Pérez-Reverte

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« L’ovale de son visage était délicat, parfait, et la ressemblance avec les vierges de la Renaissance trouvait sa confirmation dans chaque nuance, dans chaque détail. Pas une vierge à la manière des Italiennes consacrées par Giotto, gouvernantes et nourrices, parfois amantes, ni des Françaises, mères et reines. Vierge bourgeoise, épouse de maîtres syndics ou de nobles propriétaires de plaines vallonnées, semées de châteaux, de hameaux, de cours d’eau et de clochers comme celui qui se dressait au milieu du paysage, de l’autre côté de la fenêtre. Un peu vaniteuse, impassible, sereine et froide, incarnation de cette beauté nordique a la maniera ponentina qui eut tant de succès dans les pays méridionaux, l’Espagne et l’Italie. Et les yeux bleus, ou que l’on devinait de cette couleur, avec leur regard oublieux du spectateur, apparemment tout fixé sur le livre et pourtant pénétrant comme celui de toutes les Flamandes peintes par Van Huys, Van der Weyden, Van Eyck. Des yeux énigmatiques qui jamais ne révélaient ce qu’ils regardaient ou désiraient regarder, ce qu’ils pensaient. Ce qu’ils sentaient. » 

« Dans cette relation spirituelle délicate et souvent malaisée qui s’établit entre tout restaurateur et son œuvre, dans l’âpre combat que se livrent conservation et rénovation, la jeune femme avait la qualité de ne jamais perdre de vue un principe fondamental : une œuvre d’art n’est jamais remise sans graves dommages en son état originel. Julia était d’avis que le vieillissement, la patine, et même certaines altérations des couleurs et vernis, certaines imperfections, retouches, reprises, se transforment avec le passage du temps en un élément aussi important de l’œuvre d’art que l’œuvre proprement dite. Peut-être était-ce pour cette raison que les tableaux qui passaient entre ses mains en revenaient non pas revêtus de couleurs nouvelles et de lumières insolites, prétendument orig originales – courtisanes maquillées, disait César de ces restaurations –, mais nuancés avec une délicatesse qui intégrait à l’ensemble les marques du temps. »

Café Salé.net Artbook 03
8.3

Café Salé.net Artbook 03

Sortie : 2 juillet 2009 (France). Beau livre

livre de Collectif Café Salé

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Brosa ; Paul Chadeisson ; Thimothy Rodriguez ; Yohann Schepacz ; Vincent Levêque ; Miguel Coimbra & Edouard Guiton ; Remi Farjaud, Orkimede ; Marie Ecarlat ; Michel Koch ; Anthony Wolff ; Gaetan Henrioux ; ...

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