Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

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Liste de

707 livres

créée il y a plus de 5 ans · modifiée il y a environ 3 heures
Le Château des Carpathes
6.9

Le Château des Carpathes (1892)

Sortie : 1 décembre 1892. Roman

livre de Jules Verne

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le docteur venait de se relever, se demandant s'il était éveillé, ou s'il se trouvait sous l'influence d'un cauchemar.

En effet, là-haut, il crut voir – non ! il vit réellement des formes étranges, éclairées d'une lumière spectrale, passer d'un horizon à l'autre, monter, s'abaisser, descendre avec les nuages. On eût dit des espèces de monstres, dragons à queue de serpent, hippogriffes aux larges ailes, krakens gigantesques, vampires énormes, qui s'abattaient comme pour le saisir de leurs griffes ou l'engloutir dans leurs mâchoires.
Puis, tout lui parut être en mouvement sur le plateau d'Orgall, les roches, les arbres qui se dressaient à sa lisière. Et très distinctement, des battements, jetés à petits intervalles, arrivèrent à son oreille.
« La cloche… murmure-t-il, la cloche du burg ! » Oui ! c'est bien la cloche de la vieille chapelle, et non celle de l'église de Vulkan, dont le vent eût emporté les sons en une direction contraire. »

*

« Et, pourtant, la traversée de cette zone d'arbres allait offrir de réelles difficultés. Des ormes, des hêtres, quelques-uns de ces érables qu'on nomme « faux platanes », de superbes chênes, en occupaient les premiers plans jusqu'à l'étage des bouleaux, des pins et des sapins, massés sur les croupes supérieures à la gauche du col. Magnifiques, ces arbres, avec leurs troncs puissants, leurs branches chaudes de sève nouvelle, leur feuillage épais, s'entremêlant de l'un à l'autre pour former une cime de verdure que les rayons du soleil ne parvenaient pas à percer. »

Georges de La Tour

Georges de La Tour (2025)

Entre ombre et lumière

Sortie : 10 septembre 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Gail Feigenbaum, Pierre Curie et Paulette Choné

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Pour Jacques Thuillier, l'histoire de La Tour est devenue en 1972 celle de sa redécouverte : "La Tour est le triomphe de l'Histoire de l'art, et sa justification. Car La Tour n'existerait pas sans l'Histoire de l'arts." Ironiquement, c'est d'abord l'histoire de l'art qui a oublié La Tour : Roger de Piles, André Félibien ou Jean Pierre Mariette n'ont jamais prononcé son nom. C'est Dom Calmet, un historien local, qui, en 1863, conduit l'architecte lorrain Alexandre Joly vers les archives et vers des documents essentiels sur la vie du peintre. Pour autant, on ne connaît pas de tableaux de La Tour avant 1915, date à laquelle Hermann Voss fait le rapprochement avec un Reniement de saint Pierre signé, à Nantes qu'il relie, sur une simple base visuelle, à L'Ange apparaissant à saint Joseph de la même collection, et au Nouveau-Né, à Rennes. À partir de ce corpus de trois tableaux, les historiens de l'art se lancent dans une reconstitution du parcours du peintre.
En 1934, l'exposition "Les peintres de la réalité en France au XVIIe siècle" présente au public treize de ses œuvres. C'est le coup de foudre. Pour Roberto Longhi, l'historien de l'art italien célèbre pour avoir redécouvert Caravage, La Tour est le gentilhomme masqué du caravagisme (qui avait par ailleurs disparu en Europe), particulièrement moderne, intelligent et mystérieux dans son décryptage des sujets religieux'. En 1948, le magnum opus de Georges Pariset sur La Tour fixe le programme des études pour le demi-siècle qui suit [...]. La Tour enchante le public en 1972, lors de la rétrospective organisée à l'Orangerie par Jacques Thuillier et Pierre Rosenberg. »

*

« Nous disposons désormais sur La Tour tures - bien que partiel -, quantité de documents biographiques et des recherches éclairantes sur le contexte lorrain. Cette somme est aujourd'hui presque importante que celle concernant Caravage, artiste aussi brillant et aussi controversé. Les nombreuses copies de La Tour ont donné lieu à de précieuses recherches. Les connaissances scientifiques d'Élisabeth Martin et de restaurateurs constituent une ressource d'une portée capitale. Ce qui, en 1997, semblait faire consensus sur la chronologie et le statut autographe d'un grand nombre de tableaux s'est avéré plus compliqué. Les experts continuent d'argumenter et de changer d'avis, et des toiles autrefois considérées comme des copies sont réévaluées à mesure qu'évolue notre compréhension des pratiques de La Tour. »

Humiliés et offensés
8.1

Humiliés et offensés (1861)

Униженные и оскорбленные

Sortie : 1866 (France). Roman

livre de Fiodor Dostoïevski

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ceci dit, je dois tout avouer franchement : est-ce à cause de mes nerfs malades, ou des impressions liées à ce nouveau logement, ou de ma mélancolie, petit à petit et progressivement, je m’étais mis à sombrer, dès que le soir commençait à tomber, dans cet état d’esprit qui me prend si souvent aujourd’hui, la nuit, avec ma maladie, et que j’appelle l’effroi mystique. C’est la peur la plus effroyable, la plus torturante, de je ne sais pas quoi, de quelque chose que je ne peux pas définir, quelque chose d’insaisissable, d’inexistant dans l’ordre de la vie, mais qui doit se réaliser absolument, peut-être à la minute, qui viendra me trouver comme pour se moquer de toutes les déductions de la raison et se dressera devant moi comme un fait indéniable, affreux, monstrueux, inflexible. Cette peur grandit généralement de plus en plus, malgré toutes les déductions de mon intelligence, au point que, finalement, l’esprit, même s’il acquiert pendant ces minutes-là, peut-être, une clarté encore plus grande, n’en perd pas moins toute capacité de résister aux sensations. On ne l’écoute pas, il devient inutile, et ce dédoublement renforce peut-être encore l’angoisse craintive de l’attente. J’ai l’impression que telle doit être un peu l’angoisse des gens qui craignent les revenants. Mais, dans mon angoisse à moi, le vague même du danger renforce encore les tortures. »

*

« J’abandonnai la plume et m’assis à la fenêtre. La nuit tombait et je me sentais de plus en plus triste. Toutes sortes de pensées oppressantes m’envahissaient. Il me semblait toujours que j’achèverais de me perdre à Pétersbourg. Le printemps approchait ; je me ranimerais, je crois bien, me disais-je, si je m’échappais hors de cette coquille vers la lumière du monde, pour respirer l’air des champs frais et des forêts : comme il y avait longtemps que je ne les avais plus revus !… Je me souviens, l’idée me vint qu’il ne serait pas mal, par une espèce de tour de magie ou de miracle, d’oublier complètement tout ce que j’avais vécu ces dernières années : tout oublier, se rafraîchir la tête et tout recommencer avec des forces nouvelles. A ce moment-là, j’en rêvais encore et j’espérais une résurrection. “Ou même me retrouver chez les fous, peut-être, finis-je par conclure, pour qu’au moins tout le cerveau se retourne dans la tête et qu’il se replace autrement, et puis, après, pouvoir guérir.” Oui, je l’avais, cette soif de la vie, et cette foi en elle !… Mais, je me souviens, j’ai éclaté de rire tout de suite. »

Séries parisiennes

Séries parisiennes (2024)

Vues de quartier

Sortie : 27 juin 2024. Poésie

livre de Etienne Faure

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« Comme on part en vitesse refaire sa vie, un soir d'été il arrive, à l'angle d'une rue adoucie par un bar, qu'une rencontre avec des yeux complices, présumés tels, l'espace d'un éclair tétanise le temps. La peau aimantée par l'orage offre alors cet aspect nommé d'un raccourci de plume chair de poule.
Et pour garder la contenance - ce menu geste en tenant lieu - on prend un verre, épousant discrètement du regard, compliment réversible, une forme assez compliquée de félicité, au moindre éclair des yeux, avec leurs façons proches, à la fin presque amis, séduit. »

*

« Les yeux selon la langue imprimée dans le tremblement du métro-haut en bas, droite à gauche ou l'inverse- font un aller-retour avec les têtes, opinent, non, dénient et vibrent. Oui j'ai vécu un an avec un livre en français dans la poche, sous les yeux, dans la poche, qu'un incessant transport maintenait en vie, parfois rouvert à l'air libre au-dessus des eaux puis enfoui de nouveau sous la ville.
Sans précédent sous terre à chercher la ligne, j'ai marché, rattrapé par le néant des aieux sans racines, eux qui n'auront bientot jamais existé, denoué leur langue - et nulle correspondance. »
sur la ligne

Andromaque
7.5

Andromaque (1667)

Sortie : 1667 (France). Théâtre

livre de Jean Racine

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

PYRRHUS.

« Moi l’aimer ? une ingrate
Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte ?
Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi !
Je puis perdre son fils, peut-être je le doi ;
Étrangère… que dis-je ? esclave dans l’Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire ;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D’autre rang que celui de son persécuteur ?
Non, non, je l’ai juré, ma vengeance est certaine ;
Il faut bien une fois justifier sa haine :
J’abandonne son fils. Que de pleurs vont couler !
De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler !
Quel spectacle pour elle aujourd’hui se dispose !
Elle en mourra, Phœnix, et j’en serai la cause :
C’est lui mettre moi-même un poignard dans le sein. »

ORESTE.

« Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance !
Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance !
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir ;
Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;
J’étais né pour servir d’exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.
Eh bien ! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie ;
L’un et l’autre en mourant je les veux regarder :
Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder…
Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ?
De quel côté sortir ? D’où vient que je frissonne ?
Quelle horreur me saisit ? Grâce au ciel, j’entrevoi…
Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi ! »

Agéladas d'Argos

Agéladas d'Argos (2025)

Contre Thèbes

Sortie : 5 novembre 2025. Théâtre, Essai

livre de Pierre Michon

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Je vous le redis : je sais compter.
Agéladas et Eschyle ont fait Les Sept. Michon a fait Les Onze.
Et les Sept comme les Onze sont penchés sur le dur accomplissement de la cité libre.
Tous les Sept donc, de gauche à droite : Parthénopée l’Arcadien, Tydée, Capanée, Étéoclos, Polynice, Hippomédon, Amphiaraos.
L’Amant de la mort, la Lune, le Fer rouge, l’Étalon, le Roi, le Géant, le Chamane. Les Sept. Le commando au complet.
Et tous debout.
On a beau faire, le Tydée les dépasse tous.
Tydée est le plus beau tueur de l’histoire de l’art.
Et alors ? « Un nombre incalculable de fois, quelqu’un a tué quelqu’un », comme dit le roman où j’étais plongé dans le train qui nous a débarqués dans ce bled. »

*

« Bleu est plus puissant que rouge. Tant pis pour le feu des démiurges et celui qui fond mes airains.
Bleu est un despote : à lui tout le ciel et la mer, tout le jour et la nuit. Il est le grand manteau – et la grande déchirure du manteau est bleu de nuit, aussi. L’autre grande fissure, pareil.
Je ne fonds mes figures que pour qu’elles apparaissent au sein du bleu. Que ceux qui les peindront se débrouillent avec. »

*

« Et ça remonte plus haut, chez les rabbis, c’est même depuis le début : les deux frères flingueurs Abel et Caïn, puis le retour des frères flingueurs une génération sur deux, toute une mer dépliée pour engloutir l’armée de Ramsès, et leurs propres rois tueurs, tous, Josué, Saül, David, Achab. Et pourquoi en rester au pays bleu des rabbis ? Pas besoin même d’un détour par Ninive, où on écorchait vif si joliment. Cette férocité vient de beaucoup plus loin, elle est dans l’eau et le nuage, dans la vigne et le cuivre, dans le lierre aux grandes dents cachées fouillant sous le leurre des jolies feuilles et effondrant les murailles – bien avant que le bipède ne tue des bœufs à Lascaux. C’est que le Tydée est un des rares qui regarde en face ces forces. Ces puissances. Qui en est peut-être même une, si c’est concevable chez un homme. Une exception rarissime. Dans le bien comme dans le mal. Et le plus souvent les deux mêlés.
Tout cela Eschyle ne l’a pas bien compris, en dépit des félicitations qu’il s’envoie, lui qui ne sait même pas faire parler le bronze. »

L'Événement
8

L'Événement (2000)

Sortie : 14 mars 2000. Roman

livre de Annie Ernaux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« J'ai effacé la seule culpabilité que j'aie jamais éprouvée à propos de cet événement, qu'il me soit arrivé et que je n'en aie rien fait. Comme un don reçu et gaspillé. Car par-delà toutes les raisons sociales et psychologiques que je peux trouver à ce que j'ai vécu, il en est une dont je suis sûre plus que tout : les choses me sont arrivées pour que j'en rende compte. Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l'écriture, c'est-à-dire quelque chose d'intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. »

*

« Sœur Sourire fait partie de ces femmes, jamais rencontrées, mortes ou vivantes, réelles ou non, avec qui, malgré toutes les différences, je me sens quelque chose de commun. Elles forment en moi une chaîne invisible où se côtoient des artistes, des écrivaines, des héroïnes de roman et des femmes de mon enfance. J'ai l'impression que mon histoire est en elles. »

*

« (Ces noms et les cotes, Per m 484, nos 5 et 6, Norm. Mm 1065, figurent sur la page de garde de mon carnet d'adresses de cette époque. Je regarde ces traces gribouillées au stylo à bille bleu avec un sentiment d'étrangeté et de fascination, comme si ces preuves matérielles détenaient, de façon opaque et indestructible, une réalité que ni la mémoire ni l'écriture, en raison de leur instabilité, ne me permettront d'atteindre.) »

*

« Les mois qui ont suivi baignent dans une lumière de limbes. Je me vois dans les rues en train de marcher continuellement. À chaque fois que j'ai pensé à cette période, il m'est venu en tête des expressions littéraires telles que « la traversée des apparences », « par-delà le bien et le mal », ou encore « le voyage au bout de la nuit ». Cela m'a toujours paru correspondre à ce que j'ai vécu et éprouvé alors, quelque chose d'indicible et d'une certaine beauté. »

Le K
7.6

Le K (1966)

Il colombre e altri cinquanta racconti

Sortie : 1967 (France). Recueil de nouvelles

livre de Dino Buzzati

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ils n’ont pas perdu de temps, ces messieurs, ils sont nés, ils ont grandi, et rapidement ils sont partis pour toujours. Quelques saisons leur ont suffi pour conquérir la gloire immortelle. Et moi, qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Ce n’est pas que je veuille me comparer à ces génies. Mais qu’est-ce que j’ai réussi à faire ? Comparé à l’un d’eux j’ai déjà eu le privilège de vingt ans supplémentaires ; comparé aux autres, de dix, de quinze. Et je reste là à me tourner les pouces, je regarde autour de moi, j’attends, comme si le beau côté de la vie était encore à venir et qu’il n’y eût aucune urgence. Arrivé à ce point j’éprouve une sensation de précipice sous mes pieds, le remords du temps gâché, le vertige du vide et de la vanité.
Ce petit jeu numérique dans les salles des grands musées est amer et décourageant. Pourtant il s’agit en général de personnages de l’antiquité ou de la légende et dans le fond très éloignés de moi. La confrontation avec son propre père est beaucoup plus forte et troublante. »

*

[Hollow Knight :]
« La kermesse de la mort avait commencé au crépuscule. Maintenant elle était au paroxysme de la frénésie. Et elle continuerait jusqu’à l’aube. Partout ce n’était que massacre, supplice, tuerie. Des scalpels défonçaient des crânes, des crochets brisaient des jambes, fouillaient dans les viscères, des tenailles soulevaient les écailles, des poinçons s’enfonçaient, des dents trituraient, des aiguilles inoculaient des poisons et des anesthésiques, des filets emprisonnaient, des sucs érosifs liquéfiaient des esclaves encore vivants. Depuis les minuscules habitants des mousses : les rotifères, les tardigrades, les amibes, les tecamibes, jusqu’aux larves, aux araignées, aux scarabées, aux mille-pattes, oui, oui, jusqu’aux orvets, aux scorpions, aux crapauds, aux taupes, aux hiboux, l’armée sans fin des assassins de grand chemin se déchaînait dans le carnage, tuant, torturant, déchirant, éventrant, dévorant. Comme si, dans une grande ville, chaque nuit, des dizaines de milliers de malandrins assoiffés de sang et armés jusqu’aux dents sortaient de leur tanière, pénétraient dans les maisons et égorgeaient les gens pendant leur sommeil. »

Dante et Virgile aux enfers

Dante et Virgile aux enfers (2004)

d'Eugène Delacroix

Sortie : 1 avril 2004. Beau livre & artbook, Essai, Peinture & sculpture

livre de Sébastien Allard

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Pire, il n'hésitait pas à franchir les limites auxquelles Géricault, dans son grand tableau de Salon du moins, s'était arrêté : la sauvagerie humaine jusqu'au cannibalisme. Son sujet cependant le justifiait en partie; la caution littéraire, même un peu suspecte comme pouvait encore l'être celle de Dante, rendait la représentation acceptable. Se mettent alors en place, et comme en chiasme, les ingrédients de ce qui fera, en 1824 et en 1827, la bataille romantique : la dignité et la valeur éthique de la représentation, l'autonomie de la couleur, la dimension politique de l'art.

Tout tournait donc, dans ces années 1820, autour de la question du sujet. Delacroix, qui bénéficiait de l'expérience de Géricault, en était parfaitement conscient. Encore indécis sur ce qu'il allait peindre, il écrivit, le 15 septembre 1821, à son ami Soulier : "Je propose de faire un tableau pour le Salon prochain, dont je prendrai le sujet dans les guerres récentes des Turcs et des Grecs. Je crois que, dans les circonstances, si d'ailleurs il y a quelque mérite dans l'exécution, ce sera un moyen de me faire distinguer." »

*

« L’urgence qui le contraignit à abréger les temps de séchage, la façon qu'il eut de superposer les couches de peinture et de déplacer des figures entières finirent par se révéler, quelques années plus tard, désastreuses. Delacroix, encore inexpérimenté mais bien décidé à briller les étapes, avait joué les apprentis sorciers. Les couches sombres sous-jacentes séchant plus vite que les claires en surface provoquèrent d'énormes craquelures, des gerçures. Le visage de Dante, en 1855, était traversé de ces balafres béantes, laissant apparaître des sous-couches vertes. Alarmé par ces problèmes, le maître écrivit, en décembre 1859, au comte de Nieuwerkerke : "J'ai été frappé des progrès rapides qu'ont fait les gerçures sur mon tableau du Dante et Virgile; Il n'est pas difficile de voir que si une réparation radicale [...] n'est pas pratiquée dans un court délai, le tableau sera entièrement perdu". Delacroix, insistant, finit par obtenir, en février 1860, l'autorisation de le restaurer lui-même. »

Les Héraclides

Les Héraclides (1995)

Sortie : 1995 (France). Articles & chroniques

livre de Jean Giono

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Les Grecs n'aiment pas. C'est pourquoi, dans cette histoire, ils seront battus. C'est pourquoi ils vont avoir le sort de ceux qui n'aiment pas. Le destin va les leurrer de victoires furtives. Les dieux sont avec eux : périlleuse compagnie. La mer se laisse boire : fâcheux symptôme, la sagesse les conseille : irrémédiable désastre. Comment vivre après ces coups ? Ils habiteront un pays d'or et de poussière où la joie aura les narines sèches. Ils n'approcheront du Lotos que dans une légende d'aveugle. Terrifiés des mystères de la lumière, ils seront avides de brumes et de cieux cimmériens. Ils seront sans mélancolie. Ils vaincront les Perses. A part quelque pâtre perdu au sommet du Taygète, ils auront des vies rapides, en spirale courte, au milieu des matières les plus précieuses du monde, et ils finiront dans l'immobilité de la guêpe, au sein de l'ambre. »


*

(Le Dit du Genji)

« Dans le premier livre du Roman de Genji, que Mme Murasaki écrivit au Japon aux environs de l'an 1000, il y a un extraordinaire passage sur la peinture. Genji, qui est un prince et un Don Juan, s'abrite d'un violent orage nocturne dans le hall d'un château en ruines de la forêt. Avec ses compagnons et son escorte, il fait du feu et tout le monde essaye de passer le temps en discourant à bâtons rompus sur les choses de la vie. On parle des femmes de la gloire, des honneurs, de la politesse, des combats, des arts en général, et Genji, lui-même, plus particulièrement de la peinture. Il dit: "Les peintres (il parle des peintures de l'an 1000 au Japon, mais il semble parler des peintres de tous les pays et de tous les temps), les peintres peignent volontiers les volcans jetant des flammes ou des combats d'empereur : il y a plus de peinture dans une pomme sur une nappe". Il nous faudra, à nous Occidentaux. Encore neuf cents ans pour en arriver à la même constatation. »

Le Voleur
7.2

Le Voleur (1996)

Le Voleur de la Reine, tome 1

The Thief

Sortie : 3 octobre 2025 (France). Roman, Fantasy

livre de Megan Whalen Turner

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Tandis que nous marchions, la plupart du temps en file indienne, Sophos a continué de parler.
"Gen ? Si tu pouvais être n'importe où, où serais-tu ?
— Au lit, ai-je soufflé. Un grand lit au cadre ouvragé, dans une chambre bien chauffée avec de nombreuses fenêtres. Et des draps, ai-je dit après encore quelques pas en imaginant le tissu contre mes pieds endoloris, aussi beaux que ceux qu'ils vendent sur la Voie sacrée. Et il y a aussi une cheminée, ai-je ajouté, emporté par ma rêverie. Et des livres.
— Des livres ? s'est étonné Sophos.
Des livres, ai-je répété avec fermeté, me fichant que le Mage trouve l'idée étrange lui aussi. Des centaines de livres. Toi, tu serais où ?
— Sous l'abricotier, dans le jardin de ma mère dans notre villa. Je regarderais jouer mes petites sœurs, et chaque fois que j'en aurais envie, je n'aurais qu'à tendre le bras pour cueillir un abricot.
— IIs ne sont pas mûrs à cette période de l'année. »


*

« — Mais je serai célèbre.
— Oh, tu l'es déjà, Gen...", a-t-il affirmé avec pitié.
L'idée m'aurait amusé si le ricanement d'Ambiades ne m'avait pas tant piqué au vif. J'ai changé de sujet. "Et Sounis vous fait confiance pour lui rapporter la pierre ?
— Bien entendu", a sèchement rétorqué le Mage.
J'avais touché un point sensible. Il s'était assuré de la confiance de Sounis en détruisant les fameuses archives afin que personne d'autre que lui ne puisse retrouver le Don. "Vous en êtes certain ? l'ai-je taquiné. C'est peut-être pour cette raison que Pol est avec nous. C'est peut-être vous que l'on poignardera dans le dos." »

Ruines-de-Rome
6.7

Ruines-de-Rome (2002)

Sortie : janvier 2002. Roman

livre de Pierre Senges

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Mettre sur pied une Apocalypse en forme de jardin d’agrément, faire pousser dans chaque quartier de quoi efflanquer les digues, entretenir un potager envahissant : tout cela exige des fonds, et le jardinier doit apprendre combien coûte, au brin près, cette herbe minuscule qui pousse entre deux pavés. Il peut aller quérir de l’argent auprès d’un Médicis (d’un Guggenheim : puisque ses jardins aspirent à l’œuvre d’art, et ses prophéties à l’abstraction) : un Médicis sur la fin de ses jours pourrait, magnifique, solder ses émeraudes, vendre un morceau de vrai Braque ou hypothéquer le marbre de ses domaines pour financer ma campagne (sur la fin de ses jours : afin qu’il ne redoute pas une mort précoce, et ne considère pas toute eschatologie d’un mauvais œil – les jeunes gens ont le défaut de se prévoir un avenir). »

*

« Cependant, quelles que soient mes ambitions, mes rêves de sédition ou d’apocalypse sans cesse reportés au lendemain, je ne fais rien – et je reste seul : je suis le chef d’une troupe sans troupe. Peut-on croire à des révoltes menées dans la solitude ? – pas seulement en solitaire mais pire, en esseulé ? peut-on croire à des foules d’un seul homme, des longues marches sans rien ni personne, un meneur abandonné de tous ? Un cocktail Molotov, entre les mains d’une bande, est un flambeau apache, une arme rustique mais menaçante – dans les mains du solitaire, un cocktail Molotov n’est qu’une bougie d’anniversaire (le sien : la fête que tout le monde néglige) ou une lampe à huile mal fichue, vite épuisée, au mieux une crêpe flambée qui se donne en spectacle. »

*

« Ma campagne paresseuse, silencieuse, lente (et, surtout, tentée par la procrastination : sans cesse occupée à renvoyer l’échéance au lendemain) ne signifie pas toujours l’impuissance, l’indigence ou la défaite, l’avènement reporté à plus tard, masqué ou retardé par d’infinis préliminaires ; l’aspect nonchalant de mes cultures qui ignorent la brièveté des déflagrations ne dit rien de l’ampleur de la tâche ou de mon ambition. J’ai pour moi la précision, la hargne peut-être (en tout cas le temps libre) de l’amateur. Du seul point de vue juridique, il est préférable de dissimuler ses exactions sous la forme d’un passe-temps – pour me donner l’air innocent je taquinerais le goujon. »

Traduction vers le rose
7

Traduction vers le rose (2023)

Sortie : 28 avril 2023. Fantasy

livre de Esmée Dubois

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Enfin, à toutes les fêtes, royales ou secrètes, j'allais ornée de passiflore. Les feuilles de cette plante se chargeaient de capturer les mots et ses fleurs, réglées au maximum de leur amplitude, capturaient les mélodies. Car il est important, dans une monarchie comme la nôtre où jamais rien ne fut écrit, où toutes les décisions furent dites ou chantées, d'avoir aussi un archivage des harmonies et de la musique. Ma pépinière garde, dans ses racines, tous les mots du règne de Reine mais aussi toutes les chansons qui furent inventées durant cette ère, ainsi qu'elle l'a voulu. Les pastorales des jours heureux, les valses, les hymnes et les rondes côtoient, piégés sous la terre, les complaintes désespérées, les incantations dangereuses et les appels les plus éloquents au massacre et révolution. Une fois les discours, complots, dialogues, mélodies et déclarations piégés dans les feuilles de mes plantes, je rentrais les rempoter à la pépinière. »

*

« Nos rêves, cette nuit-là, nous dirent qu’il n'était plus possible de tenir ; que c'était la fin. Le ciel noir se déployait au-dessus du Chêne et nous, en son sein, massées les unes contre les autres, réconciliées égales, nous étions persuadées d'en être à la chute de la monarchie de Sable. À la traine de notre propre existence chaude et tiède, nous dormions dans le nuage de nos haleines gelées.
Comme cette longue nuit fut calme ! Comme elle fut belle ! Il y avait un tel silence, entre nous qui dormions, qu'on parvenait presque entendre le murmure cristallin des étoiles. Et à l'aube, quand le froid devint si intense dans le creux du Chêne que nos épais manteaux semblèrent se désintégrer, nous laissant comme nues, l'un des hauts pics scintillants qui entouraient le Chêne produisit un craquement lugubre - conséquence de la morsure du vent glacial. »

*

« Peut-être ont-elles simplement peur - comme presque toutes les personnes que j’ai connues jusqu’ici -, d'être gentilles. C'est le peu que je sais de la vie : être gentille, c’est comme se mettre être nue. Or qui veut être nue ? Peu de gente. La plupart d’entre nous souhaitent porter des vêtements. »

Romain Bernini

Romain Bernini (2025)

Zeugma 01

Sortie : 2025 (France). Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Dominique Gagneux, Romain Bernini et Florent Meng Lechevallier

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Dans le musée et l'abbaye, les objets, les lieux, sont chargés d'une histoire, d'une aura, d'une magie. J'ai souhaité que ces tableaux de regards animaux s'insèrent dans les interstices, entre les œuvres au musée, sur les murs dans l'abbaye, comme une nouvelle présence, incongrue parfois, perturbante, furtive, tel l'animal que l'on croise.) »

*

« J'envisage ces tableaux comme autant de regards vers le public, il y a un jeu entre voir et être vu. C'est l'un des principes de ce musée dont la collection s'articule autour du portrait, du masque. Le cadrage de ces peintures est très serré sur l’œil animal, ce qui fait que l'on ne perçoit pas tout à fait à quelles espèces ils appartiennent. Un sentiment d'étrangeté en émane. C'est une prise de territoire par le regard animal. »

Panta Rhei

Panta Rhei (2025)

Jean-Pierre Formica

Sortie : juin 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Matthieu Bameule

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« En se recomposant lui-même, il s’intègre au site pour mieux l’explorer, ponctuant le parcours de son œuvre révélée. "Au fur et à mesure de l’avancée, le monde s’agrège" : là où n’est plus ellipse, infinie, éthérée… Elle est là avec son langage incarné, elle nous parle par ceux qui l’interrogent. Les pièces de ce puzzle contemporain recomposeraient ainsi une histoire sous-jacente, un récit nouveau car éternel entre mémoires mêlées des populations venues des rives voisines des pays du Levant, d’Afrique ou du monde latin. Avec Formica, on voit prendre corps cette expression fugace d’une perspective antique. Par la physiologie même de son œuvre, on découvre une histoire dissimulée : la contemporanéité du geste et l’esprit d’une danse sur ce monde englouti dans le souvenir de la pierre et de l’eau, des âges de la vie qui s’efface, l’ivresse des lieux impossibles et de son art qui passe. “J’aime les effacements sur lesquels on reconstruit.” Les écailles du temps, les stigmates du passage, le rappel de l’impermanence. Car il semblerait que, dans les Alyscamps, on soit invité, on ne s’y installe pas… Non plus une destination mais déjà un passage. »

« Il peut y lire la stratification par le surgissement des époques, les sursauts du temps, l’entrebâillement des vestiges… Un coup d’œil indiscret dans l’intimité des ténèbres, là où résonne encore la parole suspendue des résidents. Archéologue, son analyse stratigraphique permettra d’établir une chronologie des événements mémoriels, des séquences d’émotions fossiles, de ramener à la surface le souvenir d’artefacts pris dans les couches de sédiments du site de prospection.
Quelles ombres viennent se mêler à la danse des branchages ? Qui anime encore ces lieux ? Et cette silhouette que l’on entraperçoit à la lumière hivernale lovée dans le feu d’un soleil de justice ? Que devinera-t-on dans l’éclairage sans appel de février dessinant toutes formes avec la cruauté d’une ligne chirurgicale ; ou à la révélation d’une lueur intime dans la sombre touffeur estivale aux murs humides des pierres romanes ?
Cette macération des résidus d’histoire avec les mousses et lichens, les mycorhizes et champignons rampant dans le tréfonds des chapelles. Et un infime rai de lumière se faufile par les craquelures d’un volet de fortune.
Voici la pénétration du temps dans les entrebâillements des rochers, dalles chaotiques et entrelacs racinaires. »

Je me souviens
7.6

Je me souviens (1976)

Sortie : 1976 (France).

livre de Georges Perec

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Je me souviens de SensCritique.

Le Livre du large et du long
7.1

Le Livre du large et du long (2023)

Sortie : 10 mars 2023. Roman, Poésie

livre de Laura Vazquez

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« flétrissaient
obscurcissaient
mûrissaient franchissaient noircissaient
vomissaient diarrhéessaient
rugissaient
compagnie compagnie
et fleurissaient nos noms
interchangeables et sans nombre
très remplis de fantômes

nos visages resserrés vivant sur eux-mêmes

il aurait mieux valu qu’ils soient de grandes
étendues tu ne crois pas

tu ne crois pas

tu ne crois pas

la superficie de la terre : 510 200 000 km²
saturne 42,7 milliards km² jupiter 61,42 milliards km²
mes minuscules mains que je nettoie »

*

« et je demande à l’avenir de tenir bon

tiens bon frérot

et il n’y eut ni treillage de bois ni glycine
ni volée de moineaux ni bruissement ni ciel
ni nom ni voix ni murmures
ni fenêtre ni vieillard ni promesse
ni moula et ni miséricorde
ni morale ni suicide ni paroles ni derniers mots
ni bruissement poussière ni chevilles de fer ni tibias odeur de
cercueil ni même obscurité
ni diables ni djinns ni démons

la pomme ou l’être suivait son instinct
l’instinct d’une pomme

quelque chose de trop noir pour qu’on en parlât »

*

« se refaisant terr et vapeurs et l’eau j’avais de grands déferlements
Plus on prend de l’âge plus le passé n’est
une ancienne vision sur d’autres images
et aucune image ne pourrait être vue car toutes images
recouvertes d’anciennes il n’y a plus d’images
mais uniquement
superposition
Je baisse les yeux
Le sol s’applique à lui-même
Je voulais rendre les choses réelles réelles »

Ça
7.8

Ça (1986)

It

Sortie : 1988 (France). Roman

livre de Stephen King / Richard Bachman

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Bill se tourna vers Richie ; leurs yeux se rencontrèrent. Et Bill crut presque entendre le clic ! qui signalait que l’ultime pièce d’une machine aux fonctions inconnues venait de se mettre en place. Il sentit de petites pointes de glace lui picorer le dos. Nous voici tous réunis, maintenant, pensa-t-il ; cette idée détenait une telle force, une telle justesse, que pendant un instant il ne sut plus s’il l’avait ou non exprimée à voix haute. Mais il n’y avait bien sûr nul besoin de parler ; il lisait la même chose dans les yeux de Richie, dans ceux de Ben, dans ceux d’Eddie, dans ceux de Beverly, dans ceux de Stan. »

« Richie se rendit compte qu’ils se rapprochaient de ce qui était pour eux le monde réel (quoi que ce fût, et bien qu’il crût n’être plus jamais à même de le considérer comme véritablement réel ; il ne pourrait plus le voir que comme un habile décor de théâtre soutenu par tout un entrecroisement de câbles et de montants… des câbles comme les fils d’une toile d’araignée). On va s’en sortir, pourtant, pensa-t-il. On va revenir. On… »

« Mais voici que je fais mon Bill Denbrough, rabâchant comme lui bégayait, revenant toujours sur les mêmes choses, à savoir quelques faits et quantité de suppositions déplaisantes (et plutôt brumeuses) qui prennent un caractère de plus en plus obsessionnel à chaque paragraphe. Malsain. Inutile. Et même dangereux. Mais il est tellement pénible d’attendre les événements !

En principe, ce carnet de notes a pour but de dépasser cette obsession en élargissant mon champ d’observation ; après tout, il ne s’agit pas seulement de l’histoire de sept mômes, tous plus ou moins malheureux, rejetés par leurs pairs et ayant dérapé dans un cauchemar pendant un été caniculaire, alors qu’Eisenhower était encore Président. Si vous voulez, c’est une tentative pour faire prendre du champ à la caméra, afin qu’elle englobe toute la ville, ce lieu où près de trente-cinq mille personnes travaillent, mangent, dorment, copulent, font leurs courses, circulent, déambulent, vont à l’école ou en prison. Et d’où, parfois, ils disparaissent dans les ténèbres. »

Structura 3

Structura 3 (2014)

The Art of Sparth

Sortie : 15 novembre 2014 (États-Unis). Beau livre & artbook, Peinture & sculpture, Version originale

livre de Nicolas Bouvier (Sparth)

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Inspirations : "John Berkey, Ridley Scott, Jeffrey Jones, Vangelis, Stanley Kubrick, Syd Mead, Moebius, Hayao Miyazaki, Katsuhiro Otomo, Ralph McQuarrie, John Harris, Juan Gimenez, Bruce Pennington, Henri Cartier-Bresson, and Craig Mullins—these are the names that automatically come to my mind when I think of inspiration."

*

"During those years, my friend Benjamin Carre helped me to truly understand what was so different about a digital workflow. Stacking layers to randomly find elements that will fit your needs seemed, at first, like an impossible compromise. But with time, you learn to control the accidents, to read within the noise. It’s what makes the digital era so fascinating."

*

"One technique is using primitive shapes like cubes or triangles to make a successful composition, which I find fascinating. Simply put, I absolutely love throwing simple shapes on a canvas to create an interconnected world of visual rhythms and dynamics. There are shapes that work perfectly well together. Lines combined with squares or circles, for example, can produce great combinations.It's all about how forms interact into a single, unified flow. Of course, you need to extrapolate a tangible result out of the interplay, but the concept of primitive shapes prevails nonetheless. If they are put together successfully, they can potentially become the backbone of any thoughtful composition. True, these experiments are not always suitable for production and studio work, but they are vital additions to my explorations, feeding my design senses with new ideas every time I jump into a new painting session."

Survivance des lucioles
7.8

Survivance des lucioles (2009)

Sortie : 2009 (France). Essai

livre de Georges Didi-Huberman

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« On comprend ici qu’il faut au métaphysicien la mort de son objet pour pouvoir se prononcer, au titre d’un savoir définitif, sur sa vérité dernière. À vérités dernières, donc, réalités détruites : tel serait le « ton apocalyptique » des philosophes lorsqu’ils préfèrent aux petites "lueurs de vérité" – qui sont fatalement provisoires, empiriques, intermittentes, fragiles, disparates, passantes comme des lucioles – une grande "lumière de la vérité" qui se révèle, plutôt, une transcendante lumière sur la lumière ou sur des lumières appelées, chacune dans son coin de ténèbre, à disparaître, à s’enfuir ailleurs. »

*

« Les rêves recueillis par Charlotte Beradt transforment la réalité, certes ; mais cette transformation même revêt une valeur de connaissance clandestine, là précisément où une menace, d’être figurée, prendra valeur de diagnostic anthropologique, de prophétie politique, comme un savoir hétérotopique – mais également "hyperesthésique" – du temps vécu le jour par les images rêvées la nuit. Savoir des temps de plomb (chappes trop lourdes, matière des projectiles mortels, couleur de la mélancolie) : "Je vais me cacher dans le plomb. Ma langue est déjà en plomb serré (festgeschlossen). Ma peur passera quand je serai toute en plomb. Je girai immobile, plombée, fusillée (bleierschossen). Quand ils viendront, je leur dirai : les gens en plomb ne peuvent pas se lever".»

*

« On pourrait dire que, dans cette ultime situation, Pasolini se dénudait comme un ver, affirmant ensemble l’humilité animale – proche du sol, de la terre, de la végétation – et la beauté de son jeune corps. Mais, « tout blanc » dans la lueur du soleil qui se lève, il dansait aussi comme un ver luisant, comme une luciole ou une « perle verte ». Lueur erratique, certes, mais lueur vivante, lueur de désir et de poésie incarnée. Or, toute l’œuvre littéraire, cinématographique et même politique de Pasolini semble bien traversée par de tels moments d’exception où les êtres humains deviennent lucioles – êtres luminescents, dansants, erratiques, insaisissables et résistants comme tels – sous notre regard émerveillé. »

Gens de Dublin
7.3

Gens de Dublin (1914)

Dubliners

Sortie : 1974 (France). Recueil de nouvelles

livre de James Joyce

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Un esprit d’indiscipline s’était propagé parmi nous et sous cette influence disparaissaient les oppositions de culture et de tempérament. Nous nous étions ligués en bande les uns avec jactance, d’autres en guise de plaisanterie, certains presque avec frayeur ; je faisais partie des Peaux Rouges forcés qui redoutaient de paraître studieux ou qu’on accusait de manquer de virilité. Les aventures racontées dans la littérature du Wild West étaient loin de ma nature, mais du moins m’ouvraient-elles des portes d’évasion. Je préférais certaines histoires de détectives où de temps à autre passaient de belles filles cruelles et échevelées. Quoiqu’il n’y eût rien de mal dans ces histoires et que leur visée fût parfois littéraire, elles ne circulaient à l’école qu’en secret.
[…]
Mais loin de l’influence restrictive de l’école j’avais de nouveau appétit de ces sensations intenses, j’aspirais à l’affranchissement, que seules semblaient m’offrir ces histoires de révolte, et les jeux guerriers du soir devinrent aussi monotones que la routine de l’école du matin, je désirais tellement que des aventures réelles m’arrivassent. Mais les vraies aventures, me disais-je, n’arrivent pas à ceux qui restent à la maison ; il faut les chercher au-dehors. »

*

« Avec les jours courts de l’hiver, le crépuscule tombait avant que nous ayons fini de dîner, et quand nous nous retrouvions dans la rue, les maisons étaient déjà toutes sombres. Le coin de ciel au-dessus de nous était d’un violet toujours changeant ; et vers lui les réverbères de la rue tendaient leurs faibles lanternes. L’air froid nous piquait et nous jouions jusqu’à ce que nos corps fussent tout échauffés. Nos cris se répondaient dans la rue silencieuse. Le cours de nos jeux nous entraînait, par les ruelles boueuses et sombres, jusque derrière les maisons, où nous portions des défis aux tribus qui peuplaient les masures ; jusqu’aux portes des jardins obscurs et mouillés, d’où montaient les odeurs des trous d’ordures ; jusqu’aux écuries noires et odorantes, où le cocher étrillait et lustrait le cheval, ou faisait sonner les harnais aux boucles métalliques ; et quand nous revenions vers la rue, la lumière, à travers les fenêtres des cuisines, débordait sur les petites cours. »

L'Aventure
7.3

L'Aventure (2015)

L'avventura

Sortie : 31 août 2016 (France). Essai, Philosophie

livre de Giorgio Agamben

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« L’idée qu’elle [l’aventure] soit quelque chose d’étranger – et donc, d’excentrique et d’extravagant – par rapport à la vie ordinaire définit la conception moderne de l’aventure. Cette idée est présente dans l’essai, par ailleurs pénétrant, que Simmel a consacré à ce sujet. "C’est bien la forme de l’aventure, dans sa plus grande généralité, d’être à l’extérieur de la trame globale de la vie », peut-on lire dès la première page.
Voilà pourquoi elle se rapproche des rêves, qui se situent en dehors du lien significatif qui caractérise "la vie dans sa totalité". Cependant, Simmel s’aperçoit que, tout en se déroulant en dehors de la continuité de la vie, l’aventure est "tout à fait différente
de quelque chose de simplement contingent, d’étranger" parce qu’elle ne se borne pas à en effleurer la surface, mais "est liée en quelque façon avec le centre de notre existence".»

« L'amour espère, parce qu'il imagine et imagine parce qu'il espère. Qu'espère-t-il ?D'être exaucé ? Pas vraiment, parce que le propre de l'espérance et de l'imagination est de se lier à un inexauçable. Non parce qu'elles ne désireraient pas obtenir leur objet, mais parce que, comme imaginé et espéré, leur désir a été toujours déjà exaucé. Que, selon les mots de l'apôtre, "dans l'espérance nous avons été sauvés" (Rom. 8,24), est ainsi à la fois vrai et non vrai. Si l'objet de l'espérance est l'inexauçable, c'est seulement en tant qu'insauvables - déjà sauvés - que nous avons espéré dans le salut. De même qu'elle dépasse son exaucement, l'espérance dépasse aussi le salut — et aussi l'amour. »

Le Promontoire du songe
7.6

Le Promontoire du songe (1864)

Sortie : 1864 (France). Essai

livre de Victor Hugo

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Entrent en scène les psylles, les nages, les alungles, les démonocéphales, les dives, les solipèdes, les aspioles, les monocles, les vampires, les hirudes, les diacogynes, les stryges, les masques, les salamandres, les ungulèques, les serpentes, les garous, les voultes, les troglodytes, tout le peuple hagard des noctambules, les uns sautant sur un seul pied, les autres voyant d’un seul œil, les autres, hommes à sabot de cheval, les autres, couleuvres autant que femmes ; et les phalles, invoqués des vierges stériles, et les tarasques toutes couvertes de conferves, et les drées, dents grinçantes dans une phosphorescence. La Wili, délicate, fluide et féroce, arrête le chevalier qui passe, et lui promet « une chemise blanchie avec du clair de lune ». Salomon qui a adoré Chamos, idole des Amorrhéens, est salué par Satebos, dieu cornu des Patagons. Les éwaïpoma rôdent ; ce sont des hommes qui ont la tête dans la poitrine et les yeux sous les clavicules. Au fond, dans le ciel livide, on aperçoit les comètes. »

*

« Et où es-tu toi-même, philosophe ? dans l’utopie.
Il y a l’utopie sublime. Mais de même que l’idéal peut être bête, l’utopie peut être mauvaise. Le rêve à reculons existe. On peut être utopiste en arrière. Vouloir que l’avenir vive trop tôt, c’est l’illusion et l’effort des grandes âmes ; mais donner à l’ancien monde théocratique et féodal, à Jadis déjà avancé et odorant, une sorte de vie morte qui le ramène au milieu de nous, et qui nous marie, nous le présent, à ce cadavre, nous la lumière, à cette nuit, c’est aussi là une tentative, cela est extraordinaire et vaut la peine d’être essayé, et il y a des rêveurs pour faire ce rêve. Quel succès, la chute ! Quel triomphe, la décadence ! Quel bel assassinat, tuer le progrès ! Épaissir le bandeau sur la paupière humaine, masquer le point du jour, faire marcher l’homme du côté des talons, bravo ! J’ai l’honneur de vous présenter le passé, bouchez-vous le nez si vous voulez, mais embrassez-le. »

Augustin Frison-Roche

Augustin Frison-Roche (2025)

Épiphanies

Sortie : 15 janvier 2025. Essai, Peinture & sculpture

livre de Christiane Rancé

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« ...toutes ses couleurs aux taches d'or, et dans un jour où se fondent les clartés furieuses et les splendeurs d'ombre des sous-bois. De ce bleu dont Alechinsky choisit de peindre son Arbre dans la ville, à qui Yves Bonnefoy prêta sa parole : "Passant, regarde ce grand arbre et à travers lui, il peut suffire." Les arbres d'Augustin Frison-Roche, on les regarde yeux grands ouverts. On voit alors ce qu'Henri Pichette a écrit : "L'arbre reprit sa hauteur dans l'âtre de l'orient." Est-ce aussi une allégorie de la forêt profonde qu'est notre vie et qu'il faut traverser comme nous l'a appris le grand poème de Dante ? Sans nul doute, puisque le travail de Frison-Roche demande aussi qu'on se souvienne, et dès lors, qu'on joue avec les hasards et les correspondances, avec les échos, les symboles et les signes secrets. »

La Fièvre Masaccio

La Fièvre Masaccio (2025)

Sortie : 20 février 2025. Roman, Histoire

livre de Sophie Chauveau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Hélas non. Il en conserve une boule au ventre, prête à surgir en cas de laisser-aller, au moindre relâchement. Il l'a garde au cœur avec la terrible appréhension que ça le reprenne, ces tremblements, ces suées glacées, ces nuits entières sans dormir, la peur au cœur, l'angoisse qui lui bat les tempes, et cette terrifiante absence d'énergie, toute volonté abolie. Ça peut recommencer n'importe quand, n'importe où, puisqu'il ne sait pas pourquoi il en a été victime. »

*

« À Pise, absolument seul, il travaille de l'aube au couchant, et traverse des heures désespérées. Quelque chose le terrasse de l'intérieur dont il ne parvient pas à se débarrasser. Même peindre jusqu'à plus soif ne le console pas.
Révision déchirante : quelle est sa vie ? Qu'est-ce que vivre ? La peinture remplace-t-elle tout ? Supplée-t-elle à tout ? »

*

« Tout ce qui n'est pas peinture l'ennuie. Alors il bâille ouvertement.
Comment décrire la vitesse prodigieuse de sa transformation d'apparent apprenti en peintre confirmé ? Dès ses premières œuvres, sa personnalité est indubitable tant dans ses traits, sa narration, son tracé, sa construction, son usage de l'ombre, que par son rouge, ses rouges, sa passion bizarrement mélancolique pour cette couleur de feu. On y lit la justesse des gestes, ce ductus pictural, et sa détermination. Pas de doute, il sait où il doit aller. Et il y va. »

*

« Si l'enfance à Vald'Arno fut mélancolique, Masaccio a presque tout oublié de son père, fors son parfum de bruyère et la douceur aiguë de sa barbe sur son front. Il ne se souvient que de sa gêne quand sa mère lui a présenté un nouvel homme pour remplacer le mort. Mais, sitôt à Florence, plus question de morosité, tout se colore d'une intensité qui le lance dans une course-poursuite pour devenir qui il est. Enfin sortir ce qu'il ressent au-dedans et étouffe de ne pouvoir transmettre d'un seul jet. Riche d'une joie profonde surgie des cryptes de son enfance : les pigments à écraser, les sables, les craies de toutes les couleurs à broyer. »

As-tu mérité tes yeux ?
6.8

As-tu mérité tes yeux ? (2021)

Things Have Gotten Worse Since We Last Spoke

Sortie : 23 janvier 2021 (France). Nouvelle, Fantastique

livre de Eric Larocca

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Ce n'était pas que je me sente vide. Je crois que nous nous sentons tous vides la plupart du temps, et que nous faisons seulement semblant de remplir ce vide avec des rires, des pleurs, des excuses - tout ce qui peut nous aider à nous sentir humains.
Je pense que je me suis sentie comme un astronaute qui fonce vers la Terre dans une minuscule prison d'acier, les flammes rongeant son vaisseau lorsqu'il entre dans notre atmosphère.
Il y a une raison si les objets se consument lorsqu'ils tombent vers la Terre comme des anges effroyables — en plus de la raison évidente. Des astéroïdes gros comme des voitures blindées se réduisent à de bêtes cailloux en l'espace de quelques secondes. C'est parce que la planète est carnivore et veut simplement être nourrie. C'est aussi ce que veulent les gens. Ils aiment manger d'autres gens.
J'ai passé tellement d'années à oublier que j'avais des dents, moi aussi. »


*


« 22:34:59 Tout le monde est capable de changer. Parfois c'est douloureux.
22:35:07 Tu sais comment je me sens ?
22:35:16 Comme une constellation nouvelle, couverte d'une croûte de noir scintillant 22:35:20 Une trace étalée à travers l'univers.
22:35:28 Attends que l'astéroïde arrive
22:35:40 Non. Je me sens comme une sorte de ceinture cosmique informe, comme si une divinité invisible me serrait dans ses bras »

Ferdinand du Puigaudeau

Ferdinand du Puigaudeau (2025)

Capturer la lumière

Sortie : 30 mai 2025. Essai, Peinture & sculpture

livre de Jean-Marc Pinet

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« De plus en plus en plus isolé et coupé du marché de l'art, vivant difficilement de la vente de ses tableaux à quelques amateurs locaux, ‘l'ermite de Kervaudu’ ainsi que l'avait surnommé Edgar Degas, décède au Croisic le 15 septembre 1930. "Il y a encore tant de belles choses que j'aurais voulu peindre ! Regarde cette lumière dorée sur les mûriers, cette lumière dont j’ai tant cherché les secrets. C'est dur de vous quitter toutes les deux et de quitter la lumière, les jeux des couleurs…" C'est en ces termes que Ferdinand s'adressa à sa femme Blanche et à sa fille Odette au cours de ses derniers instants.
L’œuvre de Ferdinand du Puigaudeau est difficile à rattacher de façon exclusive aux écoles et mouvements picturaux de son temps. Il fut toutefois un artiste de grand talent entretenant un lien passionné avec sa peinture, conscient de l'originalité de ses productions et dédaignant les avant-gardes. Présent dans nombre d'éminents musées en France et dans le monde, il est considéré aujourd'hui comme un éminent représentant du post-impressionnisme ainsi qu'un véritable maître de la lumière. »

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ferdinand_du_Puigaudeau

Marguerite Sérusier

Marguerite Sérusier (2025)

La Création spontanée

Sortie : 13 juin 2025. Essai, Peinture & sculpture

livre de Virginie Foutel

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Le peintre habite alors de façon quasi permanente à Châteauneuf-du-Faou en Finistère et invite Marguerite à venir découvrir cette petite ville située entre les monts d'Arrée et les montagnes Noires. La jeune femme y vient une première fois en 1910 accompagnée de la peintre Jeanne Rij-Rousseau. Sa relation avec Paul Sérusier s'affirmant au cours de l'année, ils se marient à Saint-Sulpice entourés de leurs seuls témoins, dont Maurice Denis.Marguerite s'installe ensuite définitivement dans la petite cité bretonne. De cette époque datent des œuvres de Paul représentant Marguerite, dont Madame Sérusier lisant au bord de la rivière ou Madame Sérusier à l'ombrelle. Le couple semble avoir trouvé une osmose dans la création artistique et dans l'admiration réciproque", et si Marguerite appelle volontiers son mari 'maître Sérusier', Paul quant à lui trouve en son épouse une inspiratrice des motifs floraux que l'on trouve dans plusieurs toiles de cette période, ainsi que du thème des brodeuses. Chez Marguerite, le travail du fil, broderie et ornement, n'est jamais loin. Il illustre son intérêt pour l'art de la tapisserie de Cluny ou d'Angers (découvertes avec son mari), mais aussi sa connaissance de la haute couture parisienne. Plusieurs objets personnels conservés à Châteauneuf-du-Faou en témoignent. Tous deux décorent ensemble leur maison. Toutefois, ce qui semblait être l'envol de son affirmation artistique sera très vite entamé par une période difficile.»

W ou le souvenir d'enfance
7.1

W ou le souvenir d'enfance (1975)

Sortie : 1975 (France). Roman, Biographie

livre de Georges Perec

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Mon enfance fait partie de ces choses dont je sais que je ne sais pas grand-chose. Elle est derrière moi, pourtant, elle est le sol sur lequel j’ai grandi, elle m’a appartenu, quelle que soit ma ténacité à affirmer qu’elle ne m’appartient plus. J’ai longtemps cherché à détourner ou à masquer ces évidences, m’enfermant dans le statut inoffensif de l’orphelin, de l’inengendré, du fils de personne. Mais l’enfance n’est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d’Or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir desquelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens. Même si je n’ai pour étayer mes souvenirs improbables que le secours de photos jaunies, de témoignages rares et de documents dérisoires, je n’ai pas d’autre choix que d’évoquer ce que trop longtemps j’ai nommé l’irrévocable ; ce qui fut, ce qui s’arrêta, ce qui fut clôturé : ce qui fut, sans doute, pour aujourd’hui ne plus être, mais ce qui fut aussi pour que je sois encore. »

*

« Ce qui caractérise cette époque c’est avant tout son absence de repères : les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide. Nulle amarre. Rien ne les ancre, rien ne les fixe. Presque rien ne les entérine. Nulle chronologie sinon celle que j’ai, au fil du temps, arbitrairement reconstituée : du temps passait. Il y avait des saisons. On faisait du ski ou les foins. Il n’y avait ni commencement ni fin. Il n’y avait plus de passé, et pendant très longtemps il n’y eut pas non plus d’avenir ; simplement ça durait. On était là. Ça se passait dans un lieu qui était loin, mais personne n’aurait très exactement pu dire loin d’où c’était, peut-être simplement loin de Villard-de-Lans. »

*

« Il faut les voir, ces Athlètes squelettiques, au visage terreux, à l’échine toujours courbée, ces crânes chauves et luisants, ces yeux pleins de panique, ces plaies purulentes, toutes ces marques indélébiles d’une humiliation sans fin, d’une terreur sans fond, toutes ces preuves administrées chaque heure, chaque jour, chaque seconde, d’un écrasement conscient, organisé, hiérarchisé, il faut voir fonctionner cette machine énorme dont chaque rouage participe, avec une efficacité implacable, à l’anéantissement systématique des hommes, pour ne plus trouver surprenante la médiocrité des performances enregistrées : le 100 mètres se court en 23"4, le 200 mètres en 51" ; le meilleur sauteur n’a jamais dépassé 1,30m. »

Nushku

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