Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

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Liste de

616 livres

créée il y a environ 5 ans · modifiée il y a 1 jour
Le Palace
8.1

Le Palace (1962)

Sortie : 1 mars 1962.

livre de Claude Simon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Toutefois il supposa que devait jouer simultanément une autre loi (une sorte de corollaire) un peu semblable à celle des vases communicants et selon laquelle le niveau du contenu dans les divers contenants doit être partout égal, en vertu de quoi l’Histoire se constituait au moyen non de simples migrations mais d’une série de mutations internes, de déplacements moléculaires (comme on dit qu’à l’intérieur d’un métal martelé pour être façonné il se produit de véritables transhumances – ou plutôt quadrilles – de particules), si bien qu’il lui semblait voir, jurant, trébuchant et se croisant dans les escaliers deux files (les descendant et les gravissant) de conquérants-déménageurs ployant sous le double fardeau de leur équipement guerrier et (pour les uns, ceux de la file descendante) de chiffonniers en marqueterie, de coiffeuses enguirlandées, d’aguichantes nudités, croisant (porté par les autres, ceux de la file montante) l’équipement fonctionnel que les besoins de l’Histoire nécessitaient en lieu et place des élégants accessoires conçus pour remédier au nostalgique dépaysement des milliardaires brésiliens,... »

*

« ("... comme une grille d’égout, disait l’Américain, et si on la soulevait on trouverait par dessous le cadavre d’un enfant mort–né enveloppé dans de vieux journaux – vieux, c’est-à-dire vieux d’un mois – pleins de titres aguichants. C’est ça qui pue tellement : pas les choux-fleurs ou les poireaux dans les escaliers des taudis, ni les chiottes bouchées : rien qu’une charogne, un fœtus à trop grosse tête langé dans du papier imprimé, rien qu’un petit macrocéphale décédé avant terme parce que les docteurs n’étaient pas du même avis et jeté aux égouts dans un linceul de mots..." »

Plein-ciel
7.6

Plein-ciel (2024)

Sortie : 7 février 2024. Roman, Fantasy

livre de Siècle Vaëlban

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« C’était la première fois qu’elle pénétrait dans l’antre de la Maîtresse des costumes et des ornements. Elle s’immobilisa, surprise. Suspendues au plafond par des serpents de dentelle, des danseuses habillées de tutus enlaçaient des acrobates ciselés dans d’immenses feuilles d’argent. Les murs, tapissés de soie magenta et de délicates fleurs en tissu, accueillaient des tableaux voluptueux dans des cadres baroques : les couples s’y étreignaient au milieu de paysages sylvestres. Ivoire s’évertua à demeurer impassible. »

« Elle pria Nostrae de lui accorder son soutien. Le Génie de la nuit vint, accompagné des quatre autres : Saoffle, Tantris, Liviadel et Freor tournoyèrent sous son crâne en une sarabande endiablée. Leurs masques rituels défilaient dans sa mémoire. Ivoire se rappela toutes les processions auxquelles elle avait assisté, toutes ces journées de carnaval durant lesquelles les citoyens costumés en Génies envahissaient les rues de Nimbostratus jusqu’aux Confins. »

« Ivoire repoussa la voix de Kélicia qui racontait n’importe quoi : il n’y avait pas de plan savamment conçu derrière les mailles de son existence. Elle avait certes bénéficié de la compassion de Sylve, mais elle s’était débrouillée seule après sa mort. Par tous les astres, sa vie entière ne pouvait pas reposer sur un mensonge ! Mais Sylve-Sénéchale était un Masque. « Même lorsque tu les croiras sincères, ils te mentiront », avait-elle dit à Dé. « Ils ne savent pas faire autrement, ils se trompent eux-mêmes à chaque fois qu’ils regardent dans un miroir. » Avait-elle été prise au piège de ses propres mots ? Sylve lui aurait-elle menti ? »

« Et, à l’intérieur d’elle, tout était différent. Sa chair avait beau être encore douloureuse, Ivoire ne se sentait plus vraiment fragile. Elle n’était plus une feuille de papier-calque prête à se déchirer sous les coups de crocs. Elle s’imaginait davantage ressembler à cette corne d’ivoire que rythmait Li lorsqu’il prononçait son nom – une constatation fort agaçante, au demeurant. »

« Finalement, le huis clos décrété par la Maîtresse-Jouet aida la jeune femme à retrouver un semblant de paix intérieure. Il n’y avait rien de tel que de travailler dans un Atelier brillamment orchestré avec des artisans de qualité. Ivoire avait toujours adoré cette ambiance si particulière où la création, détachée de son objet final, combinait les talents et la passion des Jouets. »

Carnets du grand chemin
8.1

Carnets du grand chemin (1992)

Sortie : février 1992. Essai

livre de Julien Gracq

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

[Parfait passage (un parfage)]

« Le parc de Saint-Cloud, veuf de son château, avec ses avenues convergeant vers le vide, sa perspective étagée qui cascade avec ampleur de palier en palier jusqu’à la balustrade suspendue au-dessus de la Seine, rameute à lui seul dans mon imagination toutes les étoiles de routes désaffectées qui, toujours, m’ont parlé dans la langue même des Sirènes. Routes qui ne mènent plus nulle part, perspectives inhabitées qui ne donnent sur rien, comment ne pas voir qu’elles sont sœurs de ces pièces vides, pleines de gestes fantômes et de regards que nul ne renvoie, dont la vacuité centrale a trouvé place malgré moi presque dans chacun de mes livres ? Il peut se rencontrer pourtant une singularité paysagiste plus rare encore. Dans le site peu connu de la Folie Siffait, proche de la Loire et du petit village du Cellier, site que Stendhal, et, je crois bien, George Sand ont visité au siècle dernier, partout des escaliers en impasse, des échauguettes, des belvédères sans panorama, des pans de courtine isolés, des soutènements pour jardins suspendus, des contreforts qui semblent épauler au-dessus du vide le mur de fond d’un théâtre antique, renvoient, sous l’invasion des arbres, à l’image d’un château non pas ruiné, mais éclaté dans la forêt qu’il peuple partout de ses fragments : si jamais l’architecture s’est manifestée sous la forme convulsive, c’est bien ici. Pourtant, tant de préméditation dans l’étrange rebute un peu : il manque, dans cette matérialisation coûteuse et un peu frigide — sur plans et sur devis — de la lubie d’un riche propriétaire désaxé, la pression du désir et la nécessité du rêve qui nous émeuvent dans le palais du facteur Cheval. Ce qui me ramène quelquefois sous les ombrages aujourd’hui très ensauvagés de la Folie-Siffait, c’est plutôt une projection imaginative terminale : j’y vois le prolongement en pointillé et comme le point ultime de la courbe que dessine, depuis la fin du Moyen Age, l’alliance de plus en plus étroite nouée avec la pelouse, le bosquet, l’étang et l’arbre, par l’art de bâtir : j’y déchiffre comme le mythe de l’Architecture enfin livrée en pâture au Paysage. »

Suzanne Valadon

Suzanne Valadon (2025)

Catalogue de l'exposition

Sortie : 8 janvier 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Chiara Parisi, Xavier Rey, Nathalie Ernoult, Jean-Paul Delfino et Daniel Marchesseau

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Les spécialistes du XXe siècle ont eu beau tirer Suzanne Valadon du silence ou briser la posture réductrice qui la piégeait, ils n'ont pas su extraire son empreinte d'une vision à ce point binaire qu'elle ne pouvait jamais être vraiment personnelle. Qu'importe le traitement favorable qui lui a été réservé durant des décennies au cours desquelles les mauvaises critiques se sont faites rares, qu'importe aussi qu'elle ait souvent permis de faire le liant entre différents récits de l'histoire de l'art, Suzanne Valadon est restée enserrée dans des contradictions rendant difficile toute approche de son œuvre pour ce qu'il était, c'est-à-dire pour lui-même. Ces mécanismes la situent inlassablement entre Gustave Courbet et la nouvelle génération, entre Edgar Degas et les nabis, mais, bien que ce désir ait quelque chose d'inapproprié étant donné son envie de se libérer de tout cadre,il paraît encore impensable de lui accorder la parenté d'un courant propre ou d'appréhender la nature unique de son parcours. »

*

« Quels souvenirs en garde l'histoire de l'art ? Passé le mélange initial de succès dans la scène de l'entre-deux-guerres et de réticence de l'histoire de l'art à voir chez Suzanne Valadon autre chose que la muse romantisée des grands artistes qui ont croisé son chemin, la critique du XXe siècle réhabilite sa mémoire en voyant dans son autonomie une synthèse de cette période riche en mutations formelles et historiques. Tantôt convoquée comme carte mère matricielle de courants auxquels elle n'a pas pris part, tantôt dépeinte en passeuse entre deux siècles, entre le classicisme et la modernité. Nourrie par des filiations composites mais jamais étouffantes, elle incarne désormais une figure singulière et capitale pour qui veut se retourner sur le panorama artistique qui a été le sien. Après n'avoir été ni d'une époque, ni d'une autre, Suzanne Valadon devient tout à coup le pont entre ces mondes, dont on observe le plus souvent les contradictions et les ruptures. Ce regard actualisé sur son travail, pour ne pas dire la considération qui lui est enfin accordée, ouvre la porte à de nouvelles lectures de ses toiles où surgissent les indices de correspondances insoupçonnées avec d'autres démarches. »

La Terre plate
6.4

La Terre plate

Généalogie d'une idée fausse

Sortie : 8 octobre 2021 (France). Essai

livre de Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Comme nous l’avons constaté dans des discussions informelles, certains collègues avouent mentionner dans leur cours la question de la Terre plate à l’occasion de commentaires de documents figurant dans les manuels, qui aujourd’hui, pourtant, ne font plus, sauf exception, mention de cette croyance. Ils pensent ainsi bien faire en complétant un manuel qu’ils jugent lacunaire. On aime de toute évidence croire à ce mythe confortable, qui permet de légitimer une vision linéaire du progrès et une représentation simple de l’histoire, mais aussi certainement dote notre époque d’un doux sentiment de supériorité (alors que bien peu de nos contemporains sont à même de comprendre une page de philosophie médiévale). »

« Il faut donc être attentif à plusieurs points : la révolution astronomique du XVIe siècle ne peut ni se lire sur le mode « un savant seul contre tous », ni sur le mode « la science contre l’Église » – mythe construit par l’histoire positiviste sur la base des procès faits à Galilée – et encore moins sur le mode providentiel du grand homme et du savant-génial-qui-découvrit-la-modernité. En outre, il ne faut pas confondre le retour aux sources grecques restituées dans leur intégrité et la redécouverte des théories. »

« Au même endroit, il est décrit comme "un simple marin se présentant sans crainte au milieu d’un cercle imposant de professeurs, de moines et de dignitaires de l’Église". La délicieuse langue d’aujourd’hui dirait : un self-made-man dressé contre l’establishment. La Terre ronde, ainsi, appartient au génie des humbles, la Terre plate aux bigots et à ceux qui se proclament experts. »

La Ville au plafond de verre
6.7

La Ville au plafond de verre (2023)

Sortie : 3 novembre 2023. Roman, Fantasy

livre de Romain Delplancq

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Un Velast est par nature bouillonnant, fluide, toujours en gestation de lui-même. Il se constitue et se destitue au gré de ses assemblées, des figures qui en émergent et en prennent un temps la barre, de ses éventuelles victoires, de ses régulières défaites et de ses inévitables compromis. D’une ville à l’autre, d’un siècle à l’autre, les Velast mutent tant que les soutiens d’un Velast ici seront les adversaires de tel autre ailleurs. Peu importe : « Velast » n’est le nom ni d’une forme ni d’une organisation. C’est le nom d’une fonction. Une fonction de révolte.

Chaque fois que les pauvres gens se rassemblent pour résister qui à l’Empereur, qui aux barons, qui aux forgiers, il y a un Velast. »

*

« Le nom de Felfedis ne remontait pas très loin. L’arbre généalogique fleuri qui enlaidissait le couloir de leur deuxième étage plafonnait péniblement à deux siècles d’ancienneté, quand la lignée d’un baron varanne remontait les millénaires. Les Felfedis, certes, n’étaient pas nobles. Cependant, ils étaient forgiers, ce qui en cette époque était presque aussi bien ; et à Korost, en particulier, beaucoup mieux. Depuis mille ans, son incomparable fabrication du verre et les innombrables applications qu’en faisaient ses artisans avaient enchâssé la cité comme une des plus belles pierres de la couronne impériale. Et la découverte de l’arnoire deux siècles plus tôt l’avait révélée au monde. L’arnoire, le métal noir, l’or aux tons d’obsidienne, qui permettait aux machines de Korost d’utiliser la lumière du soleil. »

*

« Les ambitieux de tout l’Empire s’y étaient précipités, et les riches marchands d’Ivar avaient joué des coudes pour s’y tailler des parts de lion. Le Felfedis le plus haut perché dans l’arbre du deuxième étage était de ceux-là. On ouvrit des écoles où l’on se partagea les hermétiques secrets de la forge du métal noir, puis on les referma bien vite. On s’empara des filières d’acheminement des précieux minerais. On forma ses enfants, on leur fit épouser les rejetons désargentés de l’aristocratie – tout en étalant par-derrière, puis au grand jour, un mépris pour ces débris impériaux qui ne tenaient que par la rente de leurs verreries. La plèbe de Korost surnommait les débris en question "Barons-tessons". »

Sonnets

Sonnets (1546)

Sonnetti

Sortie : 10 avril 2025 (France). Poésie

livre de L'Arioste

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Ce fut ici qu'en des nœuds si serrés
Les beaux cheveux me prirent ; que le mal,
Qui me tuerait, naquit ; vous le savez,
Loggias de marbre, toits hauts et superbes,
Ce jour-là dames, cavaliers élus,
Avez reçus tels que jamais Pélée,
Pourtant choisi entre mille héros
N'en eut aux noces par Zeus redoutées.
Bien vous souvient qu'en repartis captif,
Le cœur percé, mais ignorez peut-être
Comment mourus et revins à la vie,
Et que ma dame, aussitôt qu'elle vit
Mon âme en elle de moi retirée,
M'offrit la sienne et qu'encore j'en vis. »

*

« Le soleil clos d'un voile ténébreux
Jusques aux rives extrêmes tendu
De l'horizon, s'entendait le murmure
Des frondaisons, et les tonnerres au ciel ;
Sous une pluie incertaine, ou la grêle,
Je m'apprêtais à franchir les eaux troubles
Du fleuve fier renfermant le tombeau
Du fils hardi du seigneur de Délos ;
Quand j'aperçus l'éclat sur l'autre rive
De vos beaux yeux et entendis des mots
Qui lors pouvaient me changer en Léandre.
Soudainement, la nuée alentour
Se dissipa, découvrant le soleil,
Le vent tomba et s'apaisa le fleuve. »

Une amitié singulière

Une amitié singulière (2025)

Correspondance 1944-1956 (Henri Calet & Francis Ponge)

Sortie : 13 février 2025. Correspondance, Littérature & linguistique

livre de Francis Ponge et Henri Calet

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Lettre de Christiane MdG :

« En regardant de plus près les notes d'Henri concernant son roman, il m'est venu des idées, nous en parlerons. En tout cas, j'ai la conviction qu'on ne [peut] pas laisser perdre cela. Son œuvre se termine là, dans ce tumulte, dans ce chaos, dans cet échec, dans ces douleurs. Elle y trébuche tout entière, tête première dans le trou de la mort. C'est là qu'est la boucle, il faut en tirer partie. »

*

[Il faudra Perec :]

« Le projet de Calet d'un livre gigantesque sur Paris s'enlise dans sa formule même. Outre qu'il hésite à se tourner vers Grasset, il n'est pas convaincu par une organisation de l'ouvrage arrondissement par arrondissement, ni par une entreprise plus classiquement romanesque.Avec un certain flou dans la formulation, Ponge suggère d'opter pour la première solution, plus fidèle au projet d'origine, sans abandonner toutefois l'idée du roman. Comme Paulhan, il aimerait voir aboutir l'entreprise, mais pour cela il faut de l'argent, et tous savent que Gallimard ne considère pas Calet comme une valeur commercialement sûre.

Lettre du 24 décembre 1955 de Francis Ponge à Henri Calet :

"Voici ce que j'ai reçu hier de Paulhan et ce que je lui ai répondu aujourd'hui. Inutile de vous dire ce que je pense de cette attitude de Gaston Gallimard, à savoir qu'elle est inexcusable. Quant à Paulhan, sans doute ne peut-il sur G. G. davantage (peut-être seulement parce qu'il est persuadé de ne le pouvoir ?...mais cela revient au même). Vous pourrez, j'espère, obtenir des Éditions Grasset les délais et avances nécessaires pour faire de ce livre ce que vous avez grand raison de vouloir faire ;il me semble, en tout cas, que vous n'avez rien à perdre à en faire avancer clairement la proposition 'arrondissement par arrondissement' ? Qu'à cela ne tienne... La division de ce roman (qu'il ne faudra pas sous-titrer ainsi, bien sûr) en 'arrondissements' plutôt qu'en 'chapitres' ne me paraît pas — selon ce que vous m'avez dit — une difficulté insurmontable.

Cela peut vous conduire, au contraire, à une composition originale et à des "beautés supplémentaires." Bref, je voudrais que vous n'abandonniez pas l'idée du roman. Nous en reparlerons, n'est-ce pas ? Je vous téléphonerai lundi. Affectueusement

Francis."»

L'Art et la Création de Arcane
8

L'Art et la Création de Arcane (2024)

League of Legends

The Art and Making of Arcane

Sortie : 5 décembre 2024. Beau livre & artbook, Cinéma & télévision

livre de Elisabeth Vincentelli

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Une chose fascinante est que ce sont des concepts généraux, plus que des références particulières, qui nourrissent l'imagination des créateurs de la série, souvent de manière indirecte. Anne-Laure To, superviseuse artistique chez Fortiche, explique que le processus commence par une immersion visant à assimiler le maximum de sources et d'inspirations.

"Nous consultons énormément d'images sur tous les supports possibles. Au début, tout peut sembler confus. On regarde, par exemple, un style vestimentaire
ou une pièce de bijouterie juste pour saisir un aspect ou une forme. Ces concepts s'avèrent par la suite utiles, même s'ils prennent une forme complètement différente."

Certaines inspirations pour le monde d'Arcane ne sont pas nécessairement évidentes au premier coup d'œil, mais viennent indirectement enrichir la façon de concevoir et de représenter les personnages. "Je crois que les formes, les couleurs, les traits ont leur propre langage, poursuit To. Si on développe une forme pour raconter quelque chose en particulier, cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas extrapoler et la transposer dans un autre contexte."
Ce qui est stupéfiant dans Arcane, c'est que l'esthétique même de la série a une influence à la fois globale et dans les détails : certaines décisions d'ensemble modifient notre perception des environnements et des personnages en envoyant un message presque imperceptible, et chaque plan fourmille de détails ayant du sens. En d'autres termes, chaque agrémentation visuelle a sa raison d'être dans cet univers cohérent.

Les palettes de couleurs utilisées jouent notamment un rôle essentiel dans l'approche esthétique. Pour Anne-Laure To, l'inspiration dans l'utilisation des couleurs doit beaucoup à la renaissance médiévale européenne du XIIe siècle. "Je crois que cela vient de l'héraldique.Les couleurs y revêtent différentes fonctions. II y a du symbolisme, par exemple si un personnage porte plus de rouge ou de bleu ; le vert qui indique une substance toxique, etc. Elles renvoient également aux éléments physiques. Que représentent les différentes couleurs ? Comment aident-elles à mettre en perspective la lumière ? Elles contribuent aussi à la composition de l'image, où elles permettent d'attirer l'attention du spectateur sur une zone particulière."

[... suite en commentaires]

La Côte sauvage
7.5

La Côte sauvage (1960)

Sortie : janvier 1997 (France).

livre de Jean-René Huguenin

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Olivier le suivait d’un regard de chat. Ce regard, cette présence jamais distraite, avaient parfois fatigué Pierre ; contraint, dès qu’Olivier était là (et il était là chaque jour, au moins au Lycée), de regarder partout, d’écouter tout, de chercher avec lui à tout connaître, entraîné sans repos dans de nouvelles fantaisies, quelque découverte métaphysique, des promenades ou des lectures — Nerval et Valéry, ou Fabre d’Olivet — Pierre ne pouvait jamais s’ennuyer à son gré. Il lui fallait vivre de force. « Que fait-on ? » Olivier savait toujours quoi faire. « Où va-t-on ? » Il allait au hasard, mais le hasard l’aimait, ou plutôt il n’aimait que le hasard des choses. Et si Pierre retournait parfois seul dans quelque lieu qui les avait surpris, il s’agaçait de le trouver médiocre, de s’être laissé jouer. Il détestait particulièrement, ces jours-là, une petite phrase qu’Olivier répétait trop souvent : "Je me juge à ma chance." »

« Un soir où il remontait l’allée, après les avoir regardés partir, il entendit un chant de guitare s’échapper par la fenêtre ouverte du salon. Berthe, sans doute, écoutait la radio. Il s’arrêta. Des herbes qui brûlaient dans un champ voisin répandaient une brume bleutée, légère, pareille à celle des soirs de septembre. Tout à coup il vit ces soirs de septembre à Paris — ces soirs bleus de septembre où la lumière mourante de l’été a la douceur des paupières, quand le soleil s’est couché derrière les bois de Sèvres, quand les réverbères sur le pont, les baies phosphorescentes de l’usine Renault, les fenêtres sur l’autre quai ne brillent pas encore, ni les étoiles, il n’y a plus de lumière et tout n’est plus que lumière, même cette femme en corsage rouge qui tend du linge sur une péniche, tandis que reviennent, du tennis de Boulogne, les derniers joueurs de la saison. »

« De ces journées-là, trop remplies, trop rapides, où il ne profitait pas d’Anne, et dont la dispersion l’engourdissait, il n’épuisa jamais toute la saveur ; ne pouvant s’abandonner tout à fait à l’insouciance générale, ni se retirer dans sa détresse solitaire, il ne les vivait qu’à demi, à regret, — mais il devinait que le recul, le détachement désespéré de la mémoire leur rendraient plus tard leur plénitude. »

Vie de Gilles

Vie de Gilles (2025)

Sortie : 2025 (France). Recueil de nouvelles, Récit

livre de Marie-Hélène Lafon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Vendredi c'est aujourd'hui, il faut y aller. Elle y pense dans le lit. Le matin vert et bleu entre par la fenêtre ouverte. Quand les étés sont beaux,elle ne ferme jamais la fenêtre de sa chambre, ni de jour ni de nuit, et elle n'a ni volet ni rideau. Elle ne veut pas être séparée de la lumière des jours et du velours des nuits, le moins possible. Elle a quitté Paris mardi matin, elle est arrivée en fin d'après-midi sous une pluie fine et molle, presque tiède, une pluie verte de début juillet,comme en suscitent parfois dans leur sillage les orages les plus tonitruants. Les premiers gestes, les premières heures sont toujours les mêmes,depuis huit ans. La maison est un bouquet, les couleurs éclatent, ça pavoise en grand, ça jubile dans la gloire irrémédiable des étés. Sa sœur aînée a la main verte et fait merveille. Les framboises sont velues et tièdes sous la langue Les chemins, celui de la vieille route, celui des blaireaux, celui de la Fougerie ou du Jaladis, chatoient et frémissent dans l'or du soir. Elle se laisse traverser et ne pense à peu près à rien tout en prodiguant les usuels soins de début de saison à la maison de pierre, d'ardoises et de bois. »

*

« Il la regarde rarement aux yeux et elle peine à soutenir son regard vert et noyé qu'il faut happer, arracher, saisir sans pouvoir le retenir. Son frère se noie et il est encore là, encore vivant, il tient, il fait, il demeure dans le cours des choses et des jours ; elle ne sait pas pourquoi,elle ne sait pas comment. Elle espère pour lui des moments moins âpres, des accalmies, de furtives douceurs, des bouffées de joie. Elle avance à tâtons aux lisières de la vie de son frère, elle se tient là, comme en vigie. Elle vient, elle s'occupe du linge, change les draps de lit, l'invite chez elle, n'oublie ni l'anniversaire ni Noël, mais elle est effarée, elle est impuissante. »

Les Heures silencieuses
6.9

Les Heures silencieuses (2011)

Sortie : 4 janvier 2011. Roman, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Gaëlle Josse

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« L’ordre, la mesure et le travail sont des remparts contre les embarras de l’existence. C’est ce qu’on nous apprend dès l’enfance. Vanité de croire cela. Chaque jour qui passe me rappelle, si besoin était, que la conduite d’une vie n’est en rien semblable à celle d’un stock d’épices ou de porcelaine.
Ce que nous tentons de bâtir autour de nous ressemble aux digues que les hommes construisent pour empêcher la mer de nous submerger. Ce sont des édifices fragiles dont se jouent les éléments. Elles restent toujours à consolider ou à refaire. Le cœur des hommes est d’une moindre résistance, je le crains. »

*

« Nous nous installâmes dans cette maison, au bord du canal ; elle nous parut immense. Nos voix résonnaient dans chaque pièce avant que tapis et tentures ne viennent en étouffer l’écho.

Oui, c’est dans cette chambre, où la vie me parut si douce avant de s’assombrir, que j’ai souhaité être peinte, à ces heures où un soleil pâle vient tiédir le sol et y tracer d’insaisissables figures de géométrie. »

*

« Avec le temps, ce sont nos joies d’enfant que nous convoquons le plus facilement dans nos souvenirs, elles nous accompagnent avec une rare fidélité. Retrouver ce que nous avons éprouvé dans ces moments demeure une source de félicité que nul ne pourra nous ravir. Le cours de nos vies est semé de pierres qui nous font trébucher, et de certitudes qui s’amenuisent. Nous ne possédons que l’amour qui nous a été donné, et jamais repris. »

Début et fin de la neige

Début et fin de la neige

suivi de Là où retombe la flèche

Sortie : mars 1991 (France). Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Oui, à entendre, oui, à faire mienne

Cette source, le cri de joie, qui bouillonnante

Surgit d’entre les pierres de la vie

Tôt, et si fort, puis faiblit et s’aveugle.



Mais écrire n’est pas avoir, ce n’est pas être,

Car le tressaillement de la joie n’y est

Qu’une ombre, serait-elle la plus claire,

Dans des mots qui encore se souviennent



De tant et tant de choses que le temps

A durement labourées de ses griffes,

- Et je ne puis donc faire que te dire

Ce que je ne suis pas, sauf en désir.



Une façon de prendre, qui serait

De cesser d’être soi dans l’acte de prendre,

Une façon de dire, qui ferait

Qu’on ne serait plus seul dans le langage. »

Ce qui fut sans lumière
7.8

Ce qui fut sans lumière (1995)

Suivi de Début et fin de la neige

Sortie : 25 août 1995. Poésie

livre de Yves Bonnefoy

Nushku a mis 7/10.

Annotation :


« Et j’avance, dans l’herbe froide. Ô terre, terre,
Présence si consentante, si donnée,
Est-il vrai que déjà nous ayons vécu
L’heure où l’on voit s’éteindre, de branche en branche,
Les guirlandes du soir de fête ? Et on ne sait,
Seuls à nouveau dans la nuit qui s’achève,
Si même on veut que reparaisse l’aube
Tant le cœur reste pris à ces voix qui chantent
Là-bas, encore, et se font indistinctes
En s’éloignant sur les chemins de sable. »

*

« Ils aiment rentrer tard, ainsi. Ils ne distinguent
Plus même le chemin parmi les pierres
D’où sourd encore une ombre d’ocre rouge.
Ils ont pourtant confiance. Près du seuil
L’herbe est facile et il n’est point de mort.
  
Et les voici maintenant sous des voûtes.
Il y fait noir dans la rumeur des feuilles
Sèches, que fait bouger sur le dallage
Le vent qui ne sait pas, de salle en salle,
Ce qui a nom et ce qui n’est que chose.
  
Ils vont, ils vont. Là-bas parmi les ruines,
C’est le pays où les rives sont calmes,
Les chemins immobiles. Dans les chambres
Ils placeront les fleurs, près du miroir
Qui peut-être consume, et peut-être sauve. »

*

« Regarde-les là-bas, à ce carrefour,
Qui semblent hésiter puis qui repartent.
L’enfant court devant eux, ils ont cueilli
En de grandes brassées pour les quelques vases
Ces fleurs d’à travers champs qui n’ont pas de nom.
  
Et l’ange est au-dessus, qui les observe
Enveloppé du vent de ses couleurs.
Un de ses bras est nu dans l’étoffe rouge,
On dirait qu’il tient un miroir, et que la terre
Se reflète dans l’eau de cette autre rive.
  
Et que désigne-t-il maintenant, du doigt
Qui pointe vers un lieu dans cette image ?
Est-ce une autre maison ou un autre monde,
Est-ce même une porte, dans la lumière
Ici mêlée des choses et des signes ? »

La Toussaint
7.8

La Toussaint (1994)

Sortie : février 1994 (France). Roman

livre de Pierre Bergounioux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Il devait avoir quelque idée de ce que j’avais touché en fait de dissensions et de bruit. Ça se voit. C’est à croire qu’au dernier moment, quand on est encore en coulisse, dans l’ombre, l’eau du corps maternel, on n’est pas seul. Ils sont là, qui se dépêchent de nous confier ce qu’ils ont dû remporter, à nous charger comme une mule. On est chargé comme une mule, comme celle des prospecteurs de terres inconnues, avec la bâtée, les pelles et les pioches, la barre à mine, le poêlon et la cafetière, les sacs de farine, le lard fumé, le fusil à piston, les amorces, le prélart, les piquets, l’écriteau pour marquer la concession, tout le bazar, sauf que la mule, quand elle commence, c’est sans rien sur le dos. Nous, on arrive tout harnaché, avec le bât au complet. »

*

« Parfois, la veille encore, ç’avait été la belle saison, la gloire lasse des arbres, les odeurs d’herbe qu’on respirait jusqu’en ville, le bleu acide, intense que le ciel prend à ce moment précis de l’année, vers la fin octobre. On pouvait réellement penser que l’hiver ne reviendrait pas, qu’il nous avait oubliés. Les hommes déambulaient en manches de chemise. Les femmes arboraient des corsages blancs, des robes claires. On entendait jusqu’à la nuit tombée des tintements d’outils dans les jardins, des voix par les fenêtres ouvertes. Là-dessus on se couchait et, lorsqu’on ouvrait les yeux, c’était comme un mauvais rêve qui ne voudrait pas se dissiper quand on a pourtant dit le mot, constaté qu’on rêvait. Une clarté louche filtrait au joint du volet. On avait la sensation neuve du froid subit qui avait remplacé, pendant qu’on dormait, la rumeur gaie, les femmes aux couleurs vives, tout ce bleu. C’est peut-être que nous dormons. Il nous faut chaque soir faire droit à ce qui demeure d’obscur, d’irrésolu dans le cours de nos jours, au passé, à ses ombres, et les choses ont beau jeu, pendant ce temps, de nous échapper. »

La Brume l'emportera
7.6

La Brume l'emportera (2024)

Sortie : février 2024. Roman, Fantasy

livre de Stéphane Arnier

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Je n’aimais pas les gens – je n’aime pas les gens. J’avais de la famille, avant la brume ; des parents, et un frère jumeau – nous reparlerons d’Oldo plus tard. J’avais aussi, si vous m’en croyez, quelques bons amis. Mais je ne supportais chacun qu’à faible dose. Toutes et tous, ils m’agaçaient à les côtoyer de trop près, ou trop longtemps. Même ma chienne, parfois, j’avais besoin qu’elle me fiche la paix, et je lui jetais un bâton en lui disant : « Allez, Lampo, va jouer ailleurs, lâche-moi les bottes ! » Toute ma vie j’ai ressenti ça, pour tout le monde, et Driss était l’exception. »

*

« Ma croyance, Keb, c’est que ce qui gonfle là dehors, ce sont les brumes du passé ; un passé qui remonte des entrailles de la terre. Je pense que cette brume contient le monde d’avant, et que – sous sa surface cotonneuse –, elle s’affaire à le restaurer. Elle le redessine tel qu’il était, au brin d’herbe près, et c’est une tâche si colossale que cela lui demande beaucoup de temps. Mais, quand elle atteindra le plus haut sommet de la plus haute montagne, son œuvre sera achevée : elle se dissipera et le monde reprendra son cours tel qu’il était… avant. »

*

« La plupart du temps, elle ondulait à la façon d’une mer calme. Aux rafales d’altitude, c’est à peine si elle lâchait quelques traits de coton, comme des gerbes d’écume. Elle m’a dépouillé de tout – de mon pays, de ma famille, de mes amis, de mes troupeaux, de ma chienne. Mais c’était ainsi : je ne pouvais m’empêcher de la trouver belle. Par temps clair, des paillettes d’or s’accrochaient aux arêtes de ses vagues. Tôt le matin, je l’ai parfois contemplée en champ de neige éclatant, en pré de poudreuse inviolé. En fin de journée, elle se muait en un paysage de dunes dans lequel je faisais office de dernier mirage.

Ah ! Voyez comme je parle de celle qui a bien failli manger le monde entier ! »

*

« Qui étaient réellement ces bâtisseurs antiques dominant tout le continent, les fondateurs d’un empire si vaste et si puissant qu’on se demande aujourd’hui comment il a pu disparaître ? Cela ne vous intéresse-t-il pas de découvrir ce qu’ils sont devenus, et pourquoi nous autres Daks n’avons trouvé qu’une poignée de ruines en coquilles vides sur les hauteurs de nos sommets ? »

Antonello de Messine

Antonello de Messine (2024)

Une clairière à s’ouvrir

Sortie : 18 octobre 2024. Essai, Peinture & sculpture

livre de Franck Guyon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

MAIS ANTONELLO est aussi celui qui a peint comme personne cet événement hors du commun, celui qui paraît par là même soudainement détonner, trancher et s'écarter de cette mise en scène instituée, ou l'on retrouve immanquablement les mêmes personnages à jouer leur rôle dans leur décor.
Cette fois, en faisant allégeance à la plus drastique des économies, Antonello peint l'événement avec une sobriété qui finit par confiner au dénuement le plus strict et qui conduit la scène à se vider jusqu'à l'ascèse.Édith de la Héronnière a mille et trois fois raisons, lorsqu'elle écrit: L'Annonciation d'Antonello da Messina est composée d'absences.
Ici, c'est juste, on s'est débarrassé d'à peu près tout. Ici, à première vue, nous sentons-nous quelque peu perdus, et peut-être saisis, et même privés de ce qui constitue ordinairement une Annonciation.

lci, plus rien de cet ange Gabriel enveloppé dans son drapé luxueux, avec ses ailes ouvertes et bigarrées: plus rien de cet époustouflant annonciateur et ses manières de s'approcher, de fotter, de danser, de s'incliner, de sagenouiller, avec son doigt qui pointe, avec l'index et le majeur collés en signe de bénédiction, avec les bras en croix sur la poitrine comme preuves de son humilité et de son recueillement: et plus rien non plus de cette colombe du Saint-Esprit avec ses longs rayons lancés comme des giclées d'or chaud vers cette Marie de Nazareth, Marie l'élue : et plus rien également des fonds d'or, des décors somptueux, des palais, des portiques, des dais, des édicules, des jardins clos, des paysages dans le lointain, des paradis perdus : plus rien de ces lieux, ces intérieurs, plus rien de la chambre de Marie, de ces carrelages, de ces rideaux, ces marbres, et plus rien de ces phylactères : ni lys ni colonne ni porte close ni vase, pas même une hirondelle pour symboliser discrètement dans son coin le printemps de l'humanité ; et plus rien enfin d'une Marie majestueuse et placée sur un trône, ou bien en pied, pas de Marie fileuse,comme l'avait voulu la tradition byzantine. »

Les Armées de ceux que j'aime
6.3

Les Armées de ceux que j'aime (2021)

The Armies of Those I Love

Sortie : 21 novembre 2024 (France). Roman, Science-fiction

livre de Ken Liu

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Mais Franny aimait — aime toujours — les questions, car s'il y a une question, il y aura une réponse. Une question n'indique que le milieu d'une histoire, et non sa fin. "J'ai compris qu'avoir la compagnie de ceux que j'ai mais me suffisait", murmure Franny qui ralentit son débit afin de veiller à réciter le sort d'histoire de la manière précise dont Prudence le lui a enseigné. Lui donner vie de son souffle la convainc que Prudence est encore avec elle.
"Que m'arrêter avec les autres le soir me suffisait..." »

*

« "On n'est pas si différents des anciens, dit-elle. A la fin, on ne laissera que nos os, nos dents et nos histoires. Ma noix de prière contient les dents de ma grand-mère,celles de ma mère, et les miennes à présent. Tant qu'elles continueront de cliqueter et de chanter, tu ne seras jamais privée de nos voix."
Franny accepte la noix de prière. En elle, les questions se bousculent. Je vais faire quoi sans toi ? Comment je pourrai apprendre de nouveaux sorts d'histoire des anciens ? Et si j'oublie le son de ta voix, la forme de ton visage, ton odeur quand tu dors, la sensation de tes bras autour de moi...? »

*

« Montant tout du long, le chariot file dans un dédale de tubes, dont certains transparents, ce qui permet à Franny de se repaître des vues intérieures de Boss.Il y a des fourneaux et des fosses dans lesquelles le butin pulvérisé des batterymarches se mélange. Il y a des cuves géantes où des membres, des tentacules, des poutres et des pièces en os ancien s'amalgament et barattent. Il y a des structures imposantes en entonnoir qui se tournent autour, tels des couples dansant sous les étoiles au solstice. Au gré de ce ballet qui les voit culbuter,pivoter, osciller, s'élever et retomber, une pâte collante S'écoule des déversoirs, témoin de leurs mouvements. A mesure qu'ils reviennent en laisser goutter davantage,elle s'amasse, s'épaissit, gonfle, coagule. Enfin, le sillage de la danse se replie en couches qui forment alors des torses de vardkyries, des ventres de batterymarches, des bulbes de somervilleins.
Ainsi naissent les gardiens : on les fabrique. »

Artemisia

Artemisia (2025)

Héroïne de l'art

Sortie : 11 mars 2025. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Pierre Curie, Patrizia Lazzarini et Maria Cristina Terzaghi

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Toutefois, certaines questions restent ouvertes : ses débuts difficiles, marqués par la collaboration avec son père ; les répliques, obtenues à l'aide de calques ou de cartons, qu'il faut distinguer des copies ; ses rapports d'échanges avec les artistes qu'elle fréquentait.
Deux expositions en 2020 et 2022 ont abordé le parcours artistique de la pittora et les questions mentionnées ici sous différents points de vue. De fait, il ressortait de la monographie 'Artemisia' de la National Gallery de Londres qu'elle était fondamentalement autonome, maîtresse d'elle-même et de son œuvre, bien qu'elle ait traversé différentes phases stylistiques'. La deuxième exposition,"Artemisia a Napoli", a en revanche remis cette perspective confortable en question en introduisant le problème de la collaboration d'Artemisia avec d'autres artistes plus ou moins connus, qui recouraient à une sorte de koinè picturale : la "marque" Artemisia, très recherchée par les commanditaires italiens et européens.
Dans ce contexte, riche en implications intéressantes, nous aimerions reconsidérer certaines œuvres qui peuvent contribuer du moins à jeter un peu de lumière sur le dilemme d'Artemisia. »

*

« La publication d'Artemisia en 1998, la remarquable biographie romancée de l'artiste due à Alexandra Lapierre, a fait de ce personnage auprès du grand public français la figure majeure de l'émancipation des femmes en tant qu'artistes au XVIIe siècle. En Europe, sa personnalité et sa gloire ont un peu occulté le parcours atypique de femmes peintres d'autres nations, des Françaises Louise Moillon, Catherine Girardon et Élisabeth-Sophie Chéron, de la Portugaise Josefa de Óbidos, de l'Anglaise Mary Beale, des Hollandaises Judith Leyster et Maria van Oosterwijk ou des Flamandes Michaclina Wautiers et Clara Peeters, par exemple. Or en Italie même, les carrières des contemporaines d'Artemisia ont été bien étudiées et remises à l'honneur, en particulier dans les régions dont elles étaient originaires. Le catalogue Les Dames du baroque accompagnant l'exposition qui s'est tenue à Gand en 2018-2019, puis ultérieurement celui des manifestations de Hartford et de Détroit), ont proposé une synthèse des recherches actuelles conduites sur ces artistes italiennes du Seicento. »

Textes retrouvés

Textes retrouvés (2003)

Essais, portraits, articles, conférences

Textos recobrados

Sortie : 1 novembre 2024 (France). Essai, Littérature & linguistique

livre de Jorge Luis Borges

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Au Paradis du couchant, un Bouddha lui parle d'une divinité dont le nom est l'Empereur de jade : cela fait mille sept cent cinquante kalpas que cet Empereur se perfectionne et chaque kalpa se compose de cent vingt-neuf mille ans. Kalpa est un terme sanscrit; l'amour des cycles de temps infini et des espaces illimités est typique des nations de l'Indostan, de l'astronomie contemporaine et des atomistes d'Abdère. (Oswald Spengler estima que l'intuition d'un temps et d'un espace infinis était le propre d'une culture qu'il appela faustienne; mais le monument le plus inéquivoque de cette intuition du monde n'est pas le drame hésitant et bigarré de Goethe mais le vieux poème cosmologique De rerum natura.) »

« La plaisanterie est pensée ; le calembour, ce sont les miettes ramassées par celui qui n'écoute pas les idées mais les syllabes. II s'attache aux signes et aux apparences du discours, non à son intimité : comme si devant une opération mathématique quelqu'un faisait remarquer que le neuf est un six à l'envers et qu'il tirait des arguments de cette vétille pour l'invalider. »

« Parmi les instruments presque infinis qui sont l’œuvre de l’homme, le plus singulier est le livre. L’épée ou la charrue sont une extension de la main, le télescope ou le miroir le sont de nos yeux. Le livre, en revanche, est une extension durable de l’imagination et de la mémoire, c’est-à-dire de tout le passé. »

« J'ai évoqué ces secrets qui n'en sont pas, ces mystères ouverts, ces choses publiques et cachées, car elles me semblent singulièrement applicables à Buenos Aires. Évidemment, Buenos Aires est bien plus qu'un espace défini sillonné de rues qui se coupent à angle droit où l'on trouve beaucoup de maisons basses et de patios. Pour tout habitant de Buenos Aires, la ville, au fil des ans, est devenue une sorte de carte secrète de mémoires, de rencontres, d'adieux, peut-être d'agonies et d'humiliations, et nous avons ainsi deux villes : la ville publique qu'établissent les cartographes, et une autre, la ville intime et secrète de nos biographies. À cette carte personnelle nous pouvons heureusement ajouter aujourd'hui d'autres points, où les faits de la révolution eurent lieu et qui définissent (publique et attachante à la fois) une carte de gloires. »

Nouvelle garde de l'art contemporain japonais

Nouvelle garde de l'art contemporain japonais

Sortie : 2001 (France). Beau livre & artbook

livre de Sophie Cavaliero

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Cette esthétique a souvent joué contre la perception de l'art contemporain japonais en Occident, le faisant passer pour un art puéril et simpliste. Il faut regarder au-delà des formes et des couleurs pour comprendre que cet art est le reflet d'une profonde mutation, d'une remise en question de la société actuelle et le signe probable d'une fin de civilisation. Le simulacre ou la simulation sont paradoxalement inévitables pour être original et différent, et puisque tout semble avoir déjà été créé et vécu, alors pour créer de nouveau, il faut retourner à l'origine, au monde où enfant, il est possible de tout réinventer. »

{Tomoko Konoike}
« Les Chapter 1 et Chapter 4 sont les extrémités d'une histoire de métamorphose, de mutation, de jaillissement et de cristallisation, étapes nécessaires et habituelles du monde des légendes, permettant aux personnages d'accomplir leur destinée. La boucle est bouclée, et ce même si l’histoire est incomplète ou invraisemblable. La magie opère, une nouvelle étoile est née. »

{Kumie Tsuda}
« L'imperfection peut donc être l'imitation de la perfection, ce qui permet à l'artiste de mener son œuvre sans jamais la terminer, tout en posant ainsi la problématique de la création, d'une fin et d'un début, amenant de nouveau vers ce lien invisible, sacré, qu'est la quête de l'infini. »

Essai sur le juke-box
7.4

Essai sur le juke-box (1990)

Sortie : 15 août 1992 (France).

livre de Peter Handke

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Il n'était plus emporté par la force chaleureuse des images, mais c'était, claire et nette, montée du cœur au cerveau, une contrainte froide, une façon absurde de se jeter, sans cesse, contre une porte fermée depuis longtemps et il se demanda si raconter, qui lui avait d'abord paru quelque chose de divin, n'était pas une illusion - une manifestation de son angoisse devant tout ce qui était dispersé, morcelé ? une manière de prendre la fuite ? un rejet de sa lâcheté ? Mais un homme qui passe, cure-dents entre les lèvres, en hiver, sur la Meseta de Castille et répond par un hochement de tête au salut, est-ce véritable ment tellement négligeable? - Peu importe : la première phrase du commencement de demain, il ne voulait pas la connaître ; après toutes ces premières phrases fixées d'avance, il avait été bloqué dès la seconde. — Mais par ailleurs : À bas toutes les prétendues lois de ce genre. Et ainsi de suite... »

« Le matin du jour suivant. La table contre la fenêtre de l’hôtel. Des sacs de plastique poussés par le vent passent sur l’étendue de gravats, pris ça et là par les chardons. A l’horizon un mont rocheux en forme de tremplin, sur la piste d’accès, un nuage de pluie en forme de champignon. Les yeux sont clos. Un bout de papier est mis dans la rainure de fenêtre à travers laquelle le vent souffle le plus. Yeux clos une nouvelle fois. Enlèvement du tiroir dont la poignée claque dès qu’on se met à écrire. Yeux clos pour la troisième fois. Hurlements plaintifs. Ouverture de la fenêtre. Un petit chien noir, juste en dessous, attaché au soubassement de la maison, trempé comme ne peut être trempé qu’un chien. Ses plaintes, interrompues par intermittence, et son haleine qui envoie des bouffées visibles, jusque dans la steppe. Aullar, c’est le mot espagnol pour hurler. Yeux clos pour la quatrième fois. »

Code ARDANT
6.4

Code ARDANT

Sortie : 10 avril 2024 (France). Roman, Science-fiction, Fantasy

livre de Marge Nantel

Nushku a mis 3/10.

Annotation :

« Un rythme naît. Dans la foule, dans les souffles. C’est un truc qui bat la mesure, qui fait claquer les talons sur les dalles, qui plaque les paumes humides sur les cuisses des mecs en sueur et excités comme à leur premier bordel. »

*

«  Au moment de la Page Blanche, on a des clusters qui ont pété en série et les bases de données qui ont suivi le mouvement. Les ancêtres avaient tout dématérialisé, même les manuels de réparation. Il y avait même plus un ingé digne de ce nom qui savait bosser sans s'appuyer sur trois logiciels. Je pense que ça a pas effleuré ceux qui avaient construit ce projet, mais ça a pris des années avant qu'on arrive à faire fonctionner les écrans connectés et qu'on retrouve la piste des satellites. »

*

« Lui, il a jamais connu la grande époque du tout connecté. Les satellites ont pété bien avant sa naissance. Mais ses grand-parents avaient gardé des tél de l'époque donc il en a vu et il en parle comme s'il s'en était servi. Et il a vu Internet avant la Page Blanche. Le partage d'info, de médias, ça avait l'air d'être dingue. Je le sens comme un petit fou dans ce bar qui lui rappelle des trucs que les autres ont pas connus, vu que même Cécile était pas née quand les data centers ont pété en rafale. La Troisième Guerre mondiale, m'a expliqué la Gomme. La guerre de l'info. Des fois je voudrais savoir qui est le premier bourrin qui a fait sauter les premières fermes de serveurs. Qui a lancé le truc. Parce que de représailles en représailles, le monde entier s'est retrouvé comme un con sourd et aveugle. La Page Blanche. »

*

« Fabien Arbate, l’"agent de liaison" et, de ce que j’ai pigé, pilote des traficotages secrets de la partie ouest de l’Europe et de l’Afrique, ressemble au play-boy moyen. Bien endimanché dans un costard deux pièces à chemise blanche, il a l’air d’appartenir au siècle dernier. D’ailleurs, il est coiffé pareil, avec ses tifs blonds qui grisent sur les tempes, en un truc trop élaboré pour résister au genre de vie qu’on mène. »

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge
7.5

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910)

Sortie : 1926 (France). Roman

livre de Rainer Maria Rilke

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Quel est donc le pouvoir d'un petit rayon de lune ! Voilà des jours où tout est lumineux autour de nous,léger, à peine suggéré dans la clarté de l'air et pourtant distinct. Les objets proches ont déjà la tonalité du lointain, ils sont abolis, montrés seulement du doigt et non tendus vers nous; et tout ce qui a rapport avec le lointain : le fleuve, les ponts, les longues rues, les places qui prodiguent leurs dons -- tout a absorbé le lointain derrière lui, tout est peint sur le lointain comme sur un tissu de soie. Comment dire dans ces conditions ce qu'est une voiture vert clair qui passe sur le Pont-Neuf ou quelque rouge à peine perceptible ou une affiche sur le mur pare-feu d'un groupe de maisons gris perle ? Tout est simplifié, ramené à quelques plans justes et clairs comme le visage dans un portrait de Manet. Et rien n'est insignifiant ni superflu. Les bouquinistes du quai ouvrent leurs boîtes et tout - le jaune frais ou fatigué des livres, le brun violacé des reliures, le vert plus ample d'un album — tout est juste, valable, tout prend part à l'ensemble, constitue une parfaite plénitude. »

*

« Et malgré cela, je lisais.
Il m'arriva quelquefois, des années plus tard, de m'éveiller la nuit et les étoiles étaient la, si réelles et elles cheminaient si chargées de sens que je ne parvenais pas à comprendre comment on pouvait prendre sur soi de laisser échapper un fragment si important du monde. J'avais, je crois bien, le même sentiment quand je quittais mes livres des yeux et que mon regard portait au-dehors, là où était l'été et où Abelone m'appelait. Il nous paraissait insolite qu'elle fût obligée de m'appeler et que je ne lui répondisse même pas. Cela tombait au milieu de notre époque la plus heureuse. Mais, comme la passion m'avait saisi,je me cramponnais frénétiquement à la lecture et je me dérobais, plein d'importance et d’entêtement, à nos fêtes quotidiennes. »

Le Nordique

Le Nordique (2017)

Chroniques retrouvées du dernier convoi

Sortie : 19 octobre 2017. Beau livre & artbook, Fantasy

livre de Olivier Enselme-Trichard

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Cette expédition n'est qu'une fourmilière itinérante de sédentaires en exil. Ils auront rêvé à l'ailleurs depuis le bien-être de leur salon. On leur aura fait miroiter l'exotisme d'un pèlerinage de prestige, qu'on a érigé en mission religieuse. Peu d'entre nous connaissent, au fond, l'inconfort du voyageur perpétuel, le déracinement ou les privations. On s'imagine qu'on roulera droit le long d'un chemin parfumé à l'enchantement du Principe, et on se retrouve trempé sous l'orage, à pousser des deux mains une voiture embourbée dans un raidillon boueux. Les bêtes tombent malade, on roule de nuit, le rasoir se casse, le miroir se brise... Sans famille, sans amis.
Est-ce cette adversité quotidienne qui conduit les pèlerins vers une régression collective ? Leur calendrier interne doublement circulaire s'est-il activé à l'unisson devant les difficultés ? Peut-être.
Des sociétés secrètes infiltrées sapent-elles le Nordique ? Les souistes eux-mêmes conditionnent-ils leurs propres ouailles à la guerre ? »

« Le Nordique s'épie lui-même... La-bas, des Gardiens de Sou ont un cil sur une escouade de notre milice... qui réprimande des pèlerins et leur confisque des cahiers de notes ou de croquis interdits. Bras en l'air, les objets du délit en main, leur chef s'assure d'avoir été vu des Disciples de l'Usage dans l'accomplissement de son devoir. »

« Une cohorte de cavaliers de Classe Haute, armes au clair, nous dépasse, suivie de l'escorte montée de Classe Moyenne, à dos de mulet. On sonne le cor, c'est l'hallali! J'assiste pour la première fois à l'attaque d'une cité désarmée.
Charge véhémente, lancée sans ordre, que nous appelions tous secrètement de nos vœux. La cavalerie investit la ville. Nous la suivons de près, aussi vite que nous le pouvons, dans le chambard et l'anarchie, en espérant figurer parmi les mieux lotis. Comme tout le monde, je rêve d'un bain aux huiles, d'un vrai lit, de murs épais, d'escaliers à monter, puis à descendre, d'une fenêtre par laquelle saluer une rue passante, de l'écho de ma voix dans une pièce. Je rêve de manger dans le plat d'un autre, d'éructer sous son toit, de souiller son jardin. Avant cela, nous devons faire place nette, éprouver par l'humiliation le pacifisme de ces souistes déviants, provoquer une terreur foudroyante, autrement dit, nous payer une bonne tranche de rigolade. »

De Monluc à la "Série noire"

De Monluc à la "Série noire" (1998)

Sortie : octobre 1998. Littérature & linguistique

livre de Jean Giono

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Il fait maintenant venir les saisons une à une. Elles se mélangent au drame avec leurs fleurs, leurs arbres, leurs oiseaux. Il apporte dans sa courte phrase pleine de retentissement à la fois les gloires de la terre et la bonté de son cœur. Et soudain apparaît un magnifique printemps. »

« L’hiver, le vent grondait, l’été, les guêpes. Les champs ne rapiéçaient par-ci, par-là qu’un maquis brunâtre ; plus de jappements de renards que de cris d’araire. Les collines sans grâce éreintaient les chevaux et les rêves. Le hérissement des montagnes, la perte de vue des plateaux protégeaient le cuir délicat des gentilshommes ruinés. Vivre de débris n’était possible qu’ici, loin de tous regards ; on y pouvait racler le pot jusqu’à l’émail, sans perdre la face. Ainsi se fabriquent des âmes maladroites que l’opulence éberluera toujours. Pour avoir longtemps imaginé la richesse, au-delà de l’horizon, on était ensuite devant elle totalement privé d’esprit. Ceux qui connaissent ces crêtes du Gers savent qu’elles ne prédisposent pas à la désinvolture. Au surplus, il y faut être robuste et de cœur bien chevillé. L’air, l’exercice, la fringale, la sobriété et même le jeûne y pourvoient. »

« Il est loin d’être ce qu’on croirait : un rat de bibliothèque, un sédentaire, un enraciné. C’est tout le contraire, il est ardent, vif, remuant, prêt à répondre à chaque instant et sur-le-champ à la plus légère des sollicitations. Un arbre de forme étrange, le glapissement d’un renard, l’odeur des tilleuls en fleurs le fait ondoyer en serpent de caducée à gauche et à droite de sa route. Mentor de cette troupe de jeunes gens, c’est lui qui se fera rappeler à l’ordre pour ses velléités de courses buissonnières, ses foucades, ses passions. Il n’a pas la curiosité en droite ligne, il pivote sur sa selle comme une girouette, ému de vents et de fumées ; il vise l’étape, mais il disperse son plomb sur tout ce qui brille et tout ce qui bouge. »

« Et il y a les herbes, il y a les arbres, il y a les algues, les oiseaux, les poissons, les serpents, les fourrures, les plumes, les écailles, les écorces, les mousses, les lichens, les champignons, les coquilles, les fleurs, les carapaces, les insectes, les mandibules, les dents, les bouches, les yeux, les antennes, les cornes, les ramures de toutes sortes ; tout, entouré d’auréoles, de moires, d’arcs, d’iris, d’ondes, de frissons, de manteaux de couleurs, de sons et de goûts.

Et au-delà, il y a la constellation des mondes. »

Épître aux Wisigoths

Épître aux Wisigoths (2023)

Sortie : 2023 (France). Essai, Littérature & linguistique

livre de Pierre Senges

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Le Wisigoth n'est pas curable, on peut le dire aussi incorrigible : s'il existe pour lui une thérapie, il risque de la convertir en grand charabia épique ou en situation de comédie. (II se donne un jour pour devoir de rendre compte de la misère du monde : il s'embarque aussitôt, il manipule les sangles d'un sac tyrolien, il repère des frontières sur une carte du monde,il sait où s'écoulent l’eau des barrages et celle des déluges, où les fidèles d'un roi déchu couchent à la belle étoile; mais très vite, du seul fait d'avoir à composer sur le papier les syllabes du mot tyrolien ou d'accorder son regard à l'abstraction si délicate et si respectueuse des lignes de frontière, il est sûr d'être accaparé une fois de plus par la fiction - accaparé au sens de préoccupé et de compromis.)

Le Wisigoth se détache, il méconnaît, il mésuse, il ignore le tac au tac et s'il en fait usage, c'est avec d'autres Wisigoths ; ses sous-entendus ne coïncident pas avec ceux de ses voisins mieux éduqués, ils semblent toujours tomber dans de minuscules abysses, un crachoir, une crevasse du plancher, là ou s‘enterrent définitivement les pièces de monnaie ; quand il cite un classique, il a l'air de se moucher ; il est en retard ou en avance, on l'a vu, mais son avance n'est pas héroïque,elle est un autre moment du retard.

Le Wisigoth était absent, et depuis ce temps sa façon d'ignorer est plurielle (ça le caractérise mais n'aide pas à le comprendre) : des événements, des noms, des faits, des refrains, des apothéoses remarquables, des célébrations et des scandales lui ont échappé ; il s'efforce le surlendemain de reconstituer des faits advenus dans le lointain, ce lointain de tout le monde sauf lui : il le fait de travers. Ses reconstitutions sont traîtres, le tissu du monde est troué, le Wisigoth raccommode mélancoliquement : la mélancolie est le nom donné à des paroles rassemblées pour combler des lacunes. À notre tour de devenir l'un des acerbes Wisigoths et d'entamer des parties inutiles. »

Le Désert des Tartares
7.8

Le Désert des Tartares (1940)

Il Deserto dei Tartari

Sortie : 1949 (France). Roman

livre de Dino Buzzati

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Mais derrière ses paroles, l’image de la ville lointaine apparut à ses camarades, avec ses palais, ses églises immenses, ses hautes coupoles, ses romantiques avenues le long du fleuve. A cette heure-ci, se disaient-ils, il devait y avoir un léger brouillard et les réverbères ne jetaient qu’une lumière jaunâtre, à cette heure-ci, il y avait des couples dans les rues solitaires et sombres, les cochers criaient devant les portes illuminées de l’Opéra, on entendait des violons et des rires, des voix de femmes, venues des portes cochères obscures des immeubles riches, les fenêtres étaient illuminées jusqu’à d’incroyables hauteurs, dans le labyrinthe des toits ; la ville fascinante, riche de tous leurs rêves de jeunesse et de ses aventures encore à connaître. »

*

« Toutes ces choses étaient désormais devenues siennes et les quitter lui eût fait de la peine, Drogo, pourtant, ne savait pas cela, il ne soupçonnait pas l’effort que lui eût coûté son départ, ni que la vie du fort engloutissait les jours l’un après l’autre, des jours tous pareils, avec une vitesse vertigineuse. Hier et avant-hier étaient semblables, il n’était plus capable de les distinguer l’un de l’autre ; un événement vieux de trois jours ou de vingt jours finissait par lui sembler également lointain. Ainsi, se déroulait à son insu la fuite du temps. »

*

« Cependant, le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s’arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d’œil en arrière. « Arrête ! Arrête ! » voudrait-on crier, mais on se rend compte que c’est inutile. Tout s’enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s’agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d’un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s’arrête jamais.

De jour en jour, Drogo sentait augmenter cette mystérieuse désagrégation, et en vain cherchait-il à s’y opposer. Dans la vie uniforme du fort, les points de repère lui faisaient défaut et les heures lui échappaient avant qu’il eût réussi à les compter. »

Orbitor
7.7

Orbitor (1996)

Aripa Stîngà

Sortie : 1999 (France). Roman

livre de Mircea Cărtărescu

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Un doigt de chiromancien, grossièrement bagué d’or, se promenait dans la paume de mon songe, interprétait et prophétisait, s’enlisait dans des rides chaotiques et soudain encerclait de l’ongle un tertre de peau claire, vitreuse, sous laquelle transparaissaient les rameaux des veines et des artères. Un délire aigre, un salmigondis de fils colorés, des tas d’ordures ménagères – et à l’improviste d’immenses paysages d’Altdorfer, des navires sur l’océan, des fauves d’ambre sur des monts bleus, des batailles où chaque passepoil et chaque fleur de lys et chaque grain de beauté sur le visage des soldats étaient visibles comme sous une loupe aveuglante. Des citadelles de marbre, abstruses, aux colonnes torsadées et aux fenêtres rondes, comme chez François de Nomé, parfois dit Monsú Desiderio. Des geôles comme chez Piranèse. Des crépuscules qui s’affaissent sur des édifices dépeuplés, sévères et solitaires, autour desquels je tournoie en vol lent, frôlant les mascarons des corniches, qui alternent avec des fenêtres incendiées où il est écrit HARDMUTH. »

*

« Après de telles soirées, qui devenaient l’oxygène de ma vie solitaire et frustrée, après mes promenades de taupe dans le continuum réalité-hallucination-rêve comme à travers un triple royaume inextricable, je me mettais au lit et je passais presque toute la nuit à lire au hasard l’un ou l’autre des livres empilés par terre, contre le coffre. Ils arrivaient à point nommé, mystérieusement, on eût dit les pièces d’une image-puzzle, claire et pourtant incompréhensible, incomplète, une sorte de superbouquin apparu à la frontière entre les livres et mon esprit. Ma lecture était profonde comme la nuit, le silence sifflait toujours plus fort, parfois un insecte tournoyait en bourdonnant sous l’abat-jour et finissait brûlé par l’ampoule surchauffée. »

« dès l’adolescence, j’imaginais un amalgame de chair, de pierre, de liquide céphalo-rachidien, d’aciers spéciaux et d’urine, un amalgame qui, étançonné par des vertèbres et des architraves, animé par des statues et des obsessions et digérant au moyen de boyaux et de centrales thermiques, aurait fait de nous un seul être. »

*

« Une paix d’outre-siècle, un univers réduit, celui des gens d’une même lignée, protégé par de saintes figures ailées, une odeur d’argile et de sainteté emplissaient la pièce, devenue tout à coup le cœur du cœur du monde. »

Les Chasseurs dans la neige

Les Chasseurs dans la neige (2018)

Sortie : 4 octobre 2018. Roman, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Jean-Yves Laurichesse

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Tout en s’éloignant, Pieter pense à son tableau qu’il avait oublié. Il faudra qu’y figure la ferme incendiée, drame humain minuscule qui ne troublera pas l’harmonie du paysage. Il se souvient de sa Chute d’Icare peinte quelques années plus tôt, du petit personnage tombant dans le ciel immense, infime catastrophe qu’ignore le laboureur creusant son sillon au premier plan. Il songe que l’homme n’est qu’un point dans l’ordre immense de la nature et que c’est peut-être une consolation. Le soleil tente de percer l’épais plafond de nuages. Quelques rayons s’échappent et viennent allumer des éclats de neige. Le monde est beau, et Pieter reprend le fredon interrompu. Bercé par le pas de son cheval, il suit le chemin blanc, somnole un peu dans l’air tiédi. Il a le sentiment obscur de pouvoir ainsi continuer longtemps, jusqu’à la mer. Il ferme les yeux et voit les mâts des bateaux pris par les glaces, dans ce petit port qu’il connaît pour y être allé souvent, du temps qu’il habitait Anvers, avec son ami Abraham, le géographe, dîner de poisson frit et de bière brune dans les tavernes de pêcheurs. »

*

« C’est alors qu’elle l’aperçoit. Il est adossé à un arbre et son manteau noir se confond avec le tronc. Mais elle devine entre le chapeau et la barbe le regard rieur. Le vent rabat d’un coup le feu et la silhouette de l’homme tremble dans l’air chaud. Maeke reste immobile sur le seuil, ne pense pas à remercier la femme de l’aubergiste pour la gosette. Heureusement, ils sont tous trop occupés à leur travail. Elle s’avance dans la neige vers l’homme immobile qui la regarde s’approcher. Quand elle est devant lui, il la salue respectueusement comme il l’avait fait avant de l’inviter à danser. Elle lui sourit mais reste silencieuse. »

Nushku

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