Cover Carnet de glanures : « Fragments »

Carnet de glanures : « Fragments »

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Liste de

520 livres

créee il y a plus de 4 ans · modifiée il y a 3 jours

Le Cri du canard bleu

Le Cri du canard bleu (2012)

Sortie : 3 octobre 2012. Roman

livre de Alexandre Vialatte

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« La Beauté ne s’explique pas. Elle s’impose, elle vous saisit. Elle vous laisse un signe au passage ; on le reconnaîtra toute sa vie. Elle vous attrape et vous conduit par des chemins qui sont à elle. Quand elle vous lâche, elle vous laisse des bleus sur vos poignets. » 

« C’était encore lui qui, suivi de Lafayette, partait en éclaireur, à la messe du dimanche, ranger les bancs des collégiens. À les voir descendant la rue des Sacristies, un petit labyrinthe gothique, l’un en pantalon blanc et l’autre tout en noir, baleiné d’on ne sait quelle solennité rustique, raidie de parapluie et de cellulo, on aurait dit deux artistes de cirque qui vont jouer leur numéro. Dans l’église il aimait le clinquant des roses métalliques, des feuilles dorées, des vases de mois de Marie.

Il aimait de la même façon les choses qu’on apprend à l’école, les problèmes, les départements, les poètes, la géométrie, comme des boutons de facteur ou des billes d’agathe. Ça brille, c’est sans utilité ; les autres ne pensaient qu’au bachot. »

Le Château de ma mère
7.1

Le Château de ma mère (1958)

Souvenirs d'enfance, tome 2

Sortie : 1958 (France). Autobiographie & mémoires

livre de Marcel Pagnol

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« "Je ne serais pas étonné, dit-il, si nous prenons quelques sayres ce soir, parce qu'aujourd'hui, c'est l'automne." Je fus stupéfait.

Dans les pays du centre et du nord de la France, dès les premiers jours de septembre, une petite brise un peu trop fraîche va soudain cueillir au passage une jolie feuille d'un jaune éclatant qui tourne et glisse et virevolte, aussi gracieuse qu'un oiseau... Elle précède de bien peu la démission de la forêt, qui devient rousse, puis maigre et noire, car toutes les feuilles se sont envolées à la suite des hirondelles, quand l'automne a sonné dans sa trompette d'or.

Mais dans mon pays de Provence, la pinède et l'oliveraie ne jaunissent que pour mourir, et les premières pluies de septembre, qui lavent à neuf le vert des ramures, ressuscitent le mois d'avril. Sur les plateaux de la garrigue, le thym, le romarin, le cade et le kermès gardent leurs feuilles éternelles autour de l'aspic toujours bleu, et c'est en silence au fond des vallons, que l'automne furtif se glisse : il profite d'une pluie nocturne pour jaunir la petite vigne, ou quatre pêchers que l'on croit malades, et pour mieux cacher sa venue il fait rougir les naïves arbouses qui l'ont toujours pris pour le printemps. C'est ainsi que les jours des vacances, toujours semblables à eux-mêmes, ne faisaient pas avancer le temps, et l'été déjà mort n'avait pas une ride. »

« Une voix au loin m'appela : je me cachai derrière la haie, et j'avançai sans bruit, lentement, comme autrefois... Je vis enfin le mur d'enceinte : par-delà les tessons de la crête, le mois de juin dansait sur les collines bleues ; mais au pied du mur, tout près du canal, il y avait l'horrible porte noire, celle qui n'avait pas voulu s'ouvrir sur les vacances, la porte du Père Humilié…
Dans un élan de rage aveugle, je pris à deux mains une très grosse pierre, et la levant d'abord au ciel, je la lançai vers les planches pourries qui s'effondrèrent sur le passé. Il me sembla que je respirais mieux, que le mauvais charme était conjuré.
Mais dans les bras d'un églantier, sous des grappes de roses blanches et de l'autre côté du temps, il y avait depuis des années une très jeune femme brune qui serrait toujours sur son cœur fragile les roses rouges du colonel. Elle entendait les cris du garde, et le souffle rauque du chien. Blême, tremblante, et pour jamais inconsolable, elle ne savait pas qu'elle était chez son fils. »

Le Miroir magique

Le Miroir magique (2020)

Sortie : 19 novembre 2020. Essai, Peinture & sculpture

livre de Jean Frémon

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Bellini aime les sujets nouveaux. Tout ici est nouveau pour lui, il lui tarde d’en prendre possession en le dessinant. Il exerce son œil et sa main, apprend à rendre en quelques traits la finesse d’une étoffe, le volume d’un turban. Constantinople est une mosaïque, le costume des femmes grecques n’est pas celui des Druzes, des Turques ou de celles d’Arménie, il lui faut les dessiner toutes. Il dessine le scribe, le porteur d’eau, les marchands du souk dans leur échoppe. L’un des janissaires qui garde la porte du sultan accepte de poser pour lui. Gentile le peint assis en tailleur, légèrement de trois quarts, les mains posées sur les genoux, on aperçoit le manche de son sabre et la crosse de son arc, un carquois de cuir pend à sa ceinture. Il porte un haut chapeau conique au sommet replié qui rendrait tout autre ridicule, mais pas lui. Une calme détermination émane de sa présence massive. »

*

« Le Lison est un cours d’eau du Haut-Doubs, affluent de la Loue. Je me souviens de son eau claire où nous pêchions de petits poissons pour la friture, parfois même une truite. Il arriva aussi que nous ne résistâmes pas à nous y tremper des pieds à la tête pour nous rafraîchir au terme d’une longue course à vélo. C’est le pays de Courbet, dont le nom semble prédestiné tant il sut rendre le charme de cette nature, collines et vallées, méandres de ses rivières, qui tient précisément à l’abondance de ses courbes.

De Courbet à Maupassant, il n’y a que la distance d’Ornans à Étretat, d’un tableau à l’autre, des Sources de la Loue à La Vague. »

*

« Ayant reconnu les traits de l’artiste dans ce tableau de jeunesse, on peut maintenant s’amuser à le chercher partout où il se cache. La profondeur est abolie, il n’y a plus de perspective, plus de lointain, mais toujours, dans chaque tableau jusqu’au dernier, les hiéroglyphes élémentaires d’un visage défiguré. Toujours ce cercle, pupille obstinée, parfois l’amande d’un œil, pris dans une matière fluide dont les coulures excèdent la forme. « La peinture, c’est un œil, un œil aveuglé, qui continue de voir, qui voit ce qui l’aveugle. »

Un voyageur en terre du milieu
8.1

Un voyageur en terre du milieu

A Middle-earth Traveller : Sketches from Bag End to Mordor

Sortie : 9 octobre 2018 (France). Beau livre & artbook

livre de John Howe

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« [...] Une Nouvelle-Zélande spirituelle et symbolique vue à travers le prisme de la fiction ; la topographie n'est plus un objet et les paysages deviennent un véhicule narratif.

Après de longues années en Terre du Milieu, je constate que j'ai suivi les mêmes chemins. Toutes les images qu'elle m'a inspirées, et qui sont devenues mes créations, ne recoupent pas une seule et même catégorie: alors que certaines s'inspirent d'endroits précis, d'autres sont le fruit du hasard et des combinaisons. Imaginer la Terre du Milieu repose à mon sens sur une stratification à quatre couches: les histoires elles-mêmes, les descriptions et les détails qu'elles révèlent, les lieux et les événements qui ont inspiré l'auteur et, enfin, les régions de Nouvelle-Zélande choisies dans les deux trilogies cinématographiques. Superposée à cela — et parfois mêlée au tout — il y a mon expérience personnelle, les rencontres fortuites de paysages et de lumières, les endroits qui semblent "cadrer" et qui trouvent leur place dans l'image. (Curieusement, l'Amérique du Nord de ma jeunesse n'en fait pas partie: les Rocheuses n'ont rien des Montagnes de Brume, les Havres Gris ne se trouvent nulle part dans le Nord-Ouest Pacifique.) Certains endroits, comme la Suisse, recoupent deux catégories. Au bout du compte, ils deviennent tous inextricablement liés au paysage mental de la Terre du Milieu. Il s'agit là, naturellement, d'une géographie de la pensée et de l'esprit, guidée par les histoires et par le hasard ; marquée par un désir de communion avec le paysage et, plus encore, avec le sublime.Combien de fois ai-je regardé du haut des remparts de Gundabad, contemplant le Nord, cherchant en vain une excuse pour aller me perdre au royaume du Roi-Sorcier de l'Angmar ? Je me rappelle notre excitation quand le scénario du Hobbit nous a transportés vers l'est, jusqu'à la mer du Rhûn, ou au nord sur la Lande Desséchée où régnaient autrefois des dragons, et ma déception lorsque des révisions au scénario ont empêché son exploration. »

Cabane
8

Cabane (2024)

Sortie : 21 août 2024. Roman

livre de Abel Quentin

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« — Il faut modifier notre regard sur les choses, Paul. Regarder chaque morceau de terre comme une parcelle d’un tout épuisable et fini. Éprouver la surface limitée de toute chose. Mentalement. Et dans le même temps, éprouver l’emprise humaine sur le monde. Son emprise grandissante. Chaque hectare de nature sauvage irrémédiablement perdu. Il faut laisser la panique gagner, et tirer toutes les conséquences du rapport. Cela signifie : inverser la direction du monde. Inverser la force énorme d’expansion. Moi, j’ai entendu le bruit de l’effondrement. »
« Il avait l’impression que ceux qui le félicitaient tenaient pour acquis que le rapport avait changé la sienne. Tel n’était pas le cas, pourtant. Certes il lui arrivait, au cœur de la nuit, d’entendre le bruit de l’effondrement : le chant infernal des plateformes de forage, le craquement des glaciers, les hurlements d’enfants affamés. Alors il s’efforçait de les convertir en un élégant schéma de boucles de rétroactions, un système dynamique à la Stoddard, et les bruits disparaissaient. »

« — … Et il a fait des petits. Des milliers de petits Halshey, prêts à dénigrer nos travaux. Des milliers de petits ayatollahs ultralibéraux qui croient aux vertus magiques du marché, qui pensent que le marché pourra éviter la catastrophe écologique. Je me souviens de Halshey, avec son « signal-prix », qu’il agitait comme un fétiche : « Lorsque les ressources sont rares, leur prix augmente, et elles sont moins consommées. » Fermez le ban ! Imaginez : des régiments de petits Halshey prêts à raconter n’importe quoi pour endormir les gens, et les convaincre que nous « noircissons le tableau ». Ce ne sont pas les pires, d’ailleurs. Eux, au moins, se battent sur le terrain des idées. Aujourd’hui, il existe un ennemi bien plus redoutable. »

Roland Cat

Roland Cat (1981)

Sortie : 1981 (France). Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Jean-Marie Benoist et Constantin Jelenski

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Attiré par le mystère, je partage le désintérêt de Roger Caillois pour ce qu'il appelle le "fantastique de parti-pris", pour les œuvres créées expressément pour surprendre et qui stipulent au départ un univers imaginaire qui ne tient aucun compte des lois du monde réel. "Il faut au fantastique — écrit Roger Caillois— quelque chose d'un volontaire, de subi, une interrogation inquiète non moins qu'inquiétante, surgie à l'improviste d'on ne sait quelles ténèbres, que son propre auteur fut obligé de prendre comme elle est venue".Or, si toutes les oeuvres que reproduit Caillois dans son ouvrage Au cœur du Fantastique répondent à cette exigence, aucune n'est postérieure au XIX° siècle (curieusement, elles ne comportent que 30 tableaux et plus de 150 gravures). Comment se fait-il, me suis-je demandé, que l’œuvre de Cat corresponde de si près au fantastique défini par Caillois, tout en restant ouverte de plein-pied sur notre temps ? Je vois la réponse à cette question dans le rapport entre le premier plan et l'arrière-plan de ses tableaux, autrement dit dans son usage du "violon de Constable". » [Jeleński]

*

« Plus maléfique encore peut-être, La ceinture (1973), cette clairière entravée de cordages qui courent entre les arbres qu'ils enserrent : sous ce foisonnement fou des feuillages, des renoncules et des champignons tapis sous les fougères, il faut lire les dentelures extrêmes du végétal comme une singularité vénéneuse poussée jusqu'à l'angoisse. Ce qui se dit ici, avec la précision ciselée et burinée de certains rêves, c'est l'étreinte contraire à la liberté, c'est l'entrave qui, loin de ceindre la totalité de la forêt, ensemble incernable, se contente d'empêcher l'accès à la clairière, donc à la Lumière : Lichtung promise et jamais atteinte. » [Benoist]

Jour de ressac
6.8

Jour de ressac (2024)

Sortie : 15 août 2024. Roman

livre de Maylis de Kérangal

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« ; voir la mer, l’initiation alpha pour ceux qui ne l’avaient encore jamais vue, se l’imaginaient bleue quand la nôtre était autre chose, rude, complexe, à la fois pétrolière et impressionniste, prosaïque et rêveuse, parcourue de lignes, de routes, et d’une couleur que pas un seul nom de couleur ne pouvait résorber, d’une couleur qui aurait amplement mérité qu’un nom fût créé pour elle, incluant sa texture, son reflet, son mouvement ; voir la mer, oui, puis nos visiteurs passaient le reste de leur séjour à se pâmer, certains que nous ne savions pas apprécier notre ville à sa juste mesure, quand pas un seul d’entre eux, of course, n’aurait songé à s’attarder ici, le béton leur était inamical, le port opaque et trop industriel, les rues du centre-ville désertes à dix-huit heures, et déjà le premier soir ils se mouchaient, geignards, certains d’avoir chopé la crève. »

« Blaise connaît mon penchant pour les histoires. Celles que je me raconte, celles que je raconte aux autres, celles où je me démultiplie, où je peux me cacher, redevenir une inconnue, en finir avec moi. Les histoires, c’est ta tendance, c’est ta gravitation interne, c’est ce qu’il me chuchote à l’oreille tandis qu’il pose une main à l’arrière de ma tête, sa paume tel un aimant chaud, comme s’il cherchait à faire venir par haptonomie les récits qui circulent dans ce petit sac cabossé qu’on appelle l’occiput. Il sait ma pente pour ces mythes configurés dans toutes les langues, pour ces vieux poèmes actifs, pour ces petites narrations mal foutues et sauvages, hoquetées, étranglées, trouées de partout, ces bribes. Il est parfaitement au courant de mon attrait pour les contes, ceux que j’ai découverts à l’âge de six ans et que je lisais à mon frère, ces contes que j’ai tant aimés et sous l’empire desquels nous entrions dans la nuit, abasourdis, où nous nous tapissions ensemble. » 

« […] nous serions insérés dans un réseau de connecteurs qui maillent tous les paysages du globe, par-delà l’arbitraire de la naissance et les classes sociales, les castes et les ghettos, nous serions les points de contact d’un étoilement vertigineux où chacun d’entre nous est relié à tous, autrement dit à tout vagabond aux pieds calleux, à tout soldat tondu en route vers le front de l’Est, à tout prisonnier détenu à l’isolement, à tout réfugié blotti sur le pont de l’Ocean Viking, à tout défunt enterré sous X au cimetière de Thiais par un matin de printemps vert tendre. »

Beren et Lúthien
7.9

Beren et Lúthien (2017)

Sortie : octobre 2017 (France). Récit, Conte

livre de J.R.R. Tolkien

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Peut-être tous les Elfes disent-ils vrai, que tous deux chassent à présent dans la forêt d’Oromë en Valinor, et que Tinúviel danse sur les vertes pelouses de Nessa et de Vána, filles des Dieux, à tout jamais ; mais grand fut le chagrin des Elfes lorsque les Guilwarthon les quittèrent, et se trouvant sans souverain et leur magie amoindrie, leur nombre diminua ; et ils furent nombreux à partir pour Gondolin, car la rumeur de sa puissance et de sa splendeur grandissantes courait en murmures secrets parmi tous les Elfes. »

« Alors Tinúviel entama une danse telle que ni elle ni aucun autre esprit ou fée ou elfe n’en ont dansé auparavant ou depuis, et même le regard de Melko se figea d’émerveillement au bout d’un moment. Tout autour de la salle alla-t-elle, rapide comme une hirondelle, silencieuse comme une chauve-souris, magiquement belle comme seule Tinúviel le fut jamais, et tantôt était-elle aux côtés de Melko, tantôt devant lui, tantôt derrière lui, et ses draperies brumeuses touchaient son visage et s’agitaient devant ses yeux, et les gens assis le long des murs ou bien debout en ce lieu furent l’un après l’autre envahis par le sommeil, tombant en des rêves profonds de tout ce que leurs cœurs maléfiques pouvaient désirer. »

« Or Tinúviel prit le vin et l’eau lorsqu’elle se retrouva seule, et chantant tout au long une chanson fort magique, ensemble elle les mêla, et alors qu’ils reposaient dans le bol d’or elle chanta une chanson de croissance, et alors qu’ils reposaient dans le bol d’argent elle leur chanta une autre chanson, et les noms de toutes les choses les plus grandes et les plus longues sur Terre furent mises dans cette chanson ; les barbes des Indravangs, la queue de Karkaras, le corps de Glorund, le tronc de Hirilorn, et l’épée de Nan nomma-t-elle, et elle n’oublia pas non plus la chaîne Angainu que façonnèrent Aulë et Tulkas ni le cou de Gilim le géant, et en dernier et la plus longue de toutes elle parla de la chevelure d’Uinen la dame de la mer qui s’étire à travers toutes les eaux. »

« Ainsi advint-il que Beren fut traîné devant Melko, et il tint un cœur brave en lui néanmoins, car c’était une croyance du clan de son père que le pouvoir de Melko ne durerait pas toujours, mais que les Valar prêteraient enfin attention aux larmes des Noldoli, et se lèveraient et lieraient Melko et ouvriraient le Valinor une fois de plus aux Elfes las, et une grande joie reviendrait alors sur Terre. »

La Maison des soleils
8.3

La Maison des soleils (2008)

House of Suns

Sortie : 18 avril 2024 (France). Science-fiction

livre de Alastair Reynolds

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« – On ne l’appelle pas une constante universelle pour rien, Abigail. Malgré tout, qui sait ? Peut-être qu’une civilisation émergente, un rameau humain lointain de l’Heure d’or finira par concevoir les instruments du voyage supraluminique. Ce qui aura une grande importance pour nous. On l’adoptera de tout cœur, n’ayez crainte. Mais ça n’altèrera ni la nature de notre être ni la raison de notre existence. La galaxie restera trop vaste, trop complexe, pour qu’un individu l’appréhende dans son intégralité. Se fragmenter, devenir un ensemble de points de vue, sera toujours la seule façon d’y parvenir. Je dois ajouter que le voyage supraluminique me paraît peu susceptible de se réaliser dans notre avenir. Des individus bien intentionnés s’y attaquent depuis mille ans, Abigail. Ils n’ont même pas réussi à déplacer une information utile de cette manière, sans parler d’un objet aussi massif, aussi peu maniable qu’un vaisseau spatial. Cette limite est intrinsèque aux règles fondamentales de l’univers. C’est comme essayer de jouer au go sur un échiquier. On ne peut pas.

– Pourquoi ? »

*

« Des fantasmes me donnaient le tournis. J’allais mener une conquête interstellaire, me fragmenter en mille éclats de joyaux et les imprégner de mon étincelle vitale. Le petit garçon était un coup à la porte, venu d’un passé dont je ne me souciais plus. Je voulais qu’il s’en aille et qu’il emporte mon enfance avec lui. »

L'Ange exilé
8.2

L'Ange exilé (1929)

une histoire de la vie ensevelie

Look Homeward, Angel

Sortie : 1929. Roman

livre de Thomas Wolfe

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Mais il était absolument incapable d'accepter la discipline, l'assiduité dans l'effort, l'amertume de l'échec et de la défaite, comme le fait le bon athlète ; il voulait toujours gagner, toujours être le général, l'héroïque porte-drapeau de la victoire. Venait ensuite le désir d'être aimé. La victoire et l'amour. Dans toutes les proliférations de ses rêveries, c'était ainsi qu'Eugène se voyait – invaincu, adoré. Mais il y avait des moments où il voyait plus clair et où se révélait une vie de déconvenues et de chagrins. Il voyait son corps monté en graine, ridicule, son visage rêveur, absent, égaré, trop semblable à une fleur étrange et mystérieuse pour éveiller chez ses compagnons ou ses parents, pensait-il, d'autres sentiments que la gêne, l'hostilité ou l'envie de se moquer ; le cœur serré, il se rappelait les innombrables humiliations qu'il avait subies, par le geste ou la parole, à l'école et en famille, à la face du monde, et à cette pensée, les trompettes de la victoire se taisaient au fond des bois, les roulements triomphants des tambours s'éteignaient, les vibrations sonores et fières des gongs faisaient place au silence. Ses aigles envolées, il se voyait, dans un moment de lucidité, comme un fou qui joue le rôle de César. Il détournait la tête et se voilait la face. »

« Puis chacun redevint conscient de la présence de l'autre ; l'étrangeté et l'horreur de l'endroit les frappèrent soudain. Ils se remémorèrent la maison couverte de vigne, là-bas dans les montagnes, les feux ronflants, le tumulte, les imprécations, la souffrance, toute leur vie confuse et mêlée, et le mauvais coup du sort qui les avait amenés ici, maintenant, loin de tout, pour y rencontrer la mort, à l'issue du carnaval.
Eliza se demandait pourquoi elle était venue : en quête d'une réponse, elle s'engagea dans les ardents et furieux labyrinthes :

— Si j'avais su, fit-elle bientôt, si j'avais su comment cela tournerait… »

Connexions
6.6

Connexions (2017)

Nexus

Sortie : 16 mars 2023 (France). Roman, Science-fiction

livre de Michael F. Flynn

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Ils tiennent le monde au creux de leurs mains. Un homme venu d’un continuum perdu qui considère tous ceux qui l’entourent comme des « fantômes », une femme qui voit en eux des « ombres » éphémères ; un être dont les ancêtres sont devenus semblables aux humains grâce à l’ingénierie génétique, mais qui vit dans la crainte que ces mêmes « aborigènes » l’attaquent avec sauvagerie s’il venait à être percé à jour ; une androïde pour qui le concept même de « vie » est étranger ; une télépathe chez qui un long trempage dans la marinade des pensées instinctives des gens a coloré les émotions d’un mépris tenant du réflexe. Aucun d’eux n’éprouve un intérêt particulier pour le destin de l’humanité. A-t-on jamais vu jury plus mal constitué ? »

L'Examen
8

L'Examen (1954)

The Test

Sortie : 21 novembre 2019 (France). Science-fiction, Nouvelle

livre de Richard Matheson

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Personne ne parlait de mourir. L'Administration envoyait des convocations, on subissait un examen, et ceux qui échouaient étaient sommés de se présenter au centre administratif pour leur injection. La loi fonctionnait, le taux de mortalité était stable, le problème de la surpopulation jugulé - le tout de façon officielle, impersonnelle, sans hauts cris ni scandale. Mais c'étaient toujours des personnes aimées que l'on tuait. »

« Si seulement il pouvait oublier le passé et prendre son père pour ce qu’il était à présent : un vieillard impotent, radoteur, qui leur gâchait la vie. Mais il était difficile d’oublier combien il avait aimé et respecté son père, difficile d’oublier les randonnées dans la campagne, les parties de pêche, les longues conversations le soir venu et toutes les joies qu’ils avaient partagées. »

Zodiaques

Zodiaques (2023)

Constellations d'Orient

Sortie : 3 novembre 2023. Essai, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Khalid Chakor Alami

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le mot zodiaque, dérivé du grec zôdios ou "figure d'animal", désigne les constellations parsemées dans une bande de ciel qui coupe l'équateur céleste d'après un angle d'environ 23°26' et qui s'étale sur 8°30' de part et d'autre de l'écliptique, soit la trajectoire parcourue par le Soleil pendant un an à partir de l'équinoxe du printemps, appelé également "point vernal".
Cette trajectoire est désignée par le terme arabe nitâq al-burouj. Sur cette bande évoluent également les six astres mobiles. Le zodiaque est divisé en douze parties de 30° appelées "signes', chacune étant divisée à son tour en trois décans de 10°. Il convient de distinguer deux conceptions zodiacales : tout d'abord le zodiaque sidéral des constellations, qui se réfère aux étoiles fixes à l'origine de sa naissance. Celui-ci prend en compte la lente précession de l'axe de rotation terrestre qui fait varier la longitude des étoiles d'environ un degré tous les soixante-douze ans. Un signe zodiacal ne rejoint sa constellation d'origine qu'au bout de 2 150 ans : c'est ce qu'on appelle la précession des équinoxes. La seconde conception concerne le zodiaque tropical des signes, qui ne prend en compte que le point vernal et le parcours annuel en douze parties égales à partir de l'équinoxe du printemps. »

La Peste du léopard vert
6.7

La Peste du léopard vert (2003)

The Green Leopard Plague

Sortie : 21 septembre 2023 (France). Roman, Science-fiction

livre de Walter Jon Williams

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

« La famine et les camps relèvent de la politique à présent, et ça date d’avant ma naissance. Si une population entière souffre de la famine, c’est parce que quelqu’un, quelque part, y voit une source de profit. Il est difficile d’exterminer un groupe ethnique que vous détestez, la guerre coûte cher, il y a des questions à l’ONU, et vous risquez de vous retrouver à La Haye, jugé pour crimes de guerre. Mais attendez que survienne une mauvaise récolte et arrangez-vous pour que la population tout entière soit affamée , et ce n’est plus pareil – voilà que vos ennemis sont prêts à lâcher leur argent contre de la nourriture, voilà que l’ONU arrive à la rescousse plutôt que de vous taper sur les doigts, et vous récupérez une fraction des aides, vous collectez des pots-de-vin auprès de toutes les ONG, vos ennemis sont parqués dans des camps et vous pouvez faire entrer vos forces armées dans le pays sans rencontrer la moindre résistance, vous assurer que vos ennemis disparaissent, contrôler tout ce qui se passe lorsque certaines livraisons s’égarent dans des entrepôts gouvernementaux où on peut vendre de la nourriture aux affamés ou carrément l’exporter pour en tirer profit… » 

La Survivance des Dieux antiques
7.1

La Survivance des Dieux antiques (1940)

Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et dans l'art de la Renaissance

Sortie : 9 novembre 2012 (France). Essai, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Jean Seznec

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Nous avons étudié, dans les chapitres qui précèdent, les causes générales de la survivance des Dieux au Moyen Âge : ils servaient de véhicules à des idées si profondes, si tenaces, qu'ils ne pouvaient pas périr.
Pourquoi, dès lors, parle-t-on communément de la mort des Dieux à la fin du monde antique, et de leur "résurrection", à l'aube de la Renaissance italienne ? C'est que, précisément, de leurs images le contenu subsistait seul: l'enveloppe, la forme classique avait disparu ; ils l'avaient peu à peu dépouillée pour revêtir des déguisements barbares, qui les rendaient méconnaissables. Aussi L'histoire, jusqu'à présent, les a-t-elle toujours méconnus.Cette erreur, et cette injustice, s'expliquent d'autant plus aisément qu'une très ancienne habitude d'esprit nous incline à considérer la tradition antique d’un point de vue exclusivement formel: seules attirent notre intérêt, ou retiennent notre attention, les œuvres qui ont conservé, ou retrouvé, le style classique. Pour nous, les Dieux ont donc cessé de vivre, dès l'instant où ils l'ont perdu.
Nous voudrions montrer […] combien, tout au contraire, ces dieux du Moyen Âge, ces dieux bâtards, ces dieux-fantômes, ont vécu d'aventures étonnantes, à travers le monde et les siècles ; et combien l'étude même de leurs métamorphoses et de leurs avatars est riche d'enseignements pour l'histoire de la civilisation. »


« D’autre part, ce que nous avons dit des migrations des dieux éclaire, sur certains points, le véritable rôle de l’Italie. Ce rôle est capital ; mais il est un peu différent de celui qu’on a coutume de lui prêter.
Tout d’abord, l’Italie a regu du dehors un grand nombre de thèmes antiques : le cas est frappant pour les dieux. Ils n’ont pas tous surgi, comme on l’imagine d’ordinaire, du sol méme où ils avaient régné jadis ; ils sont revenus d’un lointain exil, beaucoup après d’étranges détours. On ne saurait trop souligner l’exemple de Pétrarque — le plus grand humaniste italien du XIVe siécle — s’inspirant d’un Anglais, ‘Albricus’, pour tracer la figure de Neptune ou de Jupiter. »

Art et nature à Chaumont-sur-Loire

Art et nature à Chaumont-sur-Loire (2017)

Sortie : 24 mars 2017. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture, Écologie

livre de Chantal Colleu-Dumond

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Ce n'est pas des matières que je pars, c'est de l'espace. Depuis que nous sommes sortis du tableau, c'est l'espace lui-même qui est le cadre, qui est la matière [...]. À partir du moment où nous sommes sortis du tableau, tout est devenu tableau. C'est pour cela que je me considère comme un peintre. » (Jannis Kounellis)

« Oliveira travaille le plus souvent en lien avec l'architecture dont il épouse les volumes, les creux et les fissures. "Mes installations sont davantage des murs vivants faits de chair, de peaux abîmées ou encore de grandes peintures." (Henrique Oliveira)
Comme des troncs d'arbres ou des racines tordus par des énergies mystérieuses ou des ondes telluriques,ses sculptures, aux qualités également très picturales,semblent se mouvoir et nous entraîner dans un tourbillon fascinant. »

L'Art de Assassin's Creed Mirage

L'Art de Assassin's Creed Mirage (2024)

The Art of Assassin's Creed Mirage

Sortie : 27 juin 2024 (France). Beau livre & artbook, Jeu vidéo

livre de Rick Barba

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Au tout début du projet, lorsqu'on m'a demandé quelles étaient mes intentions quant à la direction artistique du jeu, je n'ai pas immédiatement parlé d'architecture et de reconstruction historique. Ayant grandi de l'autre côté du fleuve Tigre, j'ai puisé mes intentions initiales de mes souvenirs d'enfance. C'est ainsi que j'ai bâti les fondations d'une Bagdad bien différente de la ville en ruine et poussiéreuse auxquels certains s'attendaient. J'ai décrit une cité-jardin avec de l'eau partout, des fontaines, des canaux avec des palmeraies, des marais méridionaux avec de majestueuses volées d'oiseaux migrateurs. Et surtout, le ‘coin des grenouilles’ le long du fleuve que je chérissais quand j'étais enfant. » Jean-Luc Sala, Directeur artistique

« Lorsque les artistes ont commencé à travailler sur le costume de Basim, je devais trouver un élément spécifique qui aiderait à définir Basim en tant que personnage, en ajoutant à sa personnalité et à son histoire. J'ai pensé à l'enfance de Basim avec son père à Samarra et à la maison qu'il a quittée sans jamais y revenir. Je me suis souvenue de mon propre départ de la maison de mon enfance et des morceaux de tapisserie que j'avais emportés avec moi pour garder un souvenir de cet endroit. C'est pourquoi le personnage de Basim porte désormais un pendentif bleu sur son costume : un morceau de faïence détaché d'un mur de la maison de son enfance. Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d'autres, et la raison pour laquelle nous nous sentons chez nous lorsque nous explorons le monde d'Assassin's Creed Mirage. Il est rempli de ces fragments de vie : les nôtres et celles des centaines de personnes de l'équipe qui y ont mis une partie d'elles-mêmes, sous une forme ou une autre. Nous sommes convaincus que l'âme d'un jeu est composée de tous ces individus. Ce livre célèbre le talent et le dévouement de tous les artistes qui ont participé à la recréation du monde vibrant qu'est la Bagdad du neuvième siècle et de toutes les histoires qui s'y sont déroulées. Nous espérons que vous prendrez plaisir à parcourir les rues glorieuses ensoleillées et animées de la ville à nos côtés. » Sarah Beaulieu, Directrice de la narration

La Bande dessinée au musée

La Bande dessinée au musée (2024)

Exposition présentée au Centre Pompidou du 29 mai au 4 novembre 2024

Sortie : 29 mai 2024. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Anne Lemonnier

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Le recours aux images jalonne le cheminement de Catherine Meurisse au sortir des attentats. Le récit de son séjour à Rome, dans la seconde partie de La Légèreté, décrit ce processus, une fascination qui mène à la sublimations, selon ses mots. "À Rome, j'étais intuitivement attirée par les peintures et les sculptures qui me racontaient la violence. Je ne pouvais pas ne pas me confronter à elles. Sur place, je n'ai pas su quoi faire de cette fascination ; ce n'est qu'après avoir réalisé La Légèreté que j'ai pris conscience de la médiation opérée : Le Cri de Munch m'a permis d'exprimer l'effroi, le ciel de Turner m'a confirmé que j'étais sur terre, les sculptures antiques démembrées m'ont permis d'approcher les corps des amis assassinés." Le champ de l'abstraction s'ouvre alors en une "intuition gigantesque" : "effacer les contours, faire page blanche - non pas refuser de se souvenir de l'événement traumatique, mais concentrer son énergie vitale sur l'essentiel (à ce moment-là : retrouver la capacité de penser". Dans cette quête, "s'apparentant à une crise mystique, à une recherche spirituelle", plusieurs artistes s'imposent : David Hockney — et l'azur de ses Piscines ; Cy Twombly — la blancheur de ses tableaux parcourus de frêles écritures ; et Mark Rothko — dont les incendies disent mieux les choses que je ne saurais le faire", dit-elle. Soudain, sa pratique du dessin lui semble trop restreinte. Elle est saisie par un besoin vital de peindre en grand, d'un geste plus ample, sans toutefois franchir le pas, par fidélité au langage qui est le sien, mais aussi en hommage aux dessinateurs disparus. Elle poursuit ses récits en bande dessinée, tenaillée par le désir de se désincarcérer d’un habitacle complètement froissé, multipliant les audaces graphiques, supprimant les cases, laissant fuser l'encre. Elle ajoute, comme un constat, ou un défi : "L'attirance pour l'abstraction est toujours là ; la peinture, comme un gouffre où renaître". »

Nathanaëlle Herbelin

Nathanaëlle Herbelin (2023)

Sortie : 3 mars 2023. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Henry-Claude Cousseau, Anaël Pigeat, Emanuele Coccia, Guslagie Malanda et Nathanaëlle Herbelin

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Et pourtant, en quête d'intimité et de transparence, les peintures de Nathanaëlle Herbelin aspirent au face à face, tout en gardant la liberté de la distance. Elles aiment à la fois surprendre et rester en sursis, s'approprier le regard et différer leurs effets, en estomper la présence. Quoiqu'insistantes, pressantes, toutes d'un bloc, les images se veulent aussi incertaines. Ouvertes aux accidents et aux surprises,la dimension fortuite de certaines d'entre elles nous est subtilement dérobée; tous les éléments qui les constituent nous parviennent ensemble, dans une lumière à la fois irradiée et diffuse, crayeuse, blanche, assourdie, avec quelque chose d'égal et d'uniforme qui polit la surface et en accuse le caractère lointain. Tout porte à croire qu'on est en plein rêve ou qu'une émotion ravive un souvenir. Mais le rayonnement quelque peu subreptice, la clarté souterraine qui sont les leurs, la densité, la concision dont elles font preuve,et paradoxalement la force de leur impact, en appellent à une cause plus secrète et plus furtive. »

« L'image s'en prend donc à tous les stratagèmes qui peuvent décupler son pouvoir, du thème de l'ouverture et de la fenêtre à celui du miroir et de ses reflets,des arcanes du cadre à celui des bordures, et expose tous les pièges de ses apparences et de sa mise en abyme. Elle déploie son ancestrale séduction dans les variations du portrait ou du nu, dans les mises en scène d'intérieurs, surtout quand elles sont désertées de la présence humaine, amplifiées du silence que traduisent les objets isolés dans leur carcan de nature morte. C'est dans une lumière abstraite, qui a renoncé aux timbres de sa parure, que les gestes se figent, que les regards s'arrêtent, que tout glisse vers la transparence d'un monde qui abolit le souffle et son battement menaçant, qui veut durer, annexer le repos, s'en tenir à l'humilité du souvenir. »

Hicham Berrada

Hicham Berrada (2018)

Sortie : 12 avril 2018. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Aude Wyart et Eric De Chassey

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« HB : Bachelard évoque les mondes oniriques, le monde onirique du grenier ou celui de la terre. Le monde onirique est un monde de l'esprit, mais il est commun à tous. Par exemple, le monde onirique du grenier peut être considéré comme réel caril est partagé par tous.

Je trouve stimulant de penser à ces mondes oniriques, par exemple aux mondes sombres et denses de la terre. Il y a aussi le monde onirique du lait. Je suis fasciné par cette surface parfaite, belle, blanche,opaque, qui n'est pas traversée par la lumière. Ce sont ces images mentales qui nourrissent ma pratique.

Chacune de mes pièces peut être pensée comme un petit monde clos régi par ses propres règles. Ce sont des mondes possibles, dans le sens ou ils peuvent exister en puissance dans la nature. Ce sont des mondes qui existeraient si les conditions qui nous entourent venaient à changer. Je ne les crée pas. J'active leur existence par l'association de différents produits chimiques.

MM : Pourquoi dis-tu que tu ne crées pas toutes ces formes ?

HB : Elles existent en puissance dans la nature. Je ne suis pas créateur de ces formes. Je ne les ai ni dessinées, ni inventées. Mon rôle consiste à réunir les conditions nécessaires pour les faire émerger/exister à un moment donné, dans un lieu donné.

MM : En résumé, ta démarche consiste à créer des mondes »

*

« MM : À l'image de la nature, ton travail donne à voir des formes toujours changeantes, en constante évolution. Elles ne sont jamais figées.

HB - Mon travail parle de morphogenèse. Comment et pourquoi une forme peut-elle naître ? Selon moi, aucune forme n'est stable ; c'est la raison pour laquelle j'ai développé la série sur les "Masse et Martyr".Je détermine les règles/conditions nécessaires pour démontrer que les matières les plus nobles, comme le bronze, peuvent elles aussi s'altérer. Il y a partout entropie ! Il m'importe de montrer des formes en constante évolution, ou alors des formes qui contiennent en elles le récit de forces antérieures. Dans un bronze comme celui-ci, il est possible de comprendre sa genèse, fruit de forces contraires. Toutes les formes naissent de ce genre de contraintes. »

Sale Gosse
7

Sale Gosse

Bad Little Kid

Sortie : 14 mars 2014 (France). Recueil de nouvelles

livre de Stephen King / Richard Bachman

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Je sais bien que vous ne croyez pas un traître mot de ce que je vous ai raconté et, après tout, qui pourrait vous blâmer, hein ? Mais faites marcher votre cerveau bien huilé juste une minute. C’était un enfant blanc de sexe masculin. Quand cette catégorie d’enfant vient à disparaître dans une société qui place encore la vie d’un enfant blanc mâle au-dessus de toutes les autres, sa disparition passe rarement inaperçue et tous les services de recherches sont mobilisés. On relève les empreintes digitales des tout-petits dès leur entrée à l’école de nos jours, ça facilite l’identification en cas de disparition, d’assassinat ou d’enlèvement – ce sont des choses qui arrivent, surtout quand les parents se disputent la garde. Je pense que le relevé des empreintes est même une loi dans notre État. Ou bien je me trompe ? »

Royaume de vent et de colères
7.4

Royaume de vent et de colères (2015)

Sortie : 5 mars 2015. Roman

livre de Jean-Laurent Del Socorro

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Gentils. Comme ces gamins qui me tabassaient pour s’amuser et que tu laissais faire. Tu aurais voulu un fils. Un homme ça sert à quelque chose. Une fille ça ne peut que se marier ou faire la putain. Dans les deux cas, elle n’est bonne qu’à écarter les jambes et à se taire. Mais tu n’as eu aucun fils à adorer. Tu n’as eu que moi, rien que moi.

— Quoi alors ?
— Toujours ce sale caractère. J’ai pourtant essayé de le corriger. Pas besoin d’être violente.

La violence c’est toi qui me l’as apprise. Parfois, j’entends encore tes hurlements dans mes cauchemars. Quand tu criais sur moi. Tu crachais sur le monde qui était responsable de ta misère. Jamais de ta faute, toujours celle des autres, des bourgeois, des protestants ou des banquiers juifs. Une fois, je t’ai demandé de t’arrêter, j’étais en pleurs, je devais avoir onze ans, douze peut-être. Tu m’as répondu : Il faut que ça sorte, c’est ça ou je crève. Tu préférais que ce soit moi qui crève. Tu m’as gavée de ta colère que j’ai tassée en moi sans avoir le choix. Jusqu’à en vomir. »

« Il ne remarquera pas la vieille femme cachée sous un porche quand il s’approchera de la porte de la ville. Il apercevra par contre immédiatement les jolies putains dépoitraillées qui l’aguicheront depuis les fenêtres. Il les reconnaîtra pour les avoir déjà eues dans son lit et leur lancera un baiser d’un geste théâtral. Il continuera, la tête haute, en pensant à ces filles de joie qu’il enverra chercher après avoir fini. Il voudra déjà avoir entendu les émissaires pour leur dire qu’il étudiera leurs revendications pour le bien de Marseille et de ses habitants. Sa tête ne sera plus occupée que par les formes girondes des femmes qu’il imaginera déjà offertes à son plaisir. »

« Ah, j’ai aussi demandé à Charles de Casaulx d’arrêter avec son idée stupide de société secrète d’assassins qui œuvrerait dans l’ombre pour offrir Marseille aux armées royales. C’est d’un ridicule ! C’est comme si je disais que notre bon pape était en réalité le chef d’une secte de riches commerçants et de familles de nobliaux qui s’élisent cardinaux entre eux pour manipuler les rois d’Europe depuis le Vatican. »

« — Règle numéro 6 : un con, ça veut une belle rapière. Un couteau, ça coupe les miches de pain aussi bien que des gorges, ça tient dans la poche, c’est facile à aiguiser et en cas de besoin on peut toujours le lancer. Pas une rapière. Alors laisse les belles épées aux cons, et garde précieusement tes couteaux. »

À la dure
7.1

À la dure (2014)

Under the Weather

Sortie : 5 mars 2014 (France). Nouvelle

livre de Stephen King / Richard Bachman

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

« Ellen est toujours endormie. L'avantage de se lever tôt, c'est qu'on n'a pas besoin du réveil : je l'éteins. Je vais la laisser dormir encore un peu. Infection des bronches. Elle m'a fait très peur au début, mais maintenant elle va mieux.

Je vais à la salle de bains et inaugure officiellement cette nouvelle journée par un brossage de dents (j'ai lu quelque part que le matin, la bouche est un cimetière à bactéries mais les vieilles habitudes qu'on nous inculque quand on est gosses sont difficiles à perdre). J'allume la douche, bien chaude et bien forte, et me plante dessous.

C'est là que je réfléchis le mieux, et ce matin, je réfléchis à mon rêve. Cinq nuits d'affilée (mais peu importe le nombre) que je le fais. Rien de véritablement horrible n'arrive, mais en un sens, c'est ça le pire. Parce que dans mon rêve, je sais - je sais pertinemment - que quelque chose d'horrible va arriver. Si je le laisse arriver. »

Vivaldi

Vivaldi (1955)

Vie, mort et résurrection

Sortie : 1955 (France). Biographie, Musique

livre de Claude Baignères

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« La brèche creusée par Bach dans l'indifférence du public allait rapidement s'agrandir. Elle laissa filtrer des maîtres moins illustres,puis un jour apparurent les visages injustement oubliés des primitifs de l'école française ; on évalua ce que Bach leur devait et le Cantor devint ainsi l'héritier d'une demi-douzaine de pères spirituels promus à leur tour au rang de jeunes premiers des concerts symphoniques. De Bach à Vivaldi, il n'y avait qu'un pas à faire ; le géant, le colossal, le sublime Bach n'avait-il pas jugé digne de sa plume la transcription pour le clavecin de seize Concertos pour violon de Vivaldi ? Il était bien tentant de confronter la partition originale avec la version du Cantor. L'opération se révéla fructueuse ; de fil en aiguille, on s'aperçut que Vivaldi léguait au monde musical la formule du Concerto de soliste, inexploitée avant son règne : il en avait analysé toutes les ressources, laissant seulement à ses successeurs le soin de perfectionner ses découvertes. Quatre cent quarante-sept Concertos témoignent de son génie et la liste n'en est pas close, car les bibliothèques n'ont peut-être pas encore livré tous leurs secrets.

Du coup, l’Italie à qui l'on attribuait l'invention de l'art lyrique devenait également la base de départ de la musique instrumentale. Avec Vivaldi, les musicologues avaient détecté une étoile de première grandeur, mais le déterminisme historique leur conseillait de ne pas le regarder comme un phénomène isolé dans un horizon désert et, en effet, de nombreux satellites au rayonnement inégal l'entouraient ou le précédaient ; Vivaldi semblait en fin de compte l'apothéose de cent années de recherches, de tâtonnements effectués par les musiciens qui pullulaient dans les innombrables cours ducales, princières ou pontificales de la péninsule. »

Rainbow paintings

Rainbow paintings (2022)

Fabienne Verdier

Sortie : 2 décembre 2022 (France). Essai, Peinture & sculpture

livre de Corinna Thierolf

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« La couleur, Newton l'a démontré, n'est pas une propriété inhérente à un objet: elle est produite par la réaction de cet objet à une lumière incidente, par la façon dont sa matière l'absorbe, la réfracte et la réfléchit.

Fabienne Verdier, sous l'effet de sa rencontre avec le Retable, a voulu poursuivre la a méditation sur la lumière de Grünewald. « Le spectre lumineux de chaque étoile, mais aussi celui de la Terre éclairée par le soleil, constitue sa signature unique dans l'Univers », nous dit-elles.Les signatures en question vont de la géante rouge à la naine blanche, s'agissant des étoiles, en passant par notre planète bleue, la Terre. La lumière ne se borne pas à rendre visible ni à colorer le monde des objets. Elle est, comme l'a formulé Fabienne Verdier en évoquant les mondes imaginaires, I'ADN de nos images mentales. »

Échopraxie
6.5

Échopraxie (2012)

Echopraxia

Sortie : 11 juin 2015 (France). Roman

livre de Peter Watts

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Côté poupe, l’ombrelle transplantée retenait le soleil : un grand bouclier noir, entouré de coruscations de flammes qui scintillaient encore par intermittence. Devant, les étoiles, dont l’une au moins grouillait de vie et de chaos, encore trop lointaine pour attirer l’attention, hypothèse plutôt qu’espoir, mais qui se rapprochait de jour en jour. C’était quelque chose.

Entre les deux :

Une échine métallique prise dans des bâtis, noueuse de tumeurs métalliques. Des rayons, des modules, des moignons cautérisés qui tournaient devant le ciel dans un sens. Un bâton lesté qui tournait dans l’autre pour équilibrer les vecteurs. Le Moyeu. La cale, caverne cylindrique jouxtant le bouclier côté poupe, l’arrière déchiqueté béant dans l’espace. Autrefois remplie de matériel, de composants et de cancers pensants, elle était à présent bondée de tonnes d’uranium, de précieux microgrammes d’antihydrogène et de supraconducteurs toriques gros comme des maisons.
Et d’ombres partout : toiles et puzzles projetés par cent faibles lanternes qui décoraient les extrémités des antennes ou les verrous des panneaux de service, ou bien avaient été installées en guise d’éclairage autour de sas de secours plus ou moins oubliés. Sengupta les avait toutes allumées et poussées au maximum, mais c’était des points de repère et non des projecteurs : elles illuminaient moins les ténèbres qu’elles ne les faisaient ressortir par contraste. »

*

« Il existait toutefois un bon côté à la démence croissante du colonel Carnage, aux jeux d’attente mortels de Valérie, aux fantômes qui hantaient l’éther et aux destins incertains prêts à vous tomber dessus : au moins Rakshi n’était-elle plus à ses trousses à lui. Il s’étonna un peu qu’elle occupe le sommet de sa propre hiérarchie de la peur. Ce n’était qu’un être humain, après tout. Sans autres armes que sa chair et son sang. Pas un cauchemar préhistorique ou un métamorphe extraterrestre, pas un dieu ou un démon. Rien qu’une gamine… et même une amie, dans la mesure où elle pouvait penser en ces termes. Une innocente qui ne connaissait même pas le secret de Brüks. Qui était Rakshi Sengupta, comparée aux monstres, aux cancers et à tout un monde chancelant ? Qu’était sa rancune, comparée à toutes ces autres terreurs qui approchaient de toutes parts ?

La question était bien entendu rhétorique. Bien sûr que le monde abondait en terreurs. »

Le Corps des ruines
7.9

Le Corps des ruines (2015)

La forma de las ruinas

Sortie : 17 août 2017 (France). Roman

livre de Juan Gabriel Vásquez

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Un climat d’horreur s’était installé dans le pays. Les excès d’une police conservatrice qui dérapait étaient devenus un spectacle atroce et quotidien : gorges tranchées à coups de machette, femmes violées, fosses creusées au milieu des champs pour y accueillir des corps anonymes. À la radio, l’évêque de Santa Rosa de Osos exhortait les paysans à s’enrôler dans l’armée de Dieu pour combattre l’athéisme libéral, et ses collègues leur ordonnaient de défenestrer les apostats rouges. La violence avait gagné la ville ; timide et fuyante, elle pointait le nez au coin des rues, s’exhibant de temps en temps pour montrer son visage dangereux. »

*

« J’ai alors pensé que Carballo ne souhaitait pas seulement tirer de l’oubli une vérité qui n’appartenait pas au monde des historiens, mais aussi donner à son père une existence qu’il n’avait pas eue. Il resterait sans sépulture et ses ossements ne reposeraient peut-être pas sous une dalle gravée à son nom, mais son nom et sa mémoire seraient présents dans un espace donné, de même que sa vie, ses actes, ses passions, ses œuvres et son enthousiasme, sa filiation et sa descendance, ses projets et ses illusions, ses plans d’avenir. Carballo ne voulait pas que j’écrive un Qui sont-ils ? à propos du meurtre de Gaitán, mais que j’élève un mausolée de mots pour abriter son père. Il voulait aussi que les deux dernières heures de son père soient consignées comme il l’entendait. Son père aurait alors une place dans le monde et, de plus, il aurait joué un rôle dans l’Histoire. »

*

« Un an et demi, oui. Un an et demi à me remémorer constamment ces morts, à leur parler, à écouter leurs lamentations et à me lamenter à mon tour de ne rien pouvoir faire pour alléger leurs souffrances, mais surtout à penser à nous, les vivants, qui essayons toujours de comprendre ce qui est arrivé, et qui, des années plus tard, continuons de raconter des histoires pour nous l’expliquer. C’est ce que j’ai fait : tenter de trouver une explication en racontant une histoire dans un livre. Après avoir terminé Le Bruit des choses qui tombent, j’étais persuadé d’avoir réglé mes comptes personnels avec la violence qu’il m’avait été donné de vivre. Aujourd’hui, il me semble incroyable de n’avoir pas compris que nos violences ne sont pas seulement celles qui nous touchent dans notre vie, mais les autres, plus anciennes. »

Poésie du Louvre

Poésie du Louvre (2024)

100 poètes d’aujourd’hui

Sortie : 7 mars 2024. Poésie, Peinture & sculpture

livre de Arthur Teboul, Rachael Allen, Tahar Ben Jelloun, Jon Fosse, Abdellatif Laâbi, Simon Johannin, Pauline Delabroy-Allard et Abd al Malik

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Luljeta Lleshanaku :

« Puis survient Rembrandt à son chevalet,
te regardant l'air de dire "Voilà tout !"
Il y a tout dans cette vue, le commencement et la fin,
il ne te reste rien à dire ou penser.

C'est le Louvre,
ou tu regardes moins que tu es regardé, [...] »

*

Nujoom Alghanem, Tu es l'océan, une lettre différée au Louvre :

« Et pour m'apprendre que le chemin est plus magique que
l'arrivée.

Sous ton dôme, j'ai trouvé un océan inépuisable d'histoires C'est pourquoi leurs âmes sont restées gravées dans ma mémoire depuis que je t'ai trouvé

Ici mes yeux ont cherché les noms et les dates
Ainsi que La Liberté guidant le peuple
Et mon cœur s'est accablé durant des temps innombrables
par les paroles du grand Delacroix

Ici j'ai également appris que l'univers entier peut vivre
dans un seul palais
Et c'est pour cette raison que je t'ai aimé. »


Pauline Delabroy-Allard, L'ombre au tableau :

« je louvoie dans le Louvre
je louvoie et je vois
partout des hommes
des peintures des sculptures signées de prénoms d'hommes je louvoie et je vois
ces hordes qui veulent voir
Mona Mona Mona Mona Lisa Lisa Lisa
le sourire de Mona
les yeux de Mona
comme si c'était elle
la seule femme du Louvre
la reine devant l'éternel
signée d'un prénom d'homme mais où sont toutes les autres qui regardaient qui observaient
celles qu'on ne voyait pas mais qui voyaient tout
ou sont leurs yeux où sont leurs sourires
ou sont les autres femmes qui dévisageaient le monde sculptaient la vie
peignaient la terre
où sont les femmes
qui rendaient grâce à l'univers qui signaient de leurs prénoms des sculptures des peintures
je louvoie et je vois
vingt-cinq femmes peintres
peintresses prêtresses
sur trois mille six cents artistes
là tout autour de moi
c'est la grande chasse au trésor
débusquer les vingt-cinq prénoms de femmes
dans le Louvre j'ouvre les yeux
à la recherche
de nous
nous les femmes
de vous
vous les louves du Louvre »

Dialogues d'antiquités orientales

Dialogues d'antiquités orientales (2024)

The Met au Louvre

Sortie : 15 mars 2024. Beau livre & artbook, Essai, Histoire

livre de Ariane Thomas et Hélène Le Meaux

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Ce génie anthropomorphe à tête de rapace tient une place particulière dans l'univers des croyances centre asiatiques : il y seconde la divinité principale du panthéon, la grande déesse de la fertilité et de la fécondité,dans son combat saisonnier contre les forces à l'œuvre dans la nature. Celles-là-mêmes qui, sans être maléfiques à proprement parler, comme le dragon et le sanglier, retiennent néanmoins les eaux vives et détruisent la végétation une partie de l'année, et pourraient à terme mettre en péril la bonne marche du monde. C'est ainsi qu'il les domine ici sans les tuer, avec la force supérieure des guerriers et des héros. Cette composition sophistiquée pourrait refléter le vieux fonds de croyances centre-asiatique, peut-être même un épisode mythologique singulier qui nous échappe largement faute d'écrits contemporains. Le choix de la thématique,celui des matériaux précieux et les techniques adoptées placent en tout cas d'emblée cette hache dans le champ des objets les plus prestigieux de la civilisation dite bactrio-margienne. »

La Maison des feuilles
8.1

La Maison des feuilles (2000)

House of Leaves

Sortie : 29 août 2002 (France). Roman, Fantastique

livre de Mark Z. Danielewski

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Cela s'applique non seulement à la maison mais au film lui-même. Dès le début du Navidson Record, nous sommes entraînés dans un labyrinthe, et errons d'une cellule de celluloïde à l'autre, nous efforçant d'apercevoir le plan suivant dans l'espoir de trouver une solution, un centre, un sens global, pour ne découvrir qu'une autre séquence, menant dans une direction complètement différente, un discours qui ne cesse de se déboîter et de nous faire miroiter l'éventualité d'une découverte tout en se dissolvant en chemin dans des ambiguïtés chaotiques trop brouillées pour qu'on puisse jamais les embrasser complètement.

Afin d'apprécier pleinement la façon dont les détours se déroulent, se tordent pour soudain se réenrouler, puis se déploient à nouveau, que ce soit dans la maison de Navidson ou dans le film - quae itinerum ambages occursusque ac recursus inexplicabiles - nous devons nous pencher sur l'héritage étymologique d'un mot comme « labyrinthe ». Le latin labor est parent de la racine labi qui signifie glisser ou glisser en arrière bien que le sens communément perçu suggère la difficulté et le travail. Le mot « labyrinthe » contient implicitement un effort nécessaire pour s'empêcher de glisser ou de tomber; en d'autres termes, pour s'arrêter. Nous ne pouvons nous détendre entre de tels murs, nous devons lutter pour nous en extraire. Hugues de Saint-Victor est allé jusqu'à suggérer que l'antithèse du labyrinthe - ce qui contient le travail est l'arche de Noé -, autrement dit ce qui contient le repos. »

*

« Zampanò parle constamment de voir. Ce que nous voyons, comment nous voyons et ce qu'en revanche nous ne voyons pas. Sans cesse, sous une forme ou une autre, il parle de lumière, d'espace, de forme, de ligne, de couleur, de mise au point, de tons, de contraste, de mouvement, de rythme, de perspective et de composition. Rien de surprenant vu que l'étude de Zampanò traite d'un documentaire intitulé Le Navidson Record, tourné par un photo-reporter décoré du Pulitzer, et qui a dû fixer le sujet le plus difficile qui soit: l'image des ténèbres elles-mêmes.
A minima étrange.
[...]
C'était là, bien sûr, le geste suprêmement ironique de Zampanò : tout ce discours sur la lumière, le cinéma et la photographie, alors qu'il n'avait plus rien vu depuis le milieu des années cinquante.
Il était aveugle comme une taupe. »

Nushku

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